Dans son livre « L'idiot du voyage » paru dans les années 90, et tout au long de sa carrière depuis, Jean-Didier Urbain n’a eu de cesse de défendre le touriste.
« Voici venir le mépris et la haine, écrit-il. Le touriste proclame son refus, sa répulsion face à ses doubles toujours "trop nombreux", son rejet de lui-même ».
Et de décrire le touriste, cet être universel, qui existe depuis le la fin du XVIIe siècle.
Vous datiez l’arrivée des premiers touristes du XIXe, voire XXe siècle ? Détrompez-vous, l’ancêtre du touriste moderne cédait à « la mode du Grand Tour, voyage estimé "complément indispensable de l’éducation du jeune gentleman" », et attirant, déjà, le mépris antitouristique.
« Voici venir le mépris et la haine, écrit-il. Le touriste proclame son refus, sa répulsion face à ses doubles toujours "trop nombreux", son rejet de lui-même ».
Et de décrire le touriste, cet être universel, qui existe depuis le la fin du XVIIe siècle.
Vous datiez l’arrivée des premiers touristes du XIXe, voire XXe siècle ? Détrompez-vous, l’ancêtre du touriste moderne cédait à « la mode du Grand Tour, voyage estimé "complément indispensable de l’éducation du jeune gentleman" », et attirant, déjà, le mépris antitouristique.
On a très vite opposé le touriste au voyageur
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TourMaG.com - Jean-Didier Urbain, dans votre ouvrage, vous dites que, dès le départ, le touriste est mal aimé ?
Jean-Didier Urbain : Oui, même au XVIIe siècle, Venise était déjà très touristique et déjà on détestait cet être qui voyage sans raison évidente.
On a très vite opposé le touriste au voyageur, pour des raisons idéologiques : le touriste voyage pour son plaisir.
On lui refuse ontologiquement le fait d’être un voyageur parce que le plaisir, c'est la négation même du travail, de l’effort et notre société ne peut pas l’accepter.
TourMaG.com - Parce qu’il voyage sans raison valable ?
Jean-Didier Urbain : Oui, bien sûr ! On a toujours une bonne raison de voyager : on fuit la guerre, la famine, on travaille… Le touriste échappe à ça, et pour notre société, c’est choquant.
D’où la connotation négative depuis toujours : le touriste, c’est l’éternel intrus, celui qui n’a pas de raison d’être là, à qui on n’a pas demandé de venir. Et cette connotation a évolué avec la société.
Avant, il perturbait les sociétés culturelles, la vie indigène… Et aujourd’hui, le touriste, c’est celui qui pollue. Il a toujours l’air de déranger, tout simplement parce que c’est incompréhensible, de voyager pour voyager.
Jean-Didier Urbain : Oui, même au XVIIe siècle, Venise était déjà très touristique et déjà on détestait cet être qui voyage sans raison évidente.
On a très vite opposé le touriste au voyageur, pour des raisons idéologiques : le touriste voyage pour son plaisir.
On lui refuse ontologiquement le fait d’être un voyageur parce que le plaisir, c'est la négation même du travail, de l’effort et notre société ne peut pas l’accepter.
TourMaG.com - Parce qu’il voyage sans raison valable ?
Jean-Didier Urbain : Oui, bien sûr ! On a toujours une bonne raison de voyager : on fuit la guerre, la famine, on travaille… Le touriste échappe à ça, et pour notre société, c’est choquant.
D’où la connotation négative depuis toujours : le touriste, c’est l’éternel intrus, celui qui n’a pas de raison d’être là, à qui on n’a pas demandé de venir. Et cette connotation a évolué avec la société.
Avant, il perturbait les sociétés culturelles, la vie indigène… Et aujourd’hui, le touriste, c’est celui qui pollue. Il a toujours l’air de déranger, tout simplement parce que c’est incompréhensible, de voyager pour voyager.
On est facilement culpabilisé, y compris par l'écologie, et c’est dommage
TourMaG.com - Il y a une culpabilisation du touriste ?
Jean-Didier Urbain : On a mis un millénaire à se débarrasser du péché originel et là, on en a un autre. On vit dans un monde invivable, où on est facilement culpabilisé, y compris par l'écologie, et c’est dommage.
Suis-je coupable de me déplacer ? Dois-je ouvrir les fenêtres pour éviter le Covid ou les fermer pour éviter la déperdition d’énergie ?
