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I. Croisière du futur : quels concepts et quels produits pour quelle clientèle ?

Dossier spécial Croisière du Futur


Toute la semaine, TourMaG.com consacre un DOSSIER SPÉCIAL à la croisière du futur. Les stratégies des compagnies, le développement des ports, les projets les plus fous en préparation... Chaque jour, nous vous proposons un ou deux articles pour tout vous dire sur le sujet. Pour débuter cette série, François Weill, notre expert croisières, revient sur 40 ans d'Histoire dans le secteur.


Rédigé par François Weill le Dimanche 6 Avril 2014

Les croisières du futur donnent lieu à des projets parfois fantaisistes, parfois audacieux, mais aucun nouveau concept n'a réellement pris corps.   Jusqu'à ce jour, on remet les vieilles recettes au goût du jour, en surfant sur les nouvelles habitudes de consommation, sans plus © fotokalle - Fotolia.com
Les croisières du futur donnent lieu à des projets parfois fantaisistes, parfois audacieux, mais aucun nouveau concept n'a réellement pris corps. Jusqu'à ce jour, on remet les vieilles recettes au goût du jour, en surfant sur les nouvelles habitudes de consommation, sans plus © fotokalle - Fotolia.com
Il y a plus de 40 ans, un certain Ted Arison, créait aux Etats-Unis Carnival Cruises Lines.

Véritable pionnier et bâtisseur de la croisière moderne, c'est lui qui inventa le concept de "Fun Cruises", qui reste encore aujourd'hui au cœur du fonctionnement de la croisière de masse, celle des navires géants de Carnival et de sa filiale Costa, copiée ou interprétée par la plupart des acteurs sur ce marché.

C'est lui aussi qui, dès 1966, avait créé avec le Norvégien Knut Kloster, la Norwegian Caribbean Lines, devenue Norwegian Cruise Line‎ (NCL).

Cet entrepreneur visionnaire avait exactement en tête ce qu'est devenue la croisière de masse d'aujourd'hui, celle qui domine tout le marché. Et c'est lui, suivi par d'autres, qui l'a créée.

En 1984, il y a juste 30 ans, Carnival fut encore la première compagnie de croisières à oser investir massivement en publicité télévisée aux Etats-Unis.

Les vieilles recettes remises au goût du jour

Bien peu, peut-être même aucun, n'ont aujourd'hui une vision d'une telle ampleur sur ce que seront les futurs développements.

Les croisières du futur donnent lieu à des projets parfois fantaisistes, parfois audacieux, mais aucun nouveau concept n'a réellement pris corps.

Jusqu'à ce jour, on remet les vieilles recettes au goût du jour, en surfant sur les nouvelles habitudes de consommation, sans plus.

Pour tenter de deviner les tendances futures, partons de ce qui existe actuellement.

En gros, 6 catégories qui parfois se chevauchent.

1) La croisière de masse, qui est à la source du développement impressionnant de cette industrie.

Avec pour outils des navires devenus de vraies villes flottantes, elle offre un cocktail particulièrement réussi, si l'on aime les cocktails, composé de détente, de loisirs, de jeux, de restauration, de danse, de fiesta, de paillettes et de glamour, d'abondance, de confort, de service, de vrai ou faux luxe, le tout entrecoupé d'escales et d'excursions dans un lieu, un pays chaque jour différent.

Le tout pour un prix incroyablement compétitif compte tenu de l'ensemble des prestations fournies.

Certes, le cocktail est un peu "chargé", et on finit par ne plus toujours reconnaître le parfum de chacun des ingrédients tant il y en a. Mais ça fonctionne, c'est bon et on en redemande.

Des croisières pour tous les goûts

2) La croisière "voyage". On en trouve sur toutes les catégories de bateaux.

Elle a pour caractéristique de ne pas considérer les escales comme l'une des composantes du produit, mais bien comme l'essentiel, le reste, tout le reste, n'étant qu'accessoire.

S'y côtoient les grandes croisières autour du monde comme les voyages les plus "pointus" sur de petits navires d'expédition polaires ou les itinéraires de légende comme ceux de Hurtigruten.

3) Les croisières dite "classique", sur des navires plus anciens, et plus intimes.

Rythme plus lent, service plus rapproché, pas forcément plus luxueux, une sorte d'équilibre et de douceur entre prestations à bord et découverte des escales et des côtes, une proximité plus forte avec la navigation : on est plus près de la mer, moins haut, on la ressent souvent un peu plus aussi, cela fait partie du voyage, car c'est avant tout un voyage là aussi.

