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G. Linton (Asia) : "l'agent de voyages doit devenir un gestionnaire du temps libre de ses clients"

Interview de Guillaume Linton, le PDG d'Asia


Si la France est confinée pour un mois, il est des entreprises qui ne voient pas le bout du tunnel. Les tour-opérateurs spécialistes du long-courrier et notamment l'Asie sont toujours à l'arrêt, les équipes au chômage partiel. Asia est de ceux-là. Après une production France ayant permis de faire voyager 120 Français cet été, avec un panier moyen supérieur à 2 000 euros par personne, le TO regarde l'avenir avec appétit. Comment Guillaume Linton, le PDG d'Asia imagine l'année 2021 ? Quel futur pour le tourisme ? Voici ses réponses.


Rédigé par le Dimanche 8 Novembre 2020

Paiement avant départ : "nous devons faire remonter le cash à nos réceptifs" selon Guillaume Linton (Asia) - Crédit photo : Asia
Paiement avant départ : "nous devons faire remonter le cash à nos réceptifs" selon Guillaume Linton (Asia) - Crédit photo : Asia
TourMaG.com - Les destinations asiatiques sont les premières à avoir été boudées par les Français dès janvier. Dans deux mois cela fera une année complète sans touriste. Quel regard portez-vous sur l'avenir ?

Guillaume Linton :
Nous essayons de nous projeter plus loin que l'hiver 2020-2021.

Le contexte français de reconfinement et de suspension des départs, sur le mois de novembre et sans doute tout le mois décembre, est un nouveau gros coup dur pour toute notre industrie, et nous incite à regarder plutôt vers le printemps 2021.

En ce qui concerne Asia, nous avons décidé de suspendre tous nos départs jusqu'au 31 janvier 2021 (à l’exception des Maldives, Dubaï et France, ndlr), puisque nous n'avons aucun signe d'une réouverture des destinations asiatiques, pacifiques ou du Moyen-Orient.

Nous préparons dorénavant le printemps, nous croisons les doigts pour une sortie de crise à cette période avec une réouverture progressive des frontières, pour assurer une partie des reports qui arrivera à échéance.

Le gros des volumes des reports est positionné sur mars 2021.

TourMaG.com - Pour vous permettre de dialoguer avec les clients, vous aviez une production France. En 2021, allez-vous la développer ?

Guillaume Linton :
Nous envisageons effectivement de pérenniser cette production France en 2021.

Notre enjeu principal sera d’abord de faire partir les clients qui ont reporté sur le printemps prochain vers nos destinations cœur de métier, si possible sur les destinations envisagées initialement ou à défaut sur des solutions alternatives.

Nous pensons également à des destinations moyen-courriers pour sécuriser les reports.

Toute la question que se posent les agences de voyages : comment réussir la reprotection des clients long-courriers en 2021 pour consommer les avoirs et éviter les remboursements ? Nous essayerons d'apporter de vraies solutions aux agents, avec notre production.

Après la France : "nous allonss introduire des circuits moyen-courriers, c'est un choix tactique"

TourMaG.com - A quoi ressemblera votre production 2021 ? L'Europe pourrait être une éventualité ?

Guillaume Linton :
Notre production 2021 en sur-mesure et circuits sur l’Asie, le Moyen-Orient et le Pacifique est commercialisée depuis la rentrée septembre et a été étoffée avec des programmes en plus petits groupes, plus longs, plus immersifs et plus éloignés des sites fréquentés.

Pour autant, nous réfléchissons très sérieusement à conforter, notre politique initiée lors de l'été 2020, en consolidant notre production France, mais aussi en introduisant des circuits moyen-courriers, c'est un choix tactique.

Comprendre là que nous ne prenons pas un virage à 180° et qu'Asia ne prétend pas devenir un spécialiste de l'Europe, mais nous souhaitons offrir une solution de repli à nos clients qui ne pourraient pas partir sur leur destination initiale.

C'est exactement le même ressort que nous avons activé l'été dernier.

Nous devons accompagner les agences et éviter qu’elles ne se retrouvent à cours d’offres en cas de fermeture prolongée de bon nombre de destinations long courrier et avec pour seule alternative le remboursement à terme des avoirs

TourMaG.com - Quelle sera la ligne directrice de cette offre moyen-courrier ?

