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Intelligence Artificielle : "il y a beaucoup de fantasmes", selon Ronan Bars

Interview de Ronan Bars, directeur général d’Eurodecision


L'Intelligence Artificielle est le sujet à la mode parmi les acteurs technologiques du tourisme. Sauf que cette innovation est largement décriée par bon nombre de scientifiques. Nous avons demandé l'avis à Ronan Bars, directeur général d'Eurodecision, un spécialiste des algorithmes travaillant avec Air France et la RATP. Et si la série X-Files avait raison : "la vérité est ailleurs" ?


Rédigé par le Jeudi 19 Septembre 2019

"Il faut faire attention aux effets d'annonce, la réalité est bien souvent très éloignée" selon Ronan Bars, le PDG d'Eurodecision - DR
"Il faut faire attention aux effets d'annonce, la réalité est bien souvent très éloignée" selon Ronan Bars, le PDG d'Eurodecision - DR
TourMaG.com - Dans un premier temps, comment définiriez-vous l'intelligence artificielle ?

Ronan Bars :
Il y a une grande confusion au niveau du grand public, elle-même alimentée par le buzz fait par les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple). Ce n'est pas une technologie nouvelle, elle existe depuis des dizaines d'années.

Selon Wikipédia, l'IA consiste à écrire un programme informatique qui recherche à simuler ou imiter une intelligence humaine. En lisant cette définition, nous nous rendons compte que le domaine est très vaste avec des technologies différentes.

L'intelligence artificielle va être alimentée par deux types de données. Les premières dites structurées, comme celles provenant des sites Internet, et celles déstructurées à l'image des visages filmés par une caméra.

Cela démontre bien toute la complexité de définir ce qu'est l'IA.

TourMaG.com - Les usages sont-ils aussi très variés ?

Ronan Bars :
En effet, les algorithmes sont produits avec pour objectif de donner un résultat et aider dans une prise de décision sauf que cela dépend de l'importance du choix.

Si vous prenez Netflix, son algorithme va vous aider à choisir un film, alors que la voiture autonome doit vous amener en vie d'un point A à un point B. La tolérance à l'erreur est infime.

J'essaye de faire comprendre,à vos lecteurs que le sujet n'est pas facile à aborder.

Dans les médias, lorsqu'on parle de l'IA c'est toujours à des fins sensationnalistes. Dans la réalité, la technologie se cantonne à des choses plus simples et basées sur des données structurées.

Il y a beaucoup de fantasmes dans les sujets traitant l'IA.

TourMaG.com - L'IA rend le champ des possibles infini et cela fascine les humains, comme les médias...

Ronan Bars :
Tout à fait. Pour illustrer cela, Laurent Alexandre avait clamé, il y a quelques années lors d'une conférence "il y a des personnes dans cette salle qui vivrons 500 ans."

Sauf que dans le même temps, si la recherche est poussée à ce point, pourquoi ne luttons-nous pas contre la chute des cheveux ? Alors que le laboratoire pourrait générer des milliards d'euros de recettes.

Il faut faire attention aux effets d'annonce. La réalité est bien souvent très éloignée. Il suffit de voir l'actualité concernant la voiture autonome. Il y a quelques années, la plupart des constructeurs promettaient un véhicule où il sera possible de dormir et ne pas toucher le volant pour 2022.

A moins de 3 ans de cette échéance, plus personne ne s'aventure à livrer une date. Ces exemples démontrent bien la fantasmagorie ambiante.

"Elle existe depuis un moment, mais nous attendons peut-être trop d'ell"

TourMaG.com - Pourquoi ce rétropédalage ?

Ronan Bars :
Sur la voiture autonome, aucun droit à l'erreur n'est permis.

Dans le cadre de cette industrie, il y a eu des progrès énormes réalisés très rapidement, ce qui a poussé les ingénieurs et les constructeurs à s'enflammer sur les dates.

Aujourd'hui, je pense que nous devons avoir un taux de succès de l'ordre de 99,5% dans le cadre de la voiture autonome, mais ce n'est pas suffisant. Et pour grappiller un petit dixième, les dépenses en R&D sont colossales.

