Le cas des chevaux de Przewalski en est un exemple frappant.
Le dernier cheval sauvage ?
L’existence des chevaux sauvages dans les steppes asiatiques est connue de l’Occident depuis le XVe siècle. Mais ce n’est qu’en 1881 que la science décrivit formellement cette espèce, à partir d’un crâne et d’une peau rapportés par le colonel russe Nikolái Przewalski. C’est ainsi que les chevaux jusqu’ici connus sous le nom de takhi (sacrés) en Mongolie devinrent les chevaux de Przewalski (Equus ferus przewalski).
Pendant très longtemps, ils ont été considérés comme les seuls chevaux sauvages du monde. Des études récentes indiquent toutefois qu’ils sont en réalité une forme sauvage descendant des premiers chevaux domestiqués par le peuple Botai dans le nord du Kazakhstan il y a 5 500 ans.
À l’époque du colonel Przewalski, ces chevaux sauvages étaient déjà rares dans les steppes de Chine et de Mongolie. Le surpâturage et la chasse pour la consommation humaine ont provoqué leur déclin final. Le dernier spécimen sauvage fut observé dans le désert de Gobi en 1969.
La population en captivité ne connaissait pas non plus une évolution très positive. Dans les années 1950, seuls 12 de ces animaux étaient encore en vie dans des zoos européens. À partir de ces quelques individus, un programme de reproduction en captivité fut toutefois lancé et réussit à sauver l’espèce de l’extinction.
Aujourd’hui, on recense 2 000 chevaux de Przewalski. Plusieurs centaines vivent en liberté dans les steppes d’Asie et dans différentes régions d’Europe. Et notamment, à la surprise générale, à Tchernobyl.
Les chevaux de Tchernobyl
À l’époque de l’accident dans la centrale nucléaire, aucun cheval de Pzrewalski ne vivait à Tchernobyl. Ce n’est qu’en 1998 que les 31 premiers individus arrivèrent dans la zone d’exclusion. Parmi eux, 10 mâles et 18 femelles étaient issus de la réserve naturelle d’Askania Nova, dans le sud de l’Ukraine, et 3 mâles provenaient d’un zoo local.
Après une importante mortalité liée à leur réinstallation et à la liberté, le taux de natalité élevé a porté la population à 65 individus en seulement cinq ans. Le braconnage intense entre 2004 et 2006 a décimé la population. Seuls 50 individus survivaient en 2007.
Du fait d’importantes mesures de protection, leur nombre a été multiplié par cinq seulement 20 ans après leur arrivée dans la zone. Le dernier recensement, effectué par des scientifiques locaux en 2018, a révélé que dans la partie ukrainienne de la zone d’exclusion vivent 150 chevaux. Ils se réunissent par troupeaux de 10 à 12, auxquels s’ajoutent des groupes de mâles et quelques chevaux solitaires. En 2018, au moins 22 poulains sont nés dans la zone d’exclusion. Certains ont migré vers le nord et se sont installés en Biélorussie.
Les appareils photo installés dans toute la zone d’exclusion ont montré que cette espèce, associée aux steppes, utilise pourtant beaucoup la forêt à Tchernobyl. Y compris la célèbre « forêt rouge », une des zones les plus radioactives de la planète.
Les récents incendies à Tchernobyl ont sévèrement affecté certains lieux fréquentés par les chevaux de la zone. Une évaluation sera nécessaire pour mesurer les effets de ces feux sur la conservation de l’espèce dans la région.
Les leçons à tirer des chevaux de Tchernobyl
L’introduction des chevaux de Przewalski à Tchernobyl a été un succès, dont on peut tirer plusieurs leçons. Leur cas révèle une nouvelle fois qu’en l’absence d’humains, la zone s’est convertie en un refuge pour la faune sauvage. Cela doit nous faire réfléchir sur l’impact de la présence humaine sur les écosystèmes naturels. Sans activité humaine aux alentours et malgré une contamination radioactive, la mégafaune prospère.
D’autres zones affectées par la contamination radioactive comme celle résultant de l’accident de la centrale de Fukushima et des essais de la bombe atomique dans les atolls du Pacifique, conservent également une grande diversité de faune.
Peut-être devrions-nous reconsidérer notre vision de l’impact à moyen et long terme de la radioactivité sur l’environnement.
Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de comprendre mieux les mécanismes qui permettent à la faune de vivre dans des zones de contamination radioactive.
Beaucoup de questions se posent. Les organismes vivant à Tchernobyl sont-ils exposés à une radiation moins forte que prévue ? Cette exposition est-elle moins nocive ? Leurs organismes disposent-ils des mécanismes de réparation plus efficaces qu’attendu face aux dommages cellulaires causés par la radiation ?
Pour répondre à ces questions, nous devons continuer à faire appel à la science et à recueillir plus d'informations.
En septembre 2020, nous espérons commencer un travail avec les chevaux de Przewalski présents à Tchernobyl, pour tenter de dévoiler les mystères qui expliquent que cette espèce et beaucoup d’autres prospèrent dans la zone d’exclusion.
Cet article a été traduit de l'espagnol par Nolwenn Jaumouillé.
Germán Orizaola, Investigador Programa Ramón y Cajal, Universidad de Oviedo
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.