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Tunisie : la victoire de Nidaa Tounes, un tournant et un nouvel élan pour le tourisme ?

l'interview de Moez Kacem, expert du tourisme tunisien


C'est un parti laïque, Nidaa Tounes, qui est arrivé en tête des élections législatives dimanche 26 octobre 2014. Il est suivi par le parti islamiste Ennahda. Quelle est la place du tourisme dans leurs programmes respectifs ? Leur présence majoritaire au Parlement tunisien est-elle une bonne nouvelle pour le tourisme en Tunisie ? Moez Kacem, Tunisien, expert en tourisme, a suivi de près la campagne. Il fait le point au lendemain du scrutin.


Rédigé par Pierre CORONAS le Vendredi 31 Octobre 2014

Après les élections législatives, le Parlement tunisien devra se mettre au travail jusqu'aux prochaines élections présidentielles fin février 2015 - Photo J.D.L.
Après les élections législatives, le Parlement tunisien devra se mettre au travail jusqu'aux prochaines élections présidentielles fin février 2015 - Photo J.D.L.
TourMaG.com – Avant les élections législatives tunisiennes, vous avez étudié la place du tourisme dans les programmes respectifs des différents partis en lice. Quelles ont été vos conclusions ?

Moez Kacem :
"J'ai constaté de nombreuses similitudes entre les différents programmes des partis en ce qui concerne la place du tourisme.

En général, le sujet y était traité superficiellement. Quasiment tous les partis partageaient un diagnostic mais aucun ne donnait de solutions concrètes."

TourMaG.com – Nidaa Tounes et Ennahda sont les deux partis qui arrivent en tête à l'issue du scrutin. Quelles sont leurs visions respectives du tourisme ?

M.K. :
"Les positions des deux partis à propos du tourisme présentent plusieurs similitudes. Les deux considèrent le secteur comme stratégique, même s'ils en ont des conceptions bien différentes.

Par ailleurs, ils sont d'accord sur le fait que le tourisme tunisien a besoin d'être diversifié. Par la création de circuits d'écotourisme et l'aménagement de sites culturels et historiques pour Nidaa Tounes, et par la promotion du tourisme saharien et la mise en place d'un organisme spécialisé basé au Sud pour Ennahda.

Les deux partis partagent aussi la conviction que le tourisme doit être restructuré en Tunisie. Si Ennahda évoque la solution des partenariats solides avec les professionnels, Nidaa Tounes opte plutôt sur la réactivation du Conseil supérieur du tourisme.

Tous les deux misent sur la formation et la qualité. Ils disent que, dans ce sens, le secteur doit bénéficier d'une importante réforme.

Ils partagent aussi l'idée qu'il est indispensable de régler le problème de l'endettement des hôteliers tunisiens. Mais, ni l'un ni l'autre n'a proposé de solution précise pour y parvenir pendant la campagne.

Ils ne se sont pas non plus prononcés sur le projet de loi sur l'AMC (Assets Management Compagny, Ndlr, voir encadré). Sur ce point, ils ont adopté la stratégie de la fuite en avant pour ne pas se froisser avec leurs électeurs."

TourMaG.com – Nidaa Tounes et Ennahda seront donc en majorité au Parlement tunisien. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle pour le tourisme dans le pays ?

M.K. :
"Ennahda est déjà au pouvoir depuis 2 ans. Ce parti islamiste n'est pas favorable à une gouvernance du tourisme.

Le secteur contredit certains de ses principes et ceux de ses partenaires, sur la consommation d'alcool notamment. Voilà pourquoi, il a préféré nommé des ministres du tourisme extérieurs au parti.

En revanche, Nidaa Tounes, parti laïque, pourrait, lui, donner un nouvel élan au tourisme tunisien. Encore faut-il que ses dirigeants en aient la volonté politique. J'espère qu'ils s’attelleront à restructurer le secteur et à créer une gouvernance participative à laquelle les professionnels seront associés."

Moez Kacem - Photo DR
Moez Kacem - Photo DR
TourMaG.com – Au lendemain des élections législatives, le ministère des Affaires étrangères (MAE) français a émis un avis favorable sur la destination dans ses « Conseils aux Voyageurs ». Qu'en pensez-vous ?

M.K. :
"C'est un bon début, un pas essentiel. Mais la levée des restrictions françaises vis-à-vis de la sécurité en Tunisie ne changera pas grand chose en elle-même.

