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Tour du monde des réceptifs : quand Bangkok ne bouillonne plus face à la propagation du coronavirus

Interview de Jean-Baptiste Richard, le DG d'EXO Travel en Thaïlande


Face à une situation de confinement (presque) généralisée au niveau mondial, la rédaction de TourMaG.com s'adapte. Tandis que les tour-opérateurs sont sur le pont pour faire rentrer les voyageurs et que les agences de voyages tentent de convaincre leurs clients de reporter les séjours, les réceptifs se démènent pour leur survie, loin des aides de l'Etat Français. Nous avons décidé de prendre de leurs nouvelles. Aujourd'hui, direction Bangkok avec Jean-Baptiste Richard, le directeur général d'EXO Travel en Thaïlande.


Rédigé par le Jeudi 26 Mars 2020

En Thaïlande le confinement n'est pas encore la norme, toutefois le gouvernement vient d'appliquer la loi martiale - Crédit-photo : Depositphotos @Neng_loveyou
En Thaïlande le confinement n'est pas encore la norme, toutefois le gouvernement vient d'appliquer la loi martiale - Crédit-photo : Depositphotos @Neng_loveyou
TourMaG.com - La Thaïlande a subi la propagation du coronavirus de différentes manières. Quelle est la situation en cette fin du mois de mars dans le pays ?

Jean-Baptiste Richard :
En effet, nous avons connu la propagation du coronavirus de façon particulière, puisque nous avons été touchés économiquement par les deux épicentres du coronavirus.

Dans un premier temps, avec le développement de la maladie en Chine, vers la mi-janvier et qui nous a impactés de façon injuste, à une époque où il n'y avait aucune restriction de voyager.

A cette époque les voyageurs ont juste assimilé l'Asie du Sud-Est à la Chine, cela nous a beaucoup impactés, mais nous pouvions alors collecter des frais d'annulation, car la crainte ou la peur n'était pas un motif valable pour annuler.

Un mois plus tard, l'épicentre de la crise s'est déplacé en Europe, touchant nos marchés sources. C'est une déflagration sans précédent, nous sommes très loin de sortir de la crise.

TourMaG.com - Comment appréhendez-vous justement les conséquences du coronavirus ?

Jean-Baptiste Richard :
Personne ne peut anticiper cela, et surtout aucune entreprise n'a de visibilité quand nos marchés sources sont touchés et mis en confinement.

Comment vont-ils sortir de cela ? Combien de temps va-t-il falloir pour que les Européens puissent voyager à nouveau ? Et avec quel budget ?

Autant au début nous parlions de conséquences et d'un arrêt sur quelques mois, maintenant nous parlons d'années afin de revenir à un niveau de fréquentation similaire à ce que nous avions connu en 2019.

Tout a basculé en un seul mois, nous pensions que c'était une crise sérieuse, mais dont nous verrions le bout à la fin de l'année 2020, maintenant nous ne savons pas.

Nous sommes dans l'inconnu.

"A partir de ce soir (25 mars 2020, ndlr), une loi martiale est mise en place,"

TourMaG.com - Nous avions échangé il y a un peu plus d'un mois, à l'époque la Thaïlande était très peu touchée. Quelle est la situation sanitaire à Bangkok ?

Jean-Baptiste Richard :
A l'époque, nous avions 12 cas contre 15 en France, cela semble bien loin maintenant.

A cette époque, nous pensions que cette maladie n'était pas très sérieuse, mais depuis ces quelques cas se sont transformés en milliers. L'ironie de cette période n'est plus d'actualité.

La crise sanitaire est montée d'un cran en Thaïlande. A partir de ce soir (25 mars 2020, ndlr), une loi martiale est mise en place, un temps évoqué le couvre-feu, de 19h à 7h du matin, n'a pas été appliqué.

Le gouvernement peut changer les lois du jour au lendemain. Au niveau du virus, nous avons deux cas importants de multi-contamination.

Dans un café très branché de Bangkok, une dizaine d'amis qui ont fêté avec un ami de Hong-kong un événement et ont contaminé une partie de la clientèle, puis des proches.

L'autre source est plus traditionnelle à la Thaïlande, puisqu'elle a eu lieu dans un stade de boxe à Bangkok. 80 personnes ont été testées positives, sauf que lors de cette réunion il y avait plus de 500 spectateurs.

Il faut noter que beaucoup de ces personnes ont disparu dans la nature, et le ministère de la Santé n'arrive pas à retracer leurs parcours. L'épidémie grandit de façon exponentielle, nous risquons de connaître une situation similaire à la France, dans les jours à venir.

TourMaG.com - Les chiffres annoncés sont de 1 045 cas, pour beaucoup à Bangkok. Ne redoutez-vous pas un manque de transparence ?

Jean-Baptiste Richard :
Au début nous ne doutions pas, mais ici, cela nous semble étonnant que nous ayons aussi peu de cas et quasiment tous sur Bangkok.

