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Marc Rochet : "Trop de blabla, pas assez de décisions courageuses" 🔑

La deuxième partie de l'interview de Marc Rochet, président d’Aérogestion


Dans le premier volet de l'interview de Marc Rochet accordée à TourMaG, le président d’Aérogestion est revenu sur son parcours. Dans cette deuxième partie, Marc Rochet évoque ses activités au sein de son entreprise de conseils. Des conseils et des avertissements, il en donne également aux acteurs du transport aérien, toujours sans détours et fort d’une expérience solide acquise durant ces quarante dernières années.


Rédigé par le Jeudi 1 Février 2024

On sait très bien qu’on a un problème de contrôleurs aériens On devrait donc s’interroger sur les mesures à prendre, mais on a tendance à laisser s’enterrer les sujets. - Photo JDL
On sait très bien qu’on a un problème de contrôleurs aériens On devrait donc s’interroger sur les mesures à prendre, mais on a tendance à laisser s’enterrer les sujets. - Photo JDL
TourMaG.com - Vous avez la dent dure avec les politiques et visiblement pas très envie de travailler avec eux sur des solutions pour le transport aérien. Cependant on sent chez vous ce patriotisme, cette envie d’œuvrer pour la France. Vous avez surement des idées à proposer, mais vous allez rester en dehors ?

Marc Rochet : C’est une bonne question. J’ai eu l’occasion de travailler à l’étranger. Je ne l’ai pas fait. Je répondrais trois choses.

La première c’est que mes déceptions personnelles quant à la politique, ce n’est pas seulement moi « Marc Rochet et son mauvais caractère ».

Pour prendre un exemple, Madame Elisabeth Borne à l’époque où elle était ministre des Transports avait lancé les assises du transport aérien avec un travail absolument colossal.

107 réunions de mémoire, des dizaines de personnes mobilisées, des heures et des heures de travail avec des pointures du transport aérien comme Jean Dominique Chartier sur le social, Lionel Guerin sur l’impact environnemental et un déploiement d’énergie énorme avec à la sortie rien du tout si ce n’est une déclaration bidon.

J’ai eu à l’époque l’occasion de croiser le Premier ministre Edouard Philippe, et de lui dire au cours d’une discussion à propos de l’État, ma déception quant au résultat des assises du transport aérien. Sa réponse a été de me dire qu’il n’en avait pas entendu parler…quelle misère !

Je ne suis donc pas le seul à être critique. Tous les gens qui ont été invités à ces assises ont quasiment le même sentiment que moi.

Deuxièmement, j’ai eu l’occasion de façon assez discrète et parce qu’on me l’a demandé d’émettre par écrit et à différentes reprises des préconisations et idées de bon sens sur comment mieux gérer le transport aérien, certaines compagnies et aéroports, et tout ça n’a servi à rien.

Je suis donc un chat échaudé qui craint l’eau froide.

Mais si demain et de bonne foi il faut recommencer ce travail je le recommencerais. En gardant mes valeurs et ma façon de m’exprimer. Je reste quelqu’un de bonne volonté. Si cela est utile tant mieux et sinon ce ne sera qu’un échec de plus.


"On sait très bien qu’on a un problème de contrôleurs aériens"

TourMaG.com - Vous évoquez souvent le manque de courage des politiques. Qu’entendez-vous par là ?

Marc Rochet : Le courage c’est d’abord de dire la vérité aux gens sur ce qui ne va pas quitte à prendre des précautions de langages.

TourMaG.com - Aux contrôleurs aériens par exemple ?

Marc Rochet : Oui, par exemple. On sait très bien qu’on a un problème de contrôleurs aériens, qu’il y a eu en France un incident grave à Bordeaux il y a deux ans avec un rapport du BEA extrêmement critique.

On devrait donc s’interroger sur les mesures à prendre, mais on a tendance à laisser s’enterrer les sujets.

Les médias d’ailleurs ne font pas leur boulot. Ils sautent sur l’info, se battent pour la sortir le plus vite possible sur leurs réseaux et on passe à autre chose.

Ensuite, le courage c’est de passer à des mesures difficiles mais nécessaires.
Je ne dis pas qu’ il faut révolutionner le contrôle aérien français immédiatement ...


TourMaG.com - Vous ne voulez tout de même pas faire ce qu’a fait Ronald Reagan aux États-Unis* ?

Marc Rochet : Non bien sûr, mais au moins qu’on attaque le sujet ! Celui-là et bien d’autres. Celui par exemple de la lutte contre la production du CO².