Le marché français du tourisme souffre lui aussi de problèmes qui lui sont propres. Certains tour-opérateurs français majeurs qui travaillent sur la Tunisie sont en difficulté actuellement.

Je pense qu'il faut désormais que la Tunisie et les acteurs français du tourisme travaillent ensemble sur les produits et l'image de la destination."

TourMaG.com – Justement, pendant la campagne, Nidaa Tounes proposait de construire une nouvelle image de marque pour la destination Tunisie...

M.K. :
"Oui, le parti a proposé la construction d'une nouvelle image qui reposerait sur les notions de « civilisation » et de « créativité ». Il compte, visiblement, favoriser le tourisme culturel.

Mais vont-ils conserver le côté balnéaire qui, actuellement, constitue le cœur du tourisme en Tunisie ou vont-ils le laisser de côté pour se concentrer uniquement sur la partie culturelle ?

Si le balnéaire est abandonné, les tour-opérateurs internationaux devront adapter leur approche et leurs productions. Et il faudra les convaincre !

Malgré tout, Nidaa Tounes a évoqué la possibilité de créer de nouveaux centres de loisirs dans les régions intérieures, comme celle de Tabarka par exemple. Cela me semble témoigner d'un certain attachement au balnéaire."

TourMaG.com – Selon vous, quelles sont les mesures les plus urgentes à adopter pour le tourisme en Tunisie ?

M.K. :
"Dans un premier temps, il est très important de rétablir des instances de gouvernance sectorielles comme le Conseil supérieur du tourisme. Elles pourraient servir à orienter les travaux de restructuration dans le bon sens.

Les institutionnels ne peuvent pas tout faire seuls. Il faut impliquer les acteurs du secteur.

Il faut également favoriser la mise en place d'un Observatoire du tourisme sur le modèle de celui récemment mis en place pour l'environnement."

TourMaG.com – Nidaa Tounes et Ennahda proposent-ils des solutions pour régler le problème de l'endettement des hôteliers tunisiens ?

M.K. :
"Les deux partis sont conscients de ce problème majeur. Malheureusement, ils ne proposent pas de solutions pour le résoudre.

Par ailleurs, comme je l'ai expliqué précédemment, ni l'un ni l'autre n'a pris position au sujet du projet de loi sur l'AMC.

Pourtant, les hôteliers ont, eux, proposé des solutions sur ce sujet comme le rééchelonnement de leurs dettes avec un taux avantageux. Mais, pas sûr que le secteur bancaire les suivent sur ce point-là..."

TourMaG.com – Quelle sont les prochaines étapes importantes pour le tourisme tunisien ?

M.K. :
"La prochaine étape essentielle sera la validation de la stratégie touristique tunisienne à l'horizon 2020.

Ensuite, l'échéance majeure pour le secteur sera la nomination du prochain ministre du Tourisme. S'agira-t-il d'un professionnel, d'un administrateur ?

Son profil est important. Il faut une personnalité qui connaisse bien le secteur et qui y soit impliqué.

Sa nomination pourrait intervenir en février ou mars 2015. Certains estiment qu'il faut attendre les élections présidentielles de fin février 2015, d'autres non..."

Le projet de loi sur la création de la société de gestion d'actifs - ou AMC - vise à permettre la saisie des hôtels fortement endettés ou insolvables.

Il est vivement rejeté par la Fédération Tunisienne de l'Hôtellerie (FTH), les représentants des agences de voyages et l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Ces organisations craignent qu'il ouvre la porte à la concentration de secteur et à la vente de nombreux établissements à des entreprises étrangères.

Syndicats du personnel et du patronat dénoncent également ensemble l'attitude du gouvernement sur ce projet. Il le soupçonne de vouloir passer en force et déplorent l'absence de consultation du secteur. Ils brandissent notamment la menace d'une grève générale.

Face à cette opposition, l'examen du projet de loi a été ajourné. Son adoption ou son rejet devra être décidé par le prochain parlement (formé à l'issue de ces élections législatives) d'ici novembre 2014.

Moez Kacem est titulaire d'un D.E.S.S de Gestion Hôtelière et Touristique. Il dispose d'une longue expérience en tant que directeur d'hôtels.

Il est actuellement expert international en gestion et développement de territoires touristiques et de sociétés hôtelières. Il enseigne dans plusieurs universités internationales.

Il occupe également des fonctions de consultant formateur pour la FTC (François Tourisme Consultants) en France et est Délégué Tunisie auprès de l'AMFORTH (Association mondiale pour la formation hôtelière et touristique).

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