Nous sommes le 17 avril 2024, la météo est clémente à Washington DC.
Alors que le printemps pointe le bout de son nez dans la capitale américaine, après un hiver rigoureux, quatre hommes traversent Independence Avenue.
Ils ont tous le regard noir et les mâchoires serrées.
Ces personnes sont des anciens ou actuels salariés de Boeing, des lanceurs d'alerte appelés à témoigner devant le comité d'enquête du Sénat américain dans le cadre des investigations sur la sécurité des avions de Boeing.
Parmi ces hommes, nous retrouvons Shawn Pruchnicki, un professeur de l'Université de l'Etat d'Ohio. Cet expert reconnu de la sécurité aérienne, ancien commandant de bord, a travaillé pour la NASA et la Federal Aviation Administration (FAA), l'équivalent de la DGAC aux USA.
Outre son poste universitaire, Shawn Pruchnicki est aussi un auteur scientifique prolifique. Il a au cours de sa vie participé à plusieurs enquêtes sur des crashs et incidents aériens avec le Conseil national (américain) de la sécurité des transports (NTSB).
Cet expert est aussi le dirigeant d'une société de conseils sur les risques et la sécurité.
Nous avons pu, pendant plus d'une heure, interviewer ce témoin particulier, dont l'emploi du temps s'est largement rempli ces dernières semaines, suite aux défaillances sécuritaires de Boeing.
Un témoignage crucial pour comprendre les origines de cette déroute sécurité dans la construction des avions. Accrochez vos ceintures et mettez le masque à oxygène...
Alors que le printemps pointe le bout de son nez dans la capitale américaine, après un hiver rigoureux, quatre hommes traversent Independence Avenue.
Ils ont tous le regard noir et les mâchoires serrées.
Ces personnes sont des anciens ou actuels salariés de Boeing, des lanceurs d'alerte appelés à témoigner devant le comité d'enquête du Sénat américain dans le cadre des investigations sur la sécurité des avions de Boeing.
Parmi ces hommes, nous retrouvons Shawn Pruchnicki, un professeur de l'Université de l'Etat d'Ohio. Cet expert reconnu de la sécurité aérienne, ancien commandant de bord, a travaillé pour la NASA et la Federal Aviation Administration (FAA), l'équivalent de la DGAC aux USA.
Outre son poste universitaire, Shawn Pruchnicki est aussi un auteur scientifique prolifique. Il a au cours de sa vie participé à plusieurs enquêtes sur des crashs et incidents aériens avec le Conseil national (américain) de la sécurité des transports (NTSB).
Cet expert est aussi le dirigeant d'une société de conseils sur les risques et la sécurité.
Nous avons pu, pendant plus d'une heure, interviewer ce témoin particulier, dont l'emploi du temps s'est largement rempli ces dernières semaines, suite aux défaillances sécuritaires de Boeing.
Un témoignage crucial pour comprendre les origines de cette déroute sécurité dans la construction des avions. Accrochez vos ceintures et mettez le masque à oxygène...
Boeing : "Le problème originale de Boeing remonte au 737 MAX"
TourMaG - Depuis quelques mois Boeing est dans la tourmente. Des centaines d'appareils ont été cloués au sol et les enquêtes de la FAA ont livré des conclusions effarantes. Comment en est-on arrivé là ?
Shawn Pruchnicki : Le problème original de Boeing remonte aux accidents du 737 MAX.
Souvenez-vous, en 2018 puis en 2019, deux crashs ont eu lieu. Le deux appareils sont des 737 max. Les accidents ont vraiment attiré l'attention du monde sur les problèmes de fabrication de Boeing.
Les investigations de l'époque ont révélé qu'une partie des systèmes de pilotage automatique était mal conçue. Boeing était au courant, mais a réussi à berner la procédure de certification et la Federal Aviation Administration (FAA), ne s'est aperçue de rien.
Il a fallu attendre les enquêtes après les deux crashs, pour qu'elle découvre le pot aux roses.
TourMaG - Comment les dirigeants de Boeing ont-ils fait pour obtenir cette certification ?
Shawn Pruchnicki : Ils ont pu convaincre la FAA, avant les crashs, que ce n'était pas un système lié à la sécurité et donc ne nécessitait pas d'examen approfondi.
Ils ont réussi à convaincre l'agence que le système de MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System), prévu pour équilibrer l'appareil, n'était qu'un détail.
Ce n'est pas tout. Non seulement la FAA a été flouée, mais les pilotes n'étaient pas au courant que ce système existait sur les 737 Max. Cela ne figurait sur aucun manuel !