Là aussi beaucoup de blabla, mais décider que dans quelques années, tout le matériel en France sur les aéroports sera électrique, il n’ y a personne qui a le courage de le dire ni de le faire. Je répète, on est dans le blabla.

Les moteurs, véritables outils de la décarbonation

TourMaG.com - Concernant ces enjeux de décarbonation et les émissions de CO² vous semblez plus croire en des moteurs plus performants qu’aux SAF (les carburants durables).

Marc Rochet : Si on parle d’émissions de CO2, les SAF ne règlent rien. Les solutions sont scientifiques, elles sont industrielles. Cela veut dire qu’il faut mettre le paquet sur la technologie. Aider, voire contraindre les industriels qui ont d’énormes moyens d’investir là-dessus.

Je ne dis pas qu'Airbus, Boeing, Thalès ne font rien, mais il faut sans doute mettre une pression plus forte dans le système.

Effectivement, à l’heure actuelle, une des sources technologiques de réduction de CO² c’est le moteur. Aujourd’hui, une génération technologique de moteurs qui saute un pas et qui permet de réduire la consommation de CO² significativement de 20%, c’est quelques milliards d’investissements et une prise de risque scientifique.

Ce sont des choses que nous avons su faire dans le passé.

Aujourd’hui sur les avions les plus modernes tels que les A350, les B787, les versions neo, vous avez des moteurs bien plus performants que n’étaient leur prédécesseur.

Mais sur ces moteurs de dernière technologie, il n’y a pas de visions à court terme qui fixent des échéances pour de nouveau produire un moteur encore plus économe.

Pourquoi ? Parce que ni les constructeurs Airbus et Boeing ni l’État dans son rôle de régulateur ne peuvent perturber un business model ou Rolls-Royce, Pratt et Whitney, General Electric ont investi des milliards de dollars pour la dernière génération de moteur et que pendant 20 ans il faut qu’ils se refassent sur cet investissement sans investir assez dans l’avenir.

On risque donc de vivre pendant 20 ans avec des moteurs performants en s’empêchant d'en sortir de meilleurs, sauf nouvel entrant. L’état doit œuvrer pour changer de business model et aider la recherche.

Construction d’avions : quand la Chine s’éveillera

TourMaG.com : Que voulez-vous dire par nouvel entrant ?

Marc Rochet : J’en vois un se profiler tout doucement à l’horizon c’est la Chine.

Quand on voit à quelle vitesse ils se développent, à quelle vitesse par exemple ils reviennent dans le spatial, je dis attention.


TourMaG.com : C’est un véritable avertissement que vous lancez là ?

Marc Rochet : Oui. Si on ne fait rien, alors d'autres vont faire.

De même sur la composition des équipages, le nombre de pilotes dans l’avion. Je ne dis pas zéro ni même 1, mais il faut considérer ce sujet au-delà des pressions techniques, humaines, syndicales et sociétales.

Demain, on aura peut-être un avion chinois qui va sortir avec un seul pilote et on sera tous comme des idiots à regarder l’avion « made in China ».


TourMaG.com - Oui, mais ici il y a peut-être un juste milieu entre notre système et le modèle social chinois tout de même ?

Marc Rochet : Bien sûr ! je suis évidemment d’accord, mais qu’on ne s’en serve pas d’excuse pour rester dans le statu quo.

Je dis attention. On a beaucoup reproché aux Chinois et aux Japonais de copier et à un moment ils passent devant.


TourMaG.com - Mais quand vous parlez à des motoristes de ces sujets, quelle réponse avez-vous ?

Marc Rochet : On reconnait qu’il faut regarder cela de près, mais je crois que chacun voit son intérêt à sa porte.

Les constructeurs qui autrefois avaient des compétences « moteur » les ont délégués aux motoristes. Ils n’ont donc plus la main.

Aujourd’hui les ingénieurs qui connaissent bien les moteurs sont chez les motoristes et plus chez les fabricants d’avions. Là aussi il y a un modèle qu’il faudra recréer.

S’adapter aux évolutions rapides du marché

TourMaG.com - Pour en revenir à votre actualité et à Air Caraïbes et French Bee, vous restez administrateur au sein du groupe Dubreuil Aéro, ce n’est pas complètement fini ?

Marc Rochet : C’est maintenant Christine Ourmières-Widener qui dirige ces entreprises et qui en a la charge opérationnelle, financière et économique pour le futur.

J’ai été là pour lui passer le relais, ça s’est plutôt bien passé et la page est tournée. Il n’y a qu’un pilote dans l’avion.


TourMaG.com - Pas d’infos alors sur cet A350 biclasse qui doit rejoindre le groupe et sous quelle couleur ?

