Captain's speaking...
Cependant - alors que les pilotes sont sur la sellette - il se trouve que plusieurs de mes lecteurs (tous types de voyageurs confondus : touristes ou professionnels) ont manifesté le souhait d’en savoir un peu plus sur eux. Échappant à l’actualité, c’est donc bien volontiers que j’aborde le sujet, tout en étant conscient que traiter, en quelques pages, du métier de pilote de ligne est une gageure (a).
Mais, disons que cela peut être considéré comme une simple sensibilisation, avec plusieurs renvois en fin d’article à la disposition des curieux. C’est ainsi que, sans décrire les multiples facettes du travail du pilote, je commencerai, aujourd’hui, par présenter brièvement quelques caractéristiques attachées aux phases principales du vol.
La préparation du vol
Tout débute par la préparation du vol. Deux heures avant le départ, l'équipage, avec la collaboration des "agents d'opérations" consulte tous les documents relatifs à la situation météorologique prévisible sur le parcours, sur le terrain de destination et sur celui de déroutement (b).
Il prend également connaissance des renseignements portant sur le fonctionnement des infrastructures de navigation en route et à destination, de la charge marchande à transporter (passagers et fret), ainsi que de nombreuses autres informations concernant le vol. Tous ces éléments étudiés, le Commandant de bord prendra un certain nombre de décisions essentielles.
Tout d’abord, il décide de la quantité de carburant à embarquer, ce qui me remet en mémoire cette anecdote : L'avion n'ayant pu attendre plus longtemps à la verticale d'un aéroport encombré, il s'était dirigé vers un aéroport voisin, ce qui avait conduit à la réflexion d'une passagère "Mais pourquoi le pilote n'a-t-il pas fait le plein avant de partir ?".
La réponse est simple. Au décollage, un avion ne peut être plus lourd qu'une certaine masse maximum autorisée. Pour respecter cette limitation, embarquer le carburant nécessaire pour la réalisation du vol peut, dans certains cas, conduire à ne pas pouvoir embarquer tous les passagers. La solution passe alors par un emport moindre de carburant et un éventuel atterrissage, dans une escale intermédiaire, pour "refaire du carburant".
Il est important de signaler que plus un avion est lourd, plus il consomme de carburant. Ainsi, le choix final de la quantité de carburant embarqué résulte toujours d'un compromis entre :
- avoir une quantité suffisante pour pallier toute difficulté à l'arrivée (c) ;
- et transporter du carburant dont on n'aura pas l'utilité (d).
Puis, il décide également de la charge marchande pouvant être transportée, du choix de la route, de l'altitude, de la vitesse de croisière, etc... toutes informations qui figureront dans un "plan de vol" signé par le Commandant de bord, confirmant, ainsi, son engagement à effectuer la mission, dans les conditions précisées par ses choix.
Arrivé à l'avion, l'équipage est occupé simultanément par trois tâches :
1°.- Technique : Inspection extérieure de l'avion, mise en route des équipements et vérification de leur bon fonctionnement, réalisation des check-lists, ...
2°.- Navigation : Contact avec les services du contrôle de la navigation aérienne et écoute permanente d'émissions radios spécifiques (e).
3°.- Commerciale : Contact avec les agents du sol au sujet des problèmes de chargement, d'embarquement des passagers et - de plus en plus souvent - des problèmes liés à la "sûreté" (f).
Le décollage
Puis, l’avion est autorisé à rouler pour se rendre à l’entrée de la piste en service, ce qui, sur la plupart des aéroports à grand trafic, prend une vingtaine de minutes, voire beaucoup plus pendant les heures de pointe ou par mauvaises conditions météorologiques.
Toutes vérifications effectués, c’est alors que le pilote libère la poussée des réacteurs en "poussant les manettes des gaz". L'avion commence à prendre de la vitesse, sous le contrôle de l'équipage, totalement concentré et absorbé par cette phase essentielle.
Le décollage est, en effet, une phase critique par le simple fait qu'il consiste, à partir d'une masse inerte de plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes, de lui donner, en moins d'une minute, la vitesse nécessaire pour la décoller du sol et lui permettre de monter dans le ciel.
Les décisions prises par l'équipage pendant cette courte période doivent être instantanées et les conséquences en résultant, nécessitent toute son habilité, son expérience et son sang-froid. En effet, l'accélération sur la piste de décollage, avant que l'avion ne prenne son envol, comporte deux phases, qu’il est bon de connaître, pour bien comprendre leur déroulement.
Î - Jusqu'à une vitesse dite "V1" (g) - qui est annoncée à haute voix par le pilote qui n'est pas aux commandes - la survenance de toute anomalie grave (feu moteur, arrêt moteur, ingestion d'oiseaux dans les réacteurs, ...) conduit le Commandant de bord à interrompre le décollage.
