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En effet, en 2003, plus d'un milliard et demi de passagers ont voyagé par avion. En tenant compte d’un départ et d’une arrivée par vol, ce sont 3 milliards d'êtres humains qui ont traversé les aérogares, soit l'équivalent de près de la moitié de la population du globe !
Bien qu’ayant déjà traité du sujet (a), la catastrophe du terminal "2E" de Roissy CDG et ses conséquences (essentiellement pour l’Aéroport et Air France, mais aussi les autres utilisateurs de la plate-forme, avec les passagers et les personnels), j’ai souhaité, aujourd’hui, vous présenter un avis autorisé, en sollicitant le témoignage d’une personnalité de tout premier plan.
Il s'agit du Président Jean Fleury, président d'Aéroports de Paris, de juillet 1992 à juillet 1999 (b) - qui a bien voulu m’accorder une interview pour répondre aux grandes questions d’actualité, contribuant ainsi à mieux faire connaître ce que sont les aéroports, alors qu’ils sont sous les projecteurs de l’actualité.
* L’effondrement d’une partie du terminal "2E" de Roissy-CDG
Jean Belotti - Cette catastrophe a provoqué une grande inquiétude des utilisateurs quant à la pérennité de telles implantations. Peut-on les rassurer ?
JF :"Pour le moment, notre pensée doit aller, en premier lieu, à toutes les victimes de cet accident et à tous leurs proches dans la peine. Il faut, ensuite, rechercher les causes de la catastrophe avec détermination et en prenant le temps nécessaire, c’est-à-dire en permettant aux enquêteurs d’approfondir leurs expertises. Nous devons éviter dans le monde entier que les mêmes causes aux conséquences inacceptables se renouvellent.
JB.- Après cette démarche prioritaire de la recherche des causes, viendra la phase de la localisation des responsabilités éventuelles : des exécutants en bout de chaîne, au concepteur, en passant par la maîtrise d’oeuvre et les différents sous-traitants.
Or, indépendamment de l’existence de malfaçons éventuelles, de nombreux exemples - de par le monde - montrent que les constructions, de plus en plus volumineuses et complexes, pouvant être réalisées de nos jours - grâce aux progrès de la technique et de la technologie - restent vulnérables à différents phénomènes (vent, affaissement du sous-sol,...). Comment s’en prémunir ?
JF.- Cela confirme que le risque zéro n’existe pas dans notre civilisation post-industrielle. Cela montre aussi qu’il faut sans cesse travailler pour obtenir un transport aérien toujours plus sûr.
* Le financement des infrastructures
JB.- Vous nous avez dit que les aéroports étaient comme des humains : à la naissance, ils sont tout-petits et leurs parents (États, régions ou villes) doivent tout leur fournir, pour qu'ils puissent vivre et se développer : alimentation (le fonctionnement quotidien) et logement (pistes et aérogares). Alors quid du financement des infrastructures lorsqu’elles grandissent ?
JF :"À partir d’environ 300.000 passagers annuels l’aéroport atteint ce que l’on nomme "le petit équilibre", c’est-à-dire qu’il couvre son fonctionnement quotidien, grâce à ses recettes. Mais, comme pour le jeune homme, ce sont les tuteurs (Etat, région ou ville) qui vont financer les investissements.
Vers un million de passagers annuels, il commence à autofinancer ses installations nouvelles (comme l'adulte, qui, à l'âge mûr et sur ses deniers, achète sa résidence principale). De la même manière, il fonde ensuite une famille en ayant des enfants, c'est-à-dire des petites plates-formes, satellites proches ou lointains. Mais, contrairement aux humains, la fin d'un aéroport est aujourd'hui difficilement prévisible !
Pendant leur croissance, comme pour les humains, la question des ressources financières est ainsi essentielle. Pour donner un exemple, Aéroports de Paris (ADP) a accueilli 70 millions de passagers en 2003.
Avec un taux de croissance de 4% par an - hypothèse crédible pour les années à venir et comparable aux taux de la décennie précédente - il recevra 2,8 millions de passagers supplémentaires par an (c), pour lesquels il faudra, chaque année, autofinancer et construire les installations nouvelles nécessaires.
C’est ainsi qu’en dehors des reconstructions rendues nécessaires par l’effondrement d’une partie de CDG "2E", il investira, chaque année, de l'ordre de 400 millions d'euros sur un chiffre d'affaires de 1,4 milliards, et ceci sans recevoir de subvention de l'Etat, comme c’est le cas depuis trente ans.