Une région frontalière avec la Chine vient de recenser ses 2 premiers cas, c'est presque improbable en raison de sa proximité avec l'Empire du Milieu.

Toutefois les écoles sont fermées depuis deux semaines, notre propre bureau à Bangkok fermera demain (le 26 mars 2020, ndlr), donc l'épidémie s'intensifie.

Tout le monde travaillera de chez soi, avant le télétravail était fortement conseillé, maintenant c'est une obligation.

La Thaïlande est réputée pour son tourisme médical, nous avons de bonnes structures hospitalières, avec une excellente couverture publique.

Après le pouvoir en place n'a pas la même intensité ni autant de prise sur la population que la Chine face à l'épidémie. Il est un peu plus laxiste, et a essayé de faire durer le plus longtemps possible l'activité touristique, car le secteur représente 16% du PIB.

TourMaG.com - A quoi ressemble la vie à Bangkok ?

Jean-Baptiste Richard :
Nous entrons dans une période particulière.

Tout le monde dans la rue porte des masques, la plupart des salariés travaillent de chez eux, donc la ville se calme peu à peu.

Après nous avons quelques semaines de retard par rapport à la France. Les bars, les lieux de boxe thaï, les salons de massage ou encore les spas sont fermés depuis samedi 21 mars 2020.

Les stands de street-food sont toujours ouverts, tout comme les restaurants qui font seulement des ventes à emporter.

Pendant ce temps, il y a une explosion des services de livraison à domicile de nourriture. La chaîne 7-eleven, des épiceries ouvertes 24h/24, recrute une armée de livreurs à moto.

Il faut savoir que les Thaïlandais mangent énormément à l'extérieur.

"Nous nous attendons à n'enregistrer aucune activité sur avril, mai et juin"

TourMaG.com - Pour le moment la ville est un peu plus calme ?

Jean-Baptiste Richard :
Jusqu'à peu, nous n'étions pas trop impactés, nous ne pouvons pas nier qu'il se passait quelque chose.

Nous pouvions continuer à suivre une vie normale à 75%, maintenant nous allons arriver à 50%. Il est sûr que Bangkok est très calme depuis quelques jours, avec bien moins de trafic et d'embouteillages.

TourMaG.com - Comment vos bureaux ont traversé les différents épisodes de la crise ?

Jean-Baptiste Richard :
Pendant la première vague, avec la Chine, nous avons vu une baisse du nombre de demandes de 30 à 40%, pareil sur les réservations existantes impactées.

Avec la deuxième vague, nous enregistrons les annulations.

Lors du 2e trimestre 2020, nous n'allons avoir personne sur place, les Européens sont tous bloqués chez eux, donc avril sera nul et mai risque fort d'y ressembler, car les touristes ne voudront pas voyager.

Nous nous attendons à n'enregistrer aucune activité sur avril, mai et juin, et donc zéro revenus.

Au niveau du tourisme ici, il y a pas mal de difficultés au niveau des paiements, car les prestataires éprouvent de grandes difficultés.

La situation est très tendue. Pour EXO Travel, nous nous adaptons de façon graduelle, en réadaptant le temps de travail que nous avons diminué.

Des concurrents ont dû fermer et mettre la clé sous la porte, ils ne sont pas sur le marché français, mais plutôt américain.

"Nous nous attendons à ce que beaucoup de prestataires disparaissent"

TourMaG.com - Le gouvernement français est très rapidement intervenu pour soutenir les équipes, qu'en est-il en Thaïlande ?

Jean-Baptiste Richard :
Il n'y a pas d'Etat Providence ici, même par rapport aux autres pays de la région, nous sommes à part. Le gouvernement intervient très peu.

Il y a quand même un système de pension pour les chômeurs, mais le système est principalement basé sur les acteurs privés.

Les autorités ne prennent pas vraiment le relais suite à un licenciement ou de façon minime, la responsabilité revient vraiment aux entreprises.

Dans ces conditions, nous avons discuté avec les équipes par rapport à la situation, pour que tout le monde fasse un effort, pour soutenir l'entreprise.

TourMaG.com - Donc vous ne bénéficiez d'aucune aide ?

Jean-Baptiste Richard :
Très peu. Nous avons vu une taxe baisser de 1%, des délais de paiement pour quelques mois sur la TVA, mais il n'y a pas de suspension.

Et bien évidemment, nous ne bénéficions pas de la mesure de chômage partiel comme en France, l'Etat ne paye pas une partie du salaire si nous baissons l'activité de nos salariés.

La Thaïlande est ultra libérale, nous avons très peu d'aides publiques et tout repose sur le privé.

TourMaG.com - Du fait que l'Etat est très peu présent, est-ce la panique pour vos fournisseurs ?