Les commandants de bord ne savaient pas que ce système avait la capacité de prendre le contrôle de l'avion. Boeing a caché le MCAS pour éviter l'obligation qui pèserait sur les compagnies de devoir faire passer des formations aux pilotes, afin de pouvoir faire voler ce nouvel appareil.
Faire passer des formations coûte cher.
Boeing a donc omis cette déclaration, pour pouvoir vendre plus facilement des 737 Max avec cet argument de ne pas avoir à former les commandants de bord.
Shawn Pruchnicki : Le problème original de Boeing remonte aux accidents du 737 MAX.
Souvenez-vous, en 2018 puis en 2019, deux crashs ont eu lieu. Le deux appareils sont des 737 max. Les accidents ont vraiment attiré l'attention du monde sur les problèmes de fabrication de Boeing.
Les investigations de l'époque ont révélé qu'une partie des systèmes de pilotage automatique était mal conçue. Boeing était au courant, mais a réussi à berner la procédure de certification et la Federal Aviation Administration (FAA), ne s'est aperçue de rien.
Il a fallu attendre les enquêtes après les deux crashs, pour qu'elle découvre le pot aux roses.
TourMaG - Comment les dirigeants de Boeing ont-ils fait pour obtenir cette certification ?
Shawn Pruchnicki : Ils ont pu convaincre la FAA, avant les crashs, que ce n'était pas un système lié à la sécurité et donc ne nécessitait pas d'examen approfondi.
Ils ont réussi à convaincre l'agence que le système de MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System), prévu pour équilibrer l'appareil, n'était qu'un détail.
Ce n'est pas tout. Non seulement la FAA a été flouée, mais les pilotes n'étaient pas au courant que ce système existait sur les 737 Max. Cela ne figurait sur aucun manuel !
Les commandants de bord ne savaient pas que ce système avait la capacité de prendre le contrôle de l'avion. Boeing a caché le MCAS pour éviter l'obligation qui pèserait sur les compagnies de devoir faire passer des formations aux pilotes, afin de pouvoir faire voler ce nouvel appareil.
Faire passer des formations coûte cher.
Boeing a donc omis cette déclaration, pour pouvoir vendre plus facilement des 737 Max avec cet argument de ne pas avoir à former les commandants de bord.
Boeing : "Les morts dans ces deux crashs, sont juste morts pour des profits"
TourMaG - Pouvez-vous expliquer la raison de la présence du système MCAS ?
Shawn Pruchnicki : Le 737 Max avait pour objectif de concurrencer l'A320 NEO d'Airbus, en étant plus grand.
Ils ont du mettre sur la coque des 737 des moteurs qui étaient plus grands, dans l'ambition d'être plus performant.
Alors que les moteurs des 737 étaient déjà relativement bas par rapport à la carlingue, ces réacteurs plus gros ont du être déportés plus loin sur les ailes.
Cela explique que l'avion pouvait avoir un cabrage plus violent.
A lire : Boeing : la FAA charge le constructeur américain !
Je tiens aussi à préciser, en tant qu'ingénieur, que quand on conçoit un système aussi puissant et capable de prendre le contrôle de l'avion, la prise de décision de ce genre d'outil ne doit pas reposer sur une unique source de données, mais sur plusieurs, c'est du bon sens.
Dans le cas du 737 Max, le MCAS se basait sur un seul capteur. Or, il faut au moins une double vérification.
Depuis ces tragédies, les problèmes s'enchainent pour Boeing.
TourMaG - Comment expliquez-vous ou justifiez-vous ces affaires au sein de l'un des plus importants et anciens constructeurs d'avions du monde ?
Shawn Pruchnicki : Tout est une question d'argent et de profit.
La raison pour laquelle ils n'ont pas mis deux ou trois capteurs pour le système MCAS réside dans le fait que ces appareils coûtent extrêmement cher.
L'enjeu était de concurrencer Airbus, en promettant un prix plus bas. Tous les passagers morts dans ces deux crashs, sont juste morts pour des profits.
Suite à ces accidents, le National Transportation Safety Board (NTSB) et l'Administration de l'Aviation Fédérale (FAA) ont découvert des problèmes dans le processus de production.
Puis des lanceurs d'alerte ont commencé à parler.
Shawn Pruchnicki : Le 737 Max avait pour objectif de concurrencer l'A320 NEO d'Airbus, en étant plus grand.
Ils ont du mettre sur la coque des 737 des moteurs qui étaient plus grands, dans l'ambition d'être plus performant.