La qualité des aérogares – porte d’entrée de Paris – et le strict respect des normes de constructions, qui ont toujours été une priorité, resteront toujours aussi essentiels, la diversification des activités de l’Etablissement public en fournissant les moyens."
JB.- Les compagnies aériennes ne participent-elles pas à ces financements ?
JF :"Par le paiement de redevances aéronautiques, elles y contribuent de façon importante, mais non suffisante. Aussi, pour couvrir la différence, les aéroports se sont mis à diversifier leurs activités : commerces, parkings pour les voitures, location de bureaux et de magasins, électricité, chauffage, télécommunications, etc...
Aujourd'hui, au plan mondial, moins de la moitié des recettes des aéroports proviennent de l'activité purement aéronautique (d). Sur les plates-formes les plus actives, cette part est encore plus faible (e).
Notez également que le coût des aéroports ne représente qu'environ 4 % du chiffre d'affaires des compagnies aériennes. Ce chiffre étant demeuré constant sur les vingt-cinq dernières années, il montre que les plates-formes ont fait les mêmes gains de productivité que les transporteurs aériens."
* La privatisation des aéroports
JB.- Devenues entreprises commerciales à part entière et en même temps recherchant des capitaux pour leurs investissements, où en sont les projets de privatisation ?
JF :"Ce vocable recouvre, en fait, de multiples situations différentes. Au début des années 1980, pratiquement, tous les aéroports du monde étaient dans le secteur public, en appartenant soit aux États, soit aux régions, soit aux villes.
L'évolution de leur statut a débuté au Royaume-Uni avec la privatisation des plates-formes londoniennes (British Airports Authority), la totalité du capital étant mise en bourse. Copenhague et Vienne ont suivi en mettant un tiers de leur capital sur le marché, les deux autres tiers restant aux mains de l'État et de la ville capitale. Le mouvement s'est ensuite poursuivi en Australie, en Europe et en Amérique du Sud et du Centre."
JB.- Et aux Etats-Unis ?
JF :"Les États-Unis ont résisté jusqu'à maintenant, car les plates-formes aériennes appartiennent aux villes (comtés ou districts), et les maires tiennent à garder sous leur contrôle l'outil indispensable au développement de leur cité et de leur district : les aéroports sont les ports du monde moderne par où arrivent les hommes d'affaires, les touristes et les marchandises à haute valeur ajoutée.
Les élus savent bien qu'un des critères d'implantation des entreprises et de leur réussite repose sur la facilité des communications et des transports. Les États-Unis auront, cependant, du mal à résister à la mode de l'ouverture du capital des aéroports et à certains lobbies !
J’enchaîne avec les Canadiens pour dire qu’ils ont mis au point une "privatisation" aussi originale qu'intéressante. Les principales plates-formes aériennes restent des entités publiques autonomes, mais détachées de la tutelle fédérale. Elles sont gérées par un conseil d'administration souverain, composé pour moitié des élus de la région et pour moitié des acteurs économiques locaux."
JB.- À cet égard, quelle est la position du Conseil International des Aéroports, dont vous avez été le Président ?
JF :"Ce Conseil a pris position sur le sujet : le statut juridique est une affaire locale propre aux traditions et aux besoins de chaque pays. Mais il est fondamental que la gestion des aéroports soit conduite comme celle des entreprises commerciales, même si tous les buts ne sont pas identiques, comme la desserte des économies locales, par exemple."
JB.- Et l’établissement public "Aéroports de Paris" ?
JF :"Il est ainsi géré, depuis de nombreuses années. Il verse, tous les ans, à l'Etat français entre 50 et 100 millions d’euros au titre de l'impôt sur les sociétés, auxquels s’ajoutent plus de 10 millions de dividendes.
Situation peu commune dans le domaine des transports publics ! L'ouverture de son capital - qui pourrait intervenir dans quelques années – devrait attirer de nombreux investisseurs."
JB.- Et les grands aéroports régionaux français ?
JF :"Tous installés sur le domaine public, ils prévoient une évolution de leur statut actuel (f). En effet, la Commission des Communautés européennes ne peut, qu'à terme, regarder de très près la question des subventions de fonctionnement et d'investissement des plates-formes, car les aéroports sont entrés dans le domaine de la concurrence.
Par exemple, Paris avec Amsterdam ou Nice avec Marseille. Dès lors que l'on est devenu commerçant, les clients du voisin sont les bienvenus.
