Futuroscopie - Du Club Méditerranée au Club Med : que restera-t-il du trident ? 🔑

… Donc, en ouvrant Clubmed.com, on arrive sur un nouveau site relativement discret, suggérant la détente et le plaisir, mais sur un ton sobre, presque confidentiel.

Des photos de grande qualité donnent le ton d’une ambiance raffinée, élégante, sereine… à l’image de celle que l’hôtellerie de luxe contribue de plus en plus à standardiser, à travers le monde. Une couleur est privilégiée : le jaune, qui détrône le bleu omniprésent dans l’iconographie de l’enseigne pendant de longues années.

Clairs, simples, voire minimalistes (pour reprendre les mots des communicants de la marque), les écrans fournissent aussi des textes descriptifs allant à l’essentiel : « Faire un avec la nature » (au Brésil), « Evasion luxuriante », « Séjours au paradis » en Thaïlande, « Le luxe naturel » en Sicile etc. avant de développer une information plus détaillée et plus exhaustive.

Bien entendu, les visuels des villages et de leurs hébergements sont particulièrement adaptés aux goûts de cette clientèle jeune, belle, nantie, privilégiée, soit en couples, soit en solo, que cible l’opérateur. Ainsi que sur les enfants qui disposent, rappelons-le, d’un accueil, d’un service et de divertissements adaptés à leur jeune âge et au budget de leurs parents (Voir : le nouveau village pour enfants de La Palmeraie à Marrakech).

Quant aux thématiques proposées par le Club Med, elles sont également parfaitement mises en valeur : bien être, sports, découverte, nature, gastronomie, montagne, hiver…

Rien ne manque à une offre qui, depuis quelques années, a fait le choix d’une montée en gamme, donc d’un produit de qualité inattaquable, capable d’apporter ce fameux « bonheur » promis par des campagnes antérieures comme « Le Bonheur si je veux » qui n’aura pas manqué de rester dans les mémoires, bien qu’elle date de 1989 !

Mais, ce Club dont la mission est de rendre heureux, n’a-t-il pas évolué dans les imaginaires touristiques.

Avec son nouveau logo, le Trident qui a aussi changé de teintes, est discret, loin de l’éclat de la mer Méditerranée. Et puis, transformé en abréviation, le nom de la marque s’est-elle aussi appauvrie. « Med » ou lieu de « Méditerranée », voilà qui questionne.

Lire aussi : I. Saga Club Med : d’un village de tentes au conglomérat chinois

… Inutile de rappeler l’histoire de l’enseigne, mais reconnaissons que c’est grâce à la Méditerranée que le Club a fait ses premiers pas dans la géographie des vacances d’après-guerre où les Trente Glorieuses offraient chaque jour un nouveau cadeau aux Français : emploi, assurances sociales, vaccins, voiture, machine à laver et congés payés !

- Or, cette Méditerranée est une mer dominée par Poséidon, frère de Zeus qui a triomphé des Titans, muni de son Trident !

- Dans la mythologie et dans les imaginaires, la Méditerranée est également le berceau de civilisations qui ont façonné notre histoire et nos croyances mais aussi nos savoir-faire, notre culture, notre civilisation. Transportant Phéniciens, Égyptiens, Grecs, Perses, Hébreux, Romains… la Méditerranée a aussi été la scène de batailles et de conquêtes mémorables qui ont changé en partie le destin des Occidentaux.

- Enfin, chère à tous, la Méditerranée, du latin mediterraneus ( au milieu de la terre), incarne un territoire magique d’où peuvent jaillir toute la beauté et la félicité du monde, comme l’écrivait Albert Camus, enfant de son soleil, de ses vagues, de son art de vivre ( Lire « Noces »).

- Des atouts qui ont fait de cette mer un espace touristique vedette, choisi par un tiers des voyageurs internationaux, capable de combler et de sublimer le corps, les sens et l’esprit et de respecter bien des valeurs…

Selon Henri Giscard d’Estaing : « Le Club, oui, a été le premier à mettre en avant des valeurs comme la mixité, la parité, la tolérance et l’intégration sous toutes ses formes »… ainsi que cette ambiance de liberté chère aux pionniers qui, sous la houlette de Gilbert Trigano et Gérard Blitz ont réussi à inventer un concept qui sera repris, copié, parodié… par tous les opérateurs touristiques du monde.

Examinons maintenant le terme de « club ». De l’anglais désignant un bâton muni d'une tête spécifique destinée à frapper la balle dans divers jeux tels que le golf, le « club » est devenu peu à peu un espace social, rassemblant des individus partageant des opinions et des activités récréatives communes.

Baptiser l’association initiale : « le Club Méditerranée » a donc constitué une initiative d’autant plus positive que les « clubs » d’une façon générale, souvent associés à la vie sportive y compris dans des cercles très fermés et élitistes, ont bonne presse. De plus, le terme possédait et possède toujours la tonalité anglo saxonne idéale en période de modernisation de la société.

Autre point positif : le nom de l’opérateur a eu le bon goût de s’associer à deux autres termes qui ont fait florès : villages et vacances. On ne reviendra pas sur la position indéboulonnable des vacances dans nos sociétés ( surtout en France).

Mais l’on reviendra volontiers sur les images véhiculées par le terme de village. Car le village c’est le territoire qui rassure.

De petite taille, intime, il est proche de ses habitants et ne laisse personne sur le côté. Il est d’autant plus sécurisant que le terme évoque le monde d’hier, celui où l’ère industrielle n’avait pas encore dégradé les paysages, la nature en général, la sociabilité, la convivialité ...

… Composés d’images réelles, symboliques, légendaires, mythiques… les imaginaires ont le pouvoir d’évoluer. Composé d’un mélange de telles images, le Club Med ex Club Méditerranée n’échappe pas à la règle. Une règle voulue par son histoire, ses changements de stratégie, ses actionnaires, son repositionnement sur la France, la montagne, le luxe et l’international.

Mais, les imaginaires ont une qualité : ils n’ont pas la mémoire courte et peuvent rester ancrés très longtemps dans la palette de nos images mentales sans que l’on puisse les en déloger.

Ainsi en ira-t-il (sans doute) de cette magnifique enseigne incluant la Méditerranée dans son iconographie, associée à des crazy-signs, des paréos, des colliers de perles de plastique, des GO et des GM joyeux, de grandes tablées, des buffets opulents, des rencontres, des amours d’été…

Et je ne peux m’empêcher de citer cette phrase de Gilbert Trigano au crépuscule de sa vie, me disant : « Quand on a la Méditerranée dans ses valises, on ne devrait pas la brader ! »

Je me permettrai aussi de citer Marc Tombez pour Tourmag, en 2014. Selon cet ex-membre du comité exécutif du Club : "Med" a effacé "Méditerranée", symbole force des années heureuses de la mixité sociale, de l’échange, de la rencontre et du partage.

« En oubliant d’où il venait le Club a fini par ne plus savoir où il va. »

Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

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