Ainsi, les constructeurs ne livrent plus aucune date.

TourMaG.com - L'intelligence artificielle n'en est encore qu'à ses balbutiements ?

Ronan Bars :
Elle existe depuis un moment, mais nous attendons peut-être trop d'elle. Elle possède ses propres limites.

Pour revenir à notre cas, chez Eurodecision, nous ne préconisons pas des systèmes de revenu manager totalement automatisés car l'humain a des connaissances et une expérience indispensable à la prise de décision.

Dans le cas de nos clients, comme l'hôtellerie de plein air, parfois les réservations peuvent chuter en plein cœur de la saison, comme ce fut le cas pendant les manifestations des Gilets Jaunes.

Les gens ont juste différé leur prise de décision, mais ils partiront, sauf que l'algorithme voit une baisse de la demande, alors en conséquence, il va faire baisser les prix automatiquement, alors que l'humain saura faire la corrélation.

Il y a des limites psychologiques.

"Toutefois, la psychologie humaine sera très compliquée à égaler"

TourMaG.com - Ces limites peuvent être effacées avec le temps. C'est une technologie récente, en s'améliorant au fur et à mesure, peut-être qu'il sera possible de les reléguer très loin. Qu'en pensez-vous ?

Ronan Bars :
C'est une éventualité car tous ces systèmes s'améliorent. Si vous prenez le travail que nous avons fait pour la RATP au début des années 2000, nous avons mis plusieurs années pour être équivalent à l'opérateur humain.

Dorénavant, l'humain ne peut plus dépasser notre algorithme.

Toutefois, la psychologie humaine sera très compliquée à égaler. Il n'est pas facile de se projeter dans le futur car nous voyons apparaître un cadre réglementaire restrictif.

TourMaG.com - D'ailleurs ce dernier ne doit-il pas être étendu pour se prémunir contre ces dérives ? Gaspard Koeing a récemment alerté sur la menace pour notre libre arbitre...

Ronan Bars :
Il est seulement dans le spectre des GAFA quand nous mettons en place un système d'IA s'inscrivant dans un cadre réglementaire, sans aucune menace sur le libre-arbitre.

Par exemple, pour Air France, nous nous occupons de gérer le planning de ses pilotes. Nous devons prendre en compte 250 facteurs très complexes pour être dans le cadre de la loi.

Il ne faut pas perdre d'esprit que les géants du numérique n'ont qu'une ambition : capter l'attention des consommateurs pour qu'ils restent sur la plateforme.

Si on prend l'exemple des adeptes des théories du complot et des révisionnistes, ces personnes ne veulent voir que des vidéos qui vont dans leur sens. Dans ce cas, Google a tout intérêt à pousser auprès de ce public des vidéos révisionnistes sinon ces internautes seront mécontents.

Cette situation est un danger apporté par l'IA. Par un acteur cynique dont le seul but est de faire de l'argent. Vous voyez, nous sommes très loin de notre cas.

"Si cette technologie ne fait pas de l'internaute le produit, comme c'est le cas avec Facebook"

TourMaG.com - Pour éviter les scandales, ne devrions-nous pas cantonner l'IA seulement au BtoB, dans un rôle d'optimisation ?

Ronan Bars :
Je ne pense pas. Si cette technologie ne fait pas de l'internaute le produit, comme c'est le cas avec Facebook ou Google, alors elle est un progrès intéressant.

Sauf que nous avons plein de cas où le système est perverti.

TourMaG.com - La réappropriation des données serait-elle plus intéressante ?

Ronan Bars :
Je suis plus convaincu par cette démarche que par une limitation de ses champs d'application.

Toutes les grandes entreprises du web font des choses borderline. Nous ne maîtrisons plus rien. Prenons l'exemple d'Apple. La firme à la pomme croquée espionnait les utilisateurs pour voir ce que les utilisateurs disaient et ensuite le comparer avec ce qu'un de leur outil retranscrivait.

