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Futuroscopie - Les idéaux de l'UNESCO battus en brèche, le cas de Venise 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Alors que de nombreuses destinations mettent des années à concocter des dossiers complexes capables de leur ouvrir les portes d’un classement au patrimoine mondial de l’humanité, géré par l’Unesco, la mission de l’institution internationale semble dévoyée. Transformés en un outil de marketing touristique, les classements de la prestigieuse institution ne seraient-ils pas en train de devenir une source de revenus pour les acteurs du tourisme et les collectivités plus qu’une source de protection du patrimoine ?
Une fois de plus, Venise joue le rôle d’actrice et de symbole de cette situation.


Rédigé par le Jeudi 5 Octobre 2023

ChatGPT pourra t-il faire de la prospective ?- Depositphotos.com Auteur rafapress
ChatGPT pourra t-il faire de la prospective ?- Depositphotos.com Auteur rafapress
Pour le troisième vote consécutif en cinq ans, la réunion des 21 membres du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO qui s’est tenue à Ryad a décidé de nier et d'annuler les avis émis par les commissions techniques sur l'état du site : « Venise et sa lagune ».

Une décision indiquant clairement que la Cité des Doges ne serait pas délogée de la liste officielle et renvoyée à la liste du patrimoine en péril comme elle avait failli l’être en 2021.

En fait, la polémique a été évitée de justesse alors que nul n’ignore le laisser-aller de la politique touristique de la ville et notamment un rapport établi par des experts datant de 2016, dans lequel il était indiqué noir sur blanc que la Sérénissime ne méritait plus de figurer parmi les perles du patrimoine culturel international.

Circulant aujourd’hui ouvertement, ce rapport faisait bel et bien état des carences de la Cité des doges en matière de protection de son patrimoine, des effets maléfiques du tourisme de masse, de la navigation de plaisance, du changement climatique et surtout de celui désastreux des grands projets d'infrastructures* auxquels se prépare encore la ville, malgré le combat acharné entamé par les habitants et les élus verts.

Et encore, n’était pas survenu le terrible accident de bus entre Mestre et le centre de Venise qui a tué quelque 20 touristes !


Venezia today : l’opinion d’un conseiller municipal « vert »

Pour le conseiller municipal Gianfranco Bettin, de nouvelles excavations dans la lagune et la création d'une autre île pour déverser des boues doivent être rejetées. « Ramener la plupart des bateaux de croisière au cœur de la ville, dans la Marittima, et construire un nouveau terminal à Montiron, au cœur de la lagune nord, comme le souhaite le conseil municipal, signifie affecter mortellement l'écosystème et aggraver les perturbations, en apportant du bruit et des fumées dans la ville historique ».

En ce qui concerne les boues : « la solution doit être trouvée en relançant la station Moranzani, celle-là même qui peut traiter les terres d'excavation à valoriser et les sédiments pollués des canaux à assainir ». Ce qui a été annoncé, conclut M. Bettin, va donc bien dans le sens d'une artificialisation définitive de la lagune qui doit être radicalement rejetée !

L’opinion d’un habitant de Venise

« Rien n'arrête les salopards. Après avoir annoncé, deux jours avant la réunion de l'Unesco, l'instauration d'une taxe d'entrée - dérisoire et inapplicable - ils révèlent, deux jours après, que les navires jusqu'à 60.000 tonneaux pourront entre dans le port de Venise en 2027, dès qu'on aura creusé le canal Victor-Emmanuel ; ce qui va polluer la lagune.

Avec les déchets on fera une nouvelle île. Au secours ! Bien sûr, les Tartuffe diront qu'ils ne passeront plus devant San Marco. D'ailleurs il faudra encore vérifier...
»

Une nouvelle fois la Sérénissime passe donc à travers les gouttes et évite de peu un déclassement comme ceux subis par une cinquantaine de sites, notamment dans des pays en guerre comme l’Ukraine ou le Yémen. Mais, le triomphalisme que la municipalité a affiché au sortir du vote, n’a rien de très glorieux.

