L’annonce du président russe a généré de vives discussions au sujet de la « course » au vaccin contre le Covid-19. Car, bien que la rapidité soit importante, il est avant tout crucial de s’assurer que le vaccin mis au point sera efficace et sûr. La distribution d’un vaccin potentiellement dangereux et inefficace pourrait en effet avoir des conséquences à large échelle.
Les données relatives aux essais n’ont pas été publiées
Le vaccin Sputnik V avait précédemment été enregistré par l’Institut Gamaleïa dans le cadre d’un essai de phase I/II, destiné à évaluer sa sécurité et les réponses immunitaires qu’il induit chez l’être humain. Initialement, cet essai n’incluait que 38 participants.
De hauts responsables russes ont déclaré que Sputnik V avait induit une forte réponse immunitaire et que l’essai en question n’avait pas mis en évidence de « complication grave ». Rien de surprenant, car les données publiées jusqu’à présent dans le cadre d’autres essais cliniques sur l’être humain concernant la mise au point de vaccins similaires ont révélé elles aussi l’existence de fortes réponses immunitaires et l’absence de complications sérieuses.
Cependant, les données de l’essai de Spoutnik V n’ont pas encore été publiées et rien n’indique que le vaccin protège réellement, car les études de phase III, qui nécessitent des milliers de volontaires pour démontrer l’efficacité d’un vaccin et en détecter les effets secondaires rares, n’ont pas encore été réalisées.
L’Institut Gamaleïa a annoncé qu’un essai de phase III concernant Spoutnik V doit débuter le 12 août, en Russie et dans plusieurs autres pays. Toutefois, de nombreux scientifiques (y compris des chercheurs russes) ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le vaccin pourrait bientôt être utilisé dans le cadre de grandes campagnes de vaccination civile.
Quels sont les risques ?
Si nous voulons continuer à filer la métaphore de la course, il faut bien comprendre que nous devons cesser de considérer la mise au point d’un vaccin comme un 100 m. Elle tient en effet davantage du pentathlon. Dans cette discipline, chaque épreuve passée par l’athlète contribue à son score global. Pour gagner, aucune ne peut être ignorée, ou totalement ratée. Si nous essayons de participer à la course contre le Covid-19 sans tenir compte de toutes les épreuves imposées, nous risquons de nous retrouver avec un vaccin qui n’aura pas été correctement testé, ce qui pourrait s’avérer non seulement dangereux, mais aussi contraire à l’éthique. Dans ce cas, la défaite serait totale.
Décider de passer à une vaccination de masse sans avoir effectué les tests appropriés fait en effet courir d’importants risques. En particulier, si des effets secondaires non documentés apparaissent après que le vaccin aura été largement administré, le risque est de dégrader à la fois la santé de la population et sa confiance dans la communauté scientifique. Par ailleurs, si le vaccin ne protège pas les individus contre l’infection, ou si la protection est insuffisante, ceux qui ont été vaccinés pourraient croire qu’ils sont protégés alors que ce n’est pas le cas.
Notre système d’essais cliniques, méthodique, est le fruit d’enseignements qui ont souvent été acquis « à la dure ». Il a été conçu pour éviter les oublis, et pour collecter des données essentielles sur la sécurité, l’immunité et la protection des vaccins en développement.
Comme l’a déclaré le secrétaire américain à la Santé et aux services sociaux, Alex Azar :
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Tester un vaccin demande de la rigueur
Lorsqu’un gouvernement envisage d’introduire un vaccin sur le marché, il examine les informations suivantes :
Quel est le degré de sécurité dudit vaccin ?
À quel point est-il efficace ?
Quelle est la gravité de la maladie qu’il permettrait de prévenir ?
Combien de personnes contracteraient la maladie sans vaccin ?
Les réponses à ces questions sont recueillies au cours de chacune des phases des essais cliniques (phase I, phase II et phase III), en mettant l’accent, à chaque étape, sur la sécurité du vaccin. L’élaboration de cet ensemble d’informations peut prendre des années. Toutefois, il est déjà arrivé que, dans certaines situations, les délais soient raccourcis.
Ce fut par exemple le cas des essais menés pour trouver un vaccin contre les maladies à virus Ebola, qui ont été condensés sur cinq ans. Les épidémies faisaient rage, et il y avait alors un besoin critique de ce vaccin. Cependant, indépendamment de cette urgence, chacune des phases d’un essai clinique classique a été menée à bien.
Étant donné que les vaccins sont administrés à de nombreux individus, il est primordial d’identifier les effets secondaires rares. Les essais cliniques de phase III sont particulièrement importants lorsqu’il s’agit de vérifier que le vaccin est sûr pour le plus grand nombre de personnes possible : lors des phases d’essai antérieures, de moindre envergure, certains effets secondaires rares peuvent ne pas avoir été identifiés. Ainsi, si le vaccin ne provoque un effet secondaire donné que chez une personne sur 10 000, pour être à même de le détecter un essai devra enrôler environ 60 000 volontaires.
Les vaccins sont administrés à des personnes en bonne santé : la sécurité est donc la priorité essentielle. C’est pourquoi ils sont, d’une façon générale, testés de manière plus approfondie que n’importe quel autre médicament.
Qu’y a-t-il dans le vaccin Sputnik V ?
Ce vaccin est un vaccin à vecteur viral. Le principe est de leurrer notre système immunitaire grâce à un appât ; il s’agit de prendre un virus inoffensif, de le modifier pour qu’il ne puisse pas se répliquer puis d’y ajouter un élément issu de la surface du virus SARS-CoV-2. Pour le système immunitaire, le résultat ressemble à un virus dangereux. Sa réponse au vaccin est donc relativement forte, et ciblée contre le SARS-CoV-2. Cependant, le virus utilisé ne peut pas provoquer de maladie.
Sputnik V est particulier, car il utilise deux vecteurs viraux différents. Le premier, appelé Ad26 (pour adenovirus serotype 26), est similaire à celui utilisé dans le cadre du développement d’un autre vaccin contre le COVID-19, mené par l’entreprise pharmaceutique américaine Johnson&Johnson. Le second, Ad5, est similaire à celui utilisé par la société chinoise CanSino Biologics pour la mise au point de son vaccin anti-Covid-19.
Les vecteurs viraux constituent une technologie relativement nouvelle. Plusieurs essais cliniques de grande taille ont été réalisés avec des vecteurs viraux dans le contexte de la recherche d’un vaccin contre le VIH, le paludisme, la tuberculose et les maladies à virus Ebola. Cependant, pour l’instant un seul vaccin de ce type, destiné à lutter contre Ebola a reçu une approbation pour administration en population générale.
Kylie Quinn, Vice-Chancellor's Research Fellow, School of Health and Biomedical Sciences, RMIT University et Holly Seale, Senior Lecturer, UNSW
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.