Il le fait à l'aide des moyens à sa disposition : réduction de la poussée des réacteurs, utilisation des "reverses" (inverseurs de jet), des freins et des aérofreins, ce qui lui permet d'arrêter l'avion avant l'extrémité de la piste.
Ï - Dès que cette vitesse "V1" est dépassée - quelle que soit la nature de la panne constatée - tout doit être mis en oeuvre pour continuer le décollage, puisque toute interruption conduirait à sortir du bout de piste. Pour ce faire, il faut continuer à accélérer jusqu'à une vitesse dite "V2" (h), vitesse à laquelle l'avion peut s'envoler.
Il en résulte que toute panne grave (exemple: arrêt de deux moteurs sur quatre, suite à l'ingestion d'oiseaux), survenant entre ces deux vitesses de référence "V1" et "V2", est critique. En effet, en cas d'interruption de décollage, l'avion ne pourra être arrêté avant le bout de piste.
Et, en cas de poursuite du décollage, il n'est pas certain que l'accélération (des seuls moteurs restant en fonctionnement) permettra à l'avion d'atteindre la vitesse de décollage avant le bout de piste. Heureusement, cette éventualité est rarissime. Cela étant, l'équipage doit cependant l'envisager dans son schéma mental, afin d'être en mesure de réagir instantanément, d'où sa concentration extrême qui est la sienne, pendant cette phase.
Rassurons-nous. De toute façon, les pistes des aéroports internationaux étant très longues, la vitesse V1 est souvent égale à la vitesse V2. Ainsi, en cas de panne avant la vitesse V1, l'avion dispose d'une bonne marge pour s'arrêter avant l'extrémité de piste.
Le décollage se poursuit par la mise en montée. Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste en aérodynamique pour comprendre et admettre que pour faire monter de telles masses dans le ciel, tout en augmentant la vitesse, il faut disposer de la poussée des réacteurs, calculée pour la masse du jour de l’avion.
Or, sur presque tous les aéroports, existent ce que l'on nomme des "procédures anti-bruit" permettant de réduire la nuisance subie, parfois, par les riverains. Cette procédure consiste - dès qu'une certaine hauteur est atteinte, après la rentrée du train d'atterrissage - à réduire la poussée des réacteurs, ce qui peut être perçu par les passagers.
Il en résulte donc l'impossibilité d'augmenter la vitesse de l'avion, une réduction du taux de montée (voire l'obligation de maintenir le vol en palier), et la nécessité d'un pilotage extrêmement "pointu", surtout en cas de turbulences. Si ladite procédure n'est pas correctement respectée, cela figurera sur les enregistreurs de bruits au sol, et l'équipage sera sanctionné (i).
La croisière
La suite de la montée, jusqu'à l'altitude de croisière (on dit :"niveau de vol") peut se faire à différentes vitesses et différents taux de montée, en fonction des instructions du contrôle, des conditions météorologiques et des contraintes opérationnelles (consommation minimum de carburant, masse de l'avion).
En croisière, la conduite du vol consiste à veiller au respect de la trajectoire de l'avion, ce qui nécessite une vigilance permanente de l'équipage, toute déviation de trajectoire non perçue pouvant rapidement être dangereuse.
La vitesse des avions est telle que, deux minutes après un changement de cap de quelques degrés, l'avion peut se trouver sur une autre route aérienne, sur laquelle se trouvent d'autres avions, à la même altitude.
La surveillance constante des paramètres de vol (fonctionnement des réacteurs, suivi de la consommation de carburant, vérifications de navigation,...), la prise en compte des différents imprévus et de l'évolution de la situation météorologique, une bonne perception de l'environnement, permettent, en temps utile, de prendre les décisions qui s'imposent.
La descente et l’atterrissage
En fin de vol, le début de la descente est, soit choisi par le Commandant de bord, soit imposé par le contrôle de la circulation aérienne. La procédure d'approche peut être précédée d'une attente qui s'effectue dans des espaces du ciel bien délimités, avant d'obtenir l'autorisation de débuter l'approche finale. En fonction de la situation météorologique, différents types d'approches peuvent être effectués : à vue ou aux instruments (j).
L'approche se poursuit jusqu'à ce que l'avion arrive à une hauteur caractéristique ("minima") à laquelle, si le pilote ne voit pas la piste (ou perd la vue de la piste, suite à une diminution de la visibilité), il doit, impérativement, remettre les gaz, pour reprendre de l'altitude. Il peut, alors, soit tenter une nouvelle approche sur la même piste, soit se diriger vers un autre aérodrome.
Enfin, l’avion est prêt à atterrir. En vue de la piste, le pilote contrôle l'atterrissage qui peut être "manuel" ou - sous certaines conditions (k) - "automatique", avec différents degrés d'automatisation, selon le type d'avion (l).