En effet, derrière une décision jugée inique par beaucoup, se cachent à la fois les turpitudes de la Cité des Doges dont l’ambition est de continuer à attirer des millions de touristes, et celle de l’organisation internationale qui a déjà labellisé plus de 1150 sites dans 167 pays dont la France, qui exécute quelques missions spectaculaires dans les domaines qui sont les siens : l’éducation, le développement… mais qui, malheureusement, a vu son image entachée par ses lenteurs, sa bureaucratie est surtout ses gaspillages. Des défauts ayant entraîné à une époque les départs de gros contributeurs comme les USA et le Royaume-Uni.

Le prestige de l’Unesco sert la promotion

En résumé, le paradoxe de Venise réside dans le fait qu’elle prétend prendre des mesures anti tourisme de masse annoncées à grand renfort de publicité, qui ne seront pas tenues. Ainsi, un journaliste italien n’hésite pas à préciser que les taxes d’entrées promises sont impossibles à appliquer et seront ingérables !

Tandis que parallèlement, elle tient à son label Unesco afin de rester dans une liste qui fait référence. Laquelle, réciproquement a besoin de conserver ses membres pour affirmer sa suprématie sur la conservation du patrimoine culturel et naturel international

En pratique, le cas de Venise est donc particulièrement révélateur d’un nouvel état d’esprit consistant moins à seulement protéger qu’à faire de la promotion. Car, l’Unesco, autre paradoxe, malgré un déficit d’image, demeure une institution respectable faisant autorité.

En France seule, 49 sites ont été labellisé et l’inscription récente de la Maison carrée de Nîmes a fait bien des heureux parmi les contributeurs d’un dossier qui a mis, comme les autres, des années à aboutir.

Celle de la Montagne pelée en Martinique a également déclenché la fierté et la joie des habitants qui, comme partout, imaginent que des flots de touristes viendront désormais les visiter et contribueront à améliorer leurs revenus.

D’ailleurs, la Martinique ne se sert-elle pas déjà de cette nomination pour faire sa promotion sur la dernière édition de l’IFTM ?

Des idéaux trahis ?

Un article de Libération, datant de 2009, parlait déjà de trahison par rapport aux idéaux culturels de l’institution. De nombreux journalistes crient aussi au dévoiement.

Mais, c’est probablement dans le travail de chercheurs géographes que l’on trouve l’analyse critique la plus pertinente du travail de l’Unesco.

Ce rapport dénonce en amont les écarts à la norme dans la phase préparatoire et en aval les écarts à la norme dans la gestion et le suivi des biens inscrits.

Ce qui ne colle pas à « la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel » visant à préserver des lieux et des espaces identifiés comme ayant une « valeur universelle exceptionnelle ».

Venise et ses contradictions

Pour en revenir à Venise, l'euphorie avec laquelle l'administration municipale de Venise a accueilli la décision de Riyad ne s'explique en fait que par la crainte de voir un organisme international s'immiscer dans les affaires vénitiennes et ses ambitions touristiques basées sur une croissance illimitée du tourisme.

Laquelle servira les intérêts d’une petite partie de la population impliquée dans l’activité touristique, les édiles et autres politiciens, pendant que l’autre partie des Vénitiens, la majorité continuera de subir un tourisme particulièrement nocif.

Lire aussi : Futuroscopie : comme avant ou pire, un tourisme irresponsable ?

A ce sujet, rappelons encore que la clause mentionnant l’implication de la population locale dans la candidature à l’Unesco, clause retenue en 2015 après une lente montée en puissance, n’est donc pas franchement respectée non plus. Ce qui constitue sans doute une autre infraction grave pour une cité que le monde entier voudrait voir préserver…

Venise accueille 30 millions de visiteurs par an, soit une moyenne de 80 000 par jour, qui se répartissent entre des pics de 100 000 et d’autres plus modérés, soit un total de plus de 600 visiteurs par an pour chaque habitant restant de la ville historique, qui perd ses résidents proportionnellement à la croissance du tourisme.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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Tags : sicsic
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