De surcroît, les concessions de service public de courte durée accordées ces dernières années par l'Etat aux Chambres de Commerce et d'Industrie sont un non-sens économique au regard des coûteuses infrastructures qu’il faut amortir sur de longues périodes.
Les aéroports ont besoin d'un gestionnaire qui réfléchisse à long terme, en fonction des durées d'amortissement des investissements réalisés, soit 20 ans pour une aérogare, 30 ans pour une piste, 10 ans pour une formation technique poussée des personnels.
En effet, l'administration de l'Etat n'a pas, en général, les réflexes du commerce. Enfin, le maintien du statut actuel pourrait conduire à des appels d’offres internationaux pour les mises en concession, avec le risque de voir arriver des opérateurs étrangers, peu soucieux des intérêts locaux.
Pour les aéroport millionnaires en passagers (g), la formule retenue est celle d'une société de droit privé, mais à capitaux publics (Etat, ville, chambres de commerce) et si besoin est, capitaux privés. Le cas des aéroports au trafic inférieur au million devra recevoir une solution particulière pour pouvoir conduire le développement nécessaire aux économies desservies, tout en donnant aux responsables les marges de manoeuvre dont ils ont besoin.
La mise sur le marché d’actions aéroportuaires a conduit les grands aéroports à entrer dans le capital de ceux qui étaient mis en vente. Ils trouvent, ainsi, la possibilité d’exporter leur savoir faire tout en renforçant leur potentiel capitalistique (h)."
* La saturation du ciel et des plates-formes.
JB.- Une autre question qui est souvent posée est celle de la saturation des voies aériennes, donc des aéroports, avec les retards qui en résultent et qui sont très pénalisant, non seulement pour les compagnies, mais également pour les passagers.
JF :"Effectivement, il reste le problème lancinant de la saturation du ciel et des pistes, sans oublier celle des oreilles des riverains. Le trafic ne cesse d'augmenter, même si les taux de croissance de celui-ci ont diminué au fil des ans (i).
Soyons réalistes : le transport aérien va continuer à croître et à générer des besoins en infrastructures nouvelles et pourrait, si l'on n’y prend garde, augmenter les nuisances sonores. En même temps, les populations sont de plus en plus sensibles au bruit et s'opposent à tout projet aéroportuaire.
Un certain nombre de mesures devraient cependant permettre un développement raisonnable et raisonné du transport aérien pour satisfaire les besoins de l'économie tout en prenant en compte les demandes légitimes des populations survolées :
- des avions plus gros permettant de transporter plus de passagers par vol et d'augmenter la rentabilité du contrôle aérien et des infrastructures au sol. Le lancement de l'A 380 apporte une réponse, à tout le moins partielle ;
- des avions moins bruyants pour les rendre plus supportables par les riverains ;
- des zones "non aedificandi" autour des aéroports avec un arsenal législatif obligeant les responsables à les respecter ;
- la mise en place de retombées économiques visibles par les riverains afin de les intéresser à l’activité de leurs plates-formes ;
- un contrôle aérien plus efficace avec la disparition des frontières dans l'espace aérien européen et l'arrivée de systèmes techniques de gestion du trafic plus performants ;
- des infrastructures nouvelles, telles que le futur aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes (j) ;
- la mise en service de voies nouvelles pour le TGV : 70 % des passagers préfèrent le train à l'avion, dès lors que la durée du trajet est inférieure à 3 heures. Privilégier l'emploi de l'avion et l'usage du ciel et des aéroports pour les vols intercontinentaux au détriment des vols à courte distance est donc une mesure de bon sens ;
- une redistribution partielle des plates-formes de correspondance, en dehors de la "banane rouge", espace aérien saturé dans le polygone reliant Londres à Paris, Zurich, Munich, Francfort et Amsterdam.
Soyons cependant sans illusion : le trafic attire le trafic et si l'on refuse les avions à Paris, ils n’iront pas à Lyon ou à Nantes, mais à Londres ou Amsterdam, où les correspondances avec les destinations lointaines existent. N'oublions pas, non plus, que pour un million annuel de passagers supplémentaires ou une augmentation de 100.000 tonnes du fret acheminé, 2.000 emplois directs ou indirects et autant d'induits sont créés."
* Les priorités actuelles.
J.B. Selon vous, quelles sont aujourd’hui les priorités des aéroports ?
