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J.-D. Urbain : « Le voyage est une vie alternative dans une vie ordinaire » [ABO]

L'interview de Jean-Didier Urbain par Josette Sicsic (Futuroscopie)


Avec 14 ouvrages au compteur, tous consacrés à l’étude du voyageur, du vacancier, du touriste… Jean-Didier Urbain publie un nouveau livre aux éditions de l’Aube, intitulé : « Comment nos voyages parlent de nous ». Dans un entretien, il nous expose les grandes lignes de cette nouvelle recherche qui, comme les autres, ouvre les portes de tous ces mécanismes invisibles qui nous déterminent et nous poussent à aller vers une destination ou un mode de vacances plutôt qu’un autre, ou alors à rester chez nous.


Rédigé par le Lundi 26 Mai 2025

Jean-Didier Urbain : « le tourisme est révélateur des imaginaires d’une société » - Photo : J-D Urbain
Jean-Didier Urbain : « le tourisme est révélateur des imaginaires d’une société » - Photo : J-D Urbain
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Futuroscopie - Vous avez déjà largement exploré l’univers « touristique », pourquoi un autre ouvrage ?

Jean-Didier Urbain : J’ai exploré des territoires de vacances comme la plage dans « Sur la plage » ou la campagne dans « Paradis vert ».

J’ai également travaillé sur « Les secrets de voyages » et j’ai écrit une « Histoire érotique du voyage » (parfois mal comprise). La Méditerranée m’a aussi inspiré, ainsi que la quête de soleil.

Quant à mon dernier livre « Planète interdite », paru après les confinements liés à l’épidémie de Covid, il avait pour thème une réflexion sur la sédentarisation obligée d’une humanité privée soudain de mobilités, de contacts, de « divertissement ».

Un phénomène exceptionnel dont ont souffert des milliards de personnes et dont j’ai moi-même eu à souffrir en tant qu’homme.
Mais aussi en tant qu’anthropologue, car la mobilité constitue mon principal sujet d’études depuis plus de 30 ans.

Lire aussi : FUTUROSCOPIE - Jean-Didier Urbain : Covid et nouvelles fonctions de la résidence secondaire 🔑


Futuroscopie - Vous ne citez pas « L’idiot du voyage », sans doute le plus connu de vos ouvrages. Celui qui vous a consacré comme un spécialiste du tourisme...

Jean-Didier Urbain : Bien sûr. C’est ce livre qui m’a ouvert les portes de la réflexion sur le tourisme, en choisissant de différencier le voyageur du touriste et de défendre le touriste qui est moins « idiot » qu’il n’y paraît et ne mérite pas l’opprobre généralisée qu’il subit.

Surtout aujourd’hui où l’on ne parle plus que de « sur tourisme » et où l’on caricature volontiers et invective tous ceux qui prennent le temps de se déplacer.

En fait, c’est aussi et surtout en travaillant sur la mort et les cimetières dans un cadre universitaire, que je suis arrivé au voyage et que je ne l’ai jamais quitté.

Mais, dans ce dernier ouvrage, j’essaie tout d’abord de clarifier le vocabulaire lié aux déplacements. D’autant que l’OMT ne s’embarrasse pas de détails qualitatifs et psychologiques quand il s’agit de flux touristiques.

Distinguant d’une part les voyageurs dans lequel elle met les visiteurs, qui eux-mêmes se divisent en excursionnistes et en touristes, elle contribue à semer la confusion dans un langage et dans des statistiques particulièrement complexes.

En fait, c’est ma formation de sociologue et de linguiste qui m’a amené à faire un ménage sémantique et à clarifier tout d’abord le sens des mots les plus utilisés en partant d’une idée très simple : « La vie est une mobilité mais la mobilité n’est pas un voyage ».

Les déplacements domicile/travail ne sont pas des voyages. Les voyages conditionnés par l’habitude ne sont pas des voyages. Le voyage est une mobilité spécifique qui nous entraîne vers un espace spécifique.

Je distingue aussi les migrants qui partent définitivement des migrateurs qui passent, vont et reviennent.

Et je me suis également documenté sur l’éthologie et la façon dont les animaux et les oiseaux, par exemple, voyagent pour éviter les prédateurs. Nous avons beaucoup à apprendre des animaux.

