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Jean-Didier Urbain : "Le touriste, ça n’est pas un gisement naturel"

Interview de Jean-Didier Urbain, deuxième partie


Anthropologue du tourisme et linguiste, Jean-Didier Urbain nous a accordé une longue interview que nous publions en trois volets. Attention, ce deuxième volet pourrait bien faire grincer des dents, car il confronte les voyagistes et l’évolution du tourisme.


Rédigé par le Lundi 18 Juillet 2022

Décryptage de Jean-Didier Urbain : les touristes ont-ils toujours besoin des professionnels du tourisme ? - crédit Frédéric BISSON - créative commons
Décryptage de Jean-Didier Urbain : les touristes ont-ils toujours besoin des professionnels du tourisme ? - crédit Frédéric BISSON - créative commons
Depuis toujours, l’être humain bouge. Il part à la découverte, ou bien il s’offre un refuge loin des autres. Jean-Didier Urbain montre d’ailleurs qu’il existe de nombreuses manières de partir.

On pourrait même dire qu’il existe autant de pratiques touristiques que de touristes. Pour autant, les professionnels de la profession en ont-ils conscience ?

Pour des besoins industriels, le secteur du tourisme a « classifié », et en un sens le tourisme durable ne fait pas autre chose : les touristes veulent de l’expérience et de la découverte de l’autre et en même temps la solitude face à la nature. Au fond, c’est qui, le touriste ? Et que veut-il ?

TourMaG.com - Dans l’inconscient collectif, le touriste est celui qui détruit et le voyageur, celui qui va à la découverte, est-ce que vous faites le même distingo ?

Jean-Didier Urbain :
Non, absolument pas. Le touriste est un voyageur. Dire l’inverse, c’est comme dire qu’un poireau n’est pas un légume, c’est une aberration lexicale et sémantique. Le touriste voyage, c’est un voyageur. Il le fait pour son agrément, c’est ce qui fait sa spécificité.

TourMaG.com - Si les premiers touristes voyageaient par leurs propres moyens, le tourisme s’est peu à peu organisé, il est devenu une industrie et s’est professionnalisé ?

Jean-Didier Urbain :
Oui, c’est l’invention, réellement, du tourisme. Au début, il y avait le touriste, c’est-à-dire celui qui part ; puis le tourisme, c’est-à-dire le phénomène, l’industrie.

L’amorce, c’est Thomas Cook au XIXème, puis les infrastructures qui se développent dans les années 80 - 90.

On commence à standardiser la pratique, on crée une homogénéité. Le touriste est plutôt conciliant, il s’adapte. On met alors en place un impératif de circulation, qui fonctionne auprès des classes populaires qui découvrent le voyage.

Aujourd'hui, c’est beaucoup moins le cas, parce que la clientèle change, qu’elle connaît et devient plus autonome.

Jean-Didier Urbain : "Le touriste s’est émancipé des voyagistes, dès les années 2000"

TourMaG.com - Les touristes n’ont plus besoin des professionnels pour organiser leur voyage ?

Jean-Didier Urbain :
Eh non ! Le touriste s’est émancipé des voyagistes, dès les années 2000.

Il y a bien eu la manne Chinoise pour combler la désaffection, mais désormais la plupart des touristes prennent en charge leur propre voyage.

Dans bien des cas, le tourisme marchand, c'est 20 à 30 % du tourisme d’une région. Dès lors, prendre la température du tourisme via les voyagistes uniquement, ça n’est plus représentatif.

Il vaut mieux prendre en compte les réservations des campings ou les ventes de van par exemple…
Jean-Didier Urbain
Jean-Didier Urbain

"Les voyagistes devraient arrêter de vouloir tout normaliser et écouter les désirs des touristes"

TourMaG.com - En fait, les professionnels du secteur devraient se remettre en question ?

Jean-Didier Urbain :
Ils doivent arrêter d’être hypocrites ou de se conduire en petits commerçants, il faut voir plus loin, regarder et tenir compte des changements, y compris sociétaux. D’autant qu’avec le covid, on a envie de se soustraire au collectif.

