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Loi PACTE et tourisme : attention... une RSE peut en cacher une autre !

L'interview de Me Malika Lahnait, Legal College Challenge Tourisme


La Loi PACTE, dont les décrets ont été promulgués avant l'été, fait peser un risque de contentieux important sur les sociétés de toutes tailles. Ce texte qui se fixait pourtant comme objectif de simplifier la vie des entreprises, a "moralisé" le rôle de l'entreprise et de son dirigeant. Il y a fort à parier que "les juges auront dès lors un rôle majeur dans la définition des notions d’enjeux sociaux et environnementaux et de leur raison d’être...", souligne Me Malika Lahnait, responsable du Legal College Challenge Tourisme qui intervenait dernièrement dans le cadre de Challenge Tourisme à Madrid.


Rédigé par le Mardi 8 Octobre 2019

"Certaines dispositions de la Loi PACTE méritent une attention toute particulière... /crédit photo DR
"Certaines dispositions de la Loi PACTE méritent une attention toute particulière... /crédit photo DR
TourMaG.com - Qu'est-ce que la loi Pacte ?

Malika Lahnait
: "La Loi Pacte (Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) concrétise la réforme économique phare du gouvernement Macron, visant à faciliter la vie des entreprises et améliorer ainsi leur compétitivité.

Ce texte de loi poursuit de nombreux objectifs, notamment :

  • faire grandir les entreprises pour qu’elles créent plus d’emplois

  • Simplifier la création d’entreprise afin de réduire les coûts et les délais

  • Libérer les entreprises en supprimant les obstacles à leur croissance et à leur transmission, tout en les sensibilisant aux enjeux sociaux et environnementaux

  • Réduire les obligations qui pèsent sur les entreprises dans une démarche de simplification

  • Renforcer le recours à la procédure de liquidation judiciaire simplifiée afin de faciliter le rebond des entrepreneurs

  • Faciliter l'accès pour les entreprises à des solutions de financement diversifiées

  • Renforcer la compétitivité des entreprises en leur permettant d'atteindre une taille critique dans un contexte globalisé

  • Favoriser les exportations des entreprises françaises

  • Mieux associer les salariés aux résultats de leur entreprise pour permettre aux salariés de percevoir les fruits de leurs efforts."

Définir sa raison d’être, le « WHY » de l’entreprise porteuse de sens

TourMaG.com - Quand ce texte est-il entré en vigueur ?

Malika Lahnait :
"La loi Pacte a été publiée au Journal Officiel du 23 mai 2019 sous l'intitulé "Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises. Les premiers décrets d’application ont déjà été publiés.

TourMaG.com - En quoi cette loi impacte-t-elle les entreprises et les professionnels du tourisme ?

Malika Lahnait
: "Il serait fastidieux de recenser ici l’ensemble des dispositions, fort disparates, qui s’appliquent à l’ensemble des entreprises, tous secteurs d’activité confondus. Certaines dispositions méritent cependant une attention particulière.

Définir sa raison d’être, le « WHY » de l’entreprise porteuse de sens.

Les sociétés du tourisme, peu importe leur forme juridique, pourront désormais préciser dans leurs statuts leur « raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (art 1835 du Code Civil).

Une entreprise a une raison d'être non réductible au profit. Les entreprises du tourisme, quelle que soit leur taille, pourront donc définir et communiquer sur leur raison d’être, facteur d’attractivité et de différenciation de l’entreprise, véritable ADN de l’entreprise.

Les grands groupes n’ont pas manqué de saisir cette opportunité, tels :

- Décathlon : « le sport partout, pour tous »

- Carrefour : « proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution… être leader de la transition alimentaire pour tous »

- Google : « rendre les informations accessibles et utiles à tous »

- Groupama : « permettre au plus grand nombre de construire leur vie en confiance en s’appuyant sur des communautés d’entraide humaines, proches et responsables

- Essilor : « améliorer la vision pour améliorer la vie ».

