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Sécheresse : l'autre menace qui pèse sur le tourisme ?

En Catalogne, la sécheresse menace le tourisme


La France a reverdi en 2024, après une année très sèche et quelques alertes sur les nappes phréatiques. Si notre pays s'en sort plutôt bien, ce n'est pas le cas de nos voisins espagnols où le stress hydrique menace même le tourisme. Avec notre partenaire, Murmuration, nous avons scruté l'évolution dramatique du lac de Sau alimentant la zone urbaine de Barcelone. Demain, le tourisme sera-t-il contraint par la ressource en eau ?


Rédigé par le Mardi 23 Juillet 2024

En Catalogne, le lac de Sau est l'un des symboles des sècheresses qui touchent la région, habituellement, les vestiges de l'ancien village sont sous l'eau - Depositphotos @AlbertoGonzalezGimenez
En Catalogne, le lac de Sau est l'un des symboles des sècheresses qui touchent la région, habituellement, les vestiges de l'ancien village sont sous l'eau - Depositphotos @AlbertoGonzalezGimenez
Pendant qu'une partie de la France s'agace d'une météo grisonnante depuis 7 mois, une autre étouffe sous une lourde chaleur.

Dans les pays voisins, les records s'enchainent, comme le peloton du Tour de France avale les kilomètres. Ces chaleurs s'accompagnent d'une autre problématique, celle de l'eau.

Alors que les nuages tendent à se faire moins présents à cause du réchauffement climatique, la pluviométrie dégringole dans bien des contrées.

A Barcelone se pose déjà la question de concilier sècheresse et tourisme de masse. En février dernier, la ville a été placée en état d'urgence, obligeant les habitants à réduire leur consommation d'eau.

Une restriction qui n'a pas touché les touristes et pourtant.

En Catalogne, le lac de Sau situé à 90 km de Barcelone est un symbole du stress hydrique que connaît la région. En l'espace de 3 ans, la quantité d'eau a été divisée par... plus de deux, d'après les données fournies par notre partenaire Murmuration.

Sécheresse : potentiel conflictuel entre tourisme et autres activités ?

La surface en eau du lac de Sau en Catalogne espagnole a baissé de 64.7% en 3 ans  Crédit photo : Mumuration
La surface en eau du lac de Sau en Catalogne espagnole a baissé de 64.7% en 3 ans Crédit photo : Mumuration
Nous avons choisi ce lac pour être le symbole de nos dérives et des questions que le tourisme doit se poser.

Notre industrie est loin d'être neutre sur le dossier. Bien sûr, elle n'est en rien responsable des sécheresses, par contre elle l'est de la (sur)consommation de ses touristes et clients.

"La question de la concurrence potentiellement conflictuelle entre le tourisme et les autres activités, au niveau des terres, de l'eau, de l'énergie, des investissements, des logements, des emplois a été analysée, il y a plus de 30 ans déjà, par le géographe Georges Cazes.

La consommation d'eau par le tourisme n'est pas un problème partout.

Par contre, c'est un problème récurrent, notamment dans les pays méditerranéens, du fait de la concentration touristique spatiale et temporelle dans les régions où l'eau fait défaut.

Il l'est aussi quand la consommation par touriste, notamment dans les hôtels les plus luxueux, est X fois plus importante que celle des habitant(e)s qui peuvent en manquer pour leur subsistance, dans certains pays en développement,
" nous confie Bernard Schéou, un enseignant chercheur de l'université de Pau, spécialiste du tourisme solidaire et durable.

A lire : Eau : la fin de l'open bar ?

Il n'est pas aisée de trouver des statistiques fiables et récentes sur le sujet.

Pour Data Gouv, les territoires proposant plus de 30 chambres d'hôtels pour 1000 habitants voient leur consommation d'eau impactée de +40% par rapport aux territoires n'en proposant que moins de 10.

Quand nous savons que des territoires voient leur population décuplée durant des semaines en été, la surconsommation est plus que notable, même si des améliorations et l'éducation des clients réduisent la facture.

Il est communément admis qu'un touriste consomme en moyenne 300 litres d'eau par jour, contre 150 litres pour un Français moyen.

Ces chiffres atteignent des niveaux spectaculaires dans le tourisme de luxe avec des estimations oscillant entre 800 et plus de 1 500 litres par nuitée, en raison des multiples services, comme les terrains de golf, les spas ou piscines.

Sécheresse : faut-il arrêter ou limiter le tourisme ?

La carte, conçue par Mumuration nous révèle qu'en moyenne, les conifères ont perdu -23% de leur teneur en eau et les feuillus -27% - Crédit photo : Murmuration
La carte, conçue par Mumuration nous révèle qu'en moyenne, les conifères ont perdu -23% de leur teneur en eau et les feuillus -27% - Crédit photo : Murmuration
Et pour revenir à notre lac de Sau, la sécheresse vécue par toute la région de Barcelone, l'étendue alimente la zone urbaine de la capitale catalane, se répercute aussi sur la végétation environnante.

La carte, ci-contre, conçue par Mumuration nous révèle qu'en moyenne, les conifères ont perdu -23% de leur teneur en eau et les feuillus -27%. La vitalité des forêts est donc en net recul.