En fait, il s’agit sans doute du plus philosophique de mes livres. Et je me suis beaucoup appuyé sur les réflexions de grands écrivains comme J. Steinbeck, Nicolas Bouvier, Paul Morand et le portugais Fernando Pessoa dont l’œuvre maîtresse « Le livre de l’intranquillité » dit tout sur l’homme et ses mouvements.

Fernando Pessoa : « La vie est un voyage expérimental, accompli involontairement »

Jean-Didier Urbain : « Le voyage est une vie expérimentale accomplie volontairement »

John Steinbeck : « Le voyage est comme le mariage. L’erreur première est de croire que l’on peut le gouverner »

Nicolas Bouvier : « On ne fait pas un voyage, c’est le voyage qui nous fait »

Futuroscopie - Vous écrivez : « il est des vies qui ne sont que voyages et des voyages qui font une vie ». Vous voulez dire quoi ?

Jean-Didier Urbain :
En fait, retenons une idée très simple : le voyage est une vie spécifique dans une vie ordinaire. C’est une vie alternative à laquelle on accède en changeant de « bulles », notamment de bulle sociale et de bulle du quotidien.

On passe d’un monde à un autre, dont on ne connait souvent pas les codes. On cherche l’immersion.

Mais en même temps, on peut profiter de ce changement de bulle pour se déguiser, changer d’identité et « in fine » redevenir soi. A condition, bien entendu, de se connaitre soi-même. Ce que le voyage vous aide à faire.

Futuroscopie - Vous écrivez encore : « on assimile les rêves des hommes au marché du voyage. On confond le commerce des usages avec la réalité des envies ». Qu’entendez-vous ?

Jean-Didier Urbain :
Pour le dire simplement, le voyage est un symptôme de société, celui d’une société dont la fièvre voyageuse est apparue en réaction à un enfermement collectif des hommes dans des cités.

Poussés à voyager, les individus cherchent la découverte ou l’oubli du monde, l’exploration ou le repli, l’aventure ou la villégiature, l’immersion ou la rupture, lesquels inspirent ses multiples projets et expériences traduits pour le meilleur ou le pire par l’essor des départs en vacances, des circuits en tous genres, des tropismes balnéaires...

Et, pour ma part, j’ai élargi l’idée selon laquelle le tourisme est révélateur des imaginaires d’une société.

En fait, quand on part, on part consommer un imaginaire variable selon les individus, mais révélateur d’envies multiples. Selon moi, on ne part pas consommer de la plage, ou du ski, ou de la randonnée… on part consommer un imaginaire construit individuellement à partir d’un objet.

Evidemment, on est guidés par la recherche de plaisir et de sens. Mais, on se situe dans une autre vie qui peut être cyclique, périodique, réitérable ou au contraire unique et durable.

Futuroscopie - Donc, tous les observatoires qui publient de plus en plus souvent des cahiers de tendances indiquant une augmentation de tel ou tel autre type de tourisme - de l’exploration des pôles, aux croisières, aux retrouvailles familiales, aux séjours de bien-être - ne veulent pas dire grand-chose ?

Jean-Didier Urbain :
Tels quels, non. Il faut y voir plutôt des objets révélateurs de nos imaginaires, qui en disent long sur qui nous sommes et ce que bouger veut dire.

En fait, pour conclure - la question étant à partir de quand une mobilité se fait voyage, la réponse est : la mobilité devient voyage quand elle ouvre, si éphémère soit-elle, sur l'expérience d'une autre vie (réelle ou simulée, peu importe).

Ce n'est pas pour rien que la mort est associée au voyage depuis des siècles, voire des millénaires. La mort devient alors promesse d'une autre vie grâce à cette association.

De même pour le migrant et le migrateur, sauf que la migration du premier est durable, voire définitive, tandis que celle du second est provisoire, lui qui revient toujours.

Propos recueillis par Josette Sicsic.

H. Magnus Enzensberger : « Le touriste est un révolutionnaire inhibé qui, faute de pouvoir changer le monde, change de monde ». Une attitude commune aux migrants et migrateurs, à l’homme comme à l’animal, comme à l’ oiseau.

A lire : Jean-Didier Urbain. Comment nos voyages parlent de nous. Ce que bouger veut dire. Editions de l’aube. Fondation Huttopia.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com


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