Même si dans le cas présent ce n'était qu'un entraînement de l'IA, cela peut nous poser des questions de l'ordre de l'éthique. Si on demandait l'avis des gens, régulièrement, sur l'autorisation de l'accès aux données, cela limiterait les usages.

Il va vite falloir l'instauration d'un cadre réglementaire. Je viens de mettre à jour le système de mon IPhone, cela implique la signature et la lecture de 40 pages de conditions, sauf que dans le BtoC, qui lit ces documents ? Personne, alors que dans le BtoB, il y a des armées de juristes.

"La machine n'arrivera pas par elle-même à des traits de génie"

TourMaG.com - Et quand Luc Julia (l'un des deux créateurs de Siri) clame haut et fort que l'intelligence artificielle n'existe pas. Que lui répondez-vous ?

Ronan Bars :
En fait, des personnes pensent que l'IA est en capacité de produire des sonates comme Mozart ou peindre l'équivalent de la Joconde, mais ce ne sera jamais le cas.

Au niveau de la musique, une entreprise a fait écouter 900 tubes à une intelligence artificielle et elle pensait qu'il allait en sortir quelque chose d'intéressant, sauf que ça n'a pas bien marché.

Il est possible de sortir quelque chose d'agréable, mais sans aucun trait de génie. Pour en revenir à Luc Julia, c'est en cela qu'il dit que l'IA n'existe pas car elle n'a rien d'humaine.

Nous apprenons à la machine à apprendre des choses, mais elle n'arrivera pas par elle-même à des traits de génie. Les grandes inventions naissent de contextes particuliers ou d'expériences, la machine sera incapable de cela.

TourMaG.com - Utilisez-vous le deep learning (ou apprentissage profond, la machine est capable d'apprendre par elle-même) dans vos solutions ?

Ronan Bars :
Bien sûr, mais cela nécessite des grandes quantités de données. Et comme l'IA, il n'est pas possible d'en espérer tout et n'importe quoi.

L'humain a une capacité d'adaptation extraordinaire, il lui est possible de réagir à une situation qu'il ne connait pas, ce qui n'est pas encore le cas pour la machine.

L'IA ne s'adaptera pas à une situation qu'elle n'a pas apprise.

"Il sera possible de proposer des offres sur-mesure"

TourMaG.com - En l'espace d'une vingtaine d'années, l'évolution de votre travail doit être phénoménal. Quels sont les plus gros changements que vous avez observés ?

Ronan Bars :
Nous avons considérablement amélioré le Yield Management, avec une précision très fine, nous arrivons presque à établir un prix pour chaque client.

Je ne vais pas tout vous révéler. Dans le secteur de la croisière, lorsqu'une compagnie vend ses séjours, le prix comprend la réservation et les dépenses qui seront faites sur le bateau.

Ces extras sont très importants pour la rentabilité des compagnies. Toutes ces informations sont dorénavant connues grâce aux bracelets cashless (sans monnaie via un badge) à bord.

Et même si la personne n'est pas un ancien client, il est possible de faire des suppositions et d'anticiper les capacités de dépenses.

Nous sommes presque arrivés à une situation où il sera possible de proposer des offres sur-mesure. Cela se fera d'ici quelques années.

Eurodecision :

Fondée en 1987, Eurodecision est une entreprise basée à Versailles, qui facilite la prise de décision des managers grâce à l'intelligence artificielle.

Elle intervient dans 3 domaines : l’optimisation de la Supply Chain, la planification des Ressources Humaines et le Pricing & Revenue Management.

"Nous travaillons les mathématiques appliquées (optimisation, intelligence artificielle, recherche opérationnelle, ndlr). Notre cœur de métier étant la création d'algorithmes, dont notre plus gros client est Air France-KLM.

Nous avons plus de 60 salariés, dont 40 qui produisent du code et des logiciels. Nous sommes tous ingénieurs avec au minimum 3 compétences : informatique, mathématiques et métier,
" explique Ronan Bars.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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