Dès que la vitesse de l'avion a été suffisamment réduite, l'avion libère la piste d'atterrissage et utilise les voies de roulement pour se diriger vers son aire de stationnement.
À très faible vitesse et avec grande précaution, le pilote guidera son avion sur des taxiways, passant dans des espaces bien délimités, jusqu'à atteindre le point exact et final d'immobilisation. C’est pendant cette phase qu’il vous est indiqué de ne pas détacher votre ceinture de sécurité avant l’arrêt complet de l’appareil.
Contact est alors pris, par interphone, avec le préposé au sol qui confirme avoir placé les "cales" devant les roues (afin que l'avion reste immobile). Le pilote "coupe les moteurs", relâche les freins et l'équipage effectue, alors, la dernière check-list.
Lorsque l'échelle, la rampe de débarquement ou la plate-forme du bus à élévation a été correctement placée, certaines portes peuvent être ouvertes sur la gauche de l'appareil. Le débarquement des passagers est alors possible.
Une équipe procède, aussitôt, au déchargement des soutes à bagages. Puis, l'avion est assailli par plusieurs autres équipes chargées de la préparation de l'étape suivante. (m)
L’analyse du vol
À ce moment là, la mission étant accomplie, l’équipage procède au "debriefing" consistant à accomplir les différentes formalités et à rédiger divers compte-rendus, puis, prendra en compte des éléments du vol suivant.
Se pose alors, a posteriori, la question de l'analyse du vol qui vient d'être réalisé. L'expérience montre que les prévisions, à partir desquelles les conditions du vol ont été déterminées, ne se réalisent pas systématiquement. Il en résulte que le Commandant de bord est fréquemment amené à prendre des initiatives, afin d'assurer un bon déroulement du vol jusqu'à la destination finale.
Or, a posteriori, il sera toujours possible de considérer que le vol n'a pas été mené à bonne fin (n). Dans ce cas, le Commandant de bord devra "rendre compte", c'est-à-dire justifier ses décisions. Si la sécurité est effectivement le critère primordial qui le guide, il n'en reste pas moins vrai que, très souvent, il tient compte également d'autres critères: confort des passagers, ponctualité au départ et à l'arrivée, économie du vol, etc..., qui sont tous interdépendants.
Il est vrai qu’il est plus facile, au sol - confortablement installé dans un bureau disposant de toute la volumineuse documentation aéronautique - de porter une appréciation sur une décision qui, elle, a été prise en vol et en temps réel, souvent en quelques secondes. Parmi les nombreux exemples pouvant être cités, en voici deux qui montrent la nature de la difficulté.
- Changement de niveau de vol
Si l'avion subit de fortes turbulences dues au vol dans un "jet stream" (o), le Commandant de bord peut :
- soit privilégier le confort des passagers, c'est-à-dire demander l'autorisation au contrôle aérien de descendre à un niveau inférieur, sachant qu'il en résultera une augmentation de la consommation de carburant,
- soit privilégier la sécurité à l'arrivée, c'est-à-dire rester dans le "jet-stream" pour conserver intacte sa réserve de carburant, au détriment du confort des passagers.
Il est évident qu'a posteriori, si l'atterrissage s'est passé normalement, il est aisé de dire que la meilleure solution était celle du confort des passagers.
- Dégradation de la situation météorologique
Mais l'affaire est, en fait, plus compliquée. En effet, retenons l'hypothèse où le Commandant, pour améliorer le confort des passagers, a choisi de sortir du "jet stream", en acceptant donc une consommation supplémentaire de carburant.
Quid du cas où une dégradation météorologique, un encombrement de piste par un avion en panne, etc... oblige soit à demander un atterrissage en urgence ("emergency"), soit à aller se poser sur un terrain de fortune, n'ayant plus suffisamment de carburant pour se diriger vers le terrain de déroutement initialement prévu ?
Les textes précisent quelle doit être la quantité de carburant minimum à embarquer. En simplifiant, disons qu'elle comprend la quantité nécessaire pour aller du terrain de départ au terrain de destination et, en cas de nécessité, du terrain de destination au terrain de déroutement. Sont prévues également des réserves (de route, d'attente,...).
Or, ce que ne prend pas en compte la réglementation, c'est le fait que lorsqu'il n'est plus possible d'atterrir sur un terrain de destination (piste inutilisable car verglacée, enneigée, occupée par un avion en panne,...) ou que les délais d'attente - avant d'avoir l'autorisation de se poser - sont anormalement allongés, presque tous les avions vont également se diriger vers le même aérodrome de déroutement, provoquant un nouvel encombrement des voies aériennes, si bien que les réserves initiales peuvent s'avérer nettement insuffisantes.
