"Ce qui caractérise les malheurs, c'est qu'il n'y a rien à en dire. Qu'ils vous balancent devant une espèce de précipice. Ceux qui sont frappés souffrent, ceux qui sont épargnés se taisent. Autrefois les hommes levaient leurs chapeaux au passage des corbillards, se signaient s'ils étaient chrétiens, manière de renvoyer la mort devant son seul propriétaire : Dieu supposé.
Ces temps sont révolus. Les médias ayant la puissance technique, et de masse, qu'ils détiennent, et l'idée de la mort étant ce qu'elle est en Occident, c'est à dire celle d'un crime, tout malheur individuel un tant soit peu consistant devient un homicide anormal, un psychodrame collectif.
Avec le crash de l'avion de FlashAirlines, à Charm El Cheikh, plusieurs facteurs se sont cumulés. D'abord qu'on ne meurt pas souvent en avion, mais qu'on meurt en masse quand ça arrive, ensuite que la chute d'un aéroplane représente toujours, dans les imaginations, une terreur collective, celle d'Icare peut-être, enfin que l'Occident vit dans une hystérie sécuritaire alimentée par les médias et les gouvernements.
Ce malheur ne provoque que vacarme, commentaires et démesure...
Tout cela fait qu'un accident, puisqu'on nous assure avant même que l'enquête ne soit ouverte que l'enquête a conclu, prenne la dimension qu'on voit, et qui va encore enfler, puisque la Suisse a révélé qu'elle avait pris des mesures d'interdiction contre la compagnie FlashAirlines.
Ce malheur, inimaginable dans certaines familles (onze membres disparus !), devrait faire l'objet du recueillement, du silence, du " travail de deuil" comme le disent en chœur de perroquet tous les commentateurs. Mais ce malheur ne provoque que le vacarme, les commentaires, la démesure, et le vol noir des vautours qui reniflent le cadavre.Prenons dans l'ordre :
Les médias. Comme d'habitude, télé en tête, ils en font trop. Éditions spéciales, dimanche soir, sur la Une et sur la Deux, à vingt heures. Une demie heure pour ne dire, grosso modo, que ce qu'on aurait pu dire, et voir, en dix minutes.
Les larmes, diton, sont très télégéniques...
Interview des voisins des victimes, interviews des collègue , interviews du grandoncle et de l'arrière cousin, à moins qu'on ait trouvé une sœur en larmes. Que voulezvous qu'ils disent, les proches des victimes ? Rien. Qu'ils s'en foutent ? Mais les larmes, diton, sont très télégéniques. On en a donc canalisé des flots, sous prétexte de proximité.
Mais ça ne peut pas suffire. Il fallut donc des" plateaux". l'Interview de la responsable suisse de l'aviation civile méritait l'attention, elle avait des choses à dire, mais Renaud Muselier, le Secrétaire d'État aux affaires étrangères, en direct de Charm El-Cheikh ?
Il a été digne, ému, sincère, mais on n'était pas au cinéma et il n'est pas acteur. Il n'avait rien à apporter, sauf à dire qu'il était là, rien de plus que le Premier Ministre, qui n'avait rien à dire, sauf qu'il était à son poste...
Mais ça ne suffisait pas pour tenir une demi-heure. On appela donc l'envoyé spécial, qui nous raconta que là-bas les vacanciers avaient repris leur travail de vacanciers, ils se baignaient à la plage et dansaient au dancing, " parce que les hommes sont ainsi". Rien à dire, mais il fallait faire du bruit avec la bouche, donc il en fit.
Dans dix ans nous aurons droit à l'interview du dauphin
Et ça ne suffisait encore pas, car une demi-heure c'est si long à combler. Alors va pour le psychologue de service, qui vient nous asséner des mots sur la tarte à la crème de ce début de siècle, le " Travail de Deuil", et tout le tralala posthume. Et puis les graphiques sur les grands fonds, la barrière de corail, le gros plan sur la chaussure qui flottait.
On a évité, dieu merci, l'infographie de la mâchoire des requins qui ont dû dévorer les corps de certaines malheureuses victimes, et le spécialiste de leur système digestif, mais ça viendra, vous verrez !