JF :"Les mêmes que pour les compagnies aériennes, la sécurité et la sûreté : la sécurité pour éviter les accidents - le tragique événement de Roissy-CDG en souligne, une fois encore, la nécessité - et la sûreté, pour empêcher tout acte terroriste. Le transport aérien doit rester la façon de voyager la plus sûre.
Les mesures nécessaires sont harmonisées au niveau de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (k) et décidées par les Etats. Elles sont mises en œuvre par tous : Direction de l’aviation civile, police, gendarmerie, douanes, compagnies, aéroports, etc...
Elles imposent des contraintes aux passagers, mais les moyens modernes permettront d’alléger ces contraintes au fil des années. Ainsi, l’introduction des données biométriques personnelles dans des passeports informatisés permettra de passer les contrôles d’identité successifs sur un aéroport de façon à la fois plus rapide et plus sûre.
JB.- Deux mots de conclusion ?
JF :"Dans le domaine aéroportuaire, comme dans toute activité humaine, il faut trouver le meilleur compromis entre l'économie génératrice d'emplois et créatrice de biens et la qualité de la vie. Le développement durable réside dans l'équilibre entre l'économie, le social (l'emploi !) et l'environnement.
Le transport aérien est devenu un rouage essentiel des économies modernes. Nous ne saurions nous en passer. Mais nous devons faire en sorte qu'il trouve les adaptations nécessaires pour répondre à toutes ces exigences sans oublier celles de la sécurité et de la sûreté qui lui ont toujours été essentielles. Les aéroports sont bien décidés aujourd’hui à faire entendre leur voix, car ils ont choisi la route de l'entreprise et de l'action."
===
(a).- "Les accidents aériens, pour mieux comprendre" (pages 155/162 ) Editions Frédéric COUFFY - décembre 2001. "Chroniques aéronautiques" : "Un troisième aéroport parisien" (page 87/93) et "Mesures de sécurités sur les aéroports" (page 219/226). Editions VARIO - 4ième trimestre 2003.
(b).- Après une carrière complète dans l'Armée de l'air, le Général Jean Fleury a été Président d'Aéroports de Paris, de juillet 1992 à juillet 1999. Il a été élu, par ses pairs, en 1998 et 1999, président du Conseil International des Aéroports (association professionnelle qui regroupe 85% des aéroports du monde entier). Il totalise 5.400 heures de vol, effectuées sur plus de 100 types d'avions différents, allant du Mirage 2000 au B 52, en passant par le F16 et l'A320. Il a publié un livre "Faire face - Mémoires d'un chef d'Etat-major" aux Editions Jean Picollec en 1996. En préparation : "Le général qui pensait comme un civil").
(c).- 2,8 millions de passagers annuels correspondent au trafic total de Bordeaux et à dix fois celui de Metz-Nancy.
(d).- Redevances des passagers et redevances d'atterrissage des avions.
(e).- 34% à Paris et à Londres, 40 % à Francfort et 44 % à Amsterdam, en moyenne ces dernières années.
(f).- Concession donnée aux Chambres de Commerce et d'Industrie, en dehors de quelques cas particuliers.
(g).- Nice, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, etc...
(h).- British Airports Authority a ouvert la voie et est aujourd’hui dans le capital de Perth et de Melbourne en Australie, de Naples en Italie et de deux aéroports au Sultanat d’Oman. ADP a pris des participations dans les aéroports de Pékin, de Pnom Penh, de Marsa Alam (Egypte), des grandes villes de Madagascar et du Cameroun, de Conakry, de Liège et de 13 cités régionales mexicaines. Francfort est à Athènes, Lima (Pérou) et Antalaya (Turquie), etc... De grandes entreprises du BTP (Vinci en France, Hochtief en Allemagne, etc...) sont également entrées dans le capital de certains aéroports et dans le marché de leur gestion.
(i).- Ainsi, le taux moyen de croissance annuelle du trafic d’ADP a été de 13 % de 1952 à 1972. Ce taux est passé à 6,5 % de 1972 à 1992 et, depuis, est aux alentours de 4 %, à l'exception des trois dernières années perturbées par les événements que l'on connaît.
(j).- Compte tenu du peu de zones disponibles, des oppositions locales et des procédures de déclaration d'utilité publique, de nouvelles réalisations ne peuvent être que rares, tout en demandant des délais de l'ordre de 20 ans. Il a ainsi fallu trente-deux ans à Munich pour faire poser le premier avion, après la date de choix du site !
