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II - Vente directe : les croisiéristes ont eu la trouille de perdre leurs précieux accords avec les réseaux

La chronique de François WEIL


Voici que pour la énième fois depuis plus de quarante ans, la guerre des commissions entre distributeurs et tour opérateurs est repartie. Et cette fois avec une âpreté et une mauvaise foi, de part et d'autre, encore accrues par l'angoisse d'une situation économique de plus en plus dégradée. François Weil fait le tour de la question en deux volets : le premier analyse les relations et les enjeux entre les deux parties et le second, diffusé ce vendredi, celles spécifiques des croisiéristes.


Rédigé par François Weill le Mercredi 12 Décembre 2012

L le drame des compagnies de croisière (je parle bien sûr des "major", les grandes compagnies leader du marché), c'est de n'avoir pas su ou, plutôt, pas osé choisir... /photo JDL
L le drame des compagnies de croisière (je parle bien sûr des "major", les grandes compagnies leader du marché), c'est de n'avoir pas su ou, plutôt, pas osé choisir... /photo JDL
Dans le combat – on peut difficilement trouver un autre mot – qui oppose les producteurs aux agences, tous ne sont pas de force égale ni de même nature.

J'évoquais récemment les arguments, voire les anathèmes, prononcés par les uns contre les autres – et réciproquement.

Bien souvent, les agents de voyages se positionnent en victimes et en "preneurs de risques" face aux faillites potentielles des producteurs.

Oui, c'est vrai, ça existe et quelques exemples sont célèbres.

Mais à l'inverse, je connais pas mal de TO et de compagnies de croisières qui ont laissé un sacré paquet de plumes auprès d'agences en cessation de paiement qui jusqu'au bout leur ont fait croire que "le chèque était à la signature ", ou "égaré par la poste", et hop, le client partait, et le producteur n'était jamais réglé, l'agence ayant déposé le bilan.

Et les centrales de règlement, qui parfois n'étaient pas aussi sûres qu'elles le prétendaient ?

Et ce (tout petit) réseau dont les agences, lorsqu'un client annulait, appelaient systématiquement le TO en le suppliant de ne pas lui compter les frais d'annulation car il n'avait pas perçu l'acompte du client ?

En général, le TO faisait un effort commercial.

Jusqu'au jour où il s'est révélé que l'agence non seulement avait perçu l'acompte du client, mais lui avait facturé plein pot les pénalités d'annulation alors que le TO avait eu la gentillesse ou la naïveté de ne pas les lui facturer.

On pourrait continuer longtemps, dans les deux sens, des deux côtés : l'autre est toujours le méchant.

Deux types de producteurs

Les agences et les réseaux ne sont pas tous de même nature.

Les producteurs non plus. Ceux qui ont choisi le mode industriel, celui du tourisme de masse, les gros forfaits bien lourdingues, les produits banalisés, ceux-là n'ont qu'une alternative : ou bien posséder leur propre réseau de distribution, le plus gros possible, ou bien, et c'est la majorité...

Ou se faire distribuer tous azimuts par tous les canaux, les agences, le web, les associations, les clubs, les mutuelles, et j'en passe : c'est avant tout ceux-là qui sont actuellement la cible des agences de voyages.

Mais il existe d'autres TO, qui savent que pour avoir une stratégie claire de distribution, il faut avoir une stratégie claire de production.

Deux types de producteurs peuvent encore réellement choisir leur mode de distribution : ceux dont les produits sont élaborés, originaux, spécifiques, sur-mesure ou d'une exceptionnelle qualité, se trouvent quelle que soit leur taille dans une situation finalement plus favorable.

Les compagnies de croisières n'ont pas su choisir

Et puis surtout, ceux qui commercialisent un produit unique, qui leur est propre, soit qu'ils le possèdent, soit simplement qu'ils le maîtrisent. Ceux-là sont ceux pour lesquels il est le moins difficile de résister aux pressions parfois excessives des réseaux de distribution.

Et parmi ceux-là, eh bien oui, il y a les compagnies de croisière, évidemment.

Evidemment ? Pas tant que ça !

Car le drame des compagnies de croisière (je parle bien sûr des "major", les grandes compagnies leader du marché), c'est de n'avoir pas su ou, plutôt, pas osé choisir.

Il y a trente ans, la croisière était vendue par quelques toutes petites centaines d'agences de voyages tout au plus, avec méfiance et parcimonie mis à part quelques pionniers.

La phrase la plus entendue, à cette époque, par les commerciaux, était "On n'a pas la clientèle". Alors un jour, constatant enfin que personne ne le feraient à leur place, les compagnies on commencé à assurer leur propre promotion : Costa, en France, fut le pionnier, les autres suivirent ou naquirent dans la foulée.

