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Espagne : si vous voyagez, vous êtes fliqué ! [ABO]

L'ECTAA et l'ACAVE sont inquiets de la dérive


C'est un projet qui n'a pas (encore) fait les grands titres en France, mais qui suscite beaucoup d'interrogations de l'autre côté des Pyrénées. Un décret royal, surnommé "Big Brother du tourisme" veut obliger les agences de voyages, les hébergeurs et loueurs de voiture à livrer de force des informations sur les voyageurs qui entrent dans le pays et qui en sortent aussi...


Rédigé par le Mardi 26 Novembre 2024

Le digital a des bons côtés, à condition de ne pas être mis en de mauvaises mains.

En Chine, un pays fortement digitalisé, le gouvernement utilise les différents terminaux numériques pour surveiller la population, en donnant aux citoyens une note sociale.

En outre, de plus en plus d'entreprises se tournent vers des scénarios qui auraient assez facilement leur place dans le célèbre roman 1984 de George Orwell.

Le nouveau chapitre de la surveillance de masse vient de toucher l'Espagne. De l'autre côté des Pyrénées, le décret royal 933/2021 inquiète et interroge les professionnels du tourisme.

Il veut obliger les hébergeurs de tout type, les loueurs de voitures, les voyagistes et agents de voyages à fournir les données personnelles et sensibles de l'ensemble de voyageurs qui visiteront le pays.

L'ECTAA et l'ACAVE, l'équivalent des EDV locales, ont publié un communiqué conjoint dans lequel, ils expriment "leur profonde inquiétude face à cette nouvelle réglementation".


Big Brother du tourisme : un enjeu exclusivement sécuritaire

Même si le sénat et le parlement ont voté contre, demandant même au gouvernement d'abandonner le projet, ce dernier entrera en vigueur, le 2 décembre 2024.

Les données qui seront transmises directement par les hébergeurs au ministère de l'Intérieur, qui a écrit le texte, sont : nom et le prénom, le sexe, la pièce d'identité, la nationalité, la date de naissance, le lieu de résidence habituelle, les numéros de téléphone, l'e-mail, le nombre de voyageurs et le lien de parenté (dans le cas où l'un d'entre eux est sous le âge) et les données de transaction.

Au total, plus de 40 informations seront envoyées par les professionnels aux autorités, dont certaines sensibles et même au nombre de 60, pour les loueurs de voiture.

Pour les syndicats, il est temps de "sensibiliser le public et les voyageurs à la gravité de ce règlement, puisqu'ils seront les principales victimes de sa mise en œuvre."

L'enjeu du projet "Big Brother du tourisme" est exclusivement sécuritaire.

Grâce à ces nombreuses données, le ministère de l'Intérieur entend assurer la sécurité de la population. Cela rappelle aussi la mise en place de l'ETA au Royaume-Uni, visant à mieux contrôler les flux de visiteurs.

Big Brother du tourisme : la collecte peut "violer les lois de protection des données"

"L'étendue des données demandées est excessive et pourrait violer les règles de protection des données, le fameux RGPD européen.

Pour cette raison, la majorité du Congrès espagnol a approuvé, le 23 octobre, une proposition demandant au gouvernement espagnol de rouvrir les négociations et de reporter sa mise en œuvre,
" précise un communiqué.

D'ailleurs les professionnels espagnols sont vent-debout contre la mise en place à venir de ce transfert d'information.

Ils dénoncent un projet qui va violer les droits fondamentaux à la vie privée, mais aussi le risque pour la compétitivité de la destination. Sans compter les milliers d'heures perdues au regard des manipulations à faire pour les salariés et les autorisations à faire signer aux voyageurs.

En outre, on suspecte des lacunes techniques au sujet de la plateforme de collecte des données.

Les journaux britanniques se sont eux aussi emparés du sujet, à l'image du Daily Mail qui parle de "fureur" provoqué par cette nouvelle loi.

Si le décret est discutable sur sa portée, il convient aussi de s'inquiéter de la sécurité de ce grand nombre de données collectées.