Dans dix ans nous aurons droit à l'interview du dauphin qui a vu le requin qui a mangé le Commandant... Gros plan sur les galons dans l'estomac !
L e Gouvernement ? Depuis sa fatale erreur de l'été, qui fut de confondre la cuisine politique et les effets de la canicule, le gouvernement est devenu comme les médias. Il court après la sensation, pour effacer l'image d'avoir manqué de sentiments.
Comment reprocher à l'emballement de s'emballer ?
Vu que la majorité des victimes a voyagé par l'agence Fram, agence de la France d'en bas, voilà donc qu'un accident (puisqu'on nous dit que c'est un accident) mobilise le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministère des affaires étrangères, le Ministère des transports. Ça ne fait pas un peu beaucoup ? Ça n'est pas mélanger les genres.
En quoi le gouvernement serait-il redevable de tous les malheurs du monde ? Qu'il soit là, c'est normal, mais avec cette abondance, avec cette" Édition spéciale", disons le cette hystérie, est un signe des temps.
Du coup, l'hystérie se retournait contre lui. l'affaire venait de Suisse. les Suisses avaient, il y a deux ans, avisé les Français de leurs doutes sur FlashAirlines ! Était-ce un coup de théâtre? Non bien sûr, pas encore, juste une piste, mais quand on a participé à un emballement, comment reprocher à l'emballement de s'emballer ?
Quand on a donné à ce point le sentiment de vouloir tout prendre en charge, y compris l'indicible, comment échapper au soupçon de non-dit, dès lors qu'un pays méticuleux s'avance, et vous accuse de négligence.
On est allé si loin dans cette fiction de l'État qui peut tout, que, fatalement, cet État se trouve dans la situation de n'avoir pas évité le pire. D'ici une ou deux semaine, il se trouvera un avocat pour l'accuser d'homicide. L'Etat chargé de tout ! Comme superman ou comme le Christ, puisqu'on est dans la fiction, ou le sacré...
On ne prend jamais assez de précautions
Enfin l'environnement. Durant toute la semaine qui avait précédé, des vols avaient été annulés à la demande des États-Unis. On craignait le terrorisme. On avait confondu un dangereux islamistes et un gosse de cinq ans. Mais c'était normal, avait assuré Nicolas Sarkozy. On ne prend jamais assez de précautions.
Donc allons-y pour l'hystérie sécuritaire américaine, qui s'alimente à la campagne électorale. Georges Bush a besoin que les Américains aient peur pour être vu comme un sauveur et pas comme un aventurier. Il faut donc que nous soyons cernés. Il se peut que nous le soyons d'ailleurs un peu, mais le sommes-nous à ce point ?
Avions cloués au sol, territoire verrouillé, fouilles interminables, au nom du 11 septembre le monde doit assumer une nouvelle priorité : se cloîtrer pour survivre. S'enfermer. S'enterrer pour éviter la tombe.
Mais c'est normal a estimé Nicolas Sarkozy.
Dès lors pourquoi serait-il anormal que le gouvernement suisse ait pris des mesures plus radicales que les nôtres, et pourquoi n'aurait-il pas raison puisqu'on ne prend jamais assez de précautions ? Et dans cette optique, le gouvernement français n'est-il pas déjà coupable d'imprévoyance ?
L'enquête n'a pas commencé qu'elle est déjà finie
Absurde, naturellement, mais nous naviguons sur une Mer d'Absurdie, et l'État s'est nommé premier rameur.
Un dernier mot : l'enquête. Elle n'a pas commencé qu'elle est déjà finie. C'est un accident, assure le gouvernement égyptien, qui veut sauver son tourisme. C'est un accident, confirme le gouvernement français, qui envoie en même temps toutes ses forces pour trouver des indices.
A-t-on besoin d'indices quand on a déjà conclu ? Mais c'est ainsi. Quand la machine hystérique s'emballe elle dévore ses enfants. Donc d'un côté on alimente son moteur, on fait chauffer la colle, et de l'autre on refroidit, parce que ça brûle. On allume la mèche et on l'éteint en même temps. Schizophrénie publique. Et malheur.
