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« La petite histoire » : un avatar du tourisme de mémoire pour aller mieux [ABO]

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Alors que, de Moscou à Paris, on commémore les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le tourisme de mémoire connaît un rebond bien mérité. Sans passé, l’humanité n’a pas d’avenir. Sans histoire, elle risque fort de végéter ou de répéter ses erreurs. Mais, par les temps chaotiques qui courent, la recherche de l’histoire familiale semble dynamiser la demande touristique et faire de la quête généalogique l’un des moteurs d’une offre en train de se construire et de se détailler. Que se passe-t-il ?


Rédigé par le Mercredi 14 Mai 2025

71% des Français se déclarent très intéressés par leur histoire familiale. Soit 5% de plus qu’en 2019 - DepositPhotos.com, katuSkal
71% des Français se déclarent très intéressés par leur histoire familiale. Soit 5% de plus qu’en 2019 - DepositPhotos.com, katuSkal
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• Premier constat : la construction d’un tourisme de mémoire dynamise sa fréquentation.

Remarquons tout d’abord que, très attachée à son patrimoine historique, la France a mis à contribution collectivités locales, associations diverses et surtout le Ministère des Armées afin de valoriser et rendre accessible ses monuments, ses cimetières, ses champs de bataille, ses musées, ses mémoriaux…

Et, comme le soulignent de nombreux articles de TourMaG*, elle a réussi à battre des records de fréquentation sur les sites mis en valeur. Ainsi, avant la crise sanitaire de 2020-2021, la fréquentation des lieux de mémoire a atteint 15,2 millions de visiteurs !

• Deuxième constat : le tourisme facilite l’accès à l’offre mémorielle

Grâce à sa contribution, l’offre de tourisme de mémoire permet à des publics très divers de « ne pas oublier » les faits marquants de l’histoire de nos pays et de mieux les comprendre. Ainsi, un Parisien qui n’ira jamais aux Invalides durant ses temps de loisirs, ira très certainement visiter le Mémorial de Caen ou les Jardins de la Paix des Hauts-de-France durant un séjour touristique…

• Troisième constat : les Français, jeunes ou moins jeunes, aiment l’histoire

Et puis, notons que le public est au rendez-vous de l’histoire. Les jeunes, via l’école ou via leur famille, accèdent à une somme de savoir indispensable à leur construction civique et intellectuelle. Et s’en satisfont. Une enquête réalisée par Ifop en 2024 indique que 24% des jeunes de 15 à 24 ans, situent l’histoire en deuxième position de leurs matières préférées (après les mathématiques).

Mais, beaucoup mieux, les jeunes sont 75% à déclarer « aimer l’histoire d’une manière générale ». Avec 78% d’hommes contre 73% de femmes. Et par quoi sont-ils surtout attirés ? Par le passé en général, l'histoire de France puis l'histoire du monde, les guerres mondiales, les guerres actuelles… Autant de connaissances qui leur permettent de développer leur sens critique et s’impliquer dans la vie citoyenne de leur pays. En fait, seuls 5% de jeunes déclarent « détester » l’histoire. (Sources Ifop 2022).

• Les adultes aussi aiment l’histoire

Quant aux adultes interrogés en 2022 par Harris Interactive, ils sont 93% à se dire intéressés par l’histoire, dont 49% « par l’histoire sous toutes ses facettes ».


Les médias pour s’informer : les musées arrivent en tête

Cela étant, ces jeunes et adultes s’informent sur l’histoire grâce à toutes sortes de médias parmi lesquels les deux premiers - musées et expositions - sont très bien promus par le secteur touristique.

- les musées et les expositions : 94%

- les livres : 91%

- les émissions télévisées sur des chaînes spécialisées : 87%

- les articles dans la presse spécialisée, sur papier ou Internet : 84%

- les manuels scolaires : 83%

- les émissions télévisées sur des chaînes généralistes (France 2, Arte...) : 80%

- les documentaires sur des plateformes de streaming : 79%

- les articles dans la presse quotidienne nationale sur papier ou sur Internet : 74%

- les émissions de radio : 74%

- les podcasts : 47%

Sources Harris Interactive. 2022

De la « grande histoire » à la « petite histoire » : un retour à ses origines

Enfin et surtout, l’enquête d’Harris Interactive datant de 2022, pointe un fait important pour l’avenir du tourisme de mémoire : elle souligne que 71% des Français se déclarent très intéressés par leur histoire familiale. Soit 5% de plus qu’en 2019.

Et parmi eux, 31% se déclarent « très intéressés » par leur passé. Avec un intérêt plus marqué parmi les femmes, qui sont 76% dans ce cas.

Pourquoi ? La réponse à cette question étant multiple, nous avons donc donné la parole à une psychogénéalogiste, Sarah Herbeth, qui exerce à Marseille auprès d’une clientèle de plus en plus nombreuse.

Entretien avec Sarah Herbeth, psychogénéalogiste

Sarah Herbeth, psychogénéalogiste - Photo JS
Sarah Herbeth, psychogénéalogiste - Photo JS
Futuroscopie - Pourquoi se tourne-t-on de plus en plus vers sa « petite histoire » ?

Sarah Herbeth :
D’une part, plus on en sait sur l’histoire en général, plus on éprouve le besoin d’en savoir plus sur son histoire. Surtout si celle-ci n’a pas été racontée par la famille et reste floue pour les enfants et descendants.

De plus, l’accès à la généalogie s’est considérablement élargi. Il n’est plus besoin de se déplacer, demander des autorisations, fouiller dans les archives pour découvrir des fragments d’une histoire personnelle.

