Echos du Large commercialisait Crystal Cruises, Holland America, Norwegian Cruise Line, Princess Cruises et Carnival, toutes d'excellentes compagnies mais dont le moins qu'on puisse dire est que le marché français n'était pas leur priorité - Capture écran
Pas facile, surtout, ce positionnement d'agent général, qui prend de plein fouet les politiques fluctuantes des compagnies représentées et, pour certaines, leurs errements tarifaires.
Je vais vous raconter comment ça se passe : âmes sensibles, sortez vos mouchoirs.
Au départ (je vous parle d'un temps déjà lointain, celui des années 1970 à 90), tout paraissait simple.
Une compagnie de croisière décidait de s'attaquer à un marché sur lequel elle n'était pas ou très peu présente, ou qu'elle ne connaissait pas suffisamment.
Plutôt que de se lancer seule en ouvrant ses propres bureaux, elle décidait alors de se faire commercialiser, en France par exemple, par une entreprise qui serait son agent général (GSA = General Sales Agent) et la représenterait pleinement et exclusivement.
Qui pouvait être cet agent général ? Une société spécialisée en représentation commerciale, un tour operator, lorsque la compagnie était très identifiée à une destination, ou même une société créée à cette fin. Dans les années dont je parle, on était encore bien loin de la dérégulation générale et du business sauvage, et chacune des parties était relativement bien protégée.
Je vais vous raconter comment ça se passe : âmes sensibles, sortez vos mouchoirs.
Au départ (je vous parle d'un temps déjà lointain, celui des années 1970 à 90), tout paraissait simple.
Une compagnie de croisière décidait de s'attaquer à un marché sur lequel elle n'était pas ou très peu présente, ou qu'elle ne connaissait pas suffisamment.
Plutôt que de se lancer seule en ouvrant ses propres bureaux, elle décidait alors de se faire commercialiser, en France par exemple, par une entreprise qui serait son agent général (GSA = General Sales Agent) et la représenterait pleinement et exclusivement.
Qui pouvait être cet agent général ? Une société spécialisée en représentation commerciale, un tour operator, lorsque la compagnie était très identifiée à une destination, ou même une société créée à cette fin. Dans les années dont je parle, on était encore bien loin de la dérégulation générale et du business sauvage, et chacune des parties était relativement bien protégée.
Au départ l'agent général avait une obligation de moyens
L'agent général, s'il avait bien négocié son contrat, disposait de trois atouts essentiels : un taux de commission suffisamment généreux pour lui permettre de vivre de ses ventes tout en rémunérant les distributeurs aux conditions habituelles.
Un budget marketing, fonction d'un plan d'action commercial établi annuellement entre la compagnie et l'agent général. Et l'exclusivité, qui permettait de s'assurer que les retombées des efforts opérationnels et des engagements financiers consentis par l'agent général lui revenaient effectivement.
La compagnie, de son côté, avait des exigences fortes et légitimes : l'agent général avait une obligation de moyens (pub, salons, brochures, relations presse, service de réservation etc.), et devait agir pour la compagnie dans le respect de son image et de ses normes de communication.
Il y avait de facto une obligation de résultats, et cet équilibre a permis à bien des compagnies de croisières (et même de ferries) de se développer sur le marché français.
Un budget marketing, fonction d'un plan d'action commercial établi annuellement entre la compagnie et l'agent général. Et l'exclusivité, qui permettait de s'assurer que les retombées des efforts opérationnels et des engagements financiers consentis par l'agent général lui revenaient effectivement.
La compagnie, de son côté, avait des exigences fortes et légitimes : l'agent général avait une obligation de moyens (pub, salons, brochures, relations presse, service de réservation etc.), et devait agir pour la compagnie dans le respect de son image et de ses normes de communication.
Il y avait de facto une obligation de résultats, et cet équilibre a permis à bien des compagnies de croisières (et même de ferries) de se développer sur le marché français.
Le concept foireux de "Main Agent" (agent principal)
Mais à l'entrée du troisième millénaire, tout s'est mis à déraper et ce bel équilibre s'est effondré. On a vu des compagnies commencer à refuser les clauses d'exclusivité, allant jusqu'à créer le concept foireux de "Main Agent" (agent principal), se libérant par là même de la clause d'exclusivité.
