L’ère du transport aérien low cost en Europe pourrait être définitivement révolue du fait, notamment, de récentes politiques environnementales de l’UE.
Une bonne nouvelle pour le climat, mais les nombreuses personnes à revenu faible à moyen ayant l’habitude de voyager par avion au sein de l’UE ne pourront dès lors plus le faire, ou alors moins souvent qu’avant.
Les plus fortunés, eux, devraient être moins impactés par ces mesures, car les jets privés, pourtant beaucoup plus polluants et couvrant généralement des distances desservies par les compagnies aériennes commerciales et les trains, ne sont pas concernés par ces politiques européennes.
Il s’agit là d’un cas de sacrifice inéquitable en faveur de l’action climatique. Remédier à cela devrait être une priorité absolue de la prochaine législature de l’UE si l’on veut parvenir à une transition climatique juste et inclusive.
Hausse des prix…
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Selon les données de la Commission européenne, l’été dernier, les tarifs des vols à l’intérieur de l’UE étaient en moyenne entre 20 à 30 % plus élevés qu’ils ne l’étaient avant la pandémie de Covid-19.
En cause, la forte demande des consommateurs, l’augmentation des coûts du carburant et la perturbation des chaînes d’approvisionnement, ces deux derniers facteurs étant, au moins en partie, dus aux troubles géopolitiques de ces dernières années.
Ces prix sont susceptibles d’augmenter encore dans les années à venir en raison de trois facteurs. D’abord, la réforme du système d’échange de quotas d’émission de l’UE, qui est au cœur du paquet « Fit for 55 » (ou Ajustement à l’objectif 55), un ensemble de propositions législatives proposées par la Commission européenne à l’été 2021, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 %, partiellement adopté au printemps 2023.
Depuis 2012, les émissions du secteur l’aviation à l’intérieur de l’UE font partie du SCEQE (Système communautaire d’échange de quotas d’émission), le marché du carbone introduit par l’UE en 2005 pour plafonner les émissions de certains secteurs, notamment les industries à forte intensité énergétique comme la production d’électricité et l’aviation. Jusqu’à présent, l’aviation bénéficiait, au même titre que l’industrie, de quotas d’émission gratuits
Or, dans le cadre de la nouvelle réforme du SCEQE, ces quotas gratuits seront progressivement supprimés entre 2024 et 2026.
Cela signifie que les compagnies aériennes devront supporter non seulement le coût privé du carburant, mais aussi le coût social de leurs opérations.
Bien que la réforme du SCEQE maintienne des quotas gratuits pour les opérateurs utilisant des carburants moins polluants, ceux-ci sont plus chers que les carburants traditionnels. En outre, le plafond annuel d’émissions sera progressivement réduit dans les années à venir, ce qui entraînera une augmentation du prix des quotas mis aux enchères.
Autre facteur possible de hausse des prix des billets d’avion au sein de l’UE : les institutions européennes travaillent actuellement sur une réforme de la directive sur la taxation de l’énergie (DTE) de 2003. Cette directive visait à introduire des niveaux minimums de taxation sur l’électricité, les carburants et les combustibles de chauffage, à la fois pour éviter les distorsions du marché dans l’UE et pour promouvoir la décarbonation de ces secteurs.
Cependant, le kérosène utilisé par les avions et le fioul lourd utilisé par l’industrie du transport maritime ont été exonérés de taxes dans le cadre de la directive sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais dans le cadre de l’Ajustement à l’objectif 55, la Commission européenne a proposé une mise à jour de la directive sur la taxation de l’énergie, toujours en attente d’adoption, qui supprimerait, entre autres, ces exemptions.
Enfin, certains pays, notamment la France, ont défendu l’idée d’un prix minimum fixe pour les vols intra-UE. Il reste à voir si ces propositions seront adoptées à l’avenir.
… et une demande en chute libre
Selon Airlines for Europe, la plus grande association de compagnies aériennes de l’UE, se conformer à ces nouvelles normes européennes pourrait représenter, pour les compagnies européennes, un coût 13 à 14 fois plus élevé en 2030 qu’en 2019.
Selon le centre de recherche SEO Amsterdam Economics, si ces augmentations de prix sont entièrement répercutées sur les consommateurs, la demande de vols diminuerait, entraînant une réduction du trafic aérien intra-UE de plus de 8 % en 2030, puis d’environ 12 % en 2035.
Quiconque s’inquiète du changement climatique peut pousser un soupir de soulagement. Une telle hausse du prix des billets réduirait de fait le nombre de voyageurs aériens et la fréquence des vols.
