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Climat : "il n’y aura pas de retour à la normale" François Gemenne 🔑

les points forts de l'intervention de François Gemenne, co-auteur du 6e rapport du GIEC au forum du SETO


Politologue et chercheur, François Gemenne est un expert des questions climatiques. Très présent dans les médias, le coauteur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) était l'invité d'honneur du Forum du SETO qui s'est déroulé mi-mai à Deauville. Sans langue de bois, François Gemenne a exposé les enjeux liés au réchauffement climatique. Le message est cash : le changement climatique est irréversible et va bouleverser nos modes de vie. il n'y a plus le choix : il va vraiment falloir changer de paradigme. Morceaux choisis.


Rédigé par le Vendredi 9 Juin 2023



"Il faut se préparer à une hausse de 4°C des températures en France"

"Sur la question des températures, lorsqu’on discute d’une hausse d’un 1°C ou de 1,5°C, nous parlons de températures mondiales moyennes. Certains se demandent : est-ce que cela va vraiment changer la vie ?

Il faut savoir que la hausse des températures en France sera supérieure à la hausse des températures moyennes mondiales. L’Europe est une région du monde où la hausse des températures sera plus marquée qu’ailleurs.

Le niveau de hausse des températures en France est 50% supérieur à la moyenne mondiale. Au rythme actuel où nous gagnons à peu près 0,1°C tous les 5 ans, nous serons à + 1,5°C d’élévation de la température mondiale moyenne aux alentours de 2030 - 2035 et nous allons très clairement dépasser ce seuil quoi qu’on fasse.

Quand le Ministre de la Transition écologique Christophe Béchu annonce que la France doit se préparer à une hausse de température de +4°C en France la plupart des gens ont l’impression qu’il s’agit d’un scénario catastrophe ou de renoncement. Or, en réalité c’est un scénario médian assez réaliste.

La température moyenne annuelle de la France est de 14°C. Si nous atteignons une hausse de +4°C au niveau français, nous aurons une hausse de 30 à 35% de la température annuelle. Il faut réaliser les impacts très profonds que cela va engendrer sur de nombreux aspects sur lesquels nous organisons notre vie. Le transport et le tourisme n'échapperont pas à la règle"

Climat : "Nous ne sommes pas face à une crise"

"Il faut bien se rendre compte que nous ne sommes pas face à une crise. Pourtant le terme "crise climatique" est très souvent employé dans les médias.

Cette expression donne l’impression que nous faisons face à une période éphémère. Cela nous fait croire que s’il y a un certain nombre d’efforts qui seront consentis, nous pourrions avoir un retour à la normale.

Or, et c'est quelque chose de très important à dire et à intégrer c’est qu’il n’y aura pas de retour à la normale. Nous allons devoir gouverner le changement climatique pendant au moins toute la durée du 21e siècle.

Lire aussi : GIEC (Gerhard Krinner) : Messi au PSG, bien plus important que le climat... 🔑

Le système climatique réagit avec retard, il y a un effet d’inertie. Le CO² reste 100 ans dans l’atmosphère et il faut au moins 4500 ans avant que les dernières particules de carbone se dissipent.

Cela veut dire que même si nous arrêtons toutes nos émissions de CO2, il faudra 100 ans environ avant que les premières particules de CO2 émises aujourd’hui commencent à se dissiper. Il faut accepter le fait qu’on ne peut pas revenir en arrière. Nous sommes condamnés à battre record de chaleur sur record de chaleur.

L’enjeu n’est pas de faire baisser les températures de notre vivant, nous ne connaîtrons plus de baisse de température. L’enjeu est de limiter au maximum la hausse des températures.

Il va falloir vivre avec l’irréversibilité de la situation et les mesures que nous allons mettre en place face au changement climatique devront être pérennes et tenir dans la durée."

"Il n’y a absolument aucune action contre le changement climatique qui soit inutile"

"La bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas face à un problème binaire. Le réchauffement climatique c’est 50 nuances de rouge. Tout va se jouer de manière graduelle cela veut dire qu’il va falloir aller chercher chaque tonne de CO². Toutes les tonnes de CO² qui ne sont pas envoyées dans l’atmosphère, c’est toujours ça de gagné.

Il n’y a absolument aucune action contre le changement climatique qui soit inutile. Tout ce que nous allons entreprendre va faire une différence et même une énorme différence.

Il n’y a aucune action aussi petite soit elle qui soit insignifiante face au changement climatique."

"Nous sommes condamnés à coopérer avec tous les pays..."

"Il faut être conscient que les impacts qui vont toucher l’Europe et la France ne vont dépendre que très marginalement de ce que nous allons faire en France et en Europe pour réduire nos gaz à effet de serre.

C’est toute la difficulté du changement climatique : nous sommes liées comme jamais par la physique du climat.