(k).- OACI.- Siège à Montréal. Agence spécialisée de l'ONU, créée en 1944, par la Convention de Chicago. Elle a pour but l'uniformisation technique de l'aviation internationale. Elle publie, entre autres, des "Normes" et des "Recommandations".
Bien qu’ayant déjà traité du sujet (a), la catastrophe du terminal "2E" de Roissy CDG et ses conséquences (essentiellement pour l’Aéroport et Air France, mais aussi les autres utilisateurs de la plate-forme, avec les passagers et les personnels), j’ai souhaité, aujourd’hui, vous présenter un avis autorisé, en sollicitant le témoignage d’une personnalité de tout premier plan.
Il s'agit du Président Jean Fleury, président d'Aéroports de Paris, de juillet 1992 à juillet 1999 (b) - qui a bien voulu m’accorder une interview pour répondre aux grandes questions d’actualité, contribuant ainsi à mieux faire connaître ce que sont les aéroports, alors qu’ils sont sous les projecteurs de l’actualité.
* L’effondrement d’une partie du terminal "2E" de Roissy-CDG
Jean Belotti - Cette catastrophe a provoqué une grande inquiétude des utilisateurs quant à la pérennité de telles implantations. Peut-on les rassurer ?
JF :"Pour le moment, notre pensée doit aller, en premier lieu, à toutes les victimes de cet accident et à tous leurs proches dans la peine. Il faut, ensuite, rechercher les causes de la catastrophe avec détermination et en prenant le temps nécessaire, c’est-à-dire en permettant aux enquêteurs d’approfondir leurs expertises. Nous devons éviter dans le monde entier que les mêmes causes aux conséquences inacceptables se renouvellent.
JB.- Après cette démarche prioritaire de la recherche des causes, viendra la phase de la localisation des responsabilités éventuelles : des exécutants en bout de chaîne, au concepteur, en passant par la maîtrise d’oeuvre et les différents sous-traitants.
Or, indépendamment de l’existence de malfaçons éventuelles, de nombreux exemples - de par le monde - montrent que les constructions, de plus en plus volumineuses et complexes, pouvant être réalisées de nos jours - grâce aux progrès de la technique et de la technologie - restent vulnérables à différents phénomènes (vent, affaissement du sous-sol,...). Comment s’en prémunir ?
JF.- Cela confirme que le risque zéro n’existe pas dans notre civilisation post-industrielle. Cela montre aussi qu’il faut sans cesse travailler pour obtenir un transport aérien toujours plus sûr.
* Le financement des infrastructures
JB.- Vous nous avez dit que les aéroports étaient comme des humains : à la naissance, ils sont tout-petits et leurs parents (États, régions ou villes) doivent tout leur fournir, pour qu'ils puissent vivre et se développer : alimentation (le fonctionnement quotidien) et logement (pistes et aérogares). Alors quid du financement des infrastructures lorsqu’elles grandissent ?
JF :"À partir d’environ 300.000 passagers annuels l’aéroport atteint ce que l’on nomme "le petit équilibre", c’est-à-dire qu’il couvre son fonctionnement quotidien, grâce à ses recettes. Mais, comme pour le jeune homme, ce sont les tuteurs (Etat, région ou ville) qui vont financer les investissements.
Vers un million de passagers annuels, il commence à autofinancer ses installations nouvelles (comme l'adulte, qui, à l'âge mûr et sur ses deniers, achète sa résidence principale). De la même manière, il fonde ensuite une famille en ayant des enfants, c'est-à-dire des petites plates-formes, satellites proches ou lointains. Mais, contrairement aux humains, la fin d'un aéroport est aujourd'hui difficilement prévisible !
Pendant leur croissance, comme pour les humains, la question des ressources financières est ainsi essentielle. Pour donner un exemple, Aéroports de Paris (ADP) a accueilli 70 millions de passagers en 2003.
Avec un taux de croissance de 4% par an - hypothèse crédible pour les années à venir et comparable aux taux de la décennie précédente - il recevra 2,8 millions de passagers supplémentaires par an (c), pour lesquels il faudra, chaque année, autofinancer et construire les installations nouvelles nécessaires.
C’est ainsi qu’en dehors des reconstructions rendues nécessaires par l’effondrement d’une partie de CDG "2E", il investira, chaque année, de l'ordre de 400 millions d'euros sur un chiffre d'affaires de 1,4 milliards, et ceci sans recevoir de subvention de l'Etat, comme c’est le cas depuis trente ans.