A propos du malheur : silence.
[iNdlr : les intertitres sont de la rédaction]i
Ces temps sont révolus. Les médias ayant la puissance technique, et de masse, qu'ils détiennent, et l'idée de la mort étant ce qu'elle est en Occident, c'est à dire celle d'un crime, tout malheur individuel un tant soit peu consistant devient un homicide anormal, un psychodrame collectif.
Avec le crash de l'avion de FlashAirlines, à Charm El Cheikh, plusieurs facteurs se sont cumulés. D'abord qu'on ne meurt pas souvent en avion, mais qu'on meurt en masse quand ça arrive, ensuite que la chute d'un aéroplane représente toujours, dans les imaginations, une terreur collective, celle d'Icare peut-être, enfin que l'Occident vit dans une hystérie sécuritaire alimentée par les médias et les gouvernements.
Ce malheur ne provoque que vacarme, commentaires et démesure...
Tout cela fait qu'un accident, puisqu'on nous assure avant même que l'enquête ne soit ouverte que l'enquête a conclu, prenne la dimension qu'on voit, et qui va encore enfler, puisque la Suisse a révélé qu'elle avait pris des mesures d'interdiction contre la compagnie FlashAirlines.
Ce malheur, inimaginable dans certaines familles (onze membres disparus !), devrait faire l'objet du recueillement, du silence, du " travail de deuil" comme le disent en chœur de perroquet tous les commentateurs. Mais ce malheur ne provoque que le vacarme, les commentaires, la démesure, et le vol noir des vautours qui reniflent le cadavre.Prenons dans l'ordre :
Les médias. Comme d'habitude, télé en tête, ils en font trop. Éditions spéciales, dimanche soir, sur la Une et sur la Deux, à vingt heures. Une demie heure pour ne dire, grosso modo, que ce qu'on aurait pu dire, et voir, en dix minutes.
Les larmes, diton, sont très télégéniques...
Interview des voisins des victimes, interviews des collègue , interviews du grandoncle et de l'arrière cousin, à moins qu'on ait trouvé une sœur en larmes. Que voulezvous qu'ils disent, les proches des victimes ? Rien. Qu'ils s'en foutent ? Mais les larmes, diton, sont très télégéniques. On en a donc canalisé des flots, sous prétexte de proximité.
Mais ça ne peut pas suffire. Il fallut donc des" plateaux". l'Interview de la responsable suisse de l'aviation civile méritait l'attention, elle avait des choses à dire, mais Renaud Muselier, le Secrétaire d'État aux affaires étrangères, en direct de Charm El-Cheikh ?
Il a été digne, ému, sincère, mais on n'était pas au cinéma et il n'est pas acteur. Il n'avait rien à apporter, sauf à dire qu'il était là, rien de plus que le Premier Ministre, qui n'avait rien à dire, sauf qu'il était à son poste...
Mais ça ne suffisait pas pour tenir une demi-heure. On appela donc l'envoyé spécial, qui nous raconta que là-bas les vacanciers avaient repris leur travail de vacanciers, ils se baignaient à la plage et dansaient au dancing, " parce que les hommes sont ainsi". Rien à dire, mais il fallait faire du bruit avec la bouche, donc il en fit.
Dans dix ans nous aurons droit à l'interview du dauphin
Et ça ne suffisait encore pas, car une demi-heure c'est si long à combler. Alors va pour le psychologue de service, qui vient nous asséner des mots sur la tarte à la crème de ce début de siècle, le " Travail de Deuil", et tout le tralala posthume. Et puis les graphiques sur les grands fonds, la barrière de corail, le gros plan sur la chaussure qui flottait.
On a évité, dieu merci, l'infographie de la mâchoire des requins qui ont dû dévorer les corps de certaines malheureuses victimes, et le spécialiste de leur système digestif, mais ça viendra, vous verrez !
Dans dix ans nous aurons droit à l'interview du dauphin qui a vu le requin qui a mangé le Commandant... Gros plan sur les galons dans l'estomac !
