TourMaG.com, le média spécialiste du tourisme francophone

logo TourMaG  




Procès contre Booking, Google et Meta... vers une redéfinition du web ? [ABO]

Interview de Marc Barennes, avocat associé de Geradin Partners et initiateur de l'action collective contre Booking


L'hégémonie des GAFAM et apparentés pourrait bien connaitre en 2025, un point de bascule. Après Google, Apple et Meta, Booking.com est à son tour pris dans un tourbillon judiciaire. Le cabinet Geradin Partners, l'un des spécialistes européens du droit de la concurrence, a lancé une action collective à l'encontre du géant du tourisme. Nous avons rencontré Marc Barennes, l'avocat en charge du dossier, pour savoir si internet n’est pas, tout simplement, à l’aube d’un nouveau chapitre.


Rédigé par le Vendredi 25 Avril 2025

"Nous allons obtenir un changement de comportement des GAFAM" selon Marc Barennes, avocat associé de Geradin Partners - Depositphotos @artursz
"Nous allons obtenir un changement de comportement des GAFAM" selon Marc Barennes, avocat associé de Geradin Partners - Depositphotos @artursz
Vous pouvez acheter cet article à l'unité pour le prix de 3,99 € en cliquant ICI ou vous abonner pour 83€ TTC par an.

Le monde merveilleux et lucratif des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) commence à vaciller.

Alors qu'aux États-Unis, les procès se multiplient et pourraient conduire au démantèlement des empires d'Alphabet (Google) et Meta (Facebook), l'Europe ne cesse de remettre en question leurs positions quasi monopolistiques.

Ce mercredi, la Commission européenne a sanctionné Apple et Meta pour manquement au Digital Markets Act, destiné à rendre les marchés du secteur numérique plus équitables et plus ouverts à la concurrence.

Le tourisme ne fait pas exception. L'un des principaux acteurs en ligne du secteur se retrouve lui aussi dans le viseur. Le cabinet Geradin Partners, l'un des spécialistes européens du droit de la concurrence, vient de lancer une action collective contre Booking.com.

Une centaine d'hôteliers ont déjà rejoint une initiative qui pourrait aboutir à 1,5 milliard d’euros d’indemnisations, rien qu'en France.

Ancien membre de la DG concurrence de la Commission européenne et impliqué dans 350 arrêts ayant permis des recouvrements allant de 200 millions à plusieurs milliards d'euros, nous avons interrogé l'avocat Marc Barennes, en charge de l'action.


Booking : "Une centaine d'hôteliers ont déjà rejoint l'action collective"

TourMaG - Vous venez de lancer une action collective autour d'un pool d'hôteliers à l'encontre de Booking.com. De ce que je comprends, le déclencheur n'est autre que la condamnation par la justice européenne de la clause de parité imposée par le géant. Est-ce bien ça ?

Marc Barennes : L'année dernière, trois décisions majeures ont marqué le sujet.

En juillet 2024, vous avez eu celle de l'autorité espagnole de concurrence qui a condamné des pratiques d'abus de position dominante de Booking. Deux mois plus tard, la Cour de justice de l'Union européenne a constaté une infraction de cette même société.

La Cour a qualifié ces clauses de parités comme de l’entente illégale, c’est-à-dire d’accords conclus avec des tiers visant à fausser la concurrence.

Puis, en décembre dernier, l'autorité italienne a pris une décision dite d'engagement, dénonçant les pratiques liées à la parité tarifaire.

Pour éviter de possibles sanctions, Booking avait décidé de fournir des engagements afin de remédier à ce problème.

Toutes ces pratiques de Booking.com se retrouvent aujourd’hui en France et dans l’ensemble de l’Europe.

Si la loi Macron interdit, les clauses de parité, depuis 2015, l'OTA les a réintroduites, comme l'autorité italienne de concurrence l'a constaté, dans le cadre des programmes de partenariat qu'elle offre aux hôteliers.

Le programme Preferred+ propose une meilleure visibilité aux hôteliers à la condition de fournir le meilleur tarif à Booking.com. C'est une clause de parité tarifaire.

Cette action collective ne résulte pas de l’apparition récente de ces pratiques, mais plutôt de la série de condamnations répétées au niveau national et européen.

Booking : "fait face à des attaques un peu partout en Europe"

TourMaG - Finalement Booking fait face à des actions collectives similaires en Espagne, Allemagne, Grèce et Pays-Bas...

Marc Barennes :
Le cas allemand est un peu différent, c’est un véritable feuilleton judiciaire.

D'ailleurs, c'est une opération menée outre-Rhin qui a engendré la condamnation de Booking par la cour de justice de l'Union européenne. En Espagne, une bataille judiciaire est engagée depuis près de dix ans.

Vous avez aussi des cas semblables en Italie ou au Portugal. Autant de procédures qui peuvent désormais se reposer sur la décision de la justice européenne et les décisions des autorités nationales pour faire valoir leurs droits.

Par conséquent, pour répondre à votre question, Booking fait face à des attaques un peu partout en Europe.


TourMaG - Depuis la médiatisation de l'affaire, en début de semaine, avez-vous eu des retours d'hôteliers français ?

Marc Barennes :
Avant de rendre publique la démarche, nous étions soutenus par près de quarante hôteliers.

Depuis mardi, environ une centaine d'acteurs nous ont rejoints.
Cette initiative n’a pas été lancée par un syndicat, mais directement par des hôteliers qui nous ont mandatés pour agir en leur nom.

Nous sommes spécialisés dans les actions collectives. Notre rôle consiste à regrouper les victimes en obtenant la prise en charge des frais auprès des sociétés de financement de litiges. Ainsi, les hôteliers n'ont aucune avance à verser pour participer à l'action.