C’est inévitable si l’UE veut atteindre son objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici quelques décennies.
Toutefois, ces dernières années, les compagnies aériennes à bas prix ont permis aux personnes à faibles revenus de voyager entre les pays de l’UE, ce qui était auparavant très rare.
D’une certaine manière, les compagnies aériennes à bas prix ont démocratisé les voyages, permettant aux personnes les plus pauvres d’avoir des expériences internationales, mais aussi de maintenir certains liens affectifs et familiaux (pensez au nombre de personnes qui ont désormais des frères et sœurs qui étudient ou vivent dans d’autres pays de l’UE, ou au nombre de couples qui travaillent à différents endroits).
Une réalité qui, rappelle Greenpeace dans une étude récente, existe aussi parce que voyager en train dans l’UE reste significativement plus cher que de prendre l’avion.
Une transition injuste
On pourrait arguer que ces préoccupations sont mineures par rapport à la menace climatique. Les compagnies aériennes à bas prix ont jusqu’à présent produit une quantité démesurée de CO2 à des fins qui, en fin de compte, n’ont rien à voir avec la subsistance.
Mais si la menace climatique justifie que les personnes à faibles revenus ne voyagent pas, ou beaucoup moins qu’auparavant, elle devrait également justifier que les voyageurs européens aisés renoncent aux vols privés, qui émettent en moyenne jusqu’à 14 fois plus de CO2 par passager qu’un vol régulier.
Le principal problème de l’approche « one size fits all » de l’UE en matière de politique climatique est que de nombreux riches utilisateurs de jets resteront tout simplement indifférents à l’augmentation constante du prix des permis d’émission.
Demander aux personnes à faible revenu de renoncer à quelque chose de précieux pour eux – comme voyager – pour le bien collectif, alors que les riches continuent à jouir d’un luxe superflu, est la chose la plus éloignée de l’objectif de transition équitable et inclusive que les institutions de l’UE se sont fixé.
En outre, plus les riches contribueront à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère avec leurs émissions de luxe, plus grand sera le sacrifice en matière de comportements qui sera demandé aux autres pour maintenir le réchauffement climatique sous une certaine limite.
Selon une récente étude commandée par Geenpeace à CE Delft, le nombre de vols privés en Europe est passé d’un peu moins de 120 000 en 2020 à plus d’un demi-million en 2022.
Plus de la moitié de ces vols sont de courte ou moyenne distance, comparables à la distance entre Paris et Marseille (environ 750 km), qui dans la grande majorité des cas peut être raisonnablement remplacée par d’autres moyens de transport.
Les quatre premières liaisons pour les vols privés en Europe sont, dans l’ordre, Londres-Paris (un peu plus de deux heures en train à grande vitesse), Londres-Nice (plusieurs vols réguliers par jour), Paris-Genève (un peu plus de trois heures en train à grande vitesse) et Paris-Nice (plusieurs vols réguliers ou un peu plus de cinq heures en train à grande vitesse).
Plusieurs initiatives nationales pour interdire les vols de luxe
Un groupe composé de l’Autriche, des Pays-Bas et de la France, soutenu par l’Irlande et la Belgique, a récemment écrit aux institutions européennes pour réclamer de nouvelles réglementations sur l’utilisation des jets privés.
L’actuel commissaire européen aux Transports a indiqué que cela n’arriverait pas, du moins pour le moment.
Certains articles de presse suggèrent à cet égard que l’approche de la Commission européenne serait de légiférer sur l’aviation dans son ensemble, plutôt que d’introduire des règles spécifiques pour les jets privés.
Certains pays de l’UE tentent de combler cette lacune réglementaire au niveau européen par des mesures nationales. La France a par exemple évoqué une interdiction des vols privés (proposée par la France insoumise et soutenue par les Verts) et une super-taxe sur les vols de luxe (favorisée par le gouvernement d’Emmanuel Macron).
L’aéroport néerlandais d’Amsterdam Schiphol envisage de restreindre l’accès aux avions privés. Espagne envisage, elle, d’interdire les vols privés de courte durée dans le cadre de son plan visant à atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050.
Toutes ces initiatives pourraient laisser à penser que la prochaine Commission européenne pourrait s’en faire le relais en comblant le vide réglementaire dont bénéficie actuellement l’aviation privée. Si nous voulons une action climatique ambitieuse et accélérée, tout le monde, y compris les plus riches, devrait en faire partie.
Fausto Corvino, Marie Skłodowska-Curie Postdoctoral Fellow in Philosophy, Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.