Un stress peut être défini comme un évènement qui conduit à une réduction du succès reproducteur ou du taux de survie des individus. L’adaptation, c’est la réponse des individus qui tend à limiter la portée de ces effets néfastes.
Celle-ci peut se faire via la sélection des individus porteurs des gènes les plus efficaces, ou par des modifications immédiates du comportement (comme la migration) ou du fonctionnement de l’organisme (comme la réduction de la dépense énergétique en période de restriction alimentaire).
L’énorme différence entre ces deux mécanismes concerne la vitesse à laquelle ils peuvent agir : l’adaptation génotypique étant bien plus lente que l’adaptation phénotypique. La seconde peut apporter des réponses aux défis que nous impose le réchauffement climatique… Encore faut-il que nous acceptions d’y faire face.
L’heure n’est plus à la transition
Depuis 1990, les médias relayent régulièrement les rapports des scientifiques du GIEC sur le changement climatique ; mais ceux-ci demeurent peu accessibles aux non-initiés malgré « les résumés pour décideurs » d’une trentaine de pages qui accompagnent ces rapports et leur « traduction citoyenne » initiée en 2018.
L’utilisation qui en est faite par les gouvernements reste d’autre part plutôt obscure pour le commun des mortels. Rappelons qu’il n’est pas évident de se sentir concerné par des prévisions de modifications climatiques qui s’étalent sur des dizaines, des centaines d’années !
Pour que nous nous adaptions, il faut cesser de parler de « transition écologique » et de « développement durable » : leur temps n’est plus, en tout cas pour ce qui concerne le devenir des générations actuelles. Non pas que réduire l’impact de l’humain sur l’environnement à long terme ne soit pas noble et urgent, mais la sémantique utilisée est trompeuse.
Depuis cinquante ans, les scientifiques alertent sur la situation et l’avenir de notre environnement ; les années 1990-2010 auraient dû être celles de la transition écologique. Jusqu’ici les enjeux économiques ont toujours primé sur les enjeux écologiques. À chaque nouveau stress environnemental, nous cherchons un retour à la normale alors qu’est venu le temps de s’adapter.
Adaptation phénotypique, adaptation génotypique
Tirons les leçons de la crise actuelle : l’émergence d’un virus due à une surexploitation de l’environnement, d’une mortalité faible (2 %) entraînant une crise économique grave.
Et que dire de la défiance grandissante de la population vis-à-vis de gouvernements mal préparés à ce type de dangers ? Cela ne peut qu’augmenter les réponses défensives originelles ancrées en chacun de nous, qui peuvent s’avérer délétères pour notre organisation sociale basée sur la fraternité. Quelles seront les conséquences de l’émergence d’un virus au taux de mortalité plus élevé, ou simplement de la répétition décennale de la crise actuelle ?
L’enjeu de cette adaptation n’est pas la sauvegarde des espèces animales et végétales, mais bien celle de la pérennité de l’espèce humaine et de sa structure sociale actuelle.
On l’a vu plus haut, cette adaptation passe par deux étapes qui mêlent action à court (phénotypique) et à long terme (génotypique).
La première concerne la transformation de la vie quotidienne et locale par les plus petites unités de la société : régions, villes, associations, citoyens. Elle doit nous permettre de mieux résister aux stress environnementaux en organisant les structures urbaines et sociales qui sauront accompagner les modifications inévitables de nos existences.
La coopération à l’échelle locale reste la réponse adaptative la plus évidente aux yeux de l’évolution, ses bénéfices étant répartis entre les membres d’une communauté partageant proximité génétique (parentale) et culturelle.
La seconde concerne les sphères gouvernementales et internationales qui doivent œuvrer à un plus grand équilibre entre enjeux économiques et écologiques à l’échelle globale.
Ce niveau de changement échappe sans doute au simple citoyen, les grands fonctionnaires étant résilients aux valses des représentants nationaux. Ces administrations doivent entreprendre leurs propres mutations « génétiques » pour reconquérir la confiance de leurs citoyens et assurer leur rôle de dirigeant capable d’offrir un horizon sur l’évolution nécessaire des relations nationales et internationales.
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Quelle formation pour les élites ?
Les élites administratives sont-elles en mesure d’appréhender ces problèmes globaux ? Les échecs face aux modifications du monde liées à notre rapport à l’environnement permettent d’en douter : les années 1970 et ses chocs pétroliers ont entraîné des crises économiques et sociales dramatiques ; les années 2000 et les épisodes de canicule ont provoqué en 2003 la mort de 15 000 personnes en France ; cette année, la pandémie de Covid-19 a engendré une nouvelle crise économique.
L’État finance la recherche publique, des milliers de scientifiques travaillent sur ces questions et produisent chaque année des rapports et articles qui décrivent les causes et conséquences de telle ou telle modification environnementale. Les risques pandémiques des coronavirus l’ont été… depuis 2007.
Chez les gouvernants et hauts fonctionnaires, combien sont ouverts aux défis environnementaux, si l’on se place en dehors des seuls aspects économiques ? Que connaissent-ils du monde du vivant et des lois qui le régissent ?
Quelles sont les formations assurées sur ces questions à l’ENA ou tout autre grande école ?
Dans le projet de loi pluriannuelle de la recherche, un quota de recrutement de candidats issus des formations doctorales universitaires pour les postes de hauts fonctionnaires devait être revue à la hausse : cette option a été finalement écartée.
Revenons à la crise sanitaire actuelle : pour quelles raisons les médecins ont-ils davantage voix au chapitre pour conseiller le gouvernement, alors que le management d’une telle crise nécessite aussi de connaître les lois de l’évolution qui ont contribué à la relation hôte-parasite ? Telle la biodiversité du vivant qui tamponne les effets de l’environnement en créant par exemple des chaînes de résilience dynamiques, la biodiversité des formations préserve des erreurs d’appréciations et du manque de recul.
Un ministère de l’Adaptation écologique
Il nous faut aujourd’hui garantir que les deux grands mécanismes d’adaptation ayant permis l’évolution depuis la nuit des temps sont aussi à l’œuvre pour les êtres humains. À quand la mutation de notre actuel ministère de la Transition écologique en celui de l’Adaptation écologique ?
Derrière ce glissement sémantique se tiennent autant de pistes pour changer notre rapport au monde : des modifications locales simples (adaptation phénotypique) à celle en profondeur des organismes nationaux et internationaux de contrôle de l’empreinte humaine (adaptation génotypique) sur les écosystèmes.
Nous pourrions peut-être alors aborder avec cohérence les défis posés par la densité croissante de la population mondiale et la mutation vers une économique sobre. Ces processus sont d’un intérêt particulier pour un biologiste de l’évolution : si l’on considère que l’économie est un système clos, ayant échappé aux humains et évolué de lui-même en suivant ses propres règles, quel type d’adaptation pourrait nous permettre d’en reprendre le contrôle ?
Peut-être y a-t-il là un nouveau dialogue possible entre Darwin et Adam Smith…
Francois Criscuolo, Docteur en écophysiologie, CNRS, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.