La sécurité de ces dernières seront-elles assurées ?

C'est une question légitime à poser, alors qu'aucune organisation ne parait infaillible. Comme toujours dans ce genre de débat, le problème n'est pas la technologie, mais l'usage qui en est fait.

Que ce soit l'IA ou le numérique, les dérives doivent être surveillées de près par les citoyens.

"Les démocraties percutées par un choc technologique" selon Asma Mhalla

Et ce n'est pas Asma Mhalla qui dira le contraire.

Pour la politologue spécialiste des dérives technologiques dans le débat politique, nos démocraties sont en danger.

"Ces démocraties, qui sont les nôtres, sont percutées par un choc technologique. Et ce choc je le qualifie, par différentes grandes ruptures.

Les démocraties du XXe siècle, celles que l'on a connues, celles dont on a hérité, étaient le produit de la révolution industrielle du XIXe siècle. Ainsi, elles découlaient d'une société centrée sur la consommation, la production, l'éducation et les médias de masse.

Pour résumer je qualifierais cette période de, démocratie de masse.

La première rupture, c'est que nous passons grâce aux algorithmes et aux données personnelles, de la démocratie de masse à l'hyperpersonnalisation de masse.

Et ce n'est pas la même chose. Tous les scandales qui ont rythmé les deux dernières décennies de Cambridge Analytica à la manipulation par Donald Trump (1er mandat, ndlr) des élections aux États-Unis, sont liés à cette hyperpersonnalisation.

Cette manigance avait été théorisée par Steve Bannon, grâce aux données collectées de façon parfois illégale, sur Facebook,
" cite comme exemple, l'auteur du livre "Technopolitique, comment la technologie fait de nous des soldats".

Et le 2e mandat du milliardaire s'est tout d'abord jouée sur les réseaux sociaux et toutes les fausses images, informations et vidéos générées par le camp républicain, grâce à l'IA générative.

"Technologie et démocratie sont parfaitement compatibles..."

Alors certes quand un gouvernement oblige des professionnels et citoyens à lui livrer des informations personnelles, il est compliqué pour eux de s'y opposer, par contre ils peuvent vivement s'interroger et dérouiller leur esprit critique.

Ce dernier est plus que fondamental, vis-à-vis de de la massification de l'usage de l'intelligence artificielle dans notre quotidien.

"La deuxième rupture se trouve dans toutes les poches et se nomme : un smartphone. Il est une porte d'entrée à toutes vos applications et devient potentiellement une arme de guerre hybride.

C'est ce qu'on va appeler les luttes informationnelles sur les réseaux sociaux, les cyberattaques, etc.

Les politiques ne font pas leur job d'expliquer aux gens que tout à chacun est potentiellement une cible. Ce que vous avez dans la poche n'est pas d'un usage neutre et pourtant il est omniprésent dans votre quotidien.

Technologie et démocratie sont parfaitement compatibles, si la technologie n'est pas gouvernée telle qu'elle l'est aujourd'hui.

La question fondamentale ce n'est pas : la technologie est-ce bien ou mal ? Nous devons faire avec ces outils-là. La véritable question est de savoir qui les gouverne ? Hélas, ce sont quelques acteurs privés qui peuvent avoir des idées totalement démiurgiques ou au service de leurs Etats,
".

Aujourd'hui, l'enjeu n'est pas seulement de contrôler les médias. La bataille a lieu sur les données et les réseaux sociaux.

Alors si nous avons tous été éduqués, depuis le début des années 2000, à donner gratuitement nos informations à Google et compagnie, nous devons apprendre à reprendre leur contrôle.

Jamais dans l'Histoire, les Etats n'ont eu une telle connaissance des faits, gestes, habitudes et comportement des citoyens. Et n'oublions pas que toutes ces données permettent d'entrainer l'intelligence artificielle... ce sera encore l'objet d'un autre débat et sujet.

Maintenant, si vous voyagez, vous êtes fliqués !


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