En France la situation est un peu plus enviable depuis quelques mois.

Bien que le niveau des nappes d'eau soit très satisfaisant, selon le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) 17% des points d’observation sont sous les normales mensuelles, contre 68% l'année dernière.

Des statistiques qui démontrent que le réchauffement climatique ne doit pas être vu par le prisme local, car dans le même temps la sécheresse sévit un peu partout en Europe.

"S'il est impossible de prédire l'avenir, il est possible de formuler des hypothèses sur ce qu'il risque d'arriver et de se prononcer sur ce qu'il serait souhaitable.

Le souhaitable : que des discussions citoyennes informées et bien documentées puissent avoir lieu pour se prononcer collectivement sur ce qui est essentiel et sur ce qui est prioritaire.

En cas d'eau insuffisante, que faut-il arrêter ? Et que faut-il garder ? La raison me souffle que la priorité doit aller à l'agriculture, plutôt qu'aux piscines des campings comme des particuliers, quitte à ce que les touristes ne viennent pas si la piscine est fermée,
" s'interroge l'enseignant.

C'est aussi tout l'enjeu de l'industrie : ne pas entrer dans un conflit d'usage entre ses installations et celles de la population.

Demain, nous pourrions imaginer des politiques restrictives à l'encontre des installations touristiques.

"Je ne crois pas au tourisme durable" selon Bernard Schéou

"Le tourisme est un fétiche puissant qui fait tourner la tête à la plupart des politiques.

Il y a peu de chances qu'ils anticipent l'inéluctable en limitant volontairement le tourisme.

Ils ne le feront que contraints et forcés, après avoir essayé toutes les solutions possibles, des plus anecdotiques - décision des hébergeurs de ne plus servir de rosé dans des seaux à glaçons dans le sud-ouest -, aux plus compliquées comme ramener l'eau du Rhône jusqu'aux Pyrénées-Orientales,
" poursuit l'enseignant.

Pour le WTCC, la consommation mondiale d'eau par le tourisme ne représente que 0,6% de la consommation totale en 2021, sauf qu'il est des régions où le stress hydrique est bien réel, comme en Catalogne, en Grèce ou certains territoires de notre pays.

A lire : Neige : quel avenir pour les stations françaises ?

Au lieu de trouver des solutions à court et moyen terme, le secteur doit non seulement faire sa part, mais surtout s'inscrire dans un mouvement plus global.

"Pour rappel, concernant notre pays : le tourisme est responsable de 11% des émissions de Co2 en France en 2018 (ADEME) pour une contribution au PIB (chiffre Insee) de seulement 4 % et des poussières la même année.

Le dérèglement climatique est pour moi le sujet numéro 1.

Je ne crois pas au tourisme durable, tel qu'il est brandi par les institutionnels, les politiques et la majorité des acteurs et tel qu'il est mis en œuvre, ce n'est qu'un pare-feu destiné à détourner l'attention des véritables enjeux et des véritables urgences,
" affirme Bernard Schéou.

Pour l'Universitaire, nous ne devons pas raisonner sur la seule dimension touristique, sous peine de passer à côté du sujet, sous peine de mettre en place des mesurettes sans réelle incidence.

"Il va falloir probablement renoncer à tout tourisme lointain," d'après Bernard Schéou

Dans un monde fini, nous devons réfléchir globalement.

Et pour rester dans les clous des accords de Paris, donc contenir les effets du réchauffement climatique, l'Hdire, umanité n'aura sans doute pas d'autre choix que de limiter ses déplacements.

"Face à l'urgence, nous devons obligatoirement adopter une vision politique globale qui puisse arbitrer entre différents niveaux de production et de consommation pour faire rentrer nos modes de vie dans les limites planétaires.

Et cela veut dire, très probablement, renoncer à tout tourisme lointain, du moins en avion.

Si pour un restaurateur, faire sa part, et faire du tourisme durable, c'est arrêter de servir du rosé dans un seau de glace, ce n'est pas faire sa part,
" recadre le chercheur.

Dans une vie contrainte par les émissions de 2 tonnes de Co2 par an, soit un aller-retour entre Paris et New York, alors le tourisme n'aura que très peu sa place, d'autant plus s'il est lointain.

Et que dire pour ceux qui font ce genre de trajet, dans la même journée...

D'après les dernières simulations de Météo France en 2050, nous pourrions connaitre deux fois plus de sécheresse en été et le manque d'eau sera de 2,5 milliards de mètres cubes, même en cas de demande stable.

"Nous n'avons d'autre choix que d'évoluer au sein de ces contraintes relativement bien connues.

Cela veut dire obligatoirement inscrire nos activités dans ces limites et renoncer à certaines choses, accepter d'en faire le deuil.

Il s'agit donc d'arbitrer sur ce qu'on veut garder. Est-ce que le tourisme doit en faire partie ? Et quel tourisme ? Ce qui est sûr, c'est que pour faire rentrer cette industrie dans un mode de vie à 2T tonnes, il doit être nécessairement totalement décarboné,
" conclut l'enseignant chercheur de l'université de Pau.


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