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Crash San Francisco : "pas confondre compétence et strict respect des vitesses d’approche"

Jean Belotti, expert aérien et ancien commandant de bord


Jean Belotti, expert aérien et ancien commandant de bord, revient pour TourMaG.com, sur le crash du B777 d'Asiana Airlines sur l'aéroport de San Francisco, et sur les différentes hypothèses avancées pour expliquer la cause de cet accident.


Rédigé par le Lundi 15 Juillet 2013

L’un des passagers de l’appareil accidenté, David Eun (@Eunner sur Twitter), a publié cette image juste après avoir quitté l’avion par les toboggans de secours - DR
L’un des passagers de l’appareil accidenté, David Eun (@Eunner sur Twitter), a publié cette image juste après avoir quitté l’avion par les toboggans de secours - DR
TourMaG.com - Quels commentaires pouvez-vous faire sur le crash du Boeing 777 d'Asiana Airlines, survenu le samedi 6 juillet, à l'aéroport international de San Francisco ?

Jean Belotti :
Un mort, c’est une mort de trop !

Cela étant dit, ce crash n’a provoqué que le décès de deux passagers (dont un aurait été écrasé par un véhicule de pompier, dixit un porte-parole des pompiers de San Francisco) et une dizaine de blessés.

Pourtant, les chaînes de télévision américaines ont présenté un flot continu de flashes, redites, images et informations parcellaires - pendant des heures d’affilées - reprises par les chaînes françaises.

Elles ont saisi l’occasion d’exploiter intensément ce scoop pour améliorer leur audience car, comme à l’accoutumée, à brève échéance, l’événement ne fera plus l’objet que d’un court texte en bas d’écran, ayant été occulté par la survenance d’un autre sujet d’actualité.

Personnellement, j’ai même reçu l’enregistrement de la conversation entre les pilotes et la tour de contrôle, après la survenance du crash !

Cette surabondance d’informations sur la cause de deux décès est fortement disproportionnée quant on la compare - comme l’ont fait quelques auditeurs - aux centaines de milliers de morts et blessés, d’accidents de la route, par an et dans le monde !

À part tenir le grand public en haleine, pendant un ou deux jours, elle n’est d’ailleurs d’aucun intérêt pour la manifestation de la vérité.

TourMaG.com - Deux victimes et quelques blessés, sur 307 personnes à bord, ont conduit des auteurs à déclarer qu’il s’agissait d’un miracle ?

J.B. :
À la place du qualificatif de miracle, il est préférable de dire que les faibles conséquences sur les vies humaines résultent des progrès qui ont été réalisés par les avionneurs dans la solidité des carlingues ; de l’efficacité des stewards et hôtesses dans l’exécution de la procédure d’évacuation rapide l’avion ; et de la rapide intervention des équipes de secours et de pompiers.

TourMaG.com - Pour que le train d’atterrissage percute une digue avant de début de la piste, cela signifie que l’avion était trop bas et volait à une vitesse insuffisante. Il existe donc bien plusieurs constats qui permettent d’écarter certaines causes et d’en privilégier d’autres ?

J.B. :
Certes, et ce sont les experts qui confirmeront celle ou celles ayant été retenues.

Dans le cas présent, il semble que cette étape sera rapidement franchie. En revanche, l’analyse portera sur les faits contributifs, à savoir sur le comment et le pourquoi de cette trajectoire basse et de cette faible vitesse ?

TourMaG.com - Il a été dit que les deux pilotes aux commandes manquaient clairement d’expérience : le premier, le commandant, bien qu’expérimenté sur d’autres types d’appareils, était en formation et ne cumulait que 43 heures sur Boeing 777-200ER. Le second en place droite chargé de le former et qui le secondait dans le poste, venait d’obtenir sa licence d’instructeur et effectuait sa première mission. Donc, le niveau de compétence à bord était visiblement très bas !

J.B. :
Il s’agit d’une conclusion erronée.

En effet, après la réussite à la qualification théorique et pratique sur un type d’avion, les futurs pilotes (commandant et second pilote) effectuent des vols de reconnaissance de ligne, avec un commandant de bord instructeur, afin qu’ils aient fait connaissance avec les spécificités des principaux aérodromes du réseau fréquenté.

Donc, déclarer que le niveau de compétence était très bas est équivalent à remettre en cause le niveau des qualifications et le choix des instructeurs au sein de la compagnie Asiana Airlines, ce qui, à ce stade n’a pas été démontré !