C'est le cas de ce vol Paris/Boston où, après analyse de la situation météorologique, j'avais embarqué 10 tonnes de carburant de plus que la quantité précalculée par l'agent d'opération, au grand dam de l'économie de carburant.
À Boston, les pistes étant verglacées, tous les avions se sont dirigés vers leur terrain de déroutement. Le nôtre était New York, qui n'a pas pu être retenu, car le temps d'attente annoncé était supérieur à une heure. Nous nous sommes donc dirigés vers Washington, terrain également très encombré, ce qui nous a obligé de prolonger jusqu'à Philadelphie, où, finalement, nous nous sommes posés, avec de très faibles réserves.
--- *** ---
Ces exemples montrent qu'avant de porter un jugement sur la validité des décisions du Commandant de bord, il convient de bien prendre en compte la spécificité des conditions dans lesquelles il a été amené à intervenir. En effet, toutes les décisions du vol doivent tenir compte de nombreuses variables.
À un instant donné, plusieurs décisions logiques peuvent être prises. Elles varient, elles-mêmes, en fonction du pilote, de l'heure, de l'altitude, de la fatigue, de l'équipage, etc ... L’essentiel est de retenir que les équipages sont de mieux en mieux formés à la gestion des vols et que la sécurité reste leur préoccupation première.
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(a).- En complément, consulter l’ouvrage du Commandant Michel Jouanneaux "Le pilote est toujours devant - Reconnaissance de l’activité du pilote de ligne" - Octarès Edition Toulouse - 1999
(b) - Nébulosité, risque de givrage, de brouillard, de turbulence, de piste verglacée, ....
(c) - Attente imposée par le contrôle avant l'atterrissage, déroutement vers un aérodrome ayant de meilleures conditions météorologiques,...
(d) - Sur un vol Paris/New-York, pour un Boeing 747, pour une tonne de carburant supplémentaire, il ne reste qu’environ 0,7 tonne de disponible à l'arrivée.
(e) - Exemple, les messages dits "ATIS", indiquent la piste en service pour le décollage, les procédures de vol à respecter après le décollage, les conditions météorologiques, ainsi que d'autres informations.
(f) - Exemple: Contrôle des bagages non identifiés, recherche d'un passager non présent à bord, alors que ses valises ont été embarquées en soute, ...
(g) - Cette vitesse "V1" est calculée en fonction de la longueur de la piste, de la masse de l'avion, etc...
(h) - En fait, c'est la vitesse dite "VR" (vitesse de rotation) qui est annoncée, quelques secondes avant la vitesse "V2". "VR" est une vitesse à laquelle le pilote, par son action sur les commandes de vol, fait lever le nez de l'avion jusqu'à ce qu'il ait atteint la position lui permettant de décoller.
(i) - En cas de dépassement du niveau de bruit fixé, les compagnies sont également sanctionnées par des amendes. Un compagnie a révélé avoir, il y a quelques années, réglé une facture globale d'environ 100 MF, pour des taxes de bruit les plus diverses.
(j) - Approche à vue: Le pilote voit la piste et son environnement. Il contrôle donc sa trajectoire en agissant sur les commandes de vol et en regardant dehors, tout en suivant les indications données par ses instruments de bord.
Approche aux instruments: Le pilote guide l'avion uniquement en suivant les informations données par ses instruments de bord. L'approche peut être manuelle (le pilotage de l'avion est effectué par le pilote aux commandes) ; partiellement ou totalement automatique (le pilotage est assuré par un équipement nommé "PA", pour "Pilote Automatique").
(k) - Qualification de l'équipage pour ce type d'approche ; tous équipements en bon fonctionnement ; vent traversier ne dépassant une certaine force ; nature des équipements radioélectriques des installations au sol ; situation météorologique.
(l) - L'avion, répondant aux indications du pilote automatique, selon le cas, peut effectuer, de lui-même : l'arrondi (permettant à l'avion de diminuer son taux de descente et de prendre, doucement, contact avec le sol) ; la réduction de la poussée des réacteurs ; le maintien de l'avion au centre de la piste ; le freinage jusqu'à l'arrêt de l'avion.
(m) - Vidange des toilettes, nettoyage de la cabine, ravitaillement en boissons, nourritures, pompage du carburant, chargement des bagages et du fret, vérifications techniques etc...
(n) - Atterrissage sur un autre terrain que celui prévu, à cause d'un manque de carburant ; arrivée à destination avec une très faible réserve de carburant ; traversée de zones de turbulences ayant occasionné des dégâts à l'avion ou des blessures de passagers, n'ayant pas attaché leur ceinture de siège ; etc...
