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Futuroscopie - Déserts : du mythe à la mise en scène touristique 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Au moment où beaucoup songent à leurs prochaines vacances, la tentation du désert est toujours aussi vive. Loin des hommes et de leur fureur guerrière, loin de ce surtourisme devenu aujourd’hui le synonyme de tourisme par la faute de médias en quête de sensationnel, le désert apparaît comme ce territoire salvateur, dernier refuge d’une humanité en perdition. Un espace où l’on vous propose des « voyages rien que pour vous ». Où de touriste, vous devenez voyageur.


Rédigé par le Mercredi 3 Avril 2024

Si le désert est devenu au fil du temps un tropisme touristique, c’est parce que plus que tout autre, il demeure un paysage foncièrement esthétique, préservé en grande partie des excès de notre modernité. Depositphotos.com  Auteur muha04
Si le désert est devenu au fil du temps un tropisme touristique, c’est parce que plus que tout autre, il demeure un paysage foncièrement esthétique, préservé en grande partie des excès de notre modernité. Depositphotos.com Auteur muha04
Les offres continuent donc de se multiplier : Namibie, Sahara, Bolivie, Chili, Mongolie, Maroc, Éthiopie … Entre luxe, aventure et sobriété, les agences spécialisées jouent une carte gagnante.

Mais jusqu’à quand ? Car, le désert peu vulnérable dans les imaginaires (pour le moment en tout cas), peut le devenir dans la réalité. Une réalité faite de changements climatiques, de terrorisme, de misère.

Commençons par le début : la construction des images. Si le désert est devenu au fil du temps un tropisme touristique, c’est parce que plus que tout autre, il demeure un paysage foncièrement esthétique, préservé en grande partie des excès de notre modernité.

Destination historique pour les explorateurs, les scientifiques ou les aventuriers et les mystiques, le charme du désert a été découvert et mis en valeur par les expéditions coloniales européennes et l’iconographie qu’il a inspirée aux artistes d’un dix-neuvième siècle en quête d’exotisme, de couleurs et de lumières et de silence.

Attaché au continent africain en premier lieu, le désert s’est enrichi par la suite d’autres territoires et recouvre aujourd’hui quelque cent fois l’équivalent du territoire français.


Entre routine et nouveautés

En Asie : le désert du Thar, en Amérique du sud : le désert d’Atacama. Aux USA, les sites grandioses de l’ouest puissamment médiatisés par les western de la machine hollywoodienne et de la machine touristique étasunienne désireuse de promouvoir grands espaces, paysages spectaculaires, silence, trekking...

Et puis, il y a les déserts jordaniens, israéliens, égyptiens et leurs merveilles archéologiques ou, plus contemporains, ces nouveaux déserts que sont ceux des Émirats arabes unis, ceux du sultanat d’Oman et ceux, plus proches, de Mauritanie, sud marocain ou tunisien... qui jouent à fond sur leurs atouts « désertiques » en termes de promotion.

Oasis, mirages, dattes, dromadaires, caravanes... l’Arabie saoudite surtout qui ambitionne de devenir la première destination touristique du monde, manie à merveille des clichés particulièrement séduisants faits d’ocre, de jaune et de bleu.

Un immense terrain de jeu

Mais, depuis quelques années, il va de soi que le désert, comme tous les autres territoires touristiques, prend des allures de terrain de jeu pour des urbains en quête de divertissement.

Et pas seulement de divertissements sportifs, mais de divertissements tapageurs, animés par des courses de 4X4 ou de quads pétaradants dont les effets sont tout simplement désastreux. Sans parler des courses de dromadaires dans le désert de Dubaï…

Lancés par cet épouvantable rallye que fut le Paris - Dakar, vendant un succédané d’aventure, ces voyages organisés par des opérateurs touristiques, souvent locaux, n’hésitent pas à dévaster des écosystèmes millénaires et à entraîner leurs rares habitants dans des activités mercantiles dont l’impact est largement encore minimisé.

Le Paris-Dakar et ses effets néfastes sont toujours à l’œuvre ! Les déchets de canettes de bière aussi !

Autres phénomènes en passe de se développer : les festivités organisées à très grande échelle comme le Festival américain de Burning Man et ses extravagances, dont la vocation artistique initiale et utopique est suffisamment connue aujourd’hui pour susciter des imitations.

Burning Man a des émules comme OAK dans l’Oregon, Apogaea dans le Colorado, Playa del Fuego dans le Delaware, Recompression près de Vancouver, Kiwiburn en Nouvelle- Zélande et même Les French Burners en France et les Brûleurs de Montréal...

