Faire du tourisme en Arabie saoudite, est-ce bien raisonnable ? [ABO]

Un coup de com fantastique.

La semaine dernière, les visiteurs de "Jardins, jardin", événement parisien chic dédié à l'art du jardin urbain, y ont découvert, à côté d'une exposition de superbes photos de Gilles Bensimon, un luxuriant "jardin oasis". Ce "jardin oasis" avait été composé avec force palmiers, agrumes, figuiers et une vasque d'eau par le paysagiste Pierre Alexandre Risser à la demande d'AlUla, cité oasis saoudienne.

C'était, évidemment, pour cette destination encore confidentielle sur le marché français, une manière ingénieuse de se faire connaître. Ce jardin-oasis signait aussi la volonté saoudienne de bousculer les idées reçues. Et confirmait l'ambition du Royaume de ne plus se limiter au tourisme religieux à la Mecque, comme il l'a longtemps fait.

Question ambition touristique, l'Arabie Saoudite n'a pas été, et de loin, le premier pays du Moyen-Orient à dégainer. Depuis longtemps, grâce aux dollars gagnés en vendant pétrole et gaz, les Emirats les plus prospères préparent leur avenir ... hors des hydrocarbures. Pour eux, cet avenir passe par le tourisme, particulièrement le tourisme de luxe.

Cependant, après avoir démarré avec un temps de retard sur les autres, l'Arabie saoudite met désormais les bouchées doubles dans le cadre de son programme "Saudi Vision 2030", lancé en 2016 par Mohammed Ben Salmane, le prince héritier et homme fort à Ryad.

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Il faut saluer la lucidité du prince héritier. Alors qu'à cause du réchauffement climatique notamment, la fin du pétrole s'annonce à un horizon encore imprécis, il semble avoir compris que le royaume saoudien, paralysé par les conservatismes et la bureaucratie, irait à sa perte s'il continuait à vivre de ses "rentes" (les revenus pétroliers représentent la quasi totalité des recettes budgétaires).

Si on peut comprendre aisément ses desseins, si ce prince héritier se présente volontiers comme un réformateur, si, enfin, le montant des investissements annoncés pour faire de l'Arabie Saoudite une destination touristique attractive et un géant des énergies renouvelables est faramineux, le pari semble encore à gagner.

D'une part, le manque d’infrastructures hôtelières, de liaisons aériennes et de personnel bien formé sont encore des freins. D'autre part, l'Arabie Saoudite qui est longtemps resté un pays fermé aux touristes étrangers, continue d'avoir une image assez déplorable, notamment en ce qui concerne le respect des droits humains.

Il y a eu l’assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi, il y a eu les tirs des gardes-frontières saoudiens sur des « centaines » de migrants éthiopiens qui tentaient de pénétrer en Arabie, il y a les procès inéquitables, les nombreuses exécutions à la peine capitale, les progrès très relatifs en matière de statut de la femme. Toutes ces choses incitent à penser que la mue du pays est, au minimum, à parfaire.

Pour autant, faut-il renoncer à voyager en Arabie saoudite, au motif qu'en y allant on risque de cautionner des pratiques choquantes ?

Dans ce domaine, comme dans la plupart, les idées les plus radicales ne sont pas forcément les plus pertinentes. Après avoir bien pesé le pour et le contre, on peut préférer saluer les réformes déjà faites par le prince héritier- malgré le poids toujours immense des forces religieuses conservatrices- et souligner les progrès accomplis (fussent-ils modestes, à nos yeux) en en escomptant d'autres.

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A l'heure où les voyageurs cherchent plus que jamais de nouvelles terres à découvrir, il serait aussi dommage de se priver de cette destination inconnue à 6 heures d'avion de Paris. Revenons à AlUla, qui n'est, rappelons le, que l'une des destinations saoudiennes mises en avant par le Royaume. Cette province de 22.000 km2 (presque la taille de la Belgique) se trouve au nord-ouest de l’Arabie Saoudite et, logiquement, elle devrait séduire les amoureux du désert comme les adeptes de tourisme culturel.

Occupée par les Nabatéens il y a 2000 ans, puis par les Romains et les Ottomans, Al-Ula possède un patrimoine exceptionnel, notamment une centaine de tombeaux nabatéens, façonnés dans la roche. Par ailleurs, les oasis environnantes peuplées d'innombrables palmiers dattiers promettent un dépaysement total.

Ne soyons pas naïfs, cependant. Bien entendu, AlUla est une vitrine politique de l’Arabie saoudite. Et si le voile et l’abaya ne sont plus imposés aux femmes étrangères, le Royaume attend tout de même des touristes une tenue vestimentaire « pudique ». Enfin, si les touristes sont acceptés, la consommation d'alcool reste interdite. Mais, a contrario, ce pays a l'avantage d'être authentique et de vivre encore à l’écart du tourisme de masse et de ses excès qu'il entend d'ailleurs bien éviter à l'avenir.

Il ne paraît donc pas insensé de faire le pari que la venue de touristes -des visas sont désormais octroyés à 49 pays, dont la France- pourrait peut-être finir par accélérer l’ouverture et la modernisation de la société saoudienne. On peut d'autant plus l'espérer que le changement est porté par le prince héritier. Il sera toujours temps de se raviser si nos espoirs sont déçus.