(o) - Le jet-stream est un fort courant d’air qui existe dans les deux hémisphères. Les très forts vents qui y sont rencontrés peuvent aller jusqu’à 500 km/h. Il en résulte soit des vitesses sol extravagantes (le vent poussant alors l’avion), soit des vitesses sol extrêmement réduites (le vent freinant l’avion), qui font varier la durée du vol et peuvent en perturber son déroulement par de fortes turbulences.
Mais, disons que cela peut être considéré comme une simple sensibilisation, avec plusieurs renvois en fin d’article à la disposition des curieux. C’est ainsi que, sans décrire les multiples facettes du travail du pilote, je commencerai, aujourd’hui, par présenter brièvement quelques caractéristiques attachées aux phases principales du vol.
La préparation du vol
Tout débute par la préparation du vol. Deux heures avant le départ, l'équipage, avec la collaboration des "agents d'opérations" consulte tous les documents relatifs à la situation météorologique prévisible sur le parcours, sur le terrain de destination et sur celui de déroutement (b).
Il prend également connaissance des renseignements portant sur le fonctionnement des infrastructures de navigation en route et à destination, de la charge marchande à transporter (passagers et fret), ainsi que de nombreuses autres informations concernant le vol. Tous ces éléments étudiés, le Commandant de bord prendra un certain nombre de décisions essentielles.
Tout d’abord, il décide de la quantité de carburant à embarquer, ce qui me remet en mémoire cette anecdote : L'avion n'ayant pu attendre plus longtemps à la verticale d'un aéroport encombré, il s'était dirigé vers un aéroport voisin, ce qui avait conduit à la réflexion d'une passagère "Mais pourquoi le pilote n'a-t-il pas fait le plein avant de partir ?".
La réponse est simple. Au décollage, un avion ne peut être plus lourd qu'une certaine masse maximum autorisée. Pour respecter cette limitation, embarquer le carburant nécessaire pour la réalisation du vol peut, dans certains cas, conduire à ne pas pouvoir embarquer tous les passagers. La solution passe alors par un emport moindre de carburant et un éventuel atterrissage, dans une escale intermédiaire, pour "refaire du carburant".
Il est important de signaler que plus un avion est lourd, plus il consomme de carburant. Ainsi, le choix final de la quantité de carburant embarqué résulte toujours d'un compromis entre :
- avoir une quantité suffisante pour pallier toute difficulté à l'arrivée (c) ;
- et transporter du carburant dont on n'aura pas l'utilité (d).
Puis, il décide également de la charge marchande pouvant être transportée, du choix de la route, de l'altitude, de la vitesse de croisière, etc... toutes informations qui figureront dans un "plan de vol" signé par le Commandant de bord, confirmant, ainsi, son engagement à effectuer la mission, dans les conditions précisées par ses choix.
Arrivé à l'avion, l'équipage est occupé simultanément par trois tâches :
1°.- Technique : Inspection extérieure de l'avion, mise en route des équipements et vérification de leur bon fonctionnement, réalisation des check-lists, ...
2°.- Navigation : Contact avec les services du contrôle de la navigation aérienne et écoute permanente d'émissions radios spécifiques (e).
3°.- Commerciale : Contact avec les agents du sol au sujet des problèmes de chargement, d'embarquement des passagers et - de plus en plus souvent - des problèmes liés à la "sûreté" (f).
Le décollage
Puis, l’avion est autorisé à rouler pour se rendre à l’entrée de la piste en service, ce qui, sur la plupart des aéroports à grand trafic, prend une vingtaine de minutes, voire beaucoup plus pendant les heures de pointe ou par mauvaises conditions météorologiques.
Toutes vérifications effectués, c’est alors que le pilote libère la poussée des réacteurs en "poussant les manettes des gaz". L'avion commence à prendre de la vitesse, sous le contrôle de l'équipage, totalement concentré et absorbé par cette phase essentielle.
Le décollage est, en effet, une phase critique par le simple fait qu'il consiste, à partir d'une masse inerte de plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes, de lui donner, en moins d'une minute, la vitesse nécessaire pour la décoller du sol et lui permettre de monter dans le ciel.
Les décisions prises par l'équipage pendant cette courte période doivent être instantanées et les conséquences en résultant, nécessitent toute son habilité, son expérience et son sang-froid. En effet, l'accélération sur la piste de décollage, avant que l'avion ne prenne son envol, comporte deux phases, qu’il est bon de connaître, pour bien comprendre leur déroulement.
Î - Jusqu'à une vitesse dite "V1" (g) - qui est annoncée à haute voix par le pilote qui n'est pas aux commandes - la survenance de toute anomalie grave (feu moteur, arrêt moteur, ingestion d'oiseaux dans les réacteurs, ...) conduit le Commandant de bord à interrompre le décollage.
Il le fait à l'aide des moyens à sa disposition : réduction de la poussée des réacteurs, utilisation des "reverses" (inverseurs de jet), des freins et des aérofreins, ce qui lui permet d'arrêter l'avion avant l'extrémité de la piste.