L e Gouvernement ? Depuis sa fatale erreur de l'été, qui fut de confondre la cuisine politique et les effets de la canicule, le gouvernement est devenu comme les médias. Il court après la sensation, pour effacer l'image d'avoir manqué de sentiments.
Comment reprocher à l'emballement de s'emballer ?
Vu que la majorité des victimes a voyagé par l'agence Fram, agence de la France d'en bas, voilà donc qu'un accident (puisqu'on nous dit que c'est un accident) mobilise le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministère des affaires étrangères, le Ministère des transports. Ça ne fait pas un peu beaucoup ? Ça n'est pas mélanger les genres.
En quoi le gouvernement serait-il redevable de tous les malheurs du monde ? Qu'il soit là, c'est normal, mais avec cette abondance, avec cette" Édition spéciale", disons le cette hystérie, est un signe des temps.
Du coup, l'hystérie se retournait contre lui. l'affaire venait de Suisse. les Suisses avaient, il y a deux ans, avisé les Français de leurs doutes sur FlashAirlines ! Était-ce un coup de théâtre? Non bien sûr, pas encore, juste une piste, mais quand on a participé à un emballement, comment reprocher à l'emballement de s'emballer ?
Quand on a donné à ce point le sentiment de vouloir tout prendre en charge, y compris l'indicible, comment échapper au soupçon de non-dit, dès lors qu'un pays méticuleux s'avance, et vous accuse de négligence.
On est allé si loin dans cette fiction de l'État qui peut tout, que, fatalement, cet État se trouve dans la situation de n'avoir pas évité le pire. D'ici une ou deux semaine, il se trouvera un avocat pour l'accuser d'homicide. L'Etat chargé de tout ! Comme superman ou comme le Christ, puisqu'on est dans la fiction, ou le sacré...
On ne prend jamais assez de précautions
Enfin l'environnement. Durant toute la semaine qui avait précédé, des vols avaient été annulés à la demande des États-Unis. On craignait le terrorisme. On avait confondu un dangereux islamistes et un gosse de cinq ans. Mais c'était normal, avait assuré Nicolas Sarkozy. On ne prend jamais assez de précautions.
Donc allons-y pour l'hystérie sécuritaire américaine, qui s'alimente à la campagne électorale. Georges Bush a besoin que les Américains aient peur pour être vu comme un sauveur et pas comme un aventurier. Il faut donc que nous soyons cernés. Il se peut que nous le soyons d'ailleurs un peu, mais le sommes-nous à ce point ?
Avions cloués au sol, territoire verrouillé, fouilles interminables, au nom du 11 septembre le monde doit assumer une nouvelle priorité : se cloîtrer pour survivre. S'enfermer. S'enterrer pour éviter la tombe.
Mais c'est normal a estimé Nicolas Sarkozy.
Dès lors pourquoi serait-il anormal que le gouvernement suisse ait pris des mesures plus radicales que les nôtres, et pourquoi n'aurait-il pas raison puisqu'on ne prend jamais assez de précautions ? Et dans cette optique, le gouvernement français n'est-il pas déjà coupable d'imprévoyance ?
L'enquête n'a pas commencé qu'elle est déjà finie
Absurde, naturellement, mais nous naviguons sur une Mer d'Absurdie, et l'État s'est nommé premier rameur.
Un dernier mot : l'enquête. Elle n'a pas commencé qu'elle est déjà finie. C'est un accident, assure le gouvernement égyptien, qui veut sauver son tourisme. C'est un accident, confirme le gouvernement français, qui envoie en même temps toutes ses forces pour trouver des indices.
A-t-on besoin d'indices quand on a déjà conclu ? Mais c'est ainsi. Quand la machine hystérique s'emballe elle dévore ses enfants. Donc d'un côté on alimente son moteur, on fait chauffer la colle, et de l'autre on refroidit, parce que ça brûle. On allume la mèche et on l'éteint en même temps. Schizophrénie publique. Et malheur.
A propos du malheur : silence.
[iNdlr : les intertitres sont de la rédaction]i