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Crash Air Algérie : bombe, panne, mauvaise météo... 3 hypothèses possibles

l'interveiw de Jean Belotti, expert aérien


Jean Belotti, ancien commandant de bord, et expert aérien revient pour TourMaG.com sur les différentes hypothèses qui pourraient expliquer le crash de l'avion d'Air Algérie au Nord du Mali. Quoi qu'il en soit : mauvaise météo, panne, ou attaque terroristes, seule l'enquête pourra révéler ce qui s'est vraiment passer.


Rédigé par le Vendredi 25 Juillet 2014

Crash Air Algérie : bombe, panne, mauvaise météo... 3 hypothèses possibles
TourMaG.com - Quel est votre avis sur les causes du crash du vol Air Algérie au Mali ?

J.B. :
Comme dans la plupart des graves accidents, les médias s’emparent de l’événement pour en faire un “scoop” ou “La Une” de leurs pages ou de leurs émissions et nous inondent d’hypothèses ; de redites interminables, comme un disque rayé ; d’affirmations suivies de démentis ; ...

C’est ainsi que, par exemple, dans la même journée du 24 juillet, alors que le représentant de la France déclarait urbi et orbi que l’épave n’avait pas été localisée, dans d’autres séquences, il était annoncé et visible en bas d’écran : “l’épave a été localisée...”. Qui croire ?

Indépendamment du fait que ces informations sont contradictoires et exploitent des faits non avérés, n’apporte rien à la manifestation de la vérité, de surcroît, elles aggravent l’inquiétude des familles et proches des victimes qui, légitimement, s’interrogent sur le sérieux des enquêtes et l’existence de “non dits”.

TourMaG.com - Les médias ne peuvent quand même pas rester muets ?

J.B. :
Certes, tout le monde souhaite connaître ce qui a pu se passer à l’origine de ces drames insupportables, mais l’expérience montre que les causes ne sont généralement connues que plusieurs mois après l’accident.

Alors, d’aucuns estiment, à juste raison, que les médias, au lieu de ressasser les mêmes messages pendant des heures, devraient être plus réservés et, par exemple rappeler qu’il convient :

- de manifester une très grande prudence dans la prise en compte des hypothèses et conclusions hâtives, très souvent éloignées de la réalité des faits ;

- de laisser les enquêteurs techniques - dont le professionnalisme est mondialement reconnu - faire leur travail, à leur rythme, dans le calme et hors des passions et de la recherche du sensationnel ;

- de montrer que tous les intervenants sur le site (secouristes, pompiers, médecins, enquêteurs,... puis psychologues,...), œuvrent dans des conditions souvent très difficiles.

Il en est de même de la Gendarmerie du transport aérien qui, avec la protection du site, effectue un travail méticuleux de conservation des éléments de preuve, nécessaires aux enquêteurs techniques et judiciaires.

TourMaG.com - Il reste qu’à ce jour, trois hypothèses sont retenues par les différentes personnalités et commentateurs qui se sont exprimés : l’explosion d’une bombe à bord, la destruction par un missile, l’existence de très mauvaises conditions météorologiques. Que pouvez-vous nous en dire ?

J. B. :
Étant donné qu’une de ces trois hypothèses - ou, pourquoi pas, une autre - sera connue, comme dans la très grande majorité des accidents aériens, permettez-moi - alors que les enquêtes (technique et judiciaire) n’ont pas encore été diligentées - de ne pas prendre position.

TourMaG.com - Sans privilégier une de ces hypothèses, vous pouvez quand même nous dire quelques mots sur les conditions de leur survenance, en commençant, par exemple, par le cas d’une bombe à bord ?

J.B. :
Il a été démontré qu’une bombe peut être mise à bord d’un avion sur n’importe quel aéroport, mais plus facilement sur celui d’où a décollé l’avion d’Air Algérie.

Dans le cas d’une explosion d’une bombe à bord, l’analyse des débris permet rapidement de le vérifier, comme j’ai déjà eu l’occasion de le constater lors de travaux menés en coopération avec le NTSB et le FBI, ce qui a d’ailleurs été confirmé par l’analyse chimique des traces des explosifs contenus dans la bombe.

TourMaG.com - Passons au cas de la destruction par un missile.

J.B. :
Les mêmes constats peuvent être faits sur les débris.

L’expérience montre que dans ces deux cas (bombe à bord et missile) les enregistreurs de vol (les boîtes noires) cessent instantanément de fonctionner et qu’il ne peut y avoir de message radio de l’équipage.

Bien que ce ne soit pas le cas, ici, un collègue a attiré mon attention sur le fait qu’un avion peut avoir été touché par un missile et quand même réussir à se poser.

TourMaG.com - Terminons par l’existence de très mauvaises conditions météorologiques.

J.B. :
D’après ce qui a été annoncé, le pilote aurait demandé un changement de route avant la disparition de l’avion.

Cela signifie que le commandement avait décidé d’éviter une zone orageuse composée de ces redoutables cumulo-nimbus, dans lesquels se trouvent de très fortes turbulences et d’extrêmement forts courants ascendants et descendants.