Guillaume Linton :
Ce ne sera pas la culture asiatique en Europe ou ailleurs, mais de nous appuyer sur notre force.

Pour notre production France, nous nous sommes appuyés sur notre valeur ajoutée : proposer de beaux voyages itinérants et personnalisés sur le territoire national.

Au printemps prochain le terrain de jeu accessible pourrait être l'Europe ou encore la Réunion. Nos clients ne sont pas forcément des voyageurs sédentaires, ils aiment bouger, rencontrer, partager et découvrir.

Encore une fois, s'ils apprécient ce mode de séjour, sachons leur fournir une forme d'itinérance culturelle, avec des guides, de la personnalisation, avec des sélections d'adresses, mais aussi des lieux insolites, voire même fermés au grand public.

Nous voulons dupliquer notre ADN à la faveur de la découverte d'un terroir, d'un monument ou d'une collection.

Je suis persuadé que les Français seront en demande d'une réassurance très forte, concernant les prestations et l'accompagnement.

L'Europe : "pouvoir offrir des solutions à nos clients...et aux agences d’accéder à leur rémunération"

TourMaG.com - Au début du mois d'octobre WAG.Travel sortait une étude sur plus de 2 millions d'internautes. Selon celle-ci les TO ayant proposé la France, sans avoir l'image de spécialiste n'ont eu que peu de retombées positives. Ce constat fut le même pour vous ?

Guillaume Linton :
Quand tu t'appelles Asia, ce n'est pas évident de se décréter spécialiste de la France, c'est la raison pour laquelle nous avons prioritairement proposé cette production à nos clients en direct.

Ces derniers savent que nous sommes capables d'aller au delà du simple territoire asiatique.

En BtoB, proposer la France était bien plus compliqué, car nous n'avions pas une profondeur de marge nous permettant de rémunérer la distribution.

Du fait de l'urgence, nous n'avions pas l'historique ni le recul, les agences locales et les partenaires nous offraient une marge autour de 15%.

Si nous sommes amenés à proposer une offre tactique sur le moyen-courrier alors nous aurons peut-être la possibilité d'élargir la production en BtoB, grâce à une meilleure profondeur de marge.

L'intérêt d'élargir notre production à l'Europe réside aussi dans le fait de pouvoir offrir des solutions à nos clients tout en permettant bien sûr aux agences d’accéder à leur rémunération.

Si nous étions dans une stratégie longue durée sur un nouveau territoire, alors la réflexion autour du nom de la marque serait engagée, ce n'est pas le cas à ce stade. Gardons à l’esprit, qu’une crise, aussi dramatique soit-elle, est aussi une formidable occasion de se remettre en question et d’élargir ses horizons !

TourMaG.com - Alors que certains réclament que l'Etat paye le manque à gagner dû au confinement, que souhaiteriez-vous que le gouvernement fasse pour sécuriser l'avenir d'Asia ?

Guillaume Linton :
Sans surprise, le sujet qui m'anime le plus, comme les autres acteurs, est la prolongation du chômage partiel avec la même prise en charge sur l'année 2021.

Encore une fois, confinés ou pas, nous avions tiré un trait sur l'hiver, avant même les annonces de l'Etat.

Grâce au travail du SETO et des EDV, nous avons la chance d'avoir un dialogue soutenu avec les pouvoirs publics, une très grande écoute et une bonne réactivité face aux besoins de notre secteur. Notre souhait le plus cher est que cette relation se poursuive.

Si pour l'instant Asia et d'autres ont été relativement préservés, sans passer par la case PSE, c'est grâce à la prolongation de l'activité partielle jusque fin décembre.

Nous souhaitons que ce soit aussi le cas au moins pendant tout le premier semestre 2021.

b[Après l’accès à des PGE complémentaires, le fonds de solidarité déplafonné et l'exonération des charges patronales sur une période plus longue seront également nécessaires pour tenir jusqu’à la reprise
et avoir une capacité de rebond et pouvoir investir, en sortant des productions tactiques, réengager les équipes à temps plein, mais aussi les former sur de nouveaux produits, etc.

Cette reprise doit se faire avec l'aide de l'Etat.

"chez nous le chômage partiel tourne entre 85 et 90%, donc le temps travaillé est de 15%"

TourMaG.com - Pour être prêt lors de la relance, êtes vous favorable à un PGE bis ou complémentaire ?

