TourMaG.com, le média spécialiste du tourisme francophone





1000 € par mois pour un pilote, les pratiques abusives de l'affrètement aérien

des affrètements réalisés dans des conditions très douteuses


Lors d’un colloque qu'elle a organisé la semaine dernière, la CRPN, caisse de retraite du personnel navigant a réuni les professionnels du secteur pour faire le point sur les dérives des affrètements d’avions, de plus en plus nombreux et dont un grand nombre, sont réalisés dans des conditions très douteuses quant au cadre réglementaire.


Rédigé par le Mardi 18 Mars 2025

C’est une des conséquences de la croissance spectaculaire et continue du transport aérien et de la demande.

En manque d’avions, les compagnies aériennes ont de plus en plus tendance à se tourner vers l’affrètement, l’ACMI comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire la location de l’avion, de l’équipage, la maintenance et de l’assurance.

Autrefois utilisée uniquement comme une solution de dépannage par les compagnies aériennes, elle devient aujourd’hui de plus en plus récurrente, du fait de la croissance du trafic et la pénurie d’appareils ou des délais de maintenance rallongés.

Une pratique qui dérive alors qu’elle devient un élément structurant du marché du transport aérien.

C’est sur ce sujet particulièrement que la plutôt discrète Caisse de Retraite du Personnel Navigant Commercial a décidé de communiquer pour alerter sur les limites de ces pratiques dont peuvent être victimes des salariés français.

A Paris la semaine dernière, la CRPN avait donc convié des dirigeants de compagnies aériennes comme Anne Rigail d’Air France, Bertrand Godinot, Directeur général France d’EasyJet, Alain Regourd PDG de Regourd Aviation qui opère des vols sous la marque Amelia, mais aussi des syndicats de personnels navigants techniques et commerciaux, ainsi que Maitre Antoine Lyon-Caen spécialiste de droit du travail et professeur émérite à l'Université de Université Paris Nanterre.

2024 : 20 000 heures affrétées en France

Il est parfaitement admis de procéder a des affrètements mais dans un cadre légal.

Or, du fait de l’intensification de cette pratique, des dérives inquiétantes commencent à être constatées et soulèvent des questions majeures, en termes d’affiliation à la législation sociale, de contrat de travail, de concurrence déloyale et pour la CRPN des cotisations en moins.

En 2024, au niveau mondial, l’affrètement a dépassé 920 000 heures de vol, enregistrant une hausse de près de 25 % par rapport aux 738 000 heures de 2023. Le phénomène est particulièrement répandu sur les vols moyen-courriers : 69% des appareils concernés sont en effet des A320 ou des B737 (avions monocouloirs).

Au départ des aéroports français, plus de 20 000 heures de vol ont été enregistrées en 2024. Dans la ligne de mire des syndicats de navigants et de la CRPN, une majorité d’opérateurs venus de l’Est avec des pratiques "douteuses."

En 2024, près de 300 avions monocouloirs ont été opérés en ACMI en Europe et parmi eux, plus de 70 % étaient exploités par des compagnies qui se déclarent basées en Europe de l’Est avec des équipages recrutés hors du cadre social et réglementaire français, employés sous des statuts précaires, non affiliés aux régimes sociaux français et donc privés des protections offertes aux navigants sous contrat français.

Une concurrence déséquilibrée, certaines compagnies profitant de ces coûts réduits pour gagner des parts de marché au détriment des opérateurs historiques et respectueux du droit. Aussi, des avions très anciens en circulation, dont les normes environnementales ne correspondent plus aux attentes d’un secteur qui a entamé sa mue en matière de transition énergétique.

Affrètement aérien : des salaires de pilotes autour de 1000 euros

En France et selon Maitre Antoine Lyon-Caen, l’affrètement structurel, installé dans l’organisation de la compagnie est faible et représente entre 0,5 et 1%. Il se fait d’ailleurs le plus souvent dans des conditions respectueuses de la loi comme par exemple les avions d’ASL Airlines ou Amelia, compagnies françaises affrétées par Air France à qui il manque des appareils.

Sandrine Johnson, directrice générale adjointe – CRPN, à cependant pu donner des exemples d’affrètement beaucoup plus préoccupants.

Grâce à un système d’intelligence artificielle mis en place, la CRPN peut savoir exactement quels sont les vols affrétés au départ de France et les suivre quasiment en temps réel. « En rentrant l'immatriculation de l’avion, il nous est possible de savoir, sur une période passée, une période en cours, quelle est la réalité du phénomène et de la situation. »

La caisse a pu également récupérer des contrats et ce qu’on y lit est à peine croyable : des pilotes payés un peu plus de 1000 euros en fixe sur le mois, ou des Hôtesses ou Steward à 300 euros par mois.