Ï - Dès que cette vitesse "V1" est dépassée - quelle que soit la nature de la panne constatée - tout doit être mis en oeuvre pour continuer le décollage, puisque toute interruption conduirait à sortir du bout de piste. Pour ce faire, il faut continuer à accélérer jusqu'à une vitesse dite "V2" (h), vitesse à laquelle l'avion peut s'envoler.
Il en résulte que toute panne grave (exemple: arrêt de deux moteurs sur quatre, suite à l'ingestion d'oiseaux), survenant entre ces deux vitesses de référence "V1" et "V2", est critique. En effet, en cas d'interruption de décollage, l'avion ne pourra être arrêté avant le bout de piste.
Et, en cas de poursuite du décollage, il n'est pas certain que l'accélération (des seuls moteurs restant en fonctionnement) permettra à l'avion d'atteindre la vitesse de décollage avant le bout de piste. Heureusement, cette éventualité est rarissime. Cela étant, l'équipage doit cependant l'envisager dans son schéma mental, afin d'être en mesure de réagir instantanément, d'où sa concentration extrême qui est la sienne, pendant cette phase.
Rassurons-nous. De toute façon, les pistes des aéroports internationaux étant très longues, la vitesse V1 est souvent égale à la vitesse V2. Ainsi, en cas de panne avant la vitesse V1, l'avion dispose d'une bonne marge pour s'arrêter avant l'extrémité de piste.
Le décollage se poursuit par la mise en montée. Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste en aérodynamique pour comprendre et admettre que pour faire monter de telles masses dans le ciel, tout en augmentant la vitesse, il faut disposer de la poussée des réacteurs, calculée pour la masse du jour de l’avion.
Or, sur presque tous les aéroports, existent ce que l'on nomme des "procédures anti-bruit" permettant de réduire la nuisance subie, parfois, par les riverains. Cette procédure consiste - dès qu'une certaine hauteur est atteinte, après la rentrée du train d'atterrissage - à réduire la poussée des réacteurs, ce qui peut être perçu par les passagers.
Il en résulte donc l'impossibilité d'augmenter la vitesse de l'avion, une réduction du taux de montée (voire l'obligation de maintenir le vol en palier), et la nécessité d'un pilotage extrêmement "pointu", surtout en cas de turbulences. Si ladite procédure n'est pas correctement respectée, cela figurera sur les enregistreurs de bruits au sol, et l'équipage sera sanctionné (i).
La croisière
La suite de la montée, jusqu'à l'altitude de croisière (on dit :"niveau de vol") peut se faire à différentes vitesses et différents taux de montée, en fonction des instructions du contrôle, des conditions météorologiques et des contraintes opérationnelles (consommation minimum de carburant, masse de l'avion).
En croisière, la conduite du vol consiste à veiller au respect de la trajectoire de l'avion, ce qui nécessite une vigilance permanente de l'équipage, toute déviation de trajectoire non perçue pouvant rapidement être dangereuse.
La vitesse des avions est telle que, deux minutes après un changement de cap de quelques degrés, l'avion peut se trouver sur une autre route aérienne, sur laquelle se trouvent d'autres avions, à la même altitude.
La surveillance constante des paramètres de vol (fonctionnement des réacteurs, suivi de la consommation de carburant, vérifications de navigation,...), la prise en compte des différents imprévus et de l'évolution de la situation météorologique, une bonne perception de l'environnement, permettent, en temps utile, de prendre les décisions qui s'imposent.
La descente et l’atterrissage
En fin de vol, le début de la descente est, soit choisi par le Commandant de bord, soit imposé par le contrôle de la circulation aérienne. La procédure d'approche peut être précédée d'une attente qui s'effectue dans des espaces du ciel bien délimités, avant d'obtenir l'autorisation de débuter l'approche finale. En fonction de la situation météorologique, différents types d'approches peuvent être effectués : à vue ou aux instruments (j).
L'approche se poursuit jusqu'à ce que l'avion arrive à une hauteur caractéristique ("minima") à laquelle, si le pilote ne voit pas la piste (ou perd la vue de la piste, suite à une diminution de la visibilité), il doit, impérativement, remettre les gaz, pour reprendre de l'altitude. Il peut, alors, soit tenter une nouvelle approche sur la même piste, soit se diriger vers un autre aérodrome.
Enfin, l’avion est prêt à atterrir. En vue de la piste, le pilote contrôle l'atterrissage qui peut être "manuel" ou - sous certaines conditions (k) - "automatique", avec différents degrés d'automatisation, selon le type d'avion (l).
Dès que la vitesse de l'avion a été suffisamment réduite, l'avion libère la piste d'atterrissage et utilise les voies de roulement pour se diriger vers son aire de stationnement.