Marc Rochet : Non, je ne peux pas donner d’informations qui relèvent du domaine de décision de Christine et de ses équipes.
Je peux cependant expliquer comment ça marche.

Aujourd’hui les marchés et les comportements des clients évoluent très vite. Ce qui pousse en ce moment c’est le segment éco et premium éco. Soyons clairs aujourd’hui la reprise du transport aérien, ce n’est pas le business.

Aussi, nous sommes dans un monde en perpétuelle évolution avec de la concurrence.
Les pilotes par exemple disent "on veut des garanties sur l’avenir", mais il n’y a aucune garantie. L’avenir dépend des clients de la performance de l’entreprise, de l’engagement de tous y compris des pilotes que je salue, mais personne ne peut donner de garanties.

Demain, le marché peut complètement se retourner, le covid peut revenir, on ne sait pas.

On est donc, concernant cet avion, à un an de la livraison, il est normal que les équipes d’Air Caraïbes et de French Bee gardent leur latitude. Le but est de prendre la meilleure décision le plus tard possible parce qu’on sera le plus près de ce qui aura changé.

Comment va se passer l’été sur La Réunion, les Antilles, les États-Unis ? Ça peut influencer la décision.

« J’aiderais si on me le demande »

TourMaG.com - Vous restez le Président de votre société de conseils « Aérogestion ». Quels sont vos projets ?

Marc Rochet : Aerogestion est une société que j’ai montée avec Dominique Gretz pour ne plus être tributaire de quoi que ce soit.

C’est une société d’experts d’une douzaine de personnes. Le métier de conseils impose une certaine confidentialité.

La société se porte bien, elle a pas mal de marchés. Nous conseillons des États, des régions, des compagnies aériennes, des aéroports, des constructeurs.

Au début; notre cœur d’activité portait sur l’économie de ligne, le yield management, une science complexe avec beaucoup de chiffres, beaucoup de bases de données.

Nous aidons aussi actuellement dans un pays que je ne citerai pas à la création d’une compagnie aérienne.

Voilà le schéma de notre activité. Nous sommes en croissance et cherchons des talents et il y a beaucoup de choses à faire. Comparés à de grands cabinets, nous sommes certes en infériorité numérique, mais nous facturons moins cher qu’eux et avons plus de proximités avec les clients.

Notre fierté c’est d’aider les gens à monter en niveau, former au sein des entreprises et donner les grandes orientations.


TourMaG.com - On sent que la passion vous habite encore. Seriez-vous tenté pour une nouvelle aventure « entrepreneuriale » ?

Marc Rochet : Il faut être réaliste, je ne cache pas mon âge. Place aux jeunes.

Mais quelqu’un qui veut monter une entreprise, qui a des idées et qui me dirait « Marc, j’ai besoin d’aide », je l’aiderai.

Compétitivité et consolidation

TourMaG.com - On ne peut pas se quitter sans vous demander quelle est votre vision du transport aérien. Comment voyez-vous les choses ? Des consolidations ? Vous dites souvent que ce pays, la France, qui va recevoir dans les années à venir 100 millions de touristes, est bénie des dieux pour le transport aérien. Or on voit dans notre pays quelques petites compagnies dont certaines sont fragilisées à l’ombre d’un géant. Que va-t-il se passer ? Qu’est qu’i faudrait qu’il se passe ?

Marc Rochet : En ce début d’année 2024, je suis profondément et objectivement optimiste.

Premièrement , la façon dont est revenu le trafic passager post-covid est très impressionnante. Cela a pris du temps, mais cela a été traité globalement avec une réponse médicale de bon niveau et soyons clairs, nous avons échappé à un drame qui aurait pu faire 200 millions de morts.

La force du retour du trafic est fascinante et ce rebond se fait sur la clientèle VFR (les visites à des amis et à des parents) et le tourisme et c’est porteur d’espoir.

Je pense que cela va continuer. Je vois l’exemple de l’Outre-mer. Dans une famille, un jeune étudiant allant faire ses études en Métropole, avant, il revenait tous les deux ans et aujourd’hui c’est deux fois par an et la grand-mère vient le voir aussi une fois par an et cela continuera. Il faudra faire des progrès quant à l’écologie, mais ça continuera. Je suis donc assez optimiste sur ce point.

Compte tenu de ces atouts « Bénie des dieux », la France va profiter de cette forme de nouvelle croissance.


TourMaG.com - Vous entendez qu’on pourrait arrêter cette malédiction pour le transport aérien français de perdre un point de part de marché par année ?

Marc Rochet : Oui, mais cette nouvelle croissance ce seront soit des compagnies françaises qui iront la chercher, soit des opérateurs étrangers.

