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Belgique : le surréalisme cher à René Magritte pourrait bien avoir définitivement la peau du tourisme

Absence de gouvernement, trop plein de ministres du tourisme, excès de zèle... l'UPAV se bat contre des moulins à vent


Avec la pandémie mondiale de coronavirus, l'industrie touristique dans son ensemble a été touchée, sans distinction de continents, de pays ou de frontières. Parce que la crise s'annonce durable et profonde, nous vous proposons de prendre de la hauteur et de faire un tour du côté de nos voisins européens ou au-delà. Aujourd'hui, direction notre voisin préféré, que nous aimons tant taquiner, à savoir la Belgique. Là bas, l'Union Professionnelle des Agences de Voyages (UPAV) ne se bat pas seulement contre un marché en berne, mais aussi contre des lourdeurs administratives dignes d'une mauvaise comédie française. Rencontre avec Anne-Sophie Snyers, la secrétaire générale de l'UPAV.


Rédigé par le Lundi 21 Septembre 2020

Absence de gouvernement, trop plein de ministres du tourisme, excès de zèle... l'UPAV se bat contre un ennemi trop puissant - Crédit photo : Depositphotos @vectorlab
Absence de gouvernement, trop plein de ministres du tourisme, excès de zèle... l'UPAV se bat contre un ennemi trop puissant - Crédit photo : Depositphotos @vectorlab
La Belgique est unique en Europe. Un pays pas plus grand que les Hauts de France, avec une âme et une spiritualité propres.

Pour Wikipédia, la belgitude est "l'étendue de l'interrogation identitaire des Belges avec le sens aigu de l'autodérision qui les caractérise." Un sentiment observable , mais difficilement définissable.

Le Belge est un un doux mélange de ce qui se fait de mieux en Europe, en pompant l'humour absurde aux Anglais, la surréalisme aux Français et la rigueur à notre voisin d'outre-Rhin.

Le tableau serait parfait, s'il n'y avait pas cette foutue pandémie mondiale, plongeant les agences de voyages dans détresse et la tristesse absolues.

"Vous connaissez René Magritte ? Vous savez qu'il est Belge... et bien nous sommes en plein dans le surréalisme belge," résume fataliste Anne-Sophie Snyers, la secrétaire générale de l'Union Professionnelle des Agences de Voyages (UPAV).

Après une crise interminable de plus de six mois, le syndicat doit se battre contre des moulins à vent pour sauver une industrie pesant tout de même plus de 7 milliards d'euros.

Ce fatalisme n'est pas provoqué par la directive européenne du voyage à forfait qui "nous flingue tous, en France, en Belgique ou ailleurs", mais plutôt par son fonctionnement Étatique.

"Nous sommes un petit pays, mais un petit pays compliqué." Voici le décor planté, l'histoire peut commencer.

Les agents de voyages belges perdus dans la "maison qui rend fou"

Sur ses 30 000 km carrés, la Belgique possède trois régions pour trois langues officielles.

Si le pays est une monarchie, il est avant tout un Etat fédéral, où chaque territoire possède son propre gouvernement et une autonomie qui ne cesse de s'étendre, au grand regret d'Anne-Sophie Snyers.

"Malheureusement beaucoup de pouvoirs sont délégués de plus en plus aux régions. Dans cette crise, nous apprenons à nos dépens" la complexité d'un système qui n'avait pas prévu un tel cataclysme économique.

Les 1 815 points de vente belges (contre 4 800 en France) privés de clients et avec un chiffre d'affaires en berne de 90% pour les mois de juillet et août, se débattent dans des lourdeurs administratives dignes de la BD les 12 Travaux d'Asterix.

Dans cet épisode, le héros gaulois se perd dans "la maison qui rend fou" pour y récupérer un laissé passer décrit comme "une simple formalité administrative". Après de multiples formulaires, tampons etdes milliers de marches à gravir, Asterix obtient enfin le précieux sésame au contraire des... agents de voyages belges (voir vidéo ci-dessus).

"Les demandes d'aides que nous devons faire dépendent, soit du niveau fédéral ou régional. Nous faisons face à la difficulté de savoir qui s'occupe de quoi," déplore la responsable de l'UPAV.

Une fois le micmac dépatouillé et alors que les urgences sont nombreuses, l'industrie fait face à un autre problème d'ampleur.

En Belgique aucune loi ne peut être approuvée depuis le début de nombreuses semaines. Comment le pays en est arrivé à une telle situation ?

"Nous avons une Première ministre. Mais tant que les parties n'ont pas décidé qui allait former ce fameux gouvernement, elle est en place de façon provisoire.

Donc nous n'avons pas de gouvernement fédéral, nous sommes en affaires courantes,
" détaille la représentante des agents de voyages francophones.

Une situation politique peu favorable pour faciliter les démarches administratives.

Le tableau ne serait pas tout à fait complet, si nous omettions le fait que le tourisme n'a pas un mais plusieurs ministres régionaux, qui sont spécialement dédiés à l'incoming.

Dans ces conditions, la situation est à la fois ubuesque et "dramatique".

L'UPAV demande la création d'un "fonds de désastre"

Surtout que si les besoins en France sont immenses, malgré les milliards déversés par l'Etat, ils ne sont pas moindres dans le plat pays.

Les à-valoirs, sont identiques à ceux obtenus en France mais uniquement jusqu'au 19 juin. Les professionnels ont émis 287 millions d'euros de bons, dont seulement 5% ont été utilisés. Un remboursement bien trop faible qui pourrait s'avérer mortel à l'échéance des à-valoirs dans 18 mois.