Le touriste n’est pas un gisement naturel. On ne peut rien prédire, on n’avait pas vu venir Trump, la pandémie, l’Ukraine… Mais si les choses suivent leur cour, le touriste va gagner de plus en plus en autonomie.

Nous sommes en pleine période de transition. Il faut changer, c’est valable aussi vis-à-vis des salariés. Près de 300 millions d’emplois se sont évaporés, parce que les salariés trouvent mieux ailleurs, qu’ils se tournent vers d’autres secteurs.

Mais pour en revenir au touriste : les voyagistes devraient arrêter de vouloir tout normaliser et écouter les désirs des touristes.

TourMaG.com - Quelles sont ces envies ?

Jean-Didier Urbain :
Elles sont multiples, justement.

Le « bon touriste » devrait être celui qui veut découvrir, qui va aller dans les musées, ou à la rencontre du patrimoine local… Mais on n’a pas forcément envie de découvrir.

On peut chercher du dépaysement comme de repaysement (le retour aux racines) : on peut avoir envie de retrouver, c’est tout à fait autre chose, ou bien au contraire d’oublier.

Les comportements sont très variés et il faut en tenir compte.

" Le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant."

TourMaG.com - Dans le tourisme durable, on parle beaucoup de se tourner vers l’humain et la rencontre ?

Jean-Didier Urbain :
Certains peuvent vouloir aller à la rencontre de l’autre, mais certains peuvent aussi vouloir le fuir. Pensez au pèlerin, qui n’a aucune envie d’aller à la rencontre de l’autre : lui, ce qu’il veut, c’est rencontrer Dieu !

Les stéréotypes ont la peau dur : on parle de la rencontre, mais c’est une illusion ! Pour certains, c’est le cadet de leur souci, du moins il n’y a pas que ça. Certains voyagent pour éviter l’autre, ceux qui vont dans le désert recherchent avant tout le silence et la solitude, c’est un isolement.

Encore une fois : arrêtons de normaliser, il faut écouter les désirs.

TourMaG.com - Si les désirs sont divers, les réponses doivent l’être aussi : moins d’industrialisation, plus à petite échelle ?

Jean-Didier Urbain :
On commence à imaginer d’autres moyens. Certains proposent des ailleurs lointains, dans des pays plus rares. D’autres se tournent vers des thématiques de niche : l’histoire, la botanique, etc. Au XIXème siècle, il y avait le tourisme savant ou scientifique. Ce sont aussi des créneaux.

Bien sûr, il y a aussi le luxe, on s’occupe de tout de A à Z, mais c’est autre chose, ça ne renvoie pas à la réalité des pratiques dans le monde, c’est certes très lucratif, mais marginal.

Nous sommes en période de forte modification. L’environnement, l’état du monde, les territoires et les pratiques se modifient. Les rapports entre le touriste et les autochtones quels qu’ils soient aussi.

Pourtant, le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, on redémarre avec les mêmes erreurs, les mêmes excès. Pour éviter le surtourisme il vaut que les voyagistes et nous tous nous changions.



Une problématique sociétale et politique ? C’est justement le thème de notre troisième et dernière partie : « Il faut imaginer le touriste heureux », bientôt publié dans la rubrique Voyages Responsables de TourMaG.com

En attendant, vous pouvez lire la première partie de ce triptyque :
Surtourisme : quelle solution quand tout déborde ?

Les Césars du Voyage Responsable

Rappelons que TourMaG et le Petit Futé organisent "Les Césars du Voyage Responsable".

Forts d’une audience mensuelle de plusieurs millions d’internautes, les deux titres assureront la promotion BtoBtoC des projets candidats.

Cet événement débutera en septembre 2022 avec la phase des votes qui durera jusqu'en février 2023.

La cérémonie des Césars du Voyage Responsable, quant à elle, aura lieu en mars 2023.

Si vous souhaitez candidater, prenez rendez-vous ci-dessous avec Fabien da Luz, DG associé de TourMaG.com.

A lire aussi : Césars du Voyage Responsable : “Il y a une urgence à agir dans notre métier…”



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