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La décroissance, seul projet vraiment durable pour le tourisme ? [ABO]

Interview d'Emmanuel Salim, responsable du Master Tourisme et Développement de l’ISTHIA


Il y a eu les belles intentions durant la crise sanitaire, d'un tourisme plus vert et vertueux, puis le rouleau compresseur a repris sa marche en avant, écrasant sans sourciller ses valeurs naissantes. Emmanuel Salim, géographe et chercheur du tourisme, souhaite faire émerger une réflexion autour de la décroissance du secteur. Et si nous avions la décroissance heureuse ?


Rédigé par le Lundi 7 Avril 2025

La décroissance vise à "maintenir des conditions de vie et un développement acceptables" selon 'Emmanuel Salim, responsable de Master à l’ISTHIA - Depositphotos @BiancoBlue
La décroissance vise à "maintenir des conditions de vie et un développement acceptables" selon 'Emmanuel Salim, responsable de Master à l’ISTHIA - Depositphotos @BiancoBlue
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Chaque semaine ou presque, les médias pointent du doigt l'industrie du tourisme.

Qu’ils soient locaux ou nationaux, les journaux dénoncent une activité jugée de masse, déshumanisée, voire (trop) polluante en oubliant parfois, les bienfaits économiques, sociaux et psychologiques.

Il faut dire aussi que le secteur peine à faire valoir l'efficacité des actions mises en place.

"Le principal enjeu réside dans le fait que le modèle touristique actuel repose sur la mobilité, laquelle génère entre 60 % et 90 % des émissions de carbone du secteur. Nous arrivons donc à une contradiction fondamentale : les stratégies pour décarboner le tourisme sont très difficiles.

À l’échelle mondiale, l’aviation constitue la principale source d’émissions du secteur. Or, selon les chercheurs qui se sont penchés sur le sujet, les perspectives de décarbonation du transport aérien restent, à ce jour, très peu improbables,
" souligne Emmanuel Salim, responsable du Master Tourisme et Développement de l’ISTHIA.

Rien qu'en France, le tourisme pèse au minimum 11% des émissions du pays. Et encore la dernière évaluation a eu lieu en 2022, alors que les voyageurs internationaux, notamment lointains, n'étaient pas encore de retour.

Pour rendre cette industrie politique plus correcte et moins impactante, il n'existe pas 50 leviers. Il va falloir qu'elle arrête de viser une croissance infinie dans un monde lui même, bel et bien fini.


Tourisme : pourquoi la décroissance ?

Même si les voyages dans l'espace, chers à notre chroniqueur Michel Messager, se développe et qu'Elon Musk souhaite créer une colonie humaine sur Mars, pour le commun des mortels, la planète Terre restera l'unique terrain de jeu.

Sauf que l'industrie se trouve dans une sorte d'impasse. "Nous n'avons pas la capacité de produire des carburants durables à l'échelle mondiale et encore moins à des coûts supportables pour l'aérien.

Changer le matériel pour permettre cette transition, représenterait tout simplement un investissement équivalent à 4 fois l'ensemble des bénéfices de tous les transporteurs depuis... le début de l'aérien. Cette voie est donc insoutenable économiquement,
" poursuit le chercheur.

Face à une situation de blocage, Emmanuel Salim souhaite ouvrir le sujet de la décroissance.

Pour faire rentrer le secteur dans les accords de Paris ou du moins réduire son intensité carbone, le géographe estime que le théorème porté par Timothée Parrique, pourrait être un levier pour dépasser le problème, du moins dans le tourisme.

Car d'une façon ou d'une autre, le débat arrivera sur la table.

"Tous les secteurs économiques devraient aborder ce sujet et pas uniquement le tourisme, au regard de la situation.

Un récent papier publié
dans Nature démontre que l'industrie du tourisme a une intensité carbone par dollar généré extrêmement importante, une intensité qui ne cesse d'augmenter depuis sa création.

Dans le même temps, seulement un nombre restreint de personnes à l'échelle mondiale ont accès à cette activité.
"

La décroissance ne doit pas être vue comme un retour à la nature et à nos instincts primaires, ni comme l’adoption du mode de vie des Amishs.

Comme nous l'avait expliqué Timothée Parrique, l'idée est plutôt une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique.

A lire : "Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable" selon Timothée Parrique

La décroissance vise à "maintenir des conditions de vie et un développement acceptables"

Pour ne pas risquer que la décroissance se transforme en poudrière sociale, il faut vous raconter la théorie du donut.

"En 2017, l'économiste Kate Raworth a publié un livre pour présenter sa pensée. Il y a les 9 limites planétaires à ne pas dépasser, mais surtout, elle a défini un plancher social à ne pas franchir. Pour résumer, certes il ne faut pas dépasser ces seuils pour maintenir la planète vivable, sauf que si nous ne les dépassons pas et que la population ne peut pas vivre, ce ne serait pas soutenable.

Ainsi, il convient de conserver un minimum de développement et d'accès aux ressources pour maintenir des conditions de vie agréables,
" poursuit le géographe.