On vit dans un monde dans lequel il y a beaucoup d’enjeux. Des enjeux écologiques, géopolitiques, sanitaires, le chômage, le pouvoir d’achat… On a du mal à penser tout ça ensemble et on a toujours peur de faire le mauvais choix.
Dans ces conditions, on a du mal à entrevoir l’horizon du bonheur. On est loin de Léo Lagrange qui parlait de « l'an 1 du bonheur » en évoquant les congés payés et le tourisme pour tous.
Jean-Didier Urbain : On a mis un millénaire à se débarrasser du péché originel et là, on en a un autre. On vit dans un monde invivable, où on est facilement culpabilisé, y compris par l'écologie, et c’est dommage.
Suis-je coupable de me déplacer ? Dois-je ouvrir les fenêtres pour éviter le Covid ou les fermer pour éviter la déperdition d’énergie ?
On vit dans un monde dans lequel il y a beaucoup d’enjeux. Des enjeux écologiques, géopolitiques, sanitaires, le chômage, le pouvoir d’achat… On a du mal à penser tout ça ensemble et on a toujours peur de faire le mauvais choix.
Dans ces conditions, on a du mal à entrevoir l’horizon du bonheur. On est loin de Léo Lagrange qui parlait de « l'an 1 du bonheur » en évoquant les congés payés et le tourisme pour tous.
On est passé du tourisme populaire au tourisme de masse
TourMaG.com - Depuis 1936, la société a changé, et le tourisme aussi ?
Jean-Didier Urbain : Oui on est passé du tourisme populaire au tourisme de masse. C’est très méprisant et très marqué socialement.
Le tourisme populaire, c’est celui qui est accordé à tous ; le tourisme de masse est plus connoté, on voit une forme de fatalité prolétarienne et envahissante.
Et ça nous amène à ce que j’appelle la touristophobie, qui est l’horreur de l’autre, dont le dérivé logique est la tourismophobie, c'est-à-dire la haine du phénomène et de la masse.
Le tourisme n’est plus géré socialement, mais commercialement. C’est le cas à Venise : le cœur politique de la ville est à Mestre, et Venise est vue comme le tiroir-caisse. Le touriste est mal vu par les habitants parce qu’il n’est là que pour faire du bénéfice, on est loin de Léo Lagrange.
Jean-Didier Urbain : Oui on est passé du tourisme populaire au tourisme de masse. C’est très méprisant et très marqué socialement.
Le tourisme populaire, c’est celui qui est accordé à tous ; le tourisme de masse est plus connoté, on voit une forme de fatalité prolétarienne et envahissante.
Et ça nous amène à ce que j’appelle la touristophobie, qui est l’horreur de l’autre, dont le dérivé logique est la tourismophobie, c'est-à-dire la haine du phénomène et de la masse.
Le tourisme n’est plus géré socialement, mais commercialement. C’est le cas à Venise : le cœur politique de la ville est à Mestre, et Venise est vue comme le tiroir-caisse. Le touriste est mal vu par les habitants parce qu’il n’est là que pour faire du bénéfice, on est loin de Léo Lagrange.
Avec le tourisme dit de masse, le voyageur devient docile
TourMaG.com - En se massifiant, le tourisme a oublié la notion de plaisir ?
Jean-Didier Urbain : Avec le tourisme dit de masse, le voyageur devient docile.
Il est toujours occupé à quelque chose, tout est déterminé, il n’y a pas d’aléa. Pas de place pour la divagation, c’est-à-dire le droit de errer, d’aller ailleurs, de choisir autre chose.
C’est la récupération de l’envie de voyage par les industries qui va provoquer le surtourisme.
On concentre, pour pouvoir surveiller et répondre plus rapidement à plus de monde au même endroit. C’est ça au fond le tourisme de masse : la concentration.
Jean-Didier Urbain : Avec le tourisme dit de masse, le voyageur devient docile.
Il est toujours occupé à quelque chose, tout est déterminé, il n’y a pas d’aléa. Pas de place pour la divagation, c’est-à-dire le droit de errer, d’aller ailleurs, de choisir autre chose.
C’est la récupération de l’envie de voyage par les industries qui va provoquer le surtourisme.