4) La croisière de luxe. On parle ici du vrai luxe, pas des paillettes. On y est "entre soi", on transporte avec soi son statut social, on se sent différent des passagers de la croisière de masse… et on l'est, effectivement.

Taille des cabines, aménagements luxueux, matériaux nobles, gastronomie raffinée, ratio surface/passagers bien supérieure à tous les autres navires, service raffiné et personnalisé (on compte parfois près d'un membre d'équipage hôtelier par passager), excursions individualisées parfois hors des sentiers battus etc…

C'est Silversea, par exemple, mais aussi, avec une grande finesse, la Compagnie du Ponant.

Les passagers de la croisière de masse s'y ennuieraient ferme, tandis que ceux de la croisière de luxe ne supporteraient pas plus de quelques minutes l'agitation et la (relative) promiscuité qui règnent à bord des géants des mers.

5) Les croisières sur des navires atypiques. Une clientèle qui a choisi un type de navires particulier, soit pour les spécificités intrinsèques du bateau (comme les grands voiliers de Star Clippers), soit parce que tel type de compagnie et de navire offre une manière différente de visiter un pays (Hurtigruten).

Si les prix en sont plus élevés que dans la croisière de masse, ils ne touchent pas forcément la clientèle la plus aisée : à bord des deux compagnies que je viens de nommer, beaucoup de passagers concrétisent un rêve pour lequel ils ont économisé durant plusieurs années.

Et le style à bord de ces navires est parfaitement décontracté, ce qui ne signifie toutefois pas "laisser-aller".

6) Les croisières fluviales. C'est l'une des formules de croisières, en pleine expansion dans le monde entier, où l'intérêt culturel est primordial.

Eh oui, c'est souvent le long des fleuves que se sont établies les villes et les civilisations. Alors voyages un peu pépères, certes, mais souvent magnifiques, quelle que soit la catégorie de bateaux.

Car il y en a des différences, entre les bateaux et les compagnies, sur le Rhin, en Russie, en Chine et en Birmanie : les différences de prix entre différents opérateurs sont souvent justifiées, les clients s'en aperçoivent la plupart du temps sur place.

La technologie à l'origine d'un nouveau style de croisière

Alors l'avenir ?

Les navires d'aujourd'hui ne sont, depuis déjà pas mal d'années, plus conçus comme ils l'étaient jadis : avant d'être des bateaux, ils sont un concept marketing.

On part d'études de marché, on dessine des projets répondant aux besoins et aux modes de consommation existants, on anticipe ceux que l'on va s'efforcer de créer, et autour de tout ça, on construit un bateau.

Que seront les croisières du futur ? Ce seront celles qui auront répondu à ces besoins.

On peut supposer que d'ici une quinzaine d'années, au moins la moitié, voire plus, des "vieux bateaux", ceux construits avant 1970, aura disparu. Les plus anciens eux, ne sont déjà plus que des souvenirs ou des problèmes.

Pourtant, il existera toujours une clientèle, pas forcément riche, ni snob, qui souhaitera se trouver dans une atmosphère plus calme, plus intime, moins agitée en somme, à bord de navires de petite taille, pas plus de 400 passagers, offrant un bon confort, un bon service, une restauration agréable, de belles escales, mais sans exigences en matière d'animation, de paillettes, ni de luxe réel ou simulé.

La réalité et la permanence de cette clientèle devraient amener quelques entrepreneurs à chercher une formule permettant de construire et rentabiliser des navires de taille modeste permettant d'organiser ce type de voyage à prix raisonnables.

Aujourd'hui, c'est presque impensable, les coûts de fonctionnement restant trop élevés pour parvenir à l'équilibre. Mais demain ?

Un jour ou l'autre, on trouvera des méthodes de propulsion innovantes, des systèmes nouveaux de gestion d'un bateau, et d'autres surprises techniques ou commerciales qui diminueront les coûts.

Les solutions semblent être plus du côté de la technique et de la science que du marketing et de la commercialisation.

Le reste suivra et je suis persuadé que ce type de croisière se développera considérablement dès que, dans 5 ou 10 ans, de nouvelles technologies apparaîtront.

Quid du tourisme en zones arctiques et antarctiques ?

La croisière de luxe, quant à elle, devrait profondément se transformer, et cela très rapidement.

