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Futuroscopie : Revenge travel, réinvention... ces expressions feront-elles les nouvelles stratégies touristiques ? 🔑

Décryptage de Josette Sicsic, Futuroscopie


Surfant le plus souvent sur l’écume des faits, de nouvelles expressions se propagent dans les milieux professionnels, de colloques en rencontres.
Répétées à l’envi et reprises par des médias avides de spectaculaire et de nouveauté, ces expressions cèdent cependant volontiers à la facilité des clichés qui finissent par éluder la réalité. Mais, le pire réside dans leurs capacités à servir d’observatoires comportementaux et parfois de stratégies de développement… Que se passe-t-il ?


Rédigé par le Mardi 25 Octobre 2022

Tout le monde a voulu repenser, refaire, réinventer, re concevoir une activité touristique mise en pause pendant quelques mois, laissant planer l’idée que l’humanité avait pris conscience de la nécessité de vivre autrement. - Depositphotos.com Auteur Khakimullin
Tout le monde a voulu repenser, refaire, réinventer, re concevoir une activité touristique mise en pause pendant quelques mois, laissant planer l’idée que l’humanité avait pris conscience de la nécessité de vivre autrement. - Depositphotos.com Auteur Khakimullin
… L’inertie physique dans lequel nous a plongés le Covid et la période d’incertitude dans laquelle nous vivons n’ont pas eu que du mauvais. Elles ont réussi à dynamiser la créativité de beaucoup d’entre nous.

Elles ont aussi provoqué chez une grande partie de la population une prise de distance par rapport à un ordre établi qui a poussé certains à quitter leur emploi, s’inventer une nouvelle vie, fuir les villes.

Elles ont surtout développé la conscience environnementale et contribué à accélérer les actes qui rendront plus acceptable l’activité touristique. Enfin, elles ont démontré que l’avenir n’était pas linéaire et qu’un autre monde accoucherait dans la douleur de nouveaux modèles touristiques.

Les faits sont indéniables. Nous avons vécu un choc et nous savons que plus rien ne sera vraiment comme avant. Mais, nous entrevoyons aussi qu’il faudra longtemps pour reconfigurer comportements et modes de vie. Nous allons vivre entre hauts et bas, entre moments de dépression et moments de découragement, entre fausses analyses et réelles hypothèses.


Le miroir déformant de la réalité

Traduits par des mots et des expressions toutes faites, ces transformations ont bel et bien pris toutes sortes de tonalités. Ainsi, dès 2020, la sémantique tournant autour du « futur » et de la « réinvention » a fait florès.

Tout le monde a voulu repenser, refaire, réinventer, re concevoir une activité touristique mise en pause pendant quelques mois, laissant planer l’idée que l’humanité devenue « sage » et « responsable » avait pris conscience de la nécessité de vivre autrement. Sauf que la notion de « réparation » pour sa part, a été plutôt négligée alors qu’elle est complémentaire et indispensable à la transition et au changement.

On a, autre exemple, beaucoup utilisé le terme de « revenge travel » qui, une fois repéré parmi quelques nationalités, a été censé s’étendre à toutes les couches de la population touristique. Sauf que, quand les chiffres exacts des départs en vacances tomberont, on sera bien obligés d’admettre que les « revengers » n’étaient pas les plus nombreux et que bien des couches de population traditionnellement éloignées du voyage, sont restées chez elles tandis que, privées de train ou d’avion, d’autres ont dû reprendre le chemin de leur « home sweet home » pour tenter de compenser leurs envies de lointain par des « staycation » !

Autre cliché abondamment utilisé : le goût de la proximité et du local. Mais, l’aventure au coin de la rue ou au bout d’une route départementale a beau offrir matière à une recomposition du récit de voyages, elle n’en masque pas moins la frustration éprouvée par des amateurs d’exotisme en quête de lointain.