Surtout que la Belgique n'a pas le même modèle financier que la France, une particularité qui pourrait bien inscrire définitivement la distribution dans les livres d'histoire des petits Belges.

"L'argent n'est pas chez nous, mais dans les mains des fournisseurs. Cela posera de graves problèmes au moment de rembourser les clients, car nous ne savons pas si nous retrouverons ces sommes," déplore Anne-Sophie Snyers, la secrétaire générale de l'UPAV.

L'acompte n'étant pas versé au départ, il est directement envoyé aux tour-opérateurs, le système dont rêve la production dans l'Hexagone. Sauf que d'ores et déjà des prestataires ont mis la clé sous la porte. S'ils sont trop nombreux ils emporteront dans leur chute aussi les agents de voyages.

Un cataclysme industriel dont la France s'est, pour une fois, préservée.

"C'est une grande source de stress. Au moins si nous faisons faillite, ce sont les assureurs qui devront se charger de rembourser les clients," ironise la responsable.

Alors que l'activité économique est encore à l'arrêt, les agents de voyages doivent travailler pour faire et défaire les dossiers, renseigner les clients sur les plans de vols, etc. Malgré tout, 85% des effectifs sont en chômage partiel et les rentrées restent infimes.

Pourtant il existe une demande.

"Nous avons un fort potentiel de nouveaux voyageurs, grâce à la crise, mais nous ne pouvons rien faire avec seulement 8 pays accessibles. Seul le Liechtenstein est dans le vert," souffle la responsable du syndicat.

Et le regard noir d'Anne-Sophie Snyers se dirige tout droit vers le ministre des Affaires Etrangères, Philippe Goffin.

Ce dernier ne cesse de prendre des mesures de restrictions de voyages plombant toute volonté de départ de ses concitoyens, pire même dans un petit pays enclavé, il plombe l'industrie du tourisme.

Sa dernière décision a été de placer la Baie de Somme en zone rouge.

"Nous n'osons plus vende ni faire partir nos clients. Sauf que nous sommes un pays entouré de frontières, alors que les Belges prennent leurs voitures et partent en vacances avec."

Avec la pandémie mondiale, toutes les bonnes volontés écologiques sont mises à mal, le tourisme devient toujours plus polluant et individuel.

Alors que le syndicat ne désespère pas de faire bouger le ministre, il est une autre demande qu'il aimerait voir aboutir. A l'image de ce qu'il se passe en Allemagne, l'UPAV a demandé, dès le mois d'avril la création d'un Fonds de Désastre.

"Il inclut d'une part les marges perdues sur les voyages annulés, estimées à hauteur de 308 millions d'euros en juin 2020, et aussi les frais non récupérables à hauteur de 460 millions d'euros," rapporte la secrétaire générale de l'instance.

Sauf que pour le moment le gouvernement fait l'autruche et renvoie la balle plus haut.

Un agent de voyages porte plainte contre le gouvernement

Les agents de voyages battent le pavé durant tout le mois de septembre et appellent à une mobilisation européenne le 6 octobre 2020 - DR
Les agents de voyages battent le pavé durant tout le mois de septembre et appellent à une mobilisation européenne le 6 octobre 2020 - DR
Faute de moyens et politiquement sclérosé, l'exécutif belge délègue ce sauvetage du soldat tourisme à l'Europe, alors qu'un fonds de 100 milliards est prévu pour relancer l'industrie.

"Nous allons passer à la vitesse supérieure et nous adresser directement à l'Europe. Sauf que la Commission est une instance tellement haute, que nous appelons tout le secteur du tourisme européen à s'unir."

Espérons que le slogan "un pour tous, tous pour un" trouve un écho aux quatre coins de l'Union, pour établir une véritable vision européenne.

Après l'enterrement à l'aéroport de Charleroi de "notre liberté de voyager", une autre action est prévue le 22 septembre 2020 à Bruxelles, avec pour mot d'ordre "One Europe, one colour".

Et pour alerter, la stratosphère bureaucratique, l'UPAV et un collectif appellent à une action le 6 octobre prochain devant le Parlement européen, avec d'autres organisations de l'UE.

"Nous avons besoin d'avoir une perspective et que les actions autour des frontières intra-européennes soient coordonnées," clame Anne-Sophie Snyers, la secrétaire générale de l'UPAV.

Avant peut-être d'aller d'emboîter le pas à un agent de voyages belge qui a porté plainte contre le gouvernement. Damien Keutgen propriétaire de deux agences, a introduit deux recours devant le Conseil d'État pour contester la décision, du ministère des Affaires étrangères de faire passer toute l'Espagne et une grande partie de la France en zone rouge.

"Si l'État empêche les gens de voyager, il empêche les agences de voyages de travailler," déclarait à nos confrères de La Libre Belgique Damien Keutgen.

Malgré un dossier complet, le Conseil d'Etat a débouté sa demande, invoquant "le défaut d'urgence."

Et pourtant, moins l'Etat bougera et plus la situation deviendra insoutenable pour la distribution belge, car la reprise s'annonce très longue, voire même trop longue.

"En cas de réouverture des frontières, nous pouvons espérer réaliser 50% de chiffre d'affaires en 2021, pour un retour à la normale d'ici 3 à 5 ans," conclut la responsable de l'UPAV.

D'ici 2025, et ce retour espéré à la normale, un chemin très sinueux et pavé d’embûches se dessine pour l'industrie belge.

La France n'est pas logée à meilleure enseigne !

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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