Le luxe est basé sur des concepts d'élitisme, d'entre soi, de privilèges et d'exclusivité, de rareté. Pas facile à réaliser à bord de navires de 600 passagers.

Du coup, la location de yachts se développe considérablement, et certaines compagnies de croisières exploitant de petits navires utilisent désormais ce concept (là encore, la Compagnie du Ponant fait office de pionnière).

On verra de plus en plus de navires de 20 à 150 passagers, à forte valeur ajoutée, pour la clientèle la plus aisée.

Mais même dans ce domaine, les prix finiront par diminuer pour les raisons indiquées plus haut, lorsque de nouvelles technologies seront mises en place.

La croisière "destination", expédition, exploration, a encore de beaux jours devant elle.

Je parle de la vraie, celle qui, surtout en matière polaire, est exclusivement concentrée sur les débarquements en Zodiac ou similaires, la découverte de la faune, l'impression d'aventure, le frisson de l'inconnu, l'émotion devant la nature vierge et la qualité des chefs d'expédition.

Pour cette clientèle là, le bateau n'a aucune importance, du moment qu'il est sûr et bien manœuvré.

Il n'est qu'un outil, c'est la Deux-chevaux nécessaire et suffisante pour la vraie découverte. Il y aura encore longtemps des bateaux disponibles pour cela.

Encore faudra-t-il que les réglementations en matière de tourisme en zones arctiques et antarctiques ne viennent pas faire tout capoter.

Car les prétentions délirantes de certaines compagnies emmenant des centaines de passagers sur de gros bateaux d'où les passagers n'ont, déjà, pas le droit de débarquer, mais pourront dire qu'ils ont "fait le Spitzberg" ou l'Antarctique, alors qu'ils n'ont rien vu du tout, ni encore moins fait quoi que ce soit, ces prétentions, donc, ont des effets immédiats dont profitent évidemment les plus intégristes des écologistes politiques.

Espérons qu'ils n'iront pas jusqu'à interdire tout accès aux régions polaires, mais le risque existe bel et bien, même si je n'y crois guère.

Préserver la nature, c'est la protéger, tout en la faisant connaître, pas la cacher.

Le fluvial a un superbe avenir devant lui

Le fluvial, quant à lui, devrait poursuivre son développement mais certainement à l'aide d'outils nouveaux, car les bateaux fluviaux sont loin d'avoir évolué aussi vite que les navires de croisière.

En matière d'espace, d'agrément de vie à bord et de services, des progrès considérables vont se produire, rendant la croisière fluviale encore plus attrayante.

La plupart des navires d'aujourd'hui sont complètement dépassés, mais déjà quelques nouveaux navires, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis, montrent la voie.

Les principales nouveautés viendront certainement d'Asie, et rapidement. Quant à la Russie, les deux principales compagnies de croisières fluviales semblent avoir des stratégies différentes.

L'une semble vouloir user ses navires jusqu'à la corde, l'autre paraît investir plus sérieusement dans la réhabilitation de la flotte existante et dans de nouveaux développements.

Reste que le fluvial, globalement, a un superbe avenir devant lui.

Des projets d'îles flottantes

Et la croisière de masse, dans tout cela ?

Eh bien elle n'a pas fini de se développer, loin de là, et c'est probablement, même sûrement de ce côté-là que viendront les plus grandes innovations, tant techniques que conceptuelles.

Le terme de croisière de masse n'a rien de péjoratif, il n'est pas très joli mais c'est le seul qui exprime le fait que la croisière s'ouvre réellement au plus grand nombre, et c'est bien le cas.

Cela dit, c'est une industrie qui évoluera en fonction des modes de comportement, et on peut bien parier que le côté paillettes, esbroufe, fête, luxe plus ou moins réel et parfois de pacotilles, gadgets "sportifs", murs d'escalades et autres surfs ou jeux vidéo va encore s'accentuer. Parce que le futur marché pour ces croisières là, ce n'est pas que le vôtre.

Ce sera aussi , et bientôt surtout, celui de tous les pays émergents ou libérés, Asie, Afrique, Amérique du sud, Europe de l'est, tous ces pays où se développe à une vitesse fulgurante une nouvelle classe moyenne qui va être la cible privilégiée de l'industrie du tourisme en général, et de la croisière en particulier.

Bien sûr il y aura des différences, avec des bateaux spécifiquement positionnés pour certains marchés, comme c'est déjà le cas.