La qualité des aérogares – porte d’entrée de Paris – et le strict respect des normes de constructions, qui ont toujours été une priorité, resteront toujours aussi essentiels, la diversification des activités de l’Etablissement public en fournissant les moyens."
JB.- Les compagnies aériennes ne participent-elles pas à ces financements ?
JF :"Par le paiement de redevances aéronautiques, elles y contribuent de façon importante, mais non suffisante. Aussi, pour couvrir la différence, les aéroports se sont mis à diversifier leurs activités : commerces, parkings pour les voitures, location de bureaux et de magasins, électricité, chauffage, télécommunications, etc...
Aujourd'hui, au plan mondial, moins de la moitié des recettes des aéroports proviennent de l'activité purement aéronautique (d). Sur les plates-formes les plus actives, cette part est encore plus faible (e).
Notez également que le coût des aéroports ne représente qu'environ 4 % du chiffre d'affaires des compagnies aériennes. Ce chiffre étant demeuré constant sur les vingt-cinq dernières années, il montre que les plates-formes ont fait les mêmes gains de productivité que les transporteurs aériens."
* La privatisation des aéroports
JB.- Devenues entreprises commerciales à part entière et en même temps recherchant des capitaux pour leurs investissements, où en sont les projets de privatisation ?
JF :"Ce vocable recouvre, en fait, de multiples situations différentes. Au début des années 1980, pratiquement, tous les aéroports du monde étaient dans le secteur public, en appartenant soit aux États, soit aux régions, soit aux villes.
L'évolution de leur statut a débuté au Royaume-Uni avec la privatisation des plates-formes londoniennes (British Airports Authority), la totalité du capital étant mise en bourse. Copenhague et Vienne ont suivi en mettant un tiers de leur capital sur le marché, les deux autres tiers restant aux mains de l'État et de la ville capitale. Le mouvement s'est ensuite poursuivi en Australie, en Europe et en Amérique du Sud et du Centre."
JB.- Et aux Etats-Unis ?
JF :"Les États-Unis ont résisté jusqu'à maintenant, car les plates-formes aériennes appartiennent aux villes (comtés ou districts), et les maires tiennent à garder sous leur contrôle l'outil indispensable au développement de leur cité et de leur district : les aéroports sont les ports du monde moderne par où arrivent les hommes d'affaires, les touristes et les marchandises à haute valeur ajoutée.
Les élus savent bien qu'un des critères d'implantation des entreprises et de leur réussite repose sur la facilité des communications et des transports. Les États-Unis auront, cependant, du mal à résister à la mode de l'ouverture du capital des aéroports et à certains lobbies !
J’enchaîne avec les Canadiens pour dire qu’ils ont mis au point une "privatisation" aussi originale qu'intéressante. Les principales plates-formes aériennes restent des entités publiques autonomes, mais détachées de la tutelle fédérale. Elles sont gérées par un conseil d'administration souverain, composé pour moitié des élus de la région et pour moitié des acteurs économiques locaux."
JB.- À cet égard, quelle est la position du Conseil International des Aéroports, dont vous avez été le Président ?
JF :"Ce Conseil a pris position sur le sujet : le statut juridique est une affaire locale propre aux traditions et aux besoins de chaque pays. Mais il est fondamental que la gestion des aéroports soit conduite comme celle des entreprises commerciales, même si tous les buts ne sont pas identiques, comme la desserte des économies locales, par exemple."
JB.- Et l’établissement public "Aéroports de Paris" ?
JF :"Il est ainsi géré, depuis de nombreuses années. Il verse, tous les ans, à l'Etat français entre 50 et 100 millions d’euros au titre de l'impôt sur les sociétés, auxquels s’ajoutent plus de 10 millions de dividendes.
Situation peu commune dans le domaine des transports publics ! L'ouverture de son capital - qui pourrait intervenir dans quelques années – devrait attirer de nombreux investisseurs."
JB.- Et les grands aéroports régionaux français ?
JF :"Tous installés sur le domaine public, ils prévoient une évolution de leur statut actuel (f). En effet, la Commission des Communautés européennes ne peut, qu'à terme, regarder de très près la question des subventions de fonctionnement et d'investissement des plates-formes, car les aéroports sont entrés dans le domaine de la concurrence.
Par exemple, Paris avec Amsterdam ou Nice avec Marseille. Dès lors que l'on est devenu commerçant, les clients du voisin sont les bienvenus.
De surcroît, les concessions de service public de courte durée accordées ces dernières années par l'Etat aux Chambres de Commerce et d'Industrie sont un non-sens économique au regard des coûteuses infrastructures qu’il faut amortir sur de longues périodes.