Nous invitons l’ensemble des hôteliers concernés à nous rejoindre.

En droit, la certitude n'existe pas. Aucune société de financement de litiges investit des montants aussi importants pour couvrir les frais d’avocats sans être convaincue des chances de succès de la procédure. De plus, nous avons en notre faveur des décisions de justice qui vont dans le sens de notre démarche.

"Nous allons obtenir un changement de comportement des GAFAM"

TourMaG - A partir de combien de requérants allez-vous réellement lancer l'action collective ?

Marc Barennes :
Compte tenu de l'ampleur de la procédure et de ses coûts, nous devons rassembler un maximum d’hôteliers derrière nous.

Aujourd'hui, il y a environ 17 000 hôtels en France. Nous estimons que si près de 10 % des hôteliers nous rejoignent, ce sera suffisant pour déclencher l'action. Au-delà de la question de rentabilité, il est essentiel que les professionnels soient nombreux afin de se sentir soutenus et de ne pas craindre d’éventuelles représailles.

Nous avons des clients qui dépendent à plus de 50% de Booking. Vous pouvez donc imaginer la crainte qui les habite face à une telle situation de dépendance.


TourMaG - Le cabinet est spécialisé dans ce genre de bataille juridique, notamment sur la concurrence. Dans le même temps, Google et Meta connaissent actuellement la même chose aux États-Unis. Sommes-nous à un point de basculement d'internet et de ces plateformes omnipotentes ?

Marc Barennes :
Tout à fait.

Aujourd'hui, nous menons des actions contre Google, Amazon ou encore Meta aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en France, dans plusieurs dossiers portant sur des milliards d’euros d’indemnisation.

Nous sommes arrivés à un point où ces entreprises, profitant de leur position dominante sur leurs marchés, ont adopté des pratiques abusives qui ont directement porté préjudice à leurs clients. Nous assistons à une multiplication des recours entrepris en France comme ailleurs. Notre pays accusait jusqu’ici un certain retard par rapport à ses voisins européens, mais cette dynamique est en train de changer.

Finalement, nous rattrapons notre retard.

"L'IA pose des problèmes différents"

TourMaG - Comment expliquer ce retard français ? Est-ce parce que notre société n'est pas encore procédurière ou encore parce que nous avons regardé avec trop de bienveillance le développement de ces plateformes ?

Marc Barennes :
C'est un ensemble de facteurs.

Tout d'abord, ce n’est pas dans notre culture d’agir en justice. Ensuite, juridiquement parlant, c’était compliqué à mettre en œuvre, tout comme sur le plan financier.

Le développement des sociétés de financement de litiges n'est qu'assez récent en France.

Une directive européenne de 2014 facilite les actions en dommages et intérêts. Ce sont ces éléments qui expliquent l’essor actuel de ce type d’actions, mais aussi la pression croissante qui doit inciter les GAFAM à se remettre en question.

Il faut néanmoins admettre qu’ils ont beaucoup de mal à amorcer ce virage.


TourMaG - Sommes-nous à une redéfinition du web que nous avons connu ?

Marc Barennes :
Booking au même titre que Google, Amazon et Apple est considéré comme un contrôleur d’accès, dans le cadre du Digital Market Act. Ce texte a été créé parce que les GAFAM avaient mis en place des pratiques anticoncurrentielles que les régulateurs mettaient parfois dix ans à sanctionner.

Aujourd'hui, le contexte réglementaire a profondément changé.

Je pense que les coups de boutoir réglementaires, combinées aux actions en dommages intérêts, finiront par porter leurs fruits sur les comportements de ces grands groupes.

Je suis convaincu que nous allons obtenir un véritable changement d’attitude de la part des GAFAM et des contrôleurs d'accès. Ces actions collectives visent à réparer les abus du passé et à influencer durablement leurs pratiques futures.

Nous observons aussi que ces géants sont assez agiles : lorsqu’on leur ferme une porte, ils passent par la fenêtre, en trouvant des stratégies de contournement, comme nous l’avons vu avec le dossier des clauses de parité chez Booking.


TourMaG - Il a fallu 20 ans pour réguler internet et maintenant l'IA chamboule notre quotidien. Quel regard portez-vous sur cette révolution ?

Marc Barennes :
L'IA pose des problèmes très différents de ceux que nous connaissons actuellement, car l’IA et les algorithmes sont deux réalités bien distinctes.

Les algorithmes sont conçus et pilotés par les entreprises elles-mêmes, dans le but de mettre en avant leurs propres produits. Nous suivrons ces évolutions.


Lu 578 fois

Notez

Commentaires

1.Posté par Yves Brossard le 25/04/2025 09:51 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Les abus de positions dominantes ainsi que les ruptures d’égalité de traitement, venant d’acteurs privés ou professionnels, comme d’acteurs publics, sont les fléaux d’aujourd’hui.
Ils sont nourris par la numérisation excessive de la société, mais aussi par la lenteur des procédures judiciaires, voire les abus de certaines juridictions, et l’insuffisance des sanctions pénales comme financières qui incitent certains acteurs à transgresser les règles d’équilibre des rapports.

Nouveau commentaire :

Tous les commentaires discourtois, injurieux ou diffamatoires seront aussitôt supprimés par le modérateur.
Signaler un abus









































TourMaG.com
  • Instagram
  • Twitter
  • Facebook
  • YouTube
  • LinkedIn
  • GooglePlay
  • appstore
  • Google News
  • Bing Actus
  • Actus sur WhatsApp
 
Site certifié ACPM, le tiers de confiance - la valeur des médias