Les budgets marketing ont fondu jusqu'à disparaître totalement, et les pauvres agents généraux se sont retrouvés avec toutes les dépenses commerciales et marketing sur le dos et pour seul revenu ce qui leur restait des commissions désormais distribuées plus chichement par les compagnies alors même que les coûts de distribution augmentaient régulièrement.
Du côté des agents généraux, c'était un peu la guerre : il fallait désormais, pour survivre, avoir un maximum de compagnies "en portefeuille" pour arriver à survivre. Les coups bas n'étaient pas rares.
Les plus perfides avaient lieu, souvent, lors des workshops, salons et autres congrès type "Pow Wow" lorsque l'ensemble des acteurs se rencontraient.
On a vu des tour operators aller trouver telle compagnie représentée par leur concurrent pour se plaindre qu'on leur faisait du refus de vente, d'autres faire courir des bruits sur la santé financière de tel ou tel agent général et plein d'autres petites vilénies, enfin bref, rien de très joli.
Les budgets marketing ont fondu jusqu'à disparaître totalement, et les pauvres agents généraux se sont retrouvés avec toutes les dépenses commerciales et marketing sur le dos et pour seul revenu ce qui leur restait des commissions désormais distribuées plus chichement par les compagnies alors même que les coûts de distribution augmentaient régulièrement.
Du côté des agents généraux, c'était un peu la guerre : il fallait désormais, pour survivre, avoir un maximum de compagnies "en portefeuille" pour arriver à survivre. Les coups bas n'étaient pas rares.
Les plus perfides avaient lieu, souvent, lors des workshops, salons et autres congrès type "Pow Wow" lorsque l'ensemble des acteurs se rencontraient.
On a vu des tour operators aller trouver telle compagnie représentée par leur concurrent pour se plaindre qu'on leur faisait du refus de vente, d'autres faire courir des bruits sur la santé financière de tel ou tel agent général et plein d'autres petites vilénies, enfin bref, rien de très joli.
L'esprit BB, le Business Bourrin
Dans ce contexte, chaque année, les agents généraux craignaient de perdre une ou plusieurs représentations si leurs résultats n'étaient pas conformes aux prévisions des compagnies – ou à leurs rêves.
Le pire du pire, c'est lorsque l'agent général, au bout de longues années, arrivait à obtenir des résultats supérieurs aux prévisions. Là, il arrivait que le compagnie se dise : le marché est mûr, notre nom n'est plus inconnu, on y va.
Elle quittait alors son agent général et montait sa propre filiale ou succursale. Il y avait dans tout cela un peu de machiavélisme et surtout beaucoup d'opportunisme et, de toute évidence, un parfait cocu : l'agent général.
Avec l'arrivée des nouvelles technologies et du web, ça ne s'est pas arrangé évidemment. Ajoutez la crise, les coûts de fonctionnement de plus en plus insupportables, on est désormais dans le chaos le plus complet et l'agent général en tant que tel n'existe quasiment plus.
Chacun prend le client là où il peut, comme il peut, à tous prix et à tout prix. Plus de règles, on passe en force. C'est l'esprit BB, le Business Bourrin.
Le pire du pire, c'est lorsque l'agent général, au bout de longues années, arrivait à obtenir des résultats supérieurs aux prévisions. Là, il arrivait que le compagnie se dise : le marché est mûr, notre nom n'est plus inconnu, on y va.
Elle quittait alors son agent général et montait sa propre filiale ou succursale. Il y avait dans tout cela un peu de machiavélisme et surtout beaucoup d'opportunisme et, de toute évidence, un parfait cocu : l'agent général.
Avec l'arrivée des nouvelles technologies et du web, ça ne s'est pas arrangé évidemment. Ajoutez la crise, les coûts de fonctionnement de plus en plus insupportables, on est désormais dans le chaos le plus complet et l'agent général en tant que tel n'existe quasiment plus.
Chacun prend le client là où il peut, comme il peut, à tous prix et à tout prix. Plus de règles, on passe en force. C'est l'esprit BB, le Business Bourrin.
Que restera-t-il dans quelques années de tout cela ?
Les seuls qui résistent encore sont ceux qui représentent des compagnies prestigieuses ou simplement uniques, ou les deux, et qui en représentent beaucoup.
Ils ne sont pas nombreux mais bien sûr le plus connu, c'est la CIC de Rémy Arca, grâce à une stratégie bien conçue et dont il ne s'est jamais départi, celle d'une vraie loyauté avec les agences de voyages et d'une réelle présence de son équipe sur le marché.