Ce que nous allons décider du climat à Paris a un impact sur le Soudan, au Bangladesh ou en Afghanistan. De la même manière, le climat futur de la France se décide aujourd’hui au Caire, à Lagos, à Jakarta ou à Mexico c’est-à-dire dans des pays auxquels nous ne nous intéressons que très peu.

C’est notre capacité à travailler avec ces pays qui va décider de notre avenir climatique. Aussi lent, aussi laborieux que puisse être le processus, nous sommes condamnés à coopérer ensemble sur la question du changement climatique.

Il y a 60 ans de cela, l’Europe représentait 42% des émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, alors qu’elle a considérablement augmenté ses émissions (presque fois deux depuis 1960) l’Europe ne représente plus que 15% des émissions à effet de serre.

D’ici 2050, l’Europe représentera moins de 5% des émissions de gaz à effet de serre. En effet elle aura réduit ses émissions et d’autres pays auront aussi augmenté les leurs.

Le réchauffement climatique va dépendre des trajectoires des pays émergents. Et c’est de notre responsabilité de travailler avec ces pays de manière à ce qu’ils puissent envisager une trajectoire de développement qui soit décarbonée le plus possible."

"La décroissance, telle qu’elle est envisagée : une conversation de salon entre universitaires"

"Il y a aujourd’hui une forte tentation à vouloir se replier sur nous-mêmes, il y a une volonté de limiter les échanges. Mais il va aussi falloir travailler avec les pays du Sud. Donc toute la question est de savoir comment avoir de meilleurs échanges, car l’avenir climatique des uns va dépendre de celui des autres.

Nous avons aujourd'hui dans le cadre des cop 197 pays autour de la table avec des situations économiques, culturelles, historiques différentes... Imaginez-vous. Comment nous pouvons nous mettre d'accord.

Il va nous falloir accepter cette coopération sur le long terme, et c’est l’un des grands défis. Comment décarboner notre économie et l’économie mondiale sans nous refermer sur nous-mêmes ?

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La décroissance telle qu’elle est envisagée c’est un peu une conversation de salon entre universitaires. Nous avons le luxe, car nous sommes bien installés dans des économies matures et industrialisées, de réfléchir sur les possibilités de contracter le PIB.

C’est une conversation qui intellectuellement est intéressante. Toutefois nous ne pouvons pas parler de décroissance à 90% de la population mondiale. Ce n'est pas un concept qui va pouvoir s’étendre de manière universelle.

Dans nos économies industrialisées, la vraie question que nous devons nous poser c'est : quel type de croissance nous voulons. Nous avons jusqu’ici conçu la croissance en termes quantitatifs et nous utilisons des indicateurs qui mesurent quantitativement cette croissance. Le premier de ces indicateurs, c’est le PIB.

Aujourd’hui je crois qu’en termes de révolution économique, il faut envisager une croissance en termes qualitatifs. Comment avoir une croissance qui ne soit pas seulement du chiffre mais aussi du mieux et comment nous allons développer des indicateurs qui le permettent.

Dans les pays du Sud, la logique de croissance purement quantitative c’est ce qui va permettre encore de tirer des millions de gens de la pauvreté et d’améliorer le développement du pays. Donc comment faire en sorte que cette croissance soit aussi décarbonée que possible !

Taxe carbone : "Le problème c’est que si une mesure est inéquitable elle sera aussi inefficace."

"Pour l’ensemble des activités économiques, le prix ne reflète pas le coût environnemental.

L’enjeu c’est d’intégrer ce coût environnemental dans le prix des décisions économiques. Si nous le faisons juste pour un secteur, nous risquons de défavoriser ce secteur.

Je suis favorable à ce que le coût environnemental soit intégré dans le kérosène à condition que tout le monde soit mis au diapason. Et là c’est tout l’enjeu d'un mécanisme comme une taxe carbone. Le risque c’est toujours de créer des déséquilibres et des injustices. Le problème c’est que si une mesure est inéquitable, ou perçue comme telle, elle sera aussi inefficace.

L’enjeu à mon avis c’est d’intégrer le coût carbone et environnemental dans le coût des décisions économiques et cela doit s’appliquer à l’ensemble des secteurs. C’est pourquoi je suis favorable à une taxe carbone au niveau mondial."

"Si j’étais Ministre, en France, je fusionnerai Air France et la SNCF"

Il faut encourager au maximum tous les progrès techniques qui visent à décarboner le transport aérien. L’avion à hydrogène est sans doute la promesse la plus crédible même si cela va prendre du temps et qu'il faudra aussi compter sur le temps d'amortissement des flottes actuelles et de leur renouvellement.

Mais il ne faut pas miser uniquement là-dessus. Il y a des choses qui sont déjà possibles pour réduire de manière immédiate les émissions : réduire le temps de taxis au sol, réorganiser les planning de vols, réduire les escales, poser la question de la multimodalité...