A lire sur le sujet : Gaz à effet de serre : le tourisme doit (vite) agir ou mourir ?

Il n'est donc pas question de tout stopper et de restreindre les déplacements à leur plus stricte expression.

Pour le chercheur, la politique doit accompagner la réduction de la mobilité, afin qu'elle soit dans les clous de la durabilité. En somme, nous devrions planifier cette baisse des émissions carbone, ce qui consiste à anticiper moins de déplacements.

"Aujourd'hui, nous savons qu'il existe une relation linéaire entre la consommation de ressources et l'indice de développement humain, mesuré par le PIB.

Pour maintenir cette trajectoire, la croissance verte a été inventée. L'idée serait de pouvoir continuer à produire des choses sans forcément utiliser de ressources. De nombreux chercheurs ont démontré que ce découplage est peu probable. Face à cette absence de solutions technologiques, la décroissance est une manière de réfléchir à un moyen d'opérationnaliser des activités qui ne consomment plus autant de ressources, tout en maintenant des conditions de vie et un développement acceptables,
" définit Emmanuel Salim.

Une décroissance pensée et portée par le local !

Et pour éviter une récession économique, il est nécessaire que les acteurs prennent en main leur destin.

Ils doivent s'asseoir autour d'une table et planifier. "Aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative au ski. On parle beaucoup de tourisme de 4 saisons, de VTT, des pistes de luges et de toutes sortes d'activités estivales, sauf que dans la majorité des cas les opérateurs perdent de l'argent.

Aujourd'hui des stations de moyenne ou basse altitude qui investissent dans des canons à neige, c'est de
la maladpation. Elles se retrouvent bloquées dans un sentier de dépendance et sont plus vulnérables.

C'est justement dans ces conditions qu'il est nécessaire de parler de décroissance et de planifier les choses,"
affirme celui qui a fait un doctorat sur la disparition des glaciers.

Sauf que ce constat n'est pas propre à la montagne, il peut être dupliqué aux littoraux et aux villes, où l'œnotourisme notamment à Bordeaux ou dans le sud de la France.

Entre la théorie et la pratique, il n'y a pas un pas à franchir, mais une fusée à prendre, puisque pour l'heure la décroissance est restée seulement au stade du concept.

"Il y a assez peu de travaux empiriques et j'aimerais justement explorer cette dimension. Le secteur doit dépasser l'antagonisme des pros et anti-tourisme. Selon moi ces discussions et décisions, pour réduire les dépendances, doivent être prises à l'échelon local et non national.

Il n'est pas possible selon moi d'avoir un plan national de décarbonation, donc de décroissance, il faut prendre en compte les spécificités des lieux.
Par exemple, il n'est pas possible d'appliquer les mêmes recettes à Chamonix qu'à Marseille ou Dieppe,
" estime le géographe.

En complément : Gaz à effet de serre : le technosolutionnisme ne sauvera pas le tourisme !

Les élus politiques, à l'échelle nationale, sont perçus par le chercheur comme un nœud de blocage.

Face à cette absence de remise en question et de garde-fou, les stations de ski sont engagées dans la fuite en avant de l'indispensable montée en gamme, dans le but de faire grimper leurs recettes.

Nous parlons là des lieux touristiques qui seront les plus vite impactés par le réchauffement climatique.

"L'idée n'est pas de supprimer le tourisme"

Après il n'est pas question de jeter la pierre aux professionnels du tourisme. D'ailleurs dans le cadre de sa recherche sur la décroissance, le responsable du Master Tourisme et Développement de l’ISTHIA, en a interrogé certains, tout comme des élus locaux.

"Beaucoup de professionnels du tourisme sont de bonne volonté. Ils ont la sensation d'être accusés de tous les maux et en réponse à cette stigmatisation, ils ont une posture de plus en plus polarisée," défend Emmanuel Salim.

Pour avancer tous dans le même sens, le débat ne doit pas seulement se cantonner au seul niveau économique. Il doit être porté par les politiques, pour qu'une nouvelle société et façon de vivre la montagne et les territoires touristiques émergent.

"Nous devons revenir au sens noble de la politique, c'est à de faire société ensemble. L'idée n'est pas de supprimer le tourisme, il est nécessaire de conserver un accès au voyage. Il est par contre indispensable de réfléchir à quelles ressources sont consommées, comment elles dépassent les seuils écologiques, et comment respecter ces limites tout en garantissant des conditions de vie dignes ?

Si les émissions se poursuivent comme nous le faisons actuellement, alors la question du tourisme sera anecdotique, tant les problèmes seront colossaux pour l'humanité.

Pour l'heure, nous en sommes encore au début des travaux, nous étudions la perception qu'ont les acteurs de la montagne à la fois de la décarbonation et la décroissance.
"

Les premiers retours sont assez positifs sur l'idée qu'ont les élus, professionnels ou industriels de la situation. Ils ont conscience de l'urgence. Ils se retrouvent dépourvus de moyens et d'outils pour agir.

A l'issue de ces recherches, le responsable du master souhaiterait mettre en exergue des leviers d'action.


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