La société ne devra pas omettre d’affecter les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs découlant de sa raison d’être, sous peine de voir engagée sa responsabilité et celle de ses dirigeants."

Davantage de responsabilités pour les agences de voyages

TourMaG.com - Peut-on considérer que le législateur a, même indirectement, accru davantage les responsabilités des agences de voyages ?

Malika Lahnait
: "Manifestement oui, puisqu’une nouvelle obligation est mise à la charge de toutes les entreprises : l'obligation de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux.

Afin de renforcer la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) des sociétés, outre l’introduction du concept de « raison d’être » précité, la loi PACTE a par ailleurs modifié l’article 1835 du code Civil, qui dispose désormais que : « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Il s’agit de l’une des mesures phares - et des plus controversées - de la loi Pacte, qui s’applique impérativement à toutes les sociétés, quels que soient leur forme, leur objet ou leur taille, TPE, PME, grands groupes.

Dans le secteur du tourisme, sont ainsi concernés l’agence de voyages de quartier exploitée sous forme de SARL, les agences de voyages en ligne, les tour-opérateurs, les compagnies aériennes, les croisiéristes, les autocaristes…

Les dirigeants devront désormais impérativement déterminer les orientations de l'activité de leur société et veiller à leur mise en oeuvre, conformément à son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité et, s'il y a lieu, la raison d'être de la société.

Risque de contentieux important sur les sociétés de toutes tailles

Cette prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux devra évidemment être adaptée à chaque société, en fonction de sa taille et de son secteur d’activité.

Pour le législateur, l’entreprise ne doit ainsi pas se résumer à la réalisation de profits : elle a une dimension sociale et environnementale.

Si tout dirigeant doit désormais prendre ses décisions en ayant conscience des enjeux sociaux et environnementaux, la violation de cette obligation légale n’entraînera pas la nullité des actes et délibérations des organes de la société.

Le dirigeant social à l’origine de la décision et la société elle-même pourront, par contre, voir leur responsabilité mise en jeu pour violation de la loi si toutes les conditions de la mise en jeu de leur responsabilité sont réunies :

- une faute (absence de prise en compte de l’impact sociétal et environnemental de l’activité de la société dans le cadre de la gestion de la société ou lors de la prise de décisions),

- un préjudice,

- et un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

Le dirigeant fautif pourra également être révoqué."

 TourMaG.com - Comment cela pourrait-il se concrétiser ?

Malika Lahnait
: "La loi PACTE étant toute récente, elle n’a pas encore donné lieu à des contentieux.

Considérons le cas de Venise qui souffre des dérives du tourisme de masse. Près de 30 millions de personnes visitent la ville chaque année. Les navires de croisières sont désormais interdits dans le centre, car leurs remous fragilisent les fondations de la cité vénitienne."

TourMaG.com - Donc cela pourrait être condamnable ?

Malika Lahnait
: "Un habile plaideur pourrait diligenter une action en responsabilité civile à l’encontre de croisiéristes (et de leurs revendeurs) qui ont enfreint l’obligation légale de prendre en compte l’impact environnemental et sociétal de leurs décisions.

Pareille faute aura causé un préjudice, à savoir la dégradation de la lagune. Risque réel ou imaginaire, les juges nous fixeront dans un avenir proche.

La Loi PACTE a introduit des concepts larges aux contours non définis (« raison d’être », « prendre en considération » les « enjeux sociaux et environnementaux »), ce qui fait peser un risque de contentieux important sur les sociétés de toutes tailles.

Les juges auront dès lors un rôle majeur dans la définition des notions d’enjeux sociaux et environnementaux et de raison d’être, ce qui contribuera - ou pas - à rassurer les dirigeants sociaux qui ont dénoncé un alourdissement de leur responsabilité par la loi PACTE, qui se fixait pourtant comme objectif de simplifier la vie des entreprises..."

Jean Da Luz Publié par Jean Da Luz Directeur de la rédaction - TourMaG.com
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