Jean-Baptiste Richard :
C'est le mot en effet, nous avons des fournisseurs qui ont mis la clé sous la porte du jour au lendemain.

Des entreprises qui avaient pignon sur rue dans le sud ou à Phuket, notamment des propriétaires de bateaux.

Nous avons reçu un appel, il y a deux semaines d'un prestataire, pour nous dire que non seulement les prochaines croisières seront annulées, mais en plus l'acompte ne pourra pas être remboursé.

Le marché du tourisme en Thaïlande est très concurrentiel, cela génère des marges tellement faibles que personne ne peut tenir sans ajustement structurel sérieux et sans un important back-up financier.

Nous nous attendons à ce que beaucoup de prestataires disparaissent. Les faillites vont se faire graduellement, cela va dépendre aussi de la façon d'anticiper les prochains mois.

Nous partons sur un scénario pessimiste, avec une timide reprise attendue pas avant le 4e trimestre, surtout que les pays européens n'ont toujours pas connu le pic de la crise, ni même ici.

"Nous nous voyons encore là pour encore 1, 5 ou 10 ans"

TourMaG.com - Avez-vous dû réduire les effectifs ?

Jean-Baptiste Richard :
Nous avons 120 employés en Thaïlande, mais il n'y a pas eu de réduction du staff, nous avons surtout adapté le temps de travail.

La pérennité de l'entreprise n'est pas engagée, car le pays est essentiel dans le tourisme, considéré aussi comme une destination "show room".

Cela signifie que les tour-opérateurs qui testent EXO Travel, bien souvent, commencent par la Thaïlande, car les volumes sont importants.

Le bureau est ouvert depuis 17 ans, nous nous voyons encore là pour encore 1, 5 ou 10 ans, mais peut-être sous une autre forme, une organisation et une structure différente.

Nous allons devoir nous adapter à un marché qui sera sans doute plus restreint dans les années à venir.

TourMaG.com - Vous avez suivi ce qu'il se passe en France avec le bon à-valoir, comment anticipez-vous le fait que certains fournisseurs auront disparu dans les mois à venir ?

Jean-Baptiste Richard :
Le gros problème étant que nous n'avons pas d'argent, il est dans les caisses des agences, nous fonctionnons sur une ligne de crédit.

Nous faisons face à des cas très particuliers, où des hôtels demandent des pré-paiements, nous avons seulement la garantie que les clients vont venir.

Puis en raison de la situation exceptionnelle que nous vivons, personne n'est en mesure de communiquer des dates, nous ne pouvons rien communiquer aux prestataires.

Le bon à-valoir est un progrès, car le droit des consommateurs était trop fort dans pareil cas.

TourMaG.com - Les Etats-Unis sont un de vos plus gros marchés, quels échos avez-vous ?

Jean-Baptiste Richard :
C'est un marché particulier, car les Américains ont surréagi lors de la première vague en Chine.

Ils sont beaucoup plus sensibles, ils ont aussi annulé bien plus que les Français.

La question de ne pas rembourser et d'utiliser les avoirs, une mesure qui va être adoptée au Royaume-Uni, aux USA cela ne se pose pas, car le report est dans les mœurs.

Le patron de Virtuoso, représentant 15 000 agences haut de gamme, a dit dernièrement qu'il n'y aura pas de remboursement, mais un report.

"Nok Air, une low cost importante en Thaïlande, déposerait le bilan"

TourMaG.com - A quoi ressemblent les journées de vos équipes ?

Jean-Baptiste Richard :
Nous avons encore des clients sur place, et jusqu'à la fin du mois, pour des séjours balnéaires, dont des Français.

Ils se dirigent tous plus ou moins vers un retour, nous travaillons sur la réorganisation, puis il y a beaucoup de tensions sur les annulations, des négociations avec les fournisseurs, et aussi sur le retour des touristes chez eux.

A partir d'avril, nous allons probablement réfléchir sur la relance et préparer l'avenir.

Après l'annulation du salon ITB, les tour-opérateurs nous contactaient pour préparer la relance pour l'été, mais c'était avant l'expansion de l'épidémie en Europe.

TourMaG.com - Avez-vous des problèmes pour trouver des vols ? Car nous lisons que beaucoup de Français sont bloqués un peu partout dans le monde.

Jean-Baptiste Richard :
Il y a de moins en moins de vols.

Dorénavant, il ne reste plus que des liaisons pour les expatriés et les ressortissants étrangers, la plupart des compagnies vont arrêter.

Thaï Airways n'aura plus de vols vers l'Europe dès le 1er avril 2020, Lion Air annule ses vols et Nok Air, une low cost importante en Thaïlande, selon les rumeurs déposerait le bilan.

Pour le moment, Thaï Airways arrive à tenir, nous n'entendons rien sur les difficultés financières de celle-ci.

Retrouvez les autres articles sur le "Tour du monde des réceptifs" grâce à la carte interactive :


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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