Les aéroports ont besoin d'un gestionnaire qui réfléchisse à long terme, en fonction des durées d'amortissement des investissements réalisés, soit 20 ans pour une aérogare, 30 ans pour une piste, 10 ans pour une formation technique poussée des personnels.
En effet, l'administration de l'Etat n'a pas, en général, les réflexes du commerce. Enfin, le maintien du statut actuel pourrait conduire à des appels d’offres internationaux pour les mises en concession, avec le risque de voir arriver des opérateurs étrangers, peu soucieux des intérêts locaux.
Pour les aéroport millionnaires en passagers (g), la formule retenue est celle d'une société de droit privé, mais à capitaux publics (Etat, ville, chambres de commerce) et si besoin est, capitaux privés. Le cas des aéroports au trafic inférieur au million devra recevoir une solution particulière pour pouvoir conduire le développement nécessaire aux économies desservies, tout en donnant aux responsables les marges de manoeuvre dont ils ont besoin.
La mise sur le marché d’actions aéroportuaires a conduit les grands aéroports à entrer dans le capital de ceux qui étaient mis en vente. Ils trouvent, ainsi, la possibilité d’exporter leur savoir faire tout en renforçant leur potentiel capitalistique (h)."
* La saturation du ciel et des plates-formes.
JB.- Une autre question qui est souvent posée est celle de la saturation des voies aériennes, donc des aéroports, avec les retards qui en résultent et qui sont très pénalisant, non seulement pour les compagnies, mais également pour les passagers.
JF :"Effectivement, il reste le problème lancinant de la saturation du ciel et des pistes, sans oublier celle des oreilles des riverains. Le trafic ne cesse d'augmenter, même si les taux de croissance de celui-ci ont diminué au fil des ans (i).
Soyons réalistes : le transport aérien va continuer à croître et à générer des besoins en infrastructures nouvelles et pourrait, si l'on n’y prend garde, augmenter les nuisances sonores. En même temps, les populations sont de plus en plus sensibles au bruit et s'opposent à tout projet aéroportuaire.
Un certain nombre de mesures devraient cependant permettre un développement raisonnable et raisonné du transport aérien pour satisfaire les besoins de l'économie tout en prenant en compte les demandes légitimes des populations survolées :
- des avions plus gros permettant de transporter plus de passagers par vol et d'augmenter la rentabilité du contrôle aérien et des infrastructures au sol. Le lancement de l'A 380 apporte une réponse, à tout le moins partielle ;
- des avions moins bruyants pour les rendre plus supportables par les riverains ;
- des zones "non aedificandi" autour des aéroports avec un arsenal législatif obligeant les responsables à les respecter ;
- la mise en place de retombées économiques visibles par les riverains afin de les intéresser à l’activité de leurs plates-formes ;
- un contrôle aérien plus efficace avec la disparition des frontières dans l'espace aérien européen et l'arrivée de systèmes techniques de gestion du trafic plus performants ;
- des infrastructures nouvelles, telles que le futur aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes (j) ;
- la mise en service de voies nouvelles pour le TGV : 70 % des passagers préfèrent le train à l'avion, dès lors que la durée du trajet est inférieure à 3 heures. Privilégier l'emploi de l'avion et l'usage du ciel et des aéroports pour les vols intercontinentaux au détriment des vols à courte distance est donc une mesure de bon sens ;
- une redistribution partielle des plates-formes de correspondance, en dehors de la "banane rouge", espace aérien saturé dans le polygone reliant Londres à Paris, Zurich, Munich, Francfort et Amsterdam.
Soyons cependant sans illusion : le trafic attire le trafic et si l'on refuse les avions à Paris, ils n’iront pas à Lyon ou à Nantes, mais à Londres ou Amsterdam, où les correspondances avec les destinations lointaines existent. N'oublions pas, non plus, que pour un million annuel de passagers supplémentaires ou une augmentation de 100.000 tonnes du fret acheminé, 2.000 emplois directs ou indirects et autant d'induits sont créés."
* Les priorités actuelles.
J.B. Selon vous, quelles sont aujourd’hui les priorités des aéroports ?
JF :"Les mêmes que pour les compagnies aériennes, la sécurité et la sûreté : la sécurité pour éviter les accidents - le tragique événement de Roissy-CDG en souligne, une fois encore, la nécessité - et la sûreté, pour empêcher tout acte terroriste. Le transport aérien doit rester la façon de voyager la plus sûre.