La numérisation des données de toutes sortes : militaires, religieuses, coloniales… rend l’histoire accessible à tous. Notamment grâce à des sites comme Geneanet (un site collaboratif franco français, Filae, et surtout Familysearch, un site international mis au point et alimenté par les Mormons qui souhaitent rétro-baptiser tous leurs ascendants, et ce dans le monde entier !

Par ailleurs, la psychogénéalogie en tant que discipline a émergé il y a une trentaine d’années avec les travaux d'Anne Ancelin Schützenberger et son ouvrage « Aïe mes aïeux ». Elle s’est enrichie d’apports extérieurs venant de la psychanalyse, de la psychologie et de la systémie. Ces 10 dernières années, cette discipline transversale s’est popularisée et la demande augmente considérablement.

Pour l’anecdote, sachez aussi qu’une série de Netflix « Le chemin des oliviers » génère en ce moment un quart de ma patientèle. Des femmes surtout.

En effet, je suis d’accord avec les études : les femmes sont plus demandeuses d’informations sur leur passé car elles transmettent la vie, donc la mémoire, et également parce que, d’une manière générale, elles sont plus sensibles que les hommes aux récits. Ceux qu’elles font et ceux qu’elles écoutent. Et puis, les femmes, plus encore que les hommes, cherchent à aller mieux. On est donc aussi dans le registre du bien-être.


Futuroscopie - Y'a-t-il aussi quelque chose d’identitaire dans cette recherche ?

Sarah Herbeth :
Nous vivons une époque où la parole se libère et où les récits autobiographiques ont énormément de succès. Ils permettent d’éclairer des pans de l’histoire familiale et d’honorer des ancêtres ayant traversé des périodes historiques douloureuses (Holocauste, exil, colonisation etc.).

C’est généralement la troisième génération, les petits-enfants, qui se placent en gardien de cette mémoire souvent traumatique. C’est le retour aux origines. Ils veulent savoir d’où ils viennent afin de construire leur personnalité et si besoin leur nouvelle identité. Comprendre d’où l’on vient pour savoir où on va.


Futuroscopie - Quel est le lien avec le voyage ?

Sarah Herbeth :
Pour certaines personnes, l’information ne suffit pas. On veut aussi aller sur place, se confronter à son passé, le comprendre, éprouver des émotions esthétiques, culturelles, sensorielles. Pour beaucoup d’individus, le voyage permet de prendre de la distance et en même temps de réparer des traumatismes conscients ou inconscients à l’origine de certaines névroses ou symptômes traumatiques.

La plupart des gens n’effectuent pas un voyage généalogique juste pour se « faire plaisir » en allant découvrir leurs terres ancestrales. Certains y vont pour trouver les causes de leur mal-être et éviter les répétitions des schémas familiaux en évacuant les secrets de famille.

D’autres souhaitent se réapproprier et renouer avec une culture qui ne leur a pas toujours été transmise (langue, cuisine, saveurs, odeurs etc.). Enfin, il y a ceux qui se déplacent pour effectuer des « rituels », comme par exemple aller dans les tranchées de la guerre 14-18 pour déposer une plaque en l’honneur d’un arrière-grand-père dont le corps disparu aurait été privé de sépulture.

Ces déplacements ne sont donc pas uniquement touristiques. Pour beaucoup, la démarche est avant tout thérapeutique. La mémoire suinte à travers des symptômes. Le voyage géographique à travers sa « petite histoire » permet de mettre des images et des sensations sur des maux qui laissent le sujet en souffrance.


Futuroscopie - Mais ces voyages existent depuis longtemps ?

Sarah Herbeth :
Oui. Tout à fait. Les voyages des diasporas* (Irlandais, Chinois, Africains, Russes, etc.) permettent de visualiser un lieu, un village, une maison et éventuellement de retrouver des traces d’une histoire familiale insoupçonnée rencontrée par hasard.

La décolonisation aidant, des pays comme l’Algérie bien entendu mais aussi les autres pays du Maghreb, le Vietnam, Cambodge, Laos et tant de pays d’Afrique reçoivent une partie de ces populations avides de se réconcilier avec une partie d’elles-mêmes que leur mémoire leur a parfois dérobée. Il faut donc encourager ces déplacements, mais surtout les préparer afin d’éviter des atterrissages douloureux et des retours encore plus douloureux.


Futuroscopie - Comment les préparer ?

Sarah Herbeth :
Tout dépend du voyage et de la sensibilité de la personne. Le travail qui est avant tout thérapeutique se fait en amont.

Lorsqu’une personne commence à éprouver le besoin de se rendre sur un territoire familial, il peut se passer beaucoup de temps avant d’enclencher réellement un départ. Cela fait partie du processus. Le fantasme du voyage en est la première étape.

Puis, lorsque la personne se met réellement en mouvement, il faudrait juste pouvoir lui dire que la réalité peut être source de joie ou peut être très décevante. Elle peut être riche en émotions ou au contraire susciter peu d’émotions contrairement à ce que l’on aurait voulu croire. Et tout cela se vérifiera lors de son retour de voyage !


Propos recueillis par Josette Sicsic/Futuroscopie


Un film à voir : A Real Pain, de Jesse Eisenberg (2024)

Allez voir le film « A Real Pain » qui dépeint le voyage de jeunes touristes en visite dans les camps de concentration allemands où leur famille a été déportée.

Toutes sortes de réaction sont provoquées par ce voyage pourtant bien organisé par une agence spécialisée.

Mais la réaction la plus inattendue est la culpabilité. Celle de ceux qui n’ont pas souffert et reviennent en wagons de luxe sur les lieux de l’horreur…

Même constat sur les publics afroaméricains, par exemple, se rendant sur les routes de l’esclavage… Comme quoi, le tourisme généalogique n’est pas que du tourisme.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com


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