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Futuroscopie : sur-tourisme, les "No lists" des guides Fodor's donnent l'exemple 🔑

DĂ©cryptage de Josette Sicsic, Futuroscopie


Dans une période aussi chaotique que celle que nous vivons, alors que tous les repères se délitent et se transforment, le tourisme constitue l’un des secteurs les plus chahutés. Parmi toutes ses composantes, l’information est elle aussi en transition. Sur la forme évidemment. Mais, cela tout le monde le sait et tente de gérer au mieux les nouveaux outils technologiques. Plus important, une mutation est aussi à l’œuvre sur le fond. De nombreux signaux l’indiquent. Et c’est une très bonne chose. Ainsi, guides de papier et sites internet montent au créneau non pas pour vanter les richesses du monde et y attirer de nouveaux touristes, mais au contraire pour les dissuader de faire le voyage. C’est le cas des Guides Fodor’s dont la dernière « No List » vient de paraître…


Rédigé par le Mardi 10 Janvier 2023

Les guides Fodor's ont publié leur "no list" 2023, des lieux qu'il faut éviter de visiter - Capture écran
Les guides Fodor's ont publié leur "no list" 2023, des lieux qu'il faut éviter de visiter - Capture écran
Ce sont les guides américains Fodor’s (créés il y a 80 ans) qui ont diffusé la nouvelle via un communiqué de presse. Leur nouvelle liste intitulée « Fodor’s No List 2023 » vient de paraître. De quoi s’agit-il ?

Dès 2016, les géants du guide de voyages, sensibles aux problématiques de surtourisme publiaient une liste de destinations touristiques à éviter. Rassemblées sur le site de l’éditeur, ces destinations étaient alors relativement peu nombreuses.

On y trouvait la Grande barrière de corail, Miami Beach, New Delhi, Times square ou Dubaï considéré comme encore en construction donc ne valant pas le voyage ! Parallèlement, des alternatives à ces destinations étaient proposées en proximité.

Deux ans, plus tard, en 2020, la « No list » reprenait du service et proposait cette fois d’éviter Barcelone, Big Sur en Californie, le site d’Angkor, Bali, la montagne du Matterhorn dans l’Himalaya, les route des Keys en Floride... Et tant d’autres. Mais, cette année, après deux ans de Covid et de décélération du voyage international, les menaces se rapprochent et de nouvelles destinations augmentent la « No list 2023 ».

Il s’agit de destinations extrêmement populaires comme Étretat et les calanques de Cassis en France. Mais, il s’agit aussi de Lake Tahoe dans l’ouest américain, Venise, Amsterdam, la côte amalfitaine, la Cornouailles, certains coins de Thaïlande et d’Hawaï, notamment de petites îles menacées par la dégradation de la biodiversité et les pénuries d’eau dont les insulaires sont victimes au profit des touristes.


Une « No list » engagée, intelligente donc efficace

Car, et là encore, la mutation est de taille, les auteurs de la « No List » ne se contentent pas de dénoncer les risques courus par une destination. Ils expliquent avec force détails, les raisons pour lesquelles certains sites doivent être évités. Ainsi, si les phénomènes de saturation sont effectivement dénoncés, les menaces écologiques qui leur sont liées sont détaillées. Et méritent de l’être.

Car, tous les voyageurs ne sont pas forcément au courant et conscients des dégâts qu’ils font subir au patrimoine naturel, à la biodiversité et aux populations locales. Ainsi, en Cornouailles par exemple, un auteur de la « No list » dénonce l’étroitesse des routes, les nuisances subies par les habitations qui les bordent, la hausse de l’immobilier née des locations privées…

En Antarctique, est souligné le problème de la fonte accélérée de la glace à cause des bateaux, aussi peu nombreux soient-ils, qui émettent des charges énormes de CO2 détruisant la flore et la faune maritime, tout en transportant des virus inconnus. Même souci à Lake Tahoe où les particules fines émises par le trafic aérien et routier transforment les eaux du célèbre lac.

Pour en revenir aux pénuries d’eau qui frappent aussi le Nevada et l’Arizona, la baisse drastique des réserves est amplement évoquée et expliquée… Ainsi que les effets en chaîne qui en découlent : les coupures d’électricité faute d’énergie pour faire tourner les centrales !