À très faible vitesse et avec grande précaution, le pilote guidera son avion sur des taxiways, passant dans des espaces bien délimités, jusqu'à atteindre le point exact et final d'immobilisation. C’est pendant cette phase qu’il vous est indiqué de ne pas détacher votre ceinture de sécurité avant l’arrêt complet de l’appareil.
Contact est alors pris, par interphone, avec le préposé au sol qui confirme avoir placé les "cales" devant les roues (afin que l'avion reste immobile). Le pilote "coupe les moteurs", relâche les freins et l'équipage effectue, alors, la dernière check-list.
Lorsque l'échelle, la rampe de débarquement ou la plate-forme du bus à élévation a été correctement placée, certaines portes peuvent être ouvertes sur la gauche de l'appareil. Le débarquement des passagers est alors possible.
Une équipe procède, aussitôt, au déchargement des soutes à bagages. Puis, l'avion est assailli par plusieurs autres équipes chargées de la préparation de l'étape suivante. (m)
L’analyse du vol
À ce moment là, la mission étant accomplie, l’équipage procède au "debriefing" consistant à accomplir les différentes formalités et à rédiger divers compte-rendus, puis, prendra en compte des éléments du vol suivant.
Se pose alors, a posteriori, la question de l'analyse du vol qui vient d'être réalisé. L'expérience montre que les prévisions, à partir desquelles les conditions du vol ont été déterminées, ne se réalisent pas systématiquement. Il en résulte que le Commandant de bord est fréquemment amené à prendre des initiatives, afin d'assurer un bon déroulement du vol jusqu'à la destination finale.
Or, a posteriori, il sera toujours possible de considérer que le vol n'a pas été mené à bonne fin (n). Dans ce cas, le Commandant de bord devra "rendre compte", c'est-à-dire justifier ses décisions. Si la sécurité est effectivement le critère primordial qui le guide, il n'en reste pas moins vrai que, très souvent, il tient compte également d'autres critères: confort des passagers, ponctualité au départ et à l'arrivée, économie du vol, etc..., qui sont tous interdépendants.
Il est vrai qu’il est plus facile, au sol - confortablement installé dans un bureau disposant de toute la volumineuse documentation aéronautique - de porter une appréciation sur une décision qui, elle, a été prise en vol et en temps réel, souvent en quelques secondes. Parmi les nombreux exemples pouvant être cités, en voici deux qui montrent la nature de la difficulté.
- Changement de niveau de vol
Si l'avion subit de fortes turbulences dues au vol dans un "jet stream" (o), le Commandant de bord peut :
- soit privilégier le confort des passagers, c'est-à-dire demander l'autorisation au contrôle aérien de descendre à un niveau inférieur, sachant qu'il en résultera une augmentation de la consommation de carburant,
- soit privilégier la sécurité à l'arrivée, c'est-à-dire rester dans le "jet-stream" pour conserver intacte sa réserve de carburant, au détriment du confort des passagers.
Il est évident qu'a posteriori, si l'atterrissage s'est passé normalement, il est aisé de dire que la meilleure solution était celle du confort des passagers.
- Dégradation de la situation météorologique
Mais l'affaire est, en fait, plus compliquée. En effet, retenons l'hypothèse où le Commandant, pour améliorer le confort des passagers, a choisi de sortir du "jet stream", en acceptant donc une consommation supplémentaire de carburant.
Quid du cas où une dégradation météorologique, un encombrement de piste par un avion en panne, etc... oblige soit à demander un atterrissage en urgence ("emergency"), soit à aller se poser sur un terrain de fortune, n'ayant plus suffisamment de carburant pour se diriger vers le terrain de déroutement initialement prévu ?
Les textes précisent quelle doit être la quantité de carburant minimum à embarquer. En simplifiant, disons qu'elle comprend la quantité nécessaire pour aller du terrain de départ au terrain de destination et, en cas de nécessité, du terrain de destination au terrain de déroutement. Sont prévues également des réserves (de route, d'attente,...).
Or, ce que ne prend pas en compte la réglementation, c'est le fait que lorsqu'il n'est plus possible d'atterrir sur un terrain de destination (piste inutilisable car verglacée, enneigée, occupée par un avion en panne,...) ou que les délais d'attente - avant d'avoir l'autorisation de se poser - sont anormalement allongés, presque tous les avions vont également se diriger vers le même aérodrome de déroutement, provoquant un nouvel encombrement des voies aériennes, si bien que les réserves initiales peuvent s'avérer nettement insuffisantes.
C'est le cas de ce vol Paris/Boston où, après analyse de la situation météorologique, j'avais embarqué 10 tonnes de carburant de plus que la quantité précalculée par l'agent d'opération, au grand dam de l'économie de carburant.