Enfin, alors que l’anthropologue Jean Didier Urbain dans son ouvrage : L’envie du monde, explique qu’une partie des touristes sont attirés par des retraites dans des lieux isolés, une tendance qu’il nomme « érimétisme », le désert, avec sa très forte dimension esthétique combinée à un symbolisme biblique, accueille de plus en plus de lieux de retraite permettant à leur clientèle de se ressourcer, de faire l’expérience de la solitude et d’en profiter pour se reconnecter au monde.

De plus en plus nombreuses, ces offres que l’on retrouve aussi bien dans le Sinaï qu’en plein Sahara, sont aussi proposées en France dans des régions dénudées et sauvages comme l’Auvergne... Et ils y sont travestis en treks, safaris, randonnées, expéditions, y compris pour les familles avec enfants.

Le symbolisme polysémique du désert

Sur le plan symbolique enfin, sachez que le désert revêt de nombreuses significations qui, dans l’imaginaire collectif, se côtoient malgré leur ambivalence.

D’un point de vue négatif, il symbolise la stérilité, l’aridité, l’absence de végétation, de peuplement. C’est un espace désolé, vide, où l’homme doit s’adapter à des conditions de vie particulièrement hostiles et où il peut se perdre. Ce vide spatio-temporel traduit un vide mental, une perte de direction, de sens.

Mais, le désert symbolise également, à l’inverse, la terre originelle, la terre vierge où tout est à inventer, à découvrir, à construire. Espace immense, loin du bruit, des agressions du monde dit civilisé, c’est un territoire de sagesse et de sens et surtout une terre spirituelle habitée par l’esprit divin, où ont fleuri les grandes religions monothéistes.

Historiquement, le monothéisme est lié aux déserts du Proche-Orient, écrit Jean Louis Ballais, dans son ouvrage intitulé « Désert et religion ». Les textes bibliques sont bel et bien remplis d’images et d’évocations du désert.

D’AbrahamMoïse, tous les grands prophètes de l’Ancien Testament sont des hommes du désert. C’est dans le silence et la solitude que Dieu s’est adressé à eux. Des symboliques qui font que le désert est aussi le lieu du voyage intérieur. Il est une invitation à l’exploration de notre moi.

La traversée du désert est de ce fait comparable au voyage initiatique pendant lequel l’Homme fait table rase de son passé pour accéder à une autre dimension, une dimension intérieure. Le désert favorise l’abandon provisoire de l’ego. Le temps des humains y est remplacé par le « non-temps » immuable et sacré.

Qu’en sera-t-il demain ?

Construit autour de l’isolement et du recueillement, de l’espace et de la lenteur, le désert dispose donc d’un imaginaire plutôt positif, d’autant plus que sa fonction utopique est en train de gagner du terrain.

Comment ? Grâce à la technologie et notamment grâce au développement de l’énergie solaire. Laquelle se présente comme une énergie propre, abondante et économique.

Paré d’une image de sauveur, le désert prend donc peu à peu les couleurs d’un monde authentique et bienveillant comme l’est le foyer familial.

« Quand la civilisation échoue à conquérir le désert, c’est à celui-ci qu’elle retourne » écrit à ce propos le géographe J.R Henry dans un dossier de recherche. Il devient un monde alternatif inscrit dans la continuité religieuse...

Laquelle a malheureusement un profil d’ange doublé d’un profil satanique, celui du terrorisme et des attaques sanglantes. En filigrane, comme une image subliminale, se dessinent les grandes fêtes comme Burning Man... mais, l’immense incendie par lequel se conclut le festival n’est-il pas aussi le signe de la décadence d’un monde en quête perpétuelle d’une réinvention qui tarde à venir ?

… En guide de conclusions : si le terrorisme et les intempéries ne ruinent pas sa réputation trop rapidement, le désert restera un produit touristique de pointe, élitiste par son prix, par l’alternative qu’il offre au tourisme de masse et par le statut social qu’il confère d’emblée au voyageur qui le visite.

Mais, le danger qu’il apparaisse comme l’Himalaya ou l’Arctique, pollué par une partie de ses visiteurs, est aussi totalement d’actualité. Et, malheureusement, les choses peuvent évoluer très vite.

Juste un dernier mot sur son étymologie pour en préciser le paradoxe. Le terme de désert vient du latin « desertus » signifiant « inculte, sauvage, abandonné » !

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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