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Entre autonomie et folklorisation : le tourisme sur le fil

Dialogues du Tourisme Équitable, 3ème épisode


Pour ses premiers Dialogues, le tourisme équitable et solidaire a posé les premières pierres d’une réflexion sur son identité et le calcul de ses impacts. Il a aussi voulu se questionner sur son rôle : où est la frontière entre l’aide aux populations locales et la folklorisation ou la mise sous tutelle ?


Rédigé par le Mardi 13 Décembre 2022

L'ATES, accompagné des étudiants de l'IREST et de l'ONG Tetraktys organisit ses premiers Dialogues du Tourisme Equitable - DR Alexandre Sattler - ATES 
L'ATES, accompagné des étudiants de l'IREST et de l'ONG Tetraktys organisit ses premiers Dialogues du Tourisme Equitable - DR Alexandre Sattler - ATES 
L’équité et la solidarité, c’est bien. Mais les universitaires et différentes parties prenantes du tourisme équitable n’étaient pas venus aux Dialogues du Tourisme Équitable ce 29 novembre 2022 pour se congratuler d’être humanistes ni d’être l’avenir du tourisme.

Sur l’invitation de l’ATES, accompagnée des étudiants de l’IREST et de l’ONG Tetraktys, ils sont venus pour se remettre en question, et faire évoluer leurs pratiques.

Lire aussi :
- Le tourisme équitable : Des bases pour repenser le tourisme ?

- Calculer son impact pour changer de logiciel

Tous les acteurs du tourisme s’appuient sur un solide réseau de réceptifs et de partenaires sur place. Des locaux, qui participent à faire vivre l’entreprise du tourisme et inversement. Le tourisme équitable questionne sa position vis-à-vis de son partenaire, pour lui laisser son autonomie.


Un équilibre compliqué

Comme l’explique Prosper Wanner de la coopérative marseillaise Les Oiseaux de Passage, le touriste devient un «consom’acteur qui participe au respect des droits humains. Notre ressource, c’est le tourisme comme une valeur humaniste ».

S’il reste une industrie du tourisme, et donc de loisir, les enjeux du tourisme équitable sont différents, avec pour objectif le développement des territoires et l’intérêt général.

Dans sa pratique du tourisme, son impact économique est faible, car il part avec des petits volumes de voyageurs, mais son impact humain est fort : immersion du voyageur, structuration des populations locales…

Le tourisme équitable cherche à soutenir les populations locales en devenant un outil au service de leur développement, en toute indépendance. Mais être une ressource tout en préservant l’autonomie, c’est un équilibre compliqué dans la pratique.

« Le tourisme est un catalyseur»

Outre tout ce qui touche à l’environnement, le tourisme est régulièrement accusé de « muséification » des cultures et de « folklorisation » des populations. Si c’est surtout le tourisme industriel qui est visé, le tourisme équitable se pose lui aussi la question de son impact négatif.

« Le tourisme peut exacerber les conflits internes de sociétés qui ne sont homogènes qu’en apparence, explique Jacques Barou, docteur en anthropologie au CNRS. Cela s’exprime parfois par la destruction du patrimoine culturel du voisin avec lequel on est en conflit et que le tourisme aura valorisé ».

Rendre visible des traditions d’ethnies minoritaires peut générer des conflits : règlements de compte entre ethnies, mépris des institutions locales… Il faut du temps pour faire évoluer les pratiques et que les populations locales prennent conscience de leur unité.

Pour Gwenn Prévot, de Tetraktys, « le tourisme est un catalyseur, qui va souligner les atouts mais aussi les problèmes ». Il peut accroître les inégalités au sein d’une même communauté : la maison qui accueille est celle du chef de tribu, ce qui assoit son pouvoir.

Les rencontres nécessitent du temps. Mais quand les groupes restent à peine deux jours, les interactions ne sont pas toujours riches. Elles peuvent même apparaître comme factice : quand la « première fois » de l’un est « le énième touriste » de l’autre, comment préserver la fraîcheur d’une rencontre tout en l’automatisant et la dupliquant ?

«Le tourisme doit rester un complément de revenu»

Pour éviter la standardisation et garantir la spontanéité d’une rencontre, la coconstruction avec les communautés hôtes est le premier principe. Par exemple, en prévoyant la rotation des hôtes pour éviter la surcharge.

D’autant, rappellent les intervenants, que la relation est mouvante et évolutive, de nouvelles difficultés apparaissent au fil du temps : sans un travail collaboratif, c’est tout le projet qui en subit les conséquences.

« Ce sont les populations qui connaissent le mieux leurs besoins, leurs droits, leurs territoires… On s’appuie sur ces structures locales qui font, elles, du plaidoyer en local, se fédèrent à l’international. Pour nous, faire appel aux structures locales, c’est primordial, ça crée un lien humain et un dialogue » explique Sandy Courjal de Tamadi.

« Il n’y a pas de notion de codépendance quand le tourisme n’est pas la seule activité », ajoute-t-il. Pour éviter toute dépendance et maintenir un lien d’égalité, le tourisme doit rester un complément de revenu, pas une activité principale. Un outil de développement, un levier dont on se sert - ou pas.

Cette collégialité permet aux territoires de se développer de manière autonome, avec le soutien du tourisme équitable, mais sans qu’il soit nécessaire et donc qu’il ne soit sujet de crispation.

« L'outil touristique n'est pas une baguette magique positive »

En se tournant vers des territoires qui ont besoin d’aide au développement, se pose souvent la question sécuritaire, avec des fréquentations en dents de scie, qui compliquent l'évaluation des besoins et des attentes des populations locales sur l'activité de tourisme.

« On vient avec de bons sentiments et plein d'espoir, mais l'outil touristique n'est pas une baguette magique positive, il y a une réalité sécuritaire indique Kévin Girard, Point Voyage. Au Mali, par exemple, avec l'islamisme qui progresse, les touristes viennent moins. Alors oui, l'autonomie est nécessaire mais il reste des attentes (où sont passés les touristes promis ?), de la rancœur voir de l'hostilité. »

Le tourisme équitable permet alors d'ouvrir des voies. En se dirigeant vers un projet alternatif, le touriste cherche à sortir des sentiers battus : une destination méconnue devient un atout. En accueillant des touristes, le territoire devient une destination. En investissant des territoires complexes, et en amenant le voyageur à la regarder autrement, le tourisme équitable créé de nouvelles destinations.

Il permet aussi d'ouvrir des regards, et pourquoi pas, de servir à des revendications plus politiques. C'est un peu ce qui s'est passé avec la Grande Traversée de la Palestine dont nous a parlé George Rishmawi, DG du Palestinian Heritage Trail : « Le tourisme a un énorme impact : sur l'accès à l'éducation et sur le bien-être, sur l'identité locale : en parlant d'elle, la population voit ce qui lui manque ou ce qu'elle a. Et, plus généralement, sur les voyageurs eux-mêmes, qui changent de regard. C'est une réalité politique : en posant des questions, les voyageurs comprennent qu'ils ont une responsabilité, et en parle. »

Pour Tetratkys, sur ce parcours précis, l'évolution est flagrante : 97 % d'impressions négatives avant contre 95 % de ressentis positifs après.

Bien sûr, chaque touriste revient avec l'expérience qu'il veut et avec le regard qu'il veut, mais le tourisme équitable et solidaire prouve à lui seul que le tourisme permet l'ouverture d'esprit : d'accord ou pas d'accord, tout le monde se parle, échange et se nourrit de l'autre.

Ralentir, se regarder et discuter, est-ce que ça n'est pas ce dont on a le plus besoin aujourd'hui ?

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