« Nous avons pu lire en intégralité le contrat et découvrir que le pilote était un indépendant, et qu’au-delà de 21 jours de maladie il risquait la résiliation,» ajoute Sandrine Johnson.

TourMaG a pu également se procurer des contrats proposés à des personnels navigants commerciaux français par des opérateurs tel qu’ETF Airways, spécialisé dans les affrètements.

Cette « compagnie » basée en Croatie avait récemment voulu créer des « filiales » Outre-mer à la Réunion et aux Antilles, un projet qui pose question, abandonné depuis.

Pas de cotisations à la caisse de retraite bien sûr dans les contrats rédigés en anglais et beaucoup de bizarreries comme par exemple :
« 2.1. les parties au contrat conviennent mutuellement que l'Employée travaillera pour l'Employeur au poste de membre d'équipage de cabine.
2.2. Outre les tâches visées à l'article 2.1 du présent Contrat, l'Employée effectuera d'autres tâches sur ordre de l'Employeur.
»

Quelles autres tâches ? Mystère…

Alain Regourd le PDG d’Amélia a lui aussi dénoncé ces compagnies qui font appel à des pilotes « autoentrepreneur » sous contrat précaire ou celles qui font payer les jeunes pilotes volant dans ces compagnies au prétexte qu’ils se forment. Un système « pay to fly » régulièrement dénoncé par les syndicats de pilotes.

L’affréteur est responsable

Dans son intervention très précise pour dire le droit, Maître Antoine Lyon-Caen a prévenu : « La Cour de justice, dans un arrêt « Thompson Airlines », a indiqué clairement que dans les rapports avec le passager, c'était en principe l'affréteur qui était responsable, si au moins, il était responsable opérationnel du vol, c'est-à-dire avait au moins vendu le billet. »

Avant de conclure un contrat, l’affréteur à cette « obligation de vigilance » pour vérifier entre autres que la compagnie affrétée s’acquitte des formalités auxquelles tout employeur doit se soumettre, c'est-à-dire la déclaration préalable à l'embauche, déclaration aux organismes de protection sociale, la délivrance de bulletins de paie et de déclaration des salaires aux organismes de protection sociale en cours d'exécution du contrat.

Des obligations qui, selon la CRPN sont régulièrement négligées et qui ont pour conséquences des avions qui opèrent avec des équipages recrutés hors du cadre social et réglementaire français, des employés sous des statuts précaires, non affiliés aux régimes sociaux français et donc privés des protections offertes aux navigants sous contrat français.

Une concurrence déséquilibrée par ces compagnies profitant de ces coûts réduits pour gagner des parts de marché au détriment des opérateurs historiques.

A lire aussi : Aérien : concentration dans le secteur des charters et de la location

Mieux garantir une concurrence équitable

Sandrine Johnson, directrice générale adjointe – CRPN. Photo : C.Hardin.
Sandrine Johnson, directrice générale adjointe – CRPN. Photo : C.Hardin.
Vigilante et s’entourant de « pointures » tel que Maitre Antoine Lyon-Caen, la CRPN multiplie les contentieux.

Elle a également, lors de cette journée, appelé l’État à l’aider à prendre plusieurs mesures pour garantir une concurrence équitable :

- renforcer de façon très significative les contrôles sur l’affiliation des navigants opérant régulièrement au départ de la France,
- responsabiliser les affréteurs en les obligeant à s’assurer que les navigants employés bénéficient de conditions sociales conformes aux standards français,
- encadrer et réguler davantage l’activité de courtage aérien, afin d’éviter les abus liés aux statuts précaires et aux rémunérations dégradées.

« L’affrètement dans le transport aérien ne doit pas devenir le nouvel eldorado de la fraude aux régimes sociaux français. Il est temps d’agir pour un affrètement plus responsable, afin de préserver un modèle soutenable pour l’ensemble du secteur » a conclu Sandrine Johnson.


Christophe Hardin Publié par Christophe Hardin Journaliste AirMaG - TourMaG.com
Voir tous les articles de Christophe Hardin
  • picto Twitter
  • picto Linkedin
  • picto email

Lu 629 fois

1 2 3 4 5 Notez

Nouveau commentaire :

Tous les commentaires discourtois, injurieux ou diffamatoires seront aussitôt supprimés par le modérateur.
Signaler un abus

Dans la même rubrique :
< >





































TourMaG.com
  • Instagram
  • Twitter
  • Facebook
  • YouTube
  • LinkedIn
  • GooglePlay
  • appstore
  • Google News
  • Bing Actus
  • Actus sur WhatsApp
 
Site certifié ACPM, le tiers de confiance - la valeur des médias