Les mesures nécessaires sont harmonisées au niveau de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (k) et décidées par les Etats. Elles sont mises en œuvre par tous : Direction de l’aviation civile, police, gendarmerie, douanes, compagnies, aéroports, etc...
Elles imposent des contraintes aux passagers, mais les moyens modernes permettront d’alléger ces contraintes au fil des années. Ainsi, l’introduction des données biométriques personnelles dans des passeports informatisés permettra de passer les contrôles d’identité successifs sur un aéroport de façon à la fois plus rapide et plus sûre.
JB.- Deux mots de conclusion ?
JF :"Dans le domaine aéroportuaire, comme dans toute activité humaine, il faut trouver le meilleur compromis entre l'économie génératrice d'emplois et créatrice de biens et la qualité de la vie. Le développement durable réside dans l'équilibre entre l'économie, le social (l'emploi !) et l'environnement.
Le transport aérien est devenu un rouage essentiel des économies modernes. Nous ne saurions nous en passer. Mais nous devons faire en sorte qu'il trouve les adaptations nécessaires pour répondre à toutes ces exigences sans oublier celles de la sécurité et de la sûreté qui lui ont toujours été essentielles. Les aéroports sont bien décidés aujourd’hui à faire entendre leur voix, car ils ont choisi la route de l'entreprise et de l'action."
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(a).- "Les accidents aériens, pour mieux comprendre" (pages 155/162 ) Editions Frédéric COUFFY - décembre 2001. "Chroniques aéronautiques" : "Un troisième aéroport parisien" (page 87/93) et "Mesures de sécurités sur les aéroports" (page 219/226). Editions VARIO - 4ième trimestre 2003.
(b).- Après une carrière complète dans l'Armée de l'air, le Général Jean Fleury a été Président d'Aéroports de Paris, de juillet 1992 à juillet 1999. Il a été élu, par ses pairs, en 1998 et 1999, président du Conseil International des Aéroports (association professionnelle qui regroupe 85% des aéroports du monde entier). Il totalise 5.400 heures de vol, effectuées sur plus de 100 types d'avions différents, allant du Mirage 2000 au B 52, en passant par le F16 et l'A320. Il a publié un livre "Faire face - Mémoires d'un chef d'Etat-major" aux Editions Jean Picollec en 1996. En préparation : "Le général qui pensait comme un civil").
(c).- 2,8 millions de passagers annuels correspondent au trafic total de Bordeaux et à dix fois celui de Metz-Nancy.
(d).- Redevances des passagers et redevances d'atterrissage des avions.
(e).- 34% à Paris et à Londres, 40 % à Francfort et 44 % à Amsterdam, en moyenne ces dernières années.
(f).- Concession donnée aux Chambres de Commerce et d'Industrie, en dehors de quelques cas particuliers.
(g).- Nice, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, etc...
(h).- British Airports Authority a ouvert la voie et est aujourd’hui dans le capital de Perth et de Melbourne en Australie, de Naples en Italie et de deux aéroports au Sultanat d’Oman. ADP a pris des participations dans les aéroports de Pékin, de Pnom Penh, de Marsa Alam (Egypte), des grandes villes de Madagascar et du Cameroun, de Conakry, de Liège et de 13 cités régionales mexicaines. Francfort est à Athènes, Lima (Pérou) et Antalaya (Turquie), etc... De grandes entreprises du BTP (Vinci en France, Hochtief en Allemagne, etc...) sont également entrées dans le capital de certains aéroports et dans le marché de leur gestion.
(i).- Ainsi, le taux moyen de croissance annuelle du trafic d’ADP a été de 13 % de 1952 à 1972. Ce taux est passé à 6,5 % de 1972 à 1992 et, depuis, est aux alentours de 4 %, à l'exception des trois dernières années perturbées par les événements que l'on connaît.
(j).- Compte tenu du peu de zones disponibles, des oppositions locales et des procédures de déclaration d'utilité publique, de nouvelles réalisations ne peuvent être que rares, tout en demandant des délais de l'ordre de 20 ans. Il a ainsi fallu trente-deux ans à Munich pour faire poser le premier avion, après la date de choix du site !
(k).- OACI.- Siège à Montréal. Agence spécialisée de l'ONU, créée en 1944, par la Convention de Chicago. Elle a pour but l'uniformisation technique de l'aviation internationale. Elle publie, entre autres, des "Normes" et des "Recommandations".