Alors que les moteurs des 737 étaient déjà relativement bas par rapport à la carlingue, ces réacteurs plus gros ont du être déportés plus loin sur les ailes.
Cela explique que l'avion pouvait avoir un cabrage plus violent.
A lire : Boeing : la FAA charge le constructeur américain !
Je tiens aussi à préciser, en tant qu'ingénieur, que quand on conçoit un système aussi puissant et capable de prendre le contrôle de l'avion, la prise de décision de ce genre d'outil ne doit pas reposer sur une unique source de données, mais sur plusieurs, c'est du bon sens.
Dans le cas du 737 Max, le MCAS se basait sur un seul capteur. Or, il faut au moins une double vérification.
Depuis ces tragédies, les problèmes s'enchainent pour Boeing.
TourMaG - Comment expliquez-vous ou justifiez-vous ces affaires au sein de l'un des plus importants et anciens constructeurs d'avions du monde ?
Shawn Pruchnicki : Tout est une question d'argent et de profit.
La raison pour laquelle ils n'ont pas mis deux ou trois capteurs pour le système MCAS réside dans le fait que ces appareils coûtent extrêmement cher.
L'enjeu était de concurrencer Airbus, en promettant un prix plus bas. Tous les passagers morts dans ces deux crashs, sont juste morts pour des profits.
Suite à ces accidents, le National Transportation Safety Board (NTSB) et l'Administration de l'Aviation Fédérale (FAA) ont découvert des problèmes dans le processus de production.
Puis des lanceurs d'alerte ont commencé à parler.
Boeing : "La situation est telle que le PDG risque une poursuite au niveau pénal."
"Les morts dans ces deux crashs, sont juste morts pour des profits" selon Shawn Pruchnicki - Depositphotos @Wirestock
TourMaG - Qu'en est-il ressorti ?
Shawn Pruchnicki : Ces personnes ont témoigné de graves problèmes, comme la réduction du nombre d'inspecteurs sur la chaine de production. Elles sont chargées de vérifier le travail pour s'assurer que la production et l'avion sont bien réalisés.
De plus, lorsque des pièces arrivent d'autres entreprises, car Boeing comme d'autres constructeurs sous-traite, ils ont réduit le temps pour vérifier et s'assurer que ces pièces étaient en bon état.
A lire : Boeing 737 Max : de nouvelles pièces mal fixées ?
Ils ont arrêté de faire ce travail pour réduire les coûts et parce que cela prend du temps.
Je veux dire qu'un gros morceau d'avion ça peut prendre une journée entière pour l'examiner. Ils ont arrêté de le faire parce qu'ils se sont dit : "Oui, c'est probablement assez bon, allons-y, i[installons-le". C'est ainsi que ces choses se sont produites.
]La surveillance a été appauvrie et les cadences ont augmenté à des rythmes trop élevés, deux facteurs qui ont occasionné des défauts de fabrication. On a retrouvé des vis qui étaient mal accrochées et qui auraient pu rompre des câbles ou encore... une échelle, une échelle bordel !
Il a été demandé aux salariés d'augmenter la productivité. Habituellement Boeing sortait un avion par jour, puis ils sont passés à 33 et puis 38 par mois.
Produire plus vite que nécessaire est un problème.
Cette politique de la sécurité défaillante réside dans les choix faits par le CEO pour maintenir un cours des actions élevé. La situation est telle désormais que le PDG risque une poursuite au niveau pénal.
Shawn Pruchnicki : Ces personnes ont témoigné de graves problèmes, comme la réduction du nombre d'inspecteurs sur la chaine de production. Elles sont chargées de vérifier le travail pour s'assurer que la production et l'avion sont bien réalisés.
De plus, lorsque des pièces arrivent d'autres entreprises, car Boeing comme d'autres constructeurs sous-traite, ils ont réduit le temps pour vérifier et s'assurer que ces pièces étaient en bon état.
A lire : Boeing 737 Max : de nouvelles pièces mal fixées ?
Ils ont arrêté de faire ce travail pour réduire les coûts et parce que cela prend du temps.
Je veux dire qu'un gros morceau d'avion ça peut prendre une journée entière pour l'examiner. Ils ont arrêté de le faire parce qu'ils se sont dit : "Oui, c'est probablement assez bon, allons-y, i[installons-le". C'est ainsi que ces choses se sont produites.
]La surveillance a été appauvrie et les cadences ont augmenté à des rythmes trop élevés, deux facteurs qui ont occasionné des défauts de fabrication. On a retrouvé des vis qui étaient mal accrochées et qui auraient pu rompre des câbles ou encore... une échelle, une échelle bordel !