Là encore, attention : on est resté chez soi parce que la pandémie rodait, que bien des destinations étaient encore fermées et que l’inflation aidant on n’avait pas les moyens d’aller très loin !

De cette soi-disant passion pour le local, clamée à l’infini, est pourtant née une stratégie abondamment partagée consistant à se recentrer sur les clientèles de proximité auxquelles faire découvrir leur région. Une stratégie sage et sobre mais dont il ne faudra pas abuser car elle aussi présente des risques de « sur tourisme » avec le cortège de nuisances qui vont avec.

Les imaginaires doivent être re paramétrés

S’emparant de ces formidables et rapides transformations en matière de consommation, d’autres ( ou les mêmes) ont entamé une petite musique selon laquelle il était devenu indispensable de transformer le récit de voyage et de reconfigurer les imaginaires des vacanciers selon de nouveaux paradigmes faisant la part belle à des territoires non artificialisés, dénués de l’empreinte humaine, respirant bon le monde d’avant que l’on devrait sillonner en bicyclette ou à dos d’ânes histoire d’être en conformité avec les exigences de la transition climatique.

Or, ce récit est fait depuis longtemps par les médias et par les campagnes de promotion qui, via le concept de slow tourisme, ont imposé une nouvelle vision du tourisme.

Mais, de toutes façons, même repris, ce discours ne suffira pas à forger de nouveaux imaginaires car les imaginaires ne se décrètent pas. Ils sont l’œuvre d’un lent mécanisme combinant de nombreux paramètres sociaux, culturels, économiques, symboliques…

Par ailleurs, cette reconfiguration ne pourra masquer l’hypocrisie d’un secteur plus prompt à refaire décoller des avions, remplir des paquebots de croisières et autoriser des millions de voitures à prendre la route des vacances.

Sorte de cache misère mentale, la transformation des imaginaires n’est à mon avis qu’un roucoulement pseudo sociologique cherchant à donner bonne conscience à un monde « psychopathe » encore peu enclin à sacrifier son confort et ses habitudes. Il ne fait pas en tout cas une stratégie.

Le voyage d’une vie réhabilité

Autre antienne enfin, dans la même mouvance, celle consistant à vouloir réhabiliter le concept de « voyage d’une vie ». Devant la menace d’une limitation des voyages en avion (certes possible), il semblerait que le mythe du grand voyage attisé par les images des wagons de l’Orient Express (racheté par le groupe Accor) a toutes les chances de réhabiliter une envie collective de rareté, d’exception et de luxe.

Mais, à travers le concept de « voyage d’une vie », se combinent des notions d’élitisme contraires aux notions et aux tentatives de démocratisation des vacances et du voyage.

A l’aune des dernières estimations concernant les achats de voyages, le président des EDV a bel et bien évoqué les risques d’élitisme et gageons que cette idée se diffusera très largement.

Ainsi, un tout récent article consacré à Barcelone par notre confrère d’Équinoxe, s’appuyant sur le constat de tarifs hôteliers à la hausse dans la capitale catalane, évoque « les risques d’élitisme ». Or, les tarifs n’ont augmenté que de 15% et maintiennent Barcelone en dessous des tarifs de bon nombre de destinations ! Où est l’élitisme ?

Le slogan de « tourisme positif » inauguré par les toutes dernières rencontres de Marseille va aussi faire le bonheur de certains orateurs et médias.

Tout comme, il y a peu, la bienveillance qui s’est répandue comme une traînée de poudre dans les stratégies des uns et des autres. Mais, qui se donnera la peine d’expliciter ces mots et de leur donner un sens ?

… « En France, disait Georges Sand : les mots ont plus d’empire que les idées ». Tandis que Joseph Conrad déplorait que « les mots aient toujours plus de pouvoir que le sens ». Il ne faut donc pas en abuser sous prétexte de belles sonorités sans en avoir analysé le sens profond et son impact sur les esprits, et sur un secteur fragile et paradoxal comme le tourisme.

Josette Sicsic
Josette Sicsic
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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