FUTUROSCOPIE - Montagne en hiver : du sacré au "Luna park" 🔑

Entrée très tôt dans l’imagerie touristique, la montagne a connu ses plus belles heures dès lors qu’elle a su se parer de blanc et mettre en valeur ses glaciers, ses neiges éternelles et ses plus hauts sommets vaincus par des alpinistes intrépides. Lesquels ont façonné en grande partie à la fois la mythologie touristique et la mythologie de cet ailleurs étrange considéré comme dangereux.

Si l’on en croit l’Histoire, l’alpinisme est inventé́ au pied du Mont Blanc conquis dès 1786, dans une station historique : Chamonix. Pratique élitiste, l’alpinisme, il se démocratise rapidement pour donner naissance aux premiers clubs et expéditions. Le Club alpin français nait en 1874 et contribue grandement à l’essor du tourisme en montagne et à la survie de régions en voie de désertification.

Mais, il a fallu attendre les années soixante et l’avènement de l’or blanc pour que la montagne s’inscrive dans les pratiques touristiques des Trente Glorieuses et suscite l’engouement d’une classe moyenne en plein développement.

Les Jeux Olympiques d’hiver de 1968 à Grenoble et la moisson de médailles recueillies par les skieurs français apportera à cet engouement une contribution d’autant moins négligeable que, dans une époque en bonne santé́ économique, les stations de ski n’en finissaient pas d’accrocher leurs constructions de béton et de lancer câbles de téléphériques et téléskis à l’assaut des hauteurs.

Acquis par une classe moyenne en quête de nouvelles sensations et de compléments iconographiques permettant d’afficher une forme de réussite sociale, ces biens immobiliers donnèrent un coup de fouet massif au développement d’une pratique vedette : le ski !

Loin des dangers d’hier, une montagne sécurisée, chaleureuse, familiale, accueillante, dynamique et ludique entrait dans les imaginaires de la deuxième moitié du vingtième-siècle, s’y installait pour un bon demi-siècle. Et il va de soi que le slogan « la montagne, ça vous gagne » pouvait faire florès.

Retrouvez le dossier sur les Imaginaires touristiques

La montagne a provoqué́ chez l’homme quantité́ de sentiments contradictoires. Interdite ou promise, refuge des ermites, siège des combats entre les Titans et les Dieux, entre les Archanges et les Dragons, elle est aussi le lieu de l’immortalité́, la colline de la pureté́, centre et sommet du monde.

Génératrice de paniques comme d’exaltations, elle suscite depuis toujours le sentiment d’un univers qui échappe à l’échelle humaine. Proche des cieux, éloignée de l’ordre humain, elle est le point de rencontre privilégié entre le Ciel et la Terre. Elle est le lieu le plus bas pour les dieux et le plus élevé́ pour les hommes.
C’est au sommet d’une montagne que Yahvé́ a dicté ses commandements à Moïse, que Bouddha a prêché́ la délivrance et que le Christ s’est transfiguré face à ses disciples.

C’est aussi au pied d’une montagne, l’Hélicon, qu’Hésiode a reçu l’inspiration des Muses pour écrire sa Théogonie, l’histoire sacrée des Dieux et de la création. La montagne apparaît d’ailleurs dans chaque récit de la création du monde. En tant que centre et sommet, elle constitue la figure de choix symbolisant le lieu de la naissance du monde, le sommet d’où̀ émerge la vie, la source de toute réalité.

Pour tous les peuples, la montagne symbolise la transcendance. Nous pensons aux montagnes sacrées : Le mont Olympe en Grèce, le Fuji-Yama au Japon, le Sinaï̈. Les pèlerinages en direction de ces montagnes sacrées symbolisent le détachement progressif de la matière et l’élévation spirituelle. La montagne est un lieu de dépouillement qui invite au silence et à la solitude.

L’ascension d’une montagne évoque pour sa part un progrès vers la connaissance de soi. Gravir sa montagne intérieure, c’est apprendre à̀ concilier nos principes opposés : terre et ciel, et à en faire des principes complémentaires en vue de l’union ultime avec soi-même, avec les autres et avec l’univers…

Sur ces strates historiques et symboliques, la nouvelle montagne qui est en train de se dessiner puise dans toutes les ressources sportives et ludiques pour se battre contre son principal ennemi : le changement climatique.

Verte dans de nombreuses stations au lieu d’être blanche, elle a dû avoir recours à une batterie d’activités et d’animations capables de pallier le manque de neige et de compenser les frustrations des adeptes de grand ski. Comme au luna-park, elles propose vélo électrique, curling, trottinette combinée à du tir à la carabine, escape games, kite surf, parapente, Explore games comme à Chamrousse…

Une station comme Mégève à elle toute seule affiche 50 activités pour tous les âges. Quant à l’Office du Tourisme de Val Thorens, il songe même à une nouvelle stratégie autour du concept de l’oxygénation en altitude et, comme l’indique un article récent de TourMag, un premier grand projet a pris forme : la Via 3 Vallées qui empruntera des routes en lacets reliant des cols mythiques …

A l’Alpe d’Huez, autre exemple et pas des moindres : on rejoue la carte de la musique avec le retour de l’un des festivals de musiques électro les plus courus d’Europe : Tomorrowland-Winter. Un rendez-vous incontournable pour les jeunes que le massif de l’Oisans tout entier a décidé de cibler en leur offrant toutes sortes d’autres animations festives : randos nocturnes, soirées fondues…

En somme, entre le sport, le jeu, la culture, les stages de cuisine, fabrication de fromage et entre folklore et avant-gardisme, la mosaïque de la montagne devrait avoir de plus en plus de quoi divertir les vacanciers. Y compris en l’absence de neige.

Cependant, la carte majeure, jouée de plus en plus par les massifs, c’est celle du bien-être. Une activité idéale très répandue dans les spas des hôtels haut de gamme des stations les plus huppées.

Mais également de plus en plus, dans des stations plus modestes. Outre les séances collectives de yoga et autre taï-chi, la méditation conjuguée avec une sortie en raquettes, bains de forêts, bains nordiques, respirologie… composent l’imposante palette d’activités proposée à une clientèle en quête d’une alternative au ski mais surtout en quête de détox, de ressourcement et parfois de spiritualité.

Le sacré très présent dans la symbolique de la montagne est certainement une alternative même si nos montagnes truffées de routes, hôtels, équipements divers ne sont ni le Tibet, ni le Bhoutan. Pauvres en édifices religieux traditionnels, elles ont du mal à respirer la spiritualité des montagnes himalayennes.

Néanmoins, entre déploiement de nouveaux équipements ludiques risquant de dénaturer ses paysages et sa biodiversité, cette montagne-là a une chance réelle d’exister et de pénétrer l’imagerie montagnarde des années à venir, sans avoir à la contredire et en allant dans le sens de l’histoire.

… Un bémol cependant : elle ne fera pas tourner les moteurs des remontées mécaniques, mais elle pourra apaiser le tourisme de montagne en hiver et en été et sa clientèle.

Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com