On vit alors la croisière faire de la publicité à la télévision : grâce aussi au bouche à oreille et aux très rares agences qui identifièrent ce marché comme prometteur, une clientèle entièrement nouvelle fut développée.

Les compagnies ont eu la trouille !

C'était pour la croisière le moment de faire des choix : se concentrer sur les agences de voyages, dont le maillage territorial est le point fort essentiel, ou se lancer ouvertement dans la vente directe ?

Au même moment, Internet se développait de manière exponentielle, et il y avait là un outil qui allait se révéler extraordinairement performant.

Les compagnies de croisières auraient pu dire aux agences et aux réseaux : voilà, mettons les cartes sur la table, vos ventes ne suffisent pas à remplir les bateaux, nous allons donc vendre également en direct, et en nous en donnant tous les moyens, notamment par le web.

Mais vous resterez notre premier partenaire et… mais non, les compagnies n'ont pas fait ça.

Et vous savez pourquoi ?

Parce qu'elles ont eu la trouille !

La trouille de perdre leurs coûteux mais précieux accords avec les réseaux, alors, au lieu d'y aller franchement et de monter leurs propres sites web de vente directe, elles y sont allées en douce, par de nouveaux intermédiaires qui, flairant très intelligemment le filon, venaient d'arriver sur le marché, les agences web spécialisées sur la croisière.

La peur est décidément mauvaise conseillère

Ainsi, on vendait par internet sans le dire. Mais très vite, ces agences on line se sont révélées ultra performantes, et elles ont fait comme les réseaux traditionnels : elles ont fait monter les enchères.

Et une fois de plus, les compagnies de croisière ont payé. Cher ! Mais pour des résultats rapides et souvent impressionnants.

Le pire est qu'elles payent de plus en plus cher, histoire de ne pas laisser le concurrent prendre les devants. Car pas toujours, mais presque toujours, les télévendeurs de ces agences on line ont une part importante de leur rémunération basée sur leurs performances… non pas en chiffre d'affaires, mais en marge : autrement dit, plus un télévendeur vendra de produits bien commissionnés, plus il sera rémunéré.

Autrement dit encore, plus les commissions laissées par les compagnies seront élevées, plus fortes seront leurs chances d'être bien vendues. Vous voyez, on n'en sort pas…

La peur est décidément mauvaise conseillère : pour n'avoir pas décidé à temps de passer "officiellement" au développement des ventes directes sur la toile, les principales compagnies de croisières se sont littéralement livrées, abandonnées aux agences web spécialisées, dont les coûts de distribution sont tout aussi élevés que ceux des réseaux, mais dont la réactivité et la puissance commerciale se révèlent souvent supérieures.

Mieux vaudrait tout de même discuter

Compte tenu de la baisse des prix et de la diminution corrélative des ventes à bord, les compagnies n'en peuvent plus.

On comprend alors qu'elles ne puissent plus supporter, économiquement et intellectuellement, de rémunérer de la même manière des agences qui les vendent une fois par an et celles qui leur assurent un revenu régulier et important.

A cela, on peut toujours vouloir opposer le statu quo et crier que rien ne doit jamais changer, mais c'est vain : lorsqu'Adriana Minchella déclare dans nos colonnes que "Remettre nos commissions en cause est indécent", c'est un peu excessif, même si sa réaction est naturelle, j'allais dire pavlovienne.

Mieux vaudrait tout de même discuter pour de bon pour trouver une solution évitant le passage en force, d'une manière ou d'une autre.

Sinon, les compagnies de croisières devront forcément et rapidement faire des choix.


François Weill - DR
François Weill - DR
François Weill a effectué la plus grande partie de sa carrière dans le tour operating et la croisière. Une carrière qu'il a débutée, après des études de philosophie, en 1974 chez American Express puis aux Croisières Paquet, avant de faire de sa propre entreprise, Scanditours, le 1er voyagiste français spécialiste des destinations nordiques.

A la fin des années 90, il vend Scanditours à Kuoni et, après une parenthèse de quelques années comme consultant, journaliste, et enseignant à l'université de Marne-la-Vallée, il crée la filiale française de Hurtigruten dont il assure la présidence et la direction jusqu'en 2010 avec le succès que l'on sait.

En 2008, le Roi Harald V lui a décerné le titre d'Officier de l'Ordre Royal du Mérite de Norvège, pour les services rendus au développement de cette destination sur le marché français.

Président de l'AFCC durant plusieurs années, François Weill a repris ses activités de consultant.

Contact : fw@francoisweill.fr

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