Il y a des déplacements aériens insensés, par exemple, les très courts courriers qui sont déficitaires pour les compagnies aériennes qui amènent les passagers vers les hubs. Ces trajets pourraient être remplacés par le train.

Il y a une nécessité de travailler entre le train et l’avion. Il faut arrêter d’avoir cette concurrence. Si j’étais Ministre, en France, je fusionnerai Air France et la SNCF.

Si la France veut vraiment réduire ses émissions elle pourrait se séparer de tous les territoires et départements d’Outre Mer. Aujourd’hui certains voyageurs font des navettes régulières et très fréquentes entre Paris et les Outre-mer, conséquences de la manière dont on a géré la continuité territoriale entre la métropole et les DOM-TOM.

Aux Etats-Unis, les émissions du secteur aérien sont largement dues aux vols domestiques et à l’inexistence d’un TGV sur la Côte Est entre Boston et Washington et sur la côte Ouest entre San Francisco et San Diego.

Si ces deux lignes à grande vitesse existaient, cela résoudrait une grande partie du problème mais cela mettrait aussi les compagnies américaines en faillite. Elles font du lobbying pour que ce train ne voit jamais le jour.

Si American et Delta se mettaient dans la tête qu’elles pourraient devenir des compagnies de transport et pas juste des compagnies aériennes et qu’elles pourraient opérer des TGV sur la côte Ouest et Est, ce serait une grande avancée.

Le problème de l’aérien, c'est que moins de 20% de la population mondiale ont pris l’avion dans leur vie. Un des impératifs sociaux c’est de permettre à plus de personnes d’avoir accès à ce moyen de transport. Il faut donc regarder les lignes dont le bénéfice social me paraît très discutable par rapport au train. "

Vols long-courriers : il faut raisonner en terme de bénéfice social

"La question des vols long-courriers très honnêtement en terme d’usage cela devrait rester à mon avis une des justifications les plus utiles de la dépense en carbone.

Aujourd’hui toutes les activités humaines génèrent des gaz à effet de serre. Je pense qu’il faut pouvoir se poser la question de l’utilité sociale de ces activités.

L'exemple que je donne souvent c'est que dans un vol entre Paris et New-York il y a des gens qui partent faire un week-end de shopping sur la 5e Avenue, et des étudiants qui vont faire une année d’échange pour leurs études.

L’empreinte carbone sera exactement la même et pourtant l’utilité sociale de ces voyages est très différente.

Dans les usages du carbone, il me semble important de garder les vols long courrier par les bénéfices sociaux qu’ils génèrent. C'est un moyen de transport les plus utiles à la société et il va falloir assumer le fait que nous n’arrivons pas à ne plus émettre aucune émission."

Absorption : oui ! Mais ce n'est pas un prétexte pour ne pas décarboner

"Dès que nous parlons de neutralité carbone cela intègre le fait qu’il faut absorber une partie du carbone. Il n’y a pas moyen d’arriver à la neutralité carbone sans absorber une partie du carbone.

Il va falloir que nous absorbions plus pour gagner du temps. La difficulté c’est qu’il ne faudrait pas que cette logique d’absorption serve de prétexte pour éviter la décarbonation.

L’absorption ne va pas tout pouvoir et si nous ne commençons pas par la décarbonation de l’économie, l’absorption ne va pas pouvoir résoudre le problème.

Les compagnies aériennes, moyennant quelques euros, proposent désormais de planter des arbres : cela donne un sentiment d’achat d’indulgence."

Les tour-opérateurs doivent sensibiliser les clients avec une offre adaptée

"Les tour-opérateurs doivent se préparer aux impacts du changement climatique. Certaines destinations à certaines périodes vont devenir de plus en plus compliquées à programmer et, à l’inverse, d’autres vont devenir de plus en plus attirantes car les conditions météorologiques vont être profondément transformées.

Certains TO n’ont pas vraiment pris la mesure dans le choix des destinations ou de séjours qu'ils choisissent. Les destinations vont être touchées par les impacts du réchauffement climatique.

Les TO disent : on suit la demande. Il faut pouvoir aussi les responsabiliser par rapport à l’offre qu’ils vont proposer notamment en y intégrant toute une série de séjours plus responsables. Il faut responsabiliser les consommateurs.

La sensibilisation du consommateur est importante je pense qu’il faut vraiment que les TO doivent créer la demande par l’offre. C’est ainsi que nous allons aussi faire évoluer la demande et les modes touristiques. Il y a 50 ans nous allions sur la Côte d’Azur en hiver.

En travaillant aussi sur l’offre et en réfléchissant quel tourisme plus durable vous pouvez proposer, nous pouvons aussi faire évoluer la demande. Il ne faut pas rester dans une logique passive."

Céline Eymery Publié par Céline Eymery Rédactrice en Chef - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par Martino180 le 09/06/2023 08:37 | Alerter
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C'est quoi "la normale" en matière de climat ?????

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