On concentre, pour pouvoir surveiller et répondre plus rapidement à plus de monde au même endroit. C’est ça au fond le tourisme de masse : la concentration.
Que préfère-t-on, faire voyager les gens ou les marchandises ?
TourMaG.com - Pour éviter cette concentration et ne pas être agglutinés, il faudrait moins voyager ?
Jean-Didier Urbain : Non pas forcément. Nous sommes tous toujours agglutinés : la ville n’est rien d’autre qu’une agglutination, mais ça se voit simplement plus sur une plage.
Au fond, ça pose aussi la question du voyage tous azimuts : que préfère-t-on, faire voyager les gens ou les marchandises ?
Que fait-on : est-ce qu’on dit aux touristes de moins voyager, ou bien est-ce qu’on relocalise nos industries pour réduire le coût du transport ?
On touche à une question politique qui est : on choisit quoi, le bonheur ou le profit ?
Jean-Didier Urbain : Non pas forcément. Nous sommes tous toujours agglutinés : la ville n’est rien d’autre qu’une agglutination, mais ça se voit simplement plus sur une plage.
Au fond, ça pose aussi la question du voyage tous azimuts : que préfère-t-on, faire voyager les gens ou les marchandises ?
Que fait-on : est-ce qu’on dit aux touristes de moins voyager, ou bien est-ce qu’on relocalise nos industries pour réduire le coût du transport ?
On touche à une question politique qui est : on choisit quoi, le bonheur ou le profit ?
TourMaG.com - Le plaisir, ça passe aussi par prendre son temps : comment peut-on penser le slow tourisme sans repenser le temps de travail ?
Jean-Didier Urbain : Le temps de travail, et la société toute entière : on vit dans l’urgence, on fait des enquêtes flash, on s’isole dans un monde de la télécommunication triomphante et on oublie de se rejoindre par le regard, le corps, la voix, la chair.
Nous vivons en portant de nombreuses angoisses, qu’on reporte sur les générations futures comme pour s'exonérer, et on n’essaie pas de rendre heureuses les générations présentes.
TourMaG.com - Il faut imaginer le touriste heureux ?
Jean-Didier Urbain : Comme disait Saint-Just : le bonheur est toujours une idée neuve.
Découvrez la première partie de ce triptyque :
Surtourisme : quelle solution quand tout déborde ?
Et la deuxième partie :
« Le touriste, ça n’est pas un gisement naturel »
Jean-Didier Urbain : Le temps de travail, et la société toute entière : on vit dans l’urgence, on fait des enquêtes flash, on s’isole dans un monde de la télécommunication triomphante et on oublie de se rejoindre par le regard, le corps, la voix, la chair.
Nous vivons en portant de nombreuses angoisses, qu’on reporte sur les générations futures comme pour s'exonérer, et on n’essaie pas de rendre heureuses les générations présentes.
TourMaG.com - Il faut imaginer le touriste heureux ?
Jean-Didier Urbain : Comme disait Saint-Just : le bonheur est toujours une idée neuve.
Découvrez la première partie de ce triptyque :
Surtourisme : quelle solution quand tout déborde ?
Et la deuxième partie :
« Le touriste, ça n’est pas un gisement naturel »
Les Césars du Voyage Responsable
Rappelons que TourMaG et le Petit Futé organisent "Les Césars du Voyage Responsable".
Forts d’une audience mensuelle de plusieurs millions d’internautes, les deux titres assureront la promotion BtoBtoC des projets candidats.
Cet événement débutera en septembre 2022 avec la phase des votes qui durera jusqu'en février 2023.
La cérémonie des Césars du Voyage Responsable, quant à elle, aura lieu en mars 2023.
Si vous souhaitez candidater, prenez rendez-vous ci-dessous avec Fabien da Luz, DG associé de TourMaG.com.
A lire aussi : Césars du Voyage Responsable : “Il y a une urgence à agir dans notre métier…”
Forts d’une audience mensuelle de plusieurs millions d’internautes, les deux titres assureront la promotion BtoBtoC des projets candidats.
Cet événement débutera en septembre 2022 avec la phase des votes qui durera jusqu'en février 2023.
La cérémonie des Césars du Voyage Responsable, quant à elle, aura lieu en mars 2023.
Si vous souhaitez candidater, prenez rendez-vous ci-dessous avec Fabien da Luz, DG associé de TourMaG.com.
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