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La responsabilité civile des compagnies encore étendue en Europe ?

Analyse de Chloé Rezlan (Adeona Avocats) suite à la décision de la CJUE


Un accident ne laisse pas que des traces visibles sur les victimes. Parfois les traumatismes peuvent ressurgir bien plus tard. Alors même que les accidents ou les incidents se multiplient dans le ciel, sans être graves, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été saisie du sujet. Une passagère d'un vol de Laudamotion ayant été projetée plusieurs mètres en l’air par le souffle d'un réacteur a été diagnostiqué longtemps après l'incident d'un trouble de stress post-traumatique. Dans le cas présent, la compagnie aérienne est-elle responsable ? Eléments de réponse avec Me Chloé Rezlan, avocate et cofondatrice du nouveau cabinet Adeona Avocats.


Rédigé par le Lundi 7 Novembre 2022

Analyse  de Chloé Rezlan (Adeona Avocats) suite à la décision de la CJUE sur la responsabilité des compagnies aériennes en cas d'accident - Depositphotos @Savvatexture
Analyse de Chloé Rezlan (Adeona Avocats) suite à la décision de la CJUE sur la responsabilité des compagnies aériennes en cas d'accident - Depositphotos @Savvatexture
Un accident qu'il soit de la route et encore plus aérien, ne laisse pas que des séquelles physiques, bien au contraire.

Parfois, quelques mois après, les cauchemars et les traumatismes ressurgissent.

En mars 2019, un réacteur d'un A320 de la compagnie Laudamotion explose au moment de décoller. Les passagers choqués livrent des témoignages glaçants à nos confrères de 20 Minutes.

Au final, huit personnes sont blessées (légèrement).

L'une d'entre elles décide de saisir la justice, après avoir été projetée plusieurs mètres en l’air par le souffle du réacteur qui n’avait pas encore été coupé.

"Un trouble de stress post-traumatique lui a par la suite été diagnostiqué," rapporte Me Chloé Rezlan, suite à la lecture du rendu de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

L'avocate en droit du tourisme et cofondatrice du cabinet Adeona Avocats, nous livre une analyse de la décision de l'instance.

Quelles sont les circonstances de l'accident de la Laudamotion ?

Une passagère a embarqué sur un vol opéré par Laudamotion reliant Londres à Vienne.

Au moment du décollage, l’un des réacteurs de l’aéronef a explosé, entraînant ainsi l’évacuation des passagers.

Lors de l’évacuation, une fois sortie de l'appareil, la passagère concernée a été projetée plusieurs mètres en l’air par le souffle du réacteur qui n’avait pas encore été coupé. Un trouble de stress post-traumatique lui a par la suite été diagnostiqué.

"Depuis, cette passagère souffre de troubles du sommeil et de la concentration, de sautes d’humeur, de crises de larmes soudaines, de fatigue importante et de bégaiements.

Il lui a été diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique, pour lequel elle est suivie médicalement,
" comme le rappelle l'avocat général dans ses conclusions du 24 mars 2022.

La passagère a saisi le tribunal de district autrichien qui a considéré que l’article 17 de la Convention de Montréal, concernant la responsabilité du transporteur aérien, ne couvrait que les lésions corporelles au sens strict, et non les troubles psychiques.

L’affaire a ensuite été tranchée par le tribunal régional en appel, puis portée devant la Cour suprême autrichienne, laquelle a éprouvé des doutes sur cette question et a décidé de poser la question à la Cour de justice de l'Union européenne - CJUE.


Qu'est-ce que la Convention de Montréal ?

Ratifiée en 1999 et appliquée par 133 pays à travers le monde, dont l'Union européenne, la Convention de Montréal est venue fixer des règles internationales sur l'indemnisation des victimes de catastrophes aériennes.

Elle a modifié des pans entiers de la Convention de Varsovie.

La Convention de Montréal s'applique à "tout transport international de passagers (mais aussi de bagages ou de marchandises), effectué par aéronef," selon le site internet du gouvernement français.

Surtout, elle a pour vocation d’assurer la protection des consommateurs dans le transport aérien international, en impliquant la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation, suite à une catastrophe aérienne.

Il est rappelé dans le texte qu'elle "régit la responsabilité des transporteurs en cas de mort ou de lésion ainsi qu'en cas de destruction, de perte ou d'avarie des bagages, ou de retard.

Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l'accident qui a causé la mort ou la lésion s'est produit à bord de l'aéronef,
" précisent les articles du document.

Tout l'enjeu de l'affaire de la Laudamtion étant de savoir si la Convention de Montréal s'applique, alors même "qu'il n'y a pas de lésion corporelle, mais des lésions psychiques," nous précise Chloé Rezlan.

Quelles sont les questions posées et les réponses de la CJUE ?

La question principale posée à la CJUE est la suivante : le trouble psychique d’un passager, causé par un accident et atteignant un niveau pathologique, constitue-t-il une "lésion corporelle" au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Convention de Montréal ?

Pour rappel, en application de l’article 17 précité, le transporteur aérien est responsable du préjudice survenu en cas de "lésion corporelle" subie par un passager, si l’accident ayant causé la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement.

La réponse de la Cour : une lésion psychique causée à un passager par un "accident", qui n’est pas liée à une "lésion corporelle", doit être indemnisée au même titre qu’une telle lésion corporelle, pour autant que le passager lésé démontre l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical.

"La solution est inédite, mais pas surprenante," estime la cofondatrice du cabinet Adeona Avocats.

La CJUE rappelle d’abord que la notion de "lésion corporelle" n’est pas définie par les textes et précise qu’elle doit recevoir une interprétation uniforme et autonome pour l’Union Européenne et les Etats membres.

Elle poursuit en citant l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités lequel précise que les traités doivent être interprétés de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but.

Pour la CJUE, le sens ordinaire de la notion de "lésion" désigne l’altération d’un organe, d’un tissu ou d’une cellule, en raison d’une maladie ou d’un accident, tandis que le terme "corporel" renvoie à la partie matérielle d’un être animé, à savoir le corps humain.

L'analyse de Chloé Rezlan :

La CJUE considère ainsi que la notion de "lésion corporelle" dans son sens ordinaire, ne saurait être interprétée comme excluant une lésion psychique liée à une telle lésion corporelle, mais qu’il en va autrement lorsqu’il s’agit de lésion psychique avérée qui ne présente aucun lien avec une lésion corporelle au sens ordinaire de cette notion.

Toutefois, la CJUE estime que le fait que le terme "lésion corporelle" ait été retenu ne suppose pas nécessairement que les auteurs de la Convention de Montréal aient entendu exclure, en cas "d’accident", la responsabilité des transporteurs aériens lorsque cet accident a causé des lésions psychiques à un passager qui ne sont liées à aucune lésion corporelle ayant la même cause.

Ainsi, à la lumière des travaux préparatoires du texte et au vu des objectifs de la Convention de Montréal (assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation), la CJUE considère que la situation impliquant un passager ayant subi une lésion psychique en conséquence d’un accident peut, en fonction de la gravité du dommage qui en résulte, s’avérer comparable à celle d’un passager ayant subi une lésion corporelle.

La responsabilité du transporteur aérien n’est toutefois engagée que si le passager lésé démontre, au moyen notamment d’une expertise médicale et de justificatifs de traitements médicaux, l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique, subie en conséquence d’un "accident", au sens de l’article 17 de la Convention de Montréal, d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé, compte tenu notamment de ses effets psychosomatiques, et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical.

"Il s’agit donc à nouveau d’une décision consumériste, qui permet d’étendre la responsabilité des transporteurs aériens," conclut Chloé Rezlan.


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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