Il est bon de savoir qu’Asiana, membre de Star Alliance depuis 2003, a transporté près de 16 millions de passagers en 2012, en toute sécurité.

Le seul accident connu remonte à 20 ans (en juin 1993, lorsqu'un Boeing 737 s'était écrasé sur une montagne dans le sud-ouest du pays).

De toute façon, le nombre d’heures de vol, l’ancienneté, la compétence des deux pilotes n’a rien à voir avec le strict respect des vitesses d’approche qui est une obligation essentielle enseignée dès les toutes premières heures de vol.

TourMaG.com - Pourtant, ce jour là, les vitesses d’approche n’ont pas été respectées ?

J.B. :
Une des premières vérifications que les enquêteurs effectueront sera de savoir si la piste d’atterrissage disposait d’un ILS (“Instrument Landing System”. Instrument donnant la position de l’avion par rapport à l’axe de piste et par rapport à la pente standard d’approche) et, dans l’affirmative, s’il était en fonctionnement.

Dans la négative :

- la justice dira s’il est acceptable qu’un aéroport international ne dispose pas d’un tel moyen de guidage des avions ;
- cela expliquerait le fait que l’équipage ait effectué une approche à vue, alors qu’après un vol de plus de 10 heures, le choix d’une approche automatique est généralement adopté par les équipages, même par beau temps.

Le dépouillement des enregistreurs de vol montrera à partir de quand la vitesse est passée en dessous de la vitesse normale d’approche et à partir de quand l’avion a été en dessous du plan de descente standard. Les pilotes s’en expliqueront.

Les enquêteurs donneront leurs conclusions sur les éventuelles responsabilités techniques. La justice dira le droit.

TourMaG.com - Autrement dit, il faudra savoir pourquoi le plan de descente n’a pas été respecté ?

J.B. :
Exact ! Sachez qu’au sujet du plan de descente, le problème n’est pas nouveau.

Lorsque j’étais instructeur, effectuant des reconnaissances de ligne, pendant le début de l’approche finale, étant en vue de la piste d’atterrissage, je cachais le cadran de l’ILS en demandant au pilote de choisir le moment du début de la descente et de me dire quand il estimerait être sur la pente de descente standard et à la bonne vitesse.

Dès son annonce, je retirais le cache et il m'arrivait très souvent de constater que l’avion était au-dessus ou au-dessous du plan de descente standard.

Déjà, à cette époque, la plupart des pilotes n’étaient pas - ou plus - familiarisés au maintient d’une pente constante pendant l’approche.

Les plus à l’aise dans cet exercice étaient les pilotes d’origine militaire (armée de l’air, aéronavale, ALAT - Aviation légère de l'armée de terre), et ceux ayant pratiqué le vol à voile. Force est de constater que cette carence s’est renforcée au fil des ans, avec les systèmes en plus en plus automatisés.

Les pilotes les plus concernés sont ceux affectés sur les vols longs et très longs courriers, car le nombre d’atterrissages mensuels qu’ils peuvent faire est très faible.

Il résulte de ce constat qu’il ne s’agit pas d’incriminer l’incompétence des pilotes. Ce ne sont pas des kamikazes et ils ont payé un lourd tribu au fil des décennies.

Quant à ceux qui s’en sont sortis, on imagine le poids de leur traumatisme lorsqu’ils prennent conscience qu’ils étaient aux commandes de l’avion accidenté, de surcroît s’il y a de nombreuses victimes.

Puis, pendant des années, ils revivront, sans cesse, par la pensée, le film du crash, qui ne cessera de hanter leurs cauchemars.

En revanche, c’est sur la formation lors de la qualification de type qu’il convient de porter un regard critique. En effet, de nos jours, la quasi-totalité de cette formation se fait sur simulateur.

Par exemple, des pilotes sont “lâchés” sur un type d’avion, sans avoir fait, avec un instructeur, au moins un atterrissage par fort vent de travers !

Je dispose de toute une série de vidéos montrant des approches finales mouvementées, qui ont été suivies d’une remise de gaz ou d’un atterrissage dans des positions impressionnantes.

J’ai longuement décrit les insuffisances de la formation dispensée de nos jours et les conséquences qui en résultent, très souvent qualifiées de “faute de pilotage” !

Également suggéré de créer des stages d’entraînement à la maniabilité sur des petits modules. Malheureusement, le système n’est pas prédisposé à prendre de telles initiatives, étant accaparé par l’impérieuse nécessité de réaliser de drastiques réductions des coûts.

TourMaG.com - Précisément, le pilote aurait informé la tour de contrôle qu’il remettait les gaz ?