On a beau être en pleine mondialisation, on ne peut pas encore tout mélanger, et pendant un certain temps, les désirs, les goûts et habitudes alimentaires, culturelles des pays d'Asie, d'Afrique, d'Europe, et d'Amérique seront différents.

Mais les dénominateurs communs seront finalement les plus forts, vous verrez. Il n'y a pas de retour en arrière.

Enfin, on voit bien sûr apparaître ça et là, et depuis quelques années déjà, quelques projets assez délirants d'îles flottantes.

Sous ce nom de dessert gourmand, se cachent des bateaux, géants, de vraies villes.

Il y eut le projet AZ, du nom d'Alstom et de Zoppini, un architecte, avec un machin (on ne peut plus parler de bateau) incroyable de 400 mètres sur 300 et 78 mètres de haut, un truc style résidence flottante qui a fait long feu.

Mais aussi, l'invraisemblable projet "Freedom ship", près d'un kilomètre et demi de long, 29 mètres de large et 107 de haut, où les "passagers" habiteraient pour certains en permanence autour du monde, avec parcs, hôpitaux, écoles etc…

Je ne crois pas une seconde à la pérennité de tels projets, et la dizaine de milliards d'euros de levée de fonds nécessaires à sa réalisation n'est pas prête d'arriver.

Aux Etats-Unis, les "nowhere" cruise sont légion

En revanche, la tendance des bateaux à devenir d'immenses resort centers et rien d'autre va à coup sûr se développer, la tendance existe déjà.

Aux Etats-Unis, les "nowhere" cruise sont légion. On va à bord des bateaux pour faire la fête, le bateau fait des ronds dans l'eau, sans escale aucune, et revient à son port d'attache.

Pourquoi pas ? Et c'est encore une croisière, puisque le bateau bouge. Mais finalement, on se demande pourquoi il bouge.

Et on pourrait bien voir, dans les toutes prochaines années, se construire des bateaux sans moteur, autrement dit des îles artificielles, sur des principes similaires aux bases offshore des pétroliers.

Le problème des coûts de propulsion serait résolu, et on offre aux "passagers", ou aux "invités", comme ils disent, une semaine de fête tous azimuts "en mer" si l'on peut dire.

Pas forcément gigantesques, de telles "bases de plaisir" pourraient bien un jour s'ajouter à la panoplie de la croisière de masse.

Les compagnies de croisières ne seraient plus que l'un des bras de groupes plus grands exerçant leur activité dans le domaine plus général du loisir. Mais on y est déjà !

Autant je crois que cette évolution est plus que probable, autant je ne crois pas à de vrais bateaux géants comme le projet Freedom Ship se déplaçant autour du monde.

Pas pour des raisons techniques, de ce côté là, pourquoi pas, mais pour des raisons géopolitiques et commerciales.

C'est pourtant un très vieux rêve, ou plutôt un cauchemar, que celui-là. Il date de 1895, année au cours de laquelle un certain Jules Verne, visionnaire s'il en fut, a publié un étrange roman intitulé "L'île à hélice".

C'était exactement ça : une île flottante motorisée ! De riches passagers y vivaient, ils finissaient d'ailleurs par se scinder en deux groupes rivaux (catholiques et protestants !) enfin c'était l'horreur et le roman se termine évidemment par la destruction de cette "île à hélice" si bien nommée.

Ah, j'ai oublié de vous indiquer que Jules Verne avait donné à son roman "L'île à hélice" un sous-titre : "Les milliardaires ridicules".

C'est bien, Jules Verne !

François Weill - DR
François Weill - DR
François Weill a effectué la plus grande partie de sa carrière dans le tour operating et la croisière. Une carrière qu'il a débutée, après des études de philosophie, en 1974 chez American Express puis aux Croisières Paquet, avant de faire de sa propre entreprise, Scanditours, le 1er voyagiste français spécialiste des destinations nordiques.

A la fin des années 90, il vend Scanditours à Kuoni et, après une parenthèse de quelques années comme consultant, journaliste, et enseignant à l'université de Marne-la-Vallée, il crée la filiale française de Hurtigruten dont il assure la présidence et la direction jusqu'en 2010 avec le succès que l'on sait.

En 2008, le Roi Harald V lui a décerné le titre d'Officier de l'Ordre Royal du Mérite de Norvège, pour les services rendus au développement de cette destination sur le marché français.

Président de l'AFCC durant plusieurs années, François Weill a repris ses activités de consultant.

Contact : fw@francoisweill.fr

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