Il a été demandé aux salariés d'augmenter la productivité. Habituellement Boeing sortait un avion par jour, puis ils sont passés à 33 et puis 38 par mois.
Produire plus vite que nécessaire est un problème.
Cette politique de la sécurité défaillante réside dans les choix faits par le CEO pour maintenir un cours des actions élevé. La situation est telle désormais que le PDG risque une poursuite au niveau pénal.
Boeing des problèmes aussi sur le Dreamliner et le 777 ?
TourMaG - Ces lacunes sur la sécurité sont-elles systémiques chez Boeing ou cela ne concerne que le 737 Max ?
Shawn Pruchnicki : Vous savez nous étions 4 à témoigner, dont Sam Salehpour, un ingénieur de Boeing, et c'est lui qui a parlé des problèmes du 737 Max.
Il a aussi travaillé sur le 787 Dreamliner et le 777.
Assez rapidement, il a découvert un certain nombre de couacs. Le Dreamliner est un appareil conçu pour des long-courriers, son fuselage est un assemblage de tubes. La construction ressemble à un jeu de Lego, vous assemblez des pièces.
Le problème c'est que pour assembler ces tronçons, les trous n'étaient pas exactement alignés comme ils devraient l'être.
Ils ont du forcer pour réaliser l'assemblage et cela a détendu le métal autour de ces trous, créant des petites fissures, puis après l'appareil est peint. Personne ne voit ces fissures.
Sauf qu'au bout de quelques années, ces trous s'agrandissent, car vous avez du forcer et l'avion est soumis à différentes épreuves tout au long de sa vie.
Boeing dit qu'ils ne sont pas inquiets pour ces avions. Lors de notre témoignage au Sénat, des personnes de Boeing nous ont dit qu'ils étaient persuadés que ces appareils peuvent voler encore 5 ou 10 ans, sans problème.
Sauf que la durée de vie d'un avion n'est pas aussi courte, elle s'étire sur plusieurs décennies.
Shawn Pruchnicki : Vous savez nous étions 4 à témoigner, dont Sam Salehpour, un ingénieur de Boeing, et c'est lui qui a parlé des problèmes du 737 Max.
Il a aussi travaillé sur le 787 Dreamliner et le 777.
Assez rapidement, il a découvert un certain nombre de couacs. Le Dreamliner est un appareil conçu pour des long-courriers, son fuselage est un assemblage de tubes. La construction ressemble à un jeu de Lego, vous assemblez des pièces.
Le problème c'est que pour assembler ces tronçons, les trous n'étaient pas exactement alignés comme ils devraient l'être.
Ils ont du forcer pour réaliser l'assemblage et cela a détendu le métal autour de ces trous, créant des petites fissures, puis après l'appareil est peint. Personne ne voit ces fissures.
Sauf qu'au bout de quelques années, ces trous s'agrandissent, car vous avez du forcer et l'avion est soumis à différentes épreuves tout au long de sa vie.
Boeing dit qu'ils ne sont pas inquiets pour ces avions. Lors de notre témoignage au Sénat, des personnes de Boeing nous ont dit qu'ils étaient persuadés que ces appareils peuvent voler encore 5 ou 10 ans, sans problème.
Sauf que la durée de vie d'un avion n'est pas aussi courte, elle s'étire sur plusieurs décennies.
Boeing : "Nous sommes tous inquiets"
TourMaG - Si je comprends bien, nous ne sommes qu'au début des découvertes ? D'autres incidents pourraient arriver dans les années à venir du fait de l'usure des Dreamliners ?
Shawn Pruchnicki : Personne ne comprend ce qu'ils ont voulu dire par cette phrase.
Nous sommes tous inquiets.
En tant qu'expert de la sécurité aérienne, mais aussi pour avoir parlé avec les autres lanceurs d'alerte qui sont des ingénieurs de l'aérien et avoir échangé avec des personnes du département de la justice, pour nous Boeing reconnaît en quelque sorte sa culpabilité.
Shawn Pruchnicki : Personne ne comprend ce qu'ils ont voulu dire par cette phrase.
Nous sommes tous inquiets.
En tant qu'expert de la sécurité aérienne, mais aussi pour avoir parlé avec les autres lanceurs d'alerte qui sont des ingénieurs de l'aérien et avoir échangé avec des personnes du département de la justice, pour nous Boeing reconnaît en quelque sorte sa culpabilité.