À Boston, les pistes étant verglacées, tous les avions se sont dirigés vers leur terrain de déroutement. Le nôtre était New York, qui n'a pas pu être retenu, car le temps d'attente annoncé était supérieur à une heure. Nous nous sommes donc dirigés vers Washington, terrain également très encombré, ce qui nous a obligé de prolonger jusqu'à Philadelphie, où, finalement, nous nous sommes posés, avec de très faibles réserves.
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Ces exemples montrent qu'avant de porter un jugement sur la validité des décisions du Commandant de bord, il convient de bien prendre en compte la spécificité des conditions dans lesquelles il a été amené à intervenir. En effet, toutes les décisions du vol doivent tenir compte de nombreuses variables.
À un instant donné, plusieurs décisions logiques peuvent être prises. Elles varient, elles-mêmes, en fonction du pilote, de l'heure, de l'altitude, de la fatigue, de l'équipage, etc ... L’essentiel est de retenir que les équipages sont de mieux en mieux formés à la gestion des vols et que la sécurité reste leur préoccupation première.
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(a).- En complément, consulter l’ouvrage du Commandant Michel Jouanneaux "Le pilote est toujours devant - Reconnaissance de l’activité du pilote de ligne" - Octarès Edition Toulouse - 1999
(b) - Nébulosité, risque de givrage, de brouillard, de turbulence, de piste verglacée, ....
(c) - Attente imposée par le contrôle avant l'atterrissage, déroutement vers un aérodrome ayant de meilleures conditions météorologiques,...
(d) - Sur un vol Paris/New-York, pour un Boeing 747, pour une tonne de carburant supplémentaire, il ne reste qu’environ 0,7 tonne de disponible à l'arrivée.
(e) - Exemple, les messages dits "ATIS", indiquent la piste en service pour le décollage, les procédures de vol à respecter après le décollage, les conditions météorologiques, ainsi que d'autres informations.
(f) - Exemple: Contrôle des bagages non identifiés, recherche d'un passager non présent à bord, alors que ses valises ont été embarquées en soute, ...
(g) - Cette vitesse "V1" est calculée en fonction de la longueur de la piste, de la masse de l'avion, etc...
(h) - En fait, c'est la vitesse dite "VR" (vitesse de rotation) qui est annoncée, quelques secondes avant la vitesse "V2". "VR" est une vitesse à laquelle le pilote, par son action sur les commandes de vol, fait lever le nez de l'avion jusqu'à ce qu'il ait atteint la position lui permettant de décoller.
(i) - En cas de dépassement du niveau de bruit fixé, les compagnies sont également sanctionnées par des amendes. Un compagnie a révélé avoir, il y a quelques années, réglé une facture globale d'environ 100 MF, pour des taxes de bruit les plus diverses.
(j) - Approche à vue: Le pilote voit la piste et son environnement. Il contrôle donc sa trajectoire en agissant sur les commandes de vol et en regardant dehors, tout en suivant les indications données par ses instruments de bord.
Approche aux instruments: Le pilote guide l'avion uniquement en suivant les informations données par ses instruments de bord. L'approche peut être manuelle (le pilotage de l'avion est effectué par le pilote aux commandes) ; partiellement ou totalement automatique (le pilotage est assuré par un équipement nommé "PA", pour "Pilote Automatique").
(k) - Qualification de l'équipage pour ce type d'approche ; tous équipements en bon fonctionnement ; vent traversier ne dépassant une certaine force ; nature des équipements radioélectriques des installations au sol ; situation météorologique.
(l) - L'avion, répondant aux indications du pilote automatique, selon le cas, peut effectuer, de lui-même : l'arrondi (permettant à l'avion de diminuer son taux de descente et de prendre, doucement, contact avec le sol) ; la réduction de la poussée des réacteurs ; le maintien de l'avion au centre de la piste ; le freinage jusqu'à l'arrêt de l'avion.
(m) - Vidange des toilettes, nettoyage de la cabine, ravitaillement en boissons, nourritures, pompage du carburant, chargement des bagages et du fret, vérifications techniques etc...
(n) - Atterrissage sur un autre terrain que celui prévu, à cause d'un manque de carburant ; arrivée à destination avec une très faible réserve de carburant ; traversée de zones de turbulences ayant occasionné des dégâts à l'avion ou des blessures de passagers, n'ayant pas attaché leur ceinture de siège ; etc...
(o) - Le jet-stream est un fort courant d’air qui existe dans les deux hémisphères. Les très forts vents qui y sont rencontrés peuvent aller jusqu’à 500 km/h. Il en résulte soit des vitesses sol extravagantes (le vent poussant alors l’avion), soit des vitesses sol extrêmement réduites (le vent freinant l’avion), qui font varier la durée du vol et peuvent en perturber son déroulement par de fortes turbulences.