Le terme d’expographie, aussi employé dans ces pratiques, est parfois utilisé comme synonyme de scénographie d’exposition ou encore de décor ; bien qu’il existe quelques différences, des points communs demeurent entre ces disciplines.
Directeur, conservateur, curateur, scénographe, metteur en scène, architecte sont autant de professionnels qui participent à réinventer l’exposition.
Déranger le visiteur
Selon le conservateur Jacques Hainard, « exposer c’est déranger le visiteur ; c’est mettre des objets au service d’un propos théorique, d’un discours, d’une histoire ; c’est vivre intensément une expérience collective ». À travers l’usage de la scénographie, l’exposition propose une relecture des objets dans un cadre artificiel, construit. Une sculpture olmèque qui, originellement, appartient à un complexe architectural religieux, exposée de manière isolée dans une salle, perd son rôle cultuel : les sociétés préhispaniques ne concevaient pas les productions artistiques comme autre que sacrées. Que raconte alors le musée en décontextualisant les objets ? Le processus de l’exposition peut-il le contrefaire, ou produire des contresens ?
Un tableau de Monet peut illustrer le courant impressionniste, insister sur la technique picturale, ou bien évoquer la beauté des reflets lumineux sur l’eau pour défendre un discours écologique sur les océans.
Exposer Picasso renvoie un autre message qu’exposer Velázquez : si l’on confrontait les deux dans un même espace, le message peut devenir politique ; Picasso reste associé aux idées engagées contre le franquisme exprimées dans la violence de Guernica, alors que Veláquez, peintre royal des plus grands chefs-d’œuvre du Siècle d’or espagnol, fut au service de la Couronne comme en témoignent Les Ménines.
Textures, éclairage, couleurs ou un mobilier transfigurent les œuvres : c’est le pouvoir de la théâtralité. En observant les détails de la scénographie, on peut décoder le propos non exprimé de l’exposition. La scénographie, même la plus abstraite, influence le regard : un espace vide, un mur lisse, une lumière blanche suffisent à jouer sur notre perception de l’œuvre lui attribuant une valeur détournée.
Une forme de théâtralité
La scénographie trouve son origine dans le théâtre grec antique et se définit comme « l’art de dessiner » ou « d’écrire » la scène, pratique artistique qui s’adapte à l’évolution des théories théâtrales de son temps. À la fin du XIXe siècle, la définition donnée par le Dictionnaire de l’Académie s’intéresse davantage à des notions de peinture et précise qu’il s’agit de « l’art de représenter des objets en perspective ».
Après les expériences scéniques révolutionnaires d’Adolphe Appia et E. Gordon Craig au début du XXe siècle, la scénographie correspond à la conception et à l’organisation de l’espace de la représentation.
Aujourd’hui, le terme de scénographie touche aussi bien à l’aménagement de l’espace dans les musées qu’aux expositions ainsi que les espaces urbains ou les paysages ; c’est « l’acte de produire l’exposition », selon les termes de Jean Davallon.
Il existe plusieurs types d’expositions, permanentes ou temporaires, ayant différents objectifs et visant différents publics. Toutefois, il s’agit toujours de montrer quelque chose. L’exposition d’aujourd’hui se construit comme un récit structuré par une introduction, un développement et une fin où les œuvres se font les interprètes du discours muséal.
Véritable enjeu, la scénographie d’exposition, pour l’artiste du Bauhaus Herbert Bayer, constitue un outil d’influence majeur voire de transformation du visiteur ; c’est à ce dessein qu’il l’expérimente sous ce qu’il appellera le Traffic control dès les années 1930 : rythme de la visite manipulé, cimaises colorées, signalétiques sur les murs et au sol et champ de vision modélisé.
À travers la scénographie, c’est une forme puissante de la théâtralité qui s’exprime, dans un contact vivant et évolutif avec l’œuvre d’art. Depuis une trentaine d’années, il ne s’agit plus de contempler les œuvres passivement ou d’apprendre de manière traditionnelle, mais bien d’établir une rencontre entre l’art et le visiteur.
Le plaisir, l’émotion et l’affect sont essentiels à l’expérience esthétique mais aussi à la transmission du savoir, comme les sciences cognitives l’ont démontré pour les processus d’apprentissage.
Le MET à New-York, le Louvre, le château de Versailles et bien d’autres musées ont eu recours à ces procédés théâtraux suscitant une forte implication du public. Usant de faux, de restitutions, de reconstitutions ou encore de copies, l’exposition devient ce « théâtre sans le texte » où les décors influencent la perception des œuvres.
Un art en soi
L’art d’exposer est assimilé à une véritable pratique artistique protégée par le droit d’auteur. Le scénographe René Allio avait déjà contribué à cette démarche en 1988 avec la mise en scène de la Grande Galerie de l’Évolution au Muséum national d’histoire naturelle.