Aller chercher la croissance suppose deux choses :
- avoir les bons outils, la bonne flotte, car c’est un atout majeur,
- avoir des coûts non pas bas, mais cohérents avec la demande

En France nous avons des coûts trop élevés. Il n’y a pas que le social. Il y a d’autres contraintes. Quand je regarde les chiffres de 2023, on voit que Ryanair s’en tire très bien avec plus de deux fois et demie les bénéfices du groupe Air France.


TourMaG.com - Vous voulez mettre sur le podium le modèle social de Ryanair ? Il y a quand même deux ou trois choses à redire là-dessus.

Marc Rochet : Bien sûr, mais ce que je veux expliquer par là c’est que si nous ne savons pas nous adapter à cette clientèle-là et au prix qu’elle est prête à payer ce sont des gens comme ça, bien ou pas bien qui feront le boulot sur le moyen-courrier.

En France, est-ce qu’on décide que c’est Wizzair, Vueling, Easyjet, Ryanair qui vont piquer 60% de ce trafic chez nous ou est-ce qu’on décide que NON ?

Je pense que la mère des batailles doit être menée avec courage et ce n’est pas avec les coûts que nous avons qu’on y arrivera.

Une partie du problème pourrait d’ailleurs peut-être se régler par la concentration.

Je prends l’exemple des compagnies d’Outre-mer long-courrier. Il y a Air Tahiti, Air Calin, Air Austral, French Bee, Air Caraïbes, Corsair … 6 compagnies.

Air Caraïbes à la flotte la plus importante et a donc un temps d’avance sur les autres, mais avons-nous tous besoin d’avoir nos avions, nos moteurs chacun différents, nos routes ? On peut penser qu’il pourrait y avoir de la concentration qui ne passe pas non plus forcément par de l’absorption.

Quand on voit les accords commerciaux entre toutes ces compagnies, c’est très pauvre et je trouve que ce n’est pas bien, surtout face à Air France.

Faire du code share entre French Bee et Air Tahiti Nui je ne vois pas où est le problème.
On nous explique que ce n’est pas possible. Je n’y crois pas.


TourMaG.com :Il y a des accords dans l’air pourtant ?

Marc Rochet : C’est dans l’air depuis tellement longtemps.

On sent qu’il n’y a pas d’envie. Les gens n’y vont pas de gaité de cœur. Il ne faut pas être dans le « y a qu’a faut qu’on », mais quand même, trois compagnies s’enfermeraient pendant une journée en se disant qu’est ce qu’on pourrait faire ensemble cela aurait du sens surtout pour certaines d’entre elles basées à Orly alors qu’Air France va quitter la plateforme.



* En 1981, le président des États-Unis, Ronald Reagan a brisé la grève des contrôleurs aériens qui étaient des fonctionnaires fédéraux. Plus de 11 000 d'entre eux furent licenciés sur-le-champ.


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Tags : marc rochet
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Commentaires

1.Posté par Yves Brossard le 01/02/2024 08:07 | Alerter
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Pas de commentaire, car un discours empreint de bon sens et de courage se passe de commentaire :
"Mais si demain, et de bonne foi, il faut recommencer ce travail, je le recommencerais. En gardant mes valeurs et ma façon de m’exprimer. Je reste quelqu’un de bonne volonté. Si cela est utile tant mieux et sinon ce ne sera qu’un échec de plus."
"Aujourd’hui les ingénieurs qui connaissent bien les moteurs sont chez les motoristes et plus chez les fabricants d’avions. Là aussi il y a un modèle qu’il faudra recréer."
"On risque donc de vivre pendant 20 ans avec des moteurs performants en s’empêchant d'en sortir de meilleurs, sauf nouvel entrant. L’état doit œuvrer pour changer de business model et aider la recherche."
"La Chine...Oui. Si on ne fait rien, alors d'autres vont faire."
"Comment va se passer l’été sur La Réunion, les Antilles, les États-Unis ? Ça peut influencer la décision."
"La force du retour du trafic est fascinante et ce rebond se fait sur la clientèle VFR (les visites à des amis et à des parents) et le tourisme et c’est porteur d’espoir."
"En France nous avons des coûts trop élevés. Il n’y a pas que le social. Il y a d’autres contraintes. Quand je regarde les chiffres de 2023, on voit que Ryanair s’en tire très bien avec plus de deux fois et demie les bénéfices du groupe Air France. En France, est-ce qu’on décide que c’est Wizzair, Vueling, Easyjet, Ryanair qui vont piquer 60% de ce trafic chez nous ou est-ce qu’on décide que NON ?"

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