C'est bien mérité, car il me semble me souvenir qu'avant de créer la CIC, Rémy Arca était l'agent général d'une grande compagnie de croisières américaine qui l'avait plaqué d'un coup pour une autre représentation avant d'ouvrir son propre bureau avec grand fracas puis de virer quelques mois plus tard les deux tiers de ses employés. La suite reste à écrire, bien sûr.
Que restera-t-il dans quelques années de tout cela ? Déjà, combien parmi vous savaient encore ce qu'est un "agent général" ? Ces systèmes de distribution à l'ancienne sont essoufflés, laminés par les nouvelles technologies, le marketing digital et autres virtualités.
Il n'y a rien à regretter, c'est le cours normal des choses, et ça crée plein de nouveaux métiers passionnants. Mais pour ma part, je garde un souvenir assez excitant de l'époque des vrais contrats de GSA où lorsqu'on était choisi par une compagnie, on se sentait littéralement investi par elle, on s'appropriait son image, dans un accord équilibré et fructueux pour les deux parties.
Les compagnies couvaient leurs agents généraux, et ceux-ci se battaient pour elles comme des lions.
C'était simple et, bien souvent, ça marchait.
Ils ne sont pas nombreux mais bien sûr le plus connu, c'est la CIC de Rémy Arca, grâce à une stratégie bien conçue et dont il ne s'est jamais départi, celle d'une vraie loyauté avec les agences de voyages et d'une réelle présence de son équipe sur le marché.
C'est bien mérité, car il me semble me souvenir qu'avant de créer la CIC, Rémy Arca était l'agent général d'une grande compagnie de croisières américaine qui l'avait plaqué d'un coup pour une autre représentation avant d'ouvrir son propre bureau avec grand fracas puis de virer quelques mois plus tard les deux tiers de ses employés. La suite reste à écrire, bien sûr.
Que restera-t-il dans quelques années de tout cela ? Déjà, combien parmi vous savaient encore ce qu'est un "agent général" ? Ces systèmes de distribution à l'ancienne sont essoufflés, laminés par les nouvelles technologies, le marketing digital et autres virtualités.
Il n'y a rien à regretter, c'est le cours normal des choses, et ça crée plein de nouveaux métiers passionnants. Mais pour ma part, je garde un souvenir assez excitant de l'époque des vrais contrats de GSA où lorsqu'on était choisi par une compagnie, on se sentait littéralement investi par elle, on s'appropriait son image, dans un accord équilibré et fructueux pour les deux parties.
Les compagnies couvaient leurs agents généraux, et ceux-ci se battaient pour elles comme des lions.
C'était simple et, bien souvent, ça marchait.
François Weill - DR
François Weill a effectué la plus grande partie de sa carrière dans le tour operating et la croisière. Une carrière qu'il a débutée, après des études de philosophie, en 1974 chez American Express puis aux Croisières Paquet, avant de faire de sa propre entreprise, Scanditours, le 1er voyagiste français spécialiste des destinations nordiques.
A la fin des années 90, il vend Scanditours à Kuoni et, après une parenthèse de quelques années comme consultant, journaliste, et enseignant à l'université de Marne-la-Vallée, il crée la filiale française de Hurtigruten dont il assure la présidence et la direction jusqu'en 2010 avec le succès que l'on sait.
En 2008, le Roi Harald V lui a décerné le titre d'Officier de l'Ordre Royal du Mérite de Norvège, pour les services rendus au développement de cette destination sur le marché français.
Président de l'AFCC durant plusieurs années, François Weill a repris ses activités de consultant.
Contact :[ fw@francoisweill.fr]mail: fw@francoisweill.fr
A la fin des années 90, il vend Scanditours à Kuoni et, après une parenthèse de quelques années comme consultant, journaliste, et enseignant à l'université de Marne-la-Vallée, il crée la filiale française de Hurtigruten dont il assure la présidence et la direction jusqu'en 2010 avec le succès que l'on sait.
En 2008, le Roi Harald V lui a décerné le titre d'Officier de l'Ordre Royal du Mérite de Norvège, pour les services rendus au développement de cette destination sur le marché français.
Président de l'AFCC durant plusieurs années, François Weill a repris ses activités de consultant.
Contact :[ fw@francoisweill.fr]mail: fw@francoisweill.fr