Guillaume Linton :
La réflexion est double.

La plupart des acteurs ont déclenché le PGE entre avril et juin 2020, donc si nous sommes dans l'obligation de rembourser au bout d'un an, nous allons devoir rembourser au moment de relancer la machine.

Le projet de passer à deux ans pour débuter le remboursement du PGE, nous permettrait de déplacer la pression après la reprise.

Il existe une autre réflexion, car les banques n'ont pas toutes attribué les montants demandés, puis ceux-ci ne correspondaient pas à une crise si longue et à un tel besoin d'investissement pour relancer l'entreprise.

Donc toute démarche facilitant l’accès à un PGE complémentaire serait je le pense saluée, par les entreprises.

TourMaG.com - En parlant du chômage partiel. Certains de vos collaborateurs, amis aussi dans d'autres entreprises, n'ont pas travaillé depuis presque une année complète. Le chômage partiel n'est-il pas un remède qui tue à petit feu les entreprises ? Alors que la démotivation doit gagner les rangs des entreprises du secteur.

Guillaume Linton :
Au-delà des enjeux financiers, la dimension sociale est tout aussi importante, voire même plus cruciale encore.

Notre obsession depuis le début de la crise chez Asia étant de conserver l'outil de production, à savoir les compétences humaines. En tant que tour-opérateur spécialiste, l'expertise de nos équipes est nécessaire et même indispensable au fonctionnement de l'entreprise.

J'estime que pour former un forfaitiste opérationnel en BtoB ou BtoC, il nous faut deux ans. Ce temps est difficilement compressible, donc notre priorité est d'éviter les coupes brutales dans les effectifs.

Notre sujet numéro deux étant de garder les effectifs mobilisés, alors que le télétravail est généralisé et l'activité partielle dure dans le temps. Au printemps prochain, cela fera quasiment 12 mois que certaines équipes sont à l'arrêt.

Ce sera un enjeu majeur que de trouver des solutions pour remotiver ces équipes, alors que certains ont entamé des reconversions, d'autres entamés des activités complémentaires ou utiliser leur temps pour des sujets extérieurs à l'entreprise.

L'une des solutions pour mener à bien cette mission est de ne pas perdre le lien, malgré le temps très limité dédié à l'entreprise. Par exemple, chez nous le chômage partiel tourne entre 85 et 90%, donc le temps travaillé est de 10 ou 15% au mieux.

Même si encore une fois l'activité est faible j'ai tenu à assurer un minimum de temps et donc de lien avec l'entreprise, puis tous les mois, nous organisons une visioconférence avec les 120 collaborateurs, pour une cession d'échange.

L'enjeu n'est pas seulement de garder le lien en interne, mais aussi avec tous nos clients et partenaires : agents de voyages, réceptifs, compagnies et destinations.

En parlant de lien précieux et au-delà de l’énorme travail de nos syndicats, je tiens à souligner le rôle extraordinaire des groupes de professionnels sur les réseaux sociaux, tels que le Helpdesk des AGV, le CDMV et Respire, animés par des professionnels bénévoles et très engagés.

Paiement avant départ : "Nous devons trouver des solutions pour faire remonter le cash à nos réceptifs"

TourMaG.com - D'ailleurs quels échos avez-vous ? Craignez-vous que le principal problème au moment de relancer l'activité ne soit pas à destination ?

Guillaume Linton :
Notre très grosse inquiétude réside à ce niveau.

L'Etat français nous aide énormément, ce qui n'est pas le cas pour nos réceptifs. Nous allons devoir réfléchir à la façon d'amorcer la pompe, notamment pour nous partenaires à destination, afin de leur apporter une forme d'aide ou d'accompagnement.

L'un des sujets sera de les aider à relancer financièrement leurs entreprises, car ils vont devoir réembaucher avant que les clients n'arrivent, donc ils devront accéder à du cash.

TourMaG.com - Cette solution doit venir de l'industrie touristique française ?

Guillaume Linton :
Nous tour-opérateurs allons devoir réfléchir avec eux pour relancer leurs activités.

Si je suis plus concret, dans certaines situations très tendues, nous devrons envisager d'avancer les acomptes clients pour faire en sorte qu'ils soient aidés avant le départ.