TourMaG.com - Pouvez-vous nous en dire plus, à savoir en quoi peuvent-ils conduire à une catastrophe ?

J.B. :
J’ai déjà décrit longuement ces conditions de vols, ce que je ne peux répéter dans le cadre de votre interview, sauf quelques brefs commentaires.

Étant donné que plus un avion de ligne vole haut, moins il consomme de carburant, les altitudes de croisière sont généralement choisies en fonction de l’altitude plafond pouvant être atteinte par l’avion concerné. Or, c’est précisément à ces altitudes que les cumulo-nimbus sont les plus turbulents.

TourMaG.com - Et alors ?

J.B. :
Je dois indiquer, ici, que plus un avion monte haut, plus son domaine de vol se restreint, entre une limite supérieure et une limite inférieure.

Or, cette marge de vitesse étant très étroite, l’existence de courants ascendants et descendant, lors de la traversée d’un de ses énormes cumulo-nimbus, peut conduire à des décrochages. Pourquoi ?

Pendant l’existence de courants ascendants qui poussent l’avion vers le haut, étant donné que le pilote automatique maintient l’avion à la même altitude, il en résulte une rapide augmentation de la vitesse, qui est signalée par une alarme visuelle et sonore, lorsque la vitesse maximale à ne pas dépasser est atteinte. Idem lors de courants descendants qui conduisent à une réduction de la vitesse.

Ainsi, pour rester dans la plage du domaine de vol, le pilote doit rapidement réagir, afin, dans le premier cas, de réduire d’une façon très importante la poussée des réacteurs et, dans le deuxième cas, de l’augmenter, quelquefois jusqu’à la poussée de décollage, pour ne pas décrocher.

Cela m’est arrivé plusieurs fois, pendant plusieurs longues minutes... à la grande surprise des passagers qui se demandaient à quoi pouvait correspondre ces importantes variations du bruit des réacteurs ?

Certes, grâce au radar de bord, ces nuages sont toujours évités. Cependant, lorsqu’ils sont nombreux et constituent une chaîne qui barre la route, le pilote décide de passer entre deux épicentres, en espérant rencontrer des turbulences moins sévères.

TourMaG.com - Il a pourtant été dit que les avions actuels ne décrochaient plus ?

J.B. :
Ils ne décrochent plus comme par le passé, en faisant une abattée en avant, les pilotes connaissant les manœuvres à effectuer pour récupérer la situation, mais en s’enfonçant avec des taux de descente très importants lorsque l’avion est en “super décrochage”, situation qu’il est impossible de décrire dans le cadre de votre interview, ainsi que la façon de la récupérer.

TourMaG.com - Ce nouveau crash du vol Air Algérie au Mali amène à se poser la question de savoir s’il n’y a pas une dégradation du niveau de sécurité du transport aérien, tout en nous remettant en mémoire les dictons populaires : “Jamais deux sans trois”, “Un malheur n'arrive jamais seul” ?

J.B. :
Après les accidents de l’avion de la Malaysia AL qui s’est écrasé en Ukraine (298 victimes) ; celui de TransAsia qui a manqué son atterrissage à Taïwan (48 victimes) ; et celui d’Air Algérie qui s’est écrasé au Mali (116 victimes), se pose effectivement la question de savoir si cette succession d’accidents, survenus dans une très courte période, est significative d’une dégradation de la sécurité aérienne ?

Pour avoir la réponse, il conviendra - après connaissance des causes desdits accidents - d’écarter ceux qui sont survenus dans des zones de conflits armés et, pour les autres, s’il existe ou non un lien de causalité entre eux.

En effet, malgré les dictons populaires, il est bien connu que la tragique “loi des séries” permet de donner un sens à la survenance d’une suite d’événements, alors qu’il n’y en a pas, ne s’agissant que du fruit du hasard.

Tel est d’ailleurs l’avis de la plupart des scientifiques qui ont, tout simplement, expliqué la sérialité par le calcul des probabilités et la loi des grands nombres.

TourMaG.com - Donc, pas de dégradation ?

J.B. :
Les statistiques étant annuelles, il convient d’attendre la fin de l’année pour établir un bilan, tout en prenant les précautions citées.

TourMaG.com - Une conclusion ?

J.B. :
Comment conclure alors que les enquêtes n’ont pas encore été déclenchées ? Alors, rallions-nous à celle du secrétaire d'Etat aux Transports, confirmant qu’aucune thèse sur les causes de l'accident ne pouvait être retenue : “défaillance technique, situation météorologique... Beaucoup trop tôt pour privilégier une piste”.

Puis, contentons-nous de manifester notre compassion à la douleur des familles et proches des victimes, tout en ressentant également l’émotion que suscite de telles catastrophes et en contribuant à faire admettre que le mal étant fait, il reste donc à s’armer de patience.

*Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.

"Les accidents aériens, pour mieux comprendre". Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26

"Les Titanics du ciel". FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4

"Chroniques aéronautiques". VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence

"Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr

"Une passion du ciel". NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris

"Pour mieux comprendre… Le transport aérien", Editions VARIO. Préface de Gérard FELDZER, 2012

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