J.B. :
Lorsque le pilote aux commandes décide de faire une remise des gaz, il existe une procédure (répétée lors des stages de rafraîchissement annuels sur simulateurs) qui exige des actions rapides et une parfaite coordination entre les deux pilotes.

Il n’a jamais été envisagé d’en aviser la tour de contrôle. Ce n’est qu’une fois l’altitude de sécurité atteinte que le pilote contacte la tour de contrôle, afin de lui faire part de ses intentions, soit de refaire une nouvelle approche, soit de se diriger vers un autre aéroport.

TourMaG.com - Quels sont les cas qui imposent une remise de gaz lors d’une approche à vue ?

J.B. :
Lors d’une approche, dès que le pilote constate qu’il n’est plus sur le plan de descente standard, il sait comment y revenir en agissant sur la manette des gaz, la position des volets, les aérofreins, le train d’atterrissage et sur la pente.

Si, en courte finale, le pilote estime qu’il est trop haut, il remettra les gaz. En revanche, en cours d’approche, s’il estime qu’il est trop bas, il doit impérativement faire un pallier (c’est à dire voler à la même hauteur), en remettant des gaz pour maintenir sa vitesse d’approche (qui a été calculée, en fonction de la masse de l’avion, de la composante de vent de face, de la force des rafales).

Dès qu’il estimera être revenu sur le plan de descente standard, il reprendra sa descente normale. Le pilote sait également que s’il a été amené à réduire considérablement, voire complètement, les gaz, plusieurs secondes s’écouleront après la remise de gaz, avant d’obtenir la poussée maximale attendue.

Il est évident que si ces dispositions ne sont pas prises en temps utile, mais tardivement (moins de deux secondes avant de heurter la piste, a déclaré l'agence de sécurité aérienne américaine), de surcroît avec une vitesse très inférieure à la vitesse d’approche, donc l’avion étant très cabré, les conditions du crash cité sont remplies.

TourMaG.com - Quel crédit apporter à l’existence d’un “windshear” juste avant la piste, qui aurait plaqué l’avion au sol ?

J.B. :
Le “windshear” est un vent cisaillant qui, effectivement, entre-autre, augmente brutalement le taux de descente de l’avion.

Les pilotes connaissent la procédure à appliquer pour le contrer et connaissent la consigne d’afficher la poussée de remise des gaz, c’est-à-dire à reprendre de l’altitude, dès qu'un paramètre de conduite sort de sa plage de stabilisation, en dessous de 1.000 pieds.

De toute façon, dès lors que la trajectoire de l’avion est standard, c’est-à-dire fait passer l’entrée de piste à la hauteur minimale définie dans les textes, un effet résiduel d’un “windshear”, dès lors qu’il a été contré, n’est pas dramatique.

De plus, pour ce qui concerne ce vol, ni le relief environnant, ni les conditions météorologiques du jour n’étaient susceptibles de créer un “windshear”.

En effet, les manifestations de “windshear’ (d’ailleurs non annoncées par la tour de contrôle, sauf si cette dernière en a été informée par un avion qui vient d’atterrir) n’existent que lors de conditions météo dégradées, associées à des rafales de vent verticales (courants ascendants et rabattants), avec changements de direction.

TourMaG.com - Il reste que tout le monde souhaiterait connaître la cause de cet accident ?

J.B. :
Si, comme déclaré “il n’existe aucune indication d'un quelconque acte terroriste ou criminel lié à l'accident et aucune avarie technique”, étant donné que les pilotes s’en sont sortis indemnes et que les enregistreurs de vols des paramètres de vol (vitesse, altitude, poussée des réacteurs, température, accélérations, etc...) et des bruits et conversations dans le cockpit, sont exploitables, le NTSB (“National Transportation Safety Board”, organisme américain chargé des enquêtes diligentées à la suite d’accidents aériens) devrait être en mesure, dans de brefs délais, de révéler les causes de ce crash.

Alors, comme je le suggère après chaque accident, prudence dans les conclusions résultant d’éléments isolés et laissons les enquêteurs diligenter leurs travaux et donner leur avis, tous éléments ayant été pris en compte.

*Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.

"Les accidents aériens, pour mieux comprendre". Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26

"Les Titanics du ciel". FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4

"Chroniques aéronautiques". VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence

"Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr

"Une passion du ciel". NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris

"Pour mieux comprendre… Le transport aérien", Editions VARIO. Préface de Gérard FELDZER, 2012

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Tags : asiana, b777, belotti
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