Voici un des sujets de discussion que nous devons avoir avec la distribution, car si l'argent reste en bout de chaîne le redémarrage sera compliqué.


Nous devons trouver des solutions pour faire remonter le cash à nos réceptifs.

TourMaG.com - Vous entrez dans le débat lancé par MSC Croisières, mais d'une manière différente. Payer avant le départ c'est aussi une façon de relancer l'industrie...

Guillaume Linton :
Exactement, le débat ne peut pas se situer seulement au niveau des distributeurs et des producteurs. Nous allons entrer dans une année 2021 très particulière, de transition, de redémarrage.

La réflexion doit être une réflexion de filière, pour garantir à nos clients des voyager dans de bonnes conditions et avec une promesse tenue.

Et cela ne pourra se faire que si nos réceptifs et partenaires sont en capacité d’assurer leur part du travail dans les meilleures conditions à destination.

"L'agent doit en quelque sorte devenir un gestionnaire du temps libre"

TourMaG.com - Vous faites aussi partie de ceux qui réfléchissent beaucoup sur le fameux monde d'après. Comment voyez-vous l'avenir de la profession ?

Guillaume Linton :
Au-delà, d'une flexibilité plus grande de nos packages, il est un sujet qui m'intéresse beaucoup, celui d'une réinterprétation du rôle des agences de voyages.

Il y a une obligation qui durera dans le temps : vendre la France pour les agents de voyages. Ce n'est pas juste une réponse ponctuelle à une impossibilité temporaire de voyager.

Il est nécessaire que les réceptifs et les destinations de notre territoire apprennent à bien mieux travailler avec la distribution, pour apprendre à packager et mieux rémunérer l'offre France.

Ce ne doit pas être seulement de vendre des hôtels ou des campings, mais plutôt des réflexions sur des thématiques, des itinéraires et des profils de guides particuliers.

TourMaG.com - Je pense que cette réflexion doit être menée par toute l'industrie. Le Louvre ou Versailles ne sont tournés que vers la clientèle étrangère, de nombreux territoires, comme la Côte d'Azur aussi. Il y a toute une réflexion à mener à ce niveau...

Guillaume Linton :
Vous avez raison.

C'est une réflexion à mener avec les hôteliers, les opérateurs, les guides, etc. L'offre doit s'adresser plus prioritairement à la clientèle française. Avec cette crise, je crois dur comme fer, que les agents de voyages vont avoir un rôle-clé à jouer dans la relance et la reprise.

Quelque part les agents de voyages peuvent devenir l'interlocuteur principal d'un client dans la gestion globale de son temps de loisir. L'agent ne doit pas se contenter de ne parler que voyage, mais il doit en quelque sorte devenir le gestionnaire du temps libre de ses clients.

Les agences doivent réfléchir à la façon d'accompagner leurs clients toute l'année : planifier par exemple les 5 ou 6 week-ends en famille dans l'année qui permettent de faire un break pas loin de la maison, tout comme les vacances au ski ou le voyage long-courrier.

Au même titre que notre patrimoine ou notre santé sont gérés par des professionnels, nous devons envisager notre temps libre comme un bien précieux optimisé et géré lui aussi tout au long de l’année par le professionnel expert qu’est l’agent de voyage.

L'agent de voyage doit réfléchir ce temps libre en 3D, « détente, découverte et dépaysement » et gérer ainsi les loisirs de ses clients du très local, au régional et à l'international.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par Pierre le 09/11/2020 11:08 | Alerter
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C’est tout simplement ubuesque, 12 mois bientôt dans un demi comas pour ce secteur avec des équipes absentes , il faudra plus que vendre la France pour motiver les salariés. Demander à ces agents de voyages de devenir des psy du temps libre des clients n’est pas leur vocation ni leur envie . C’est vendre du rêve et des destinations hors de France qui est intéressant et non Le replis sur soi en France .

2.Posté par Amalou le 09/11/2020 12:14 | Alerter
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Cher Guillaume,
Ton excellente interview me rajeunit de 40 et quelques années. J'avais proposé alors à nos clients non pas de gérer leur temps libre, mais de gérer leur budget annuel de loisirs en construisant pour eux un programme de week-ends, séjour de neige, moyens ou longs courriers en fonction de leur budget. L'idée était proche de la tienne.

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