Sans compter que l’on dissuade aussi les touristes d’embarquer sur des croisières sur le Rhin et le Danube dont les niveaux ont déjà fortement baissé…

La vocation des guides réinventée par les "No lists"

Certes, les guides Fodor's ne sont pas les seuls à œuvrer dans le sens d’un contingentement de l’activité touristique. Mais, force est de remarquer que le revirement dans le domaine est de taille. Il n’y a pas si longtemps, la vocation de l’information touristique était de mettre en valeur des sites et destinations jugées comme indispensables à la culture des voyageurs, tant pour leur esthétique que pour leur valeur historique et iconique.

Les plumes des auteurs de guides se confondaient en louanges et descriptions mirifiques capables d’attirer le public vers des essentiels du patrimoine mondial.

Les premiers guides Baedeker en Allemagne, Murray outre-Manche, les Guides Johanne en France (ancêtres des Guides Bleu) remplissaient cette vocation, assortis de renseignements pratiques indispensables. Puis, ce fut le cas de Michelin et des guides du Touring club de France pour les automobilistes et les cyclotouristes et après-guerre de tant d’autres précieux ouvrages signés par les grands de l’édition.

Dès les premiers pas du tourisme, les voyageurs publiaient aussi des récits détaillant leurs déplacements, s’extasiant sur la beauté ou la laideur du monde (voir dossier : les écrivains voyageurs) tout en ne ménageant pas leurs critiques sur certains sites et les conditions pratiques déplorables dans lesquelles on voyageait.

« Comment être un meilleur voyageur dans les années à venir ? »

En fait, le constat et la réflexion engagée par les Guides Fodor’s est simple : l’industrie touristique ne peut poursuivre son essor au même rythme de croissance et continuer d’envoyer et accueillir des millions de touristes sur des zones fragiles ou en voie de fragilisation.

La réponse des éditeurs est donc tout aussi simple : conseillons aux voyageurs d’éviter un certain nombre de destinations en péril. Mais surtout éduquons les. Quand on intitule un paragraphe de la « No list » : « Comment être un meilleur voyageur » et plus loin, un autre paragraphe : « How can travelers help » ! Il est clair que l’on a fait du chemin entre la première « No List » et celle de cette année.

Non seulement, il s’agit aujourd’hui de dissuader, mais on incite les touristes à diffuser l’information, à convaincre d’autres touristes du bien fondé de la démarche et in fine, on les invite aussi à réparer les dégâts qu’ils font à travers des gestes utiles comme le ramassage des déchets, la plantation d’arbres, le nettoyage des plages et pistes de ski…

D’ailleurs, Randy Durband, le CEO of the Global Sustainable Tourism Council (GSTC), précise qu’il n’a jamais voulu empêcher les touristes de visiter certaines destinations. « On veut seulement les responsabiliser et les sensibiliser aux problématiques environnementales et humaines » affirme-t-il.

Mais, en même temps, les « Go List » poursuivent le chemin inverse

Enfin, parallèlement à ce travail dont on ne peut que souhaiter qu’il se développe (et il devrait le faire) porté aussi par tous les sites en ligne des ONG et associations diverses se battant pour la cause écologique, force est de constater que tous les sites de voyages ne sont pas sur la même longueur d’ondes.

Quand on ouvre le site des Guides Lonely Planet (les plus lus dans le monde), où incite t’on le voyageur à poser ses valises ? A Petra en Jordanie ! Aux îles Galápagos ! Dans des réserves africaines, au volant de véhicules hyper polluants et nocifs pour les animaux sauvages ! Dans le parc de Yellowstone pour observer « les grizzlis et les geysers » ou à Angkor et aux chutes d’Iguaçu !

Et pourquoi pas un thé dans un troquet au pied de l’Annapurna alors que l’on connait les dégâts faits par les trekkeurs (les déchets notamment) ?

Sur le site des guides du Routard, pour 2023, ce n’est pas mieux. Sont recommandés : Lisbonne (la ville la plus saturée d’Europe), les aurores boréales en Scandinavie et Islande mais aussi les îles des Canaries les plus préservées : La Gomera et El Hierro ou Lanzarote…

Des îles qui avaient une petite chance d’échapper à l’invasion touristique et qui sont en train de la perdre. Non seulement, Lanzarote par exemple, a vu le nombre de vols directs augmenter, notamment depuis la France mais le JT de France 2 ne s’est pas privé de dérouler un reportage sur ses atouts naturels sur les écrans du 20 H !

Les paradoxes restent donc de mise et le combat des partisans d’un tourisme modéré et sobre également. Comme le combat entre « No list » et « Go list ». Mais espérons que les « No lists » l’emporteront.

Josette Sicsic
Josette Sicsic
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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