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Défaillances d'entreprises : le pire est-il à venir en 2023 ?

Interview de Thierry Millon, Directeur des études Altares, sur les défaillances d'entreprises


Malgré les faillites retentissantes de Camaïeu ou Toupargel, la France a connu en 2022 une année de défaillances encore en deçà de la normale. Alors que les défauts ont été inférieurs de 10 000 par rapport à 2019, le rythme frénétique des derniers mois est plus inquiétant. Pour Thierry Millon le directeur des études d'Altares, à l'origine de cette étude, les défaillances dans les secteurs de l'organisation des voyages sont revenues à une certaine normalité. Et si le pire a été évité jusque-là , il pourrait être devant nous. La stagflation et les remboursements des PGE pourraient bien entrainer une cascade de défaillances en 2023. Quid du Tourisme ?


Rédigé par le Mercredi 18 Janvier 2023

Selon Altares, les défaillances pourraient retrouver des chiffres normaux bien plus tôt que prévu. Le tourisme serait moins concerné - Depositphotos @alphaspirit
Selon Altares, les défaillances pourraient retrouver des chiffres normaux bien plus tôt que prévu. Le tourisme serait moins concerné - Depositphotos @alphaspirit
TourMaG.com - D'après le dernier rapport d'Altares, l'année 2022 aurait pu être dramatique sur le front des défaillances des entreprises et pourtant il n'en a rien été. Avec 42 500 défauts sur 12 mois, nous sommes loin des 52 144 enregistrés en 2019. La France ne s'en sort pas si mal, au regard d'une conjoncture économique moribonde...

Thierry Millon :
Absolument, nous ne nous en sortons pas si mal...

Globalement les chiffres sont plutôt raisonnables, nettement inférieurs à ceux que nous avions avant la pandémie. Sauf que nous avons des tendances qui s'affolent sur le 4e trimestre 2022.

Alors que sur l'ensemble de l'année, les défaillances sont en recul de 18,5% par rapport à 2019, l'écart n’est déjà plus que de 9% sur le seul dernier trimestre. Les volumes de novembre sont même identiques à ceux pré-pandémiques.

TourMaG.com - Qu'en est-il pour le secteur du voyage, notamment des agences et des tour-opérateurs ?

Thierry Millon :
Habituellement, les défauts concernent une centaine d'entreprises chaque année, voire un peu moins. L'exercice 2021 est, lui, atypique, avec 72 défaillances seulement.

Le niveau était très bas, au regard des 92 défauts constatés en 2020 et 93 en 2019. Une situation qui s'explique par les aides d'Etat. Elles ont permis au secteur de tenir, donc de limiter la casse.

L'année 2022 affiche 90 sinistres. La progression par rapport à 2021 peut paraître donc très sensible, mais finalement on est juste revenus à la normalité.

Il n'y a pas de rattrapage particulier, puisqu'en 2020, nous n'avions pas observé de baisse forte des défauts par rapport aux autres industries.


Les autocaristes en grandes difficultés au dernier trimestre 2022

TourMaG.com - Concernant les agences de voyages, le mur de la dette ne semble pas avoir pénalisé cette branche. Seulement 52 sinistres enregistrés, contre 66 en 2020 et 64 en 2019 ?

Thierry Millon :
La situation est tout à fait acceptable, si l'on regarde d'où on vient.

Dans le même temps, la restauration connait une vague de défaillances importantes. Au cours de l’année 2022, 2 473 restaurateurs traditionnels sont entrés en procédure, soit une hausse de 119,8% par rapport à 2021. Pour l'ensemble de l'économie, ce chiffre atteint 49,9%.

L’hébergement résiste mieux, avec 279 défaillances (+23,5%).

Je voudrais vous faire part de mon étonnement concernant les transporteurs routiers de voyageurs, les autocaristes, dont le niveau de défaut était de 40 dossiers, contre 69 en 2019.

Ce qui m'interpelle surtout, c'est l'accélération brutale des sinistres en fin d'année, avec 17 au 4e trimestre contre 7 ou 9.

TourMaG.com - Nous parlons là d'un secteur très fortement impacté par le Covid et avec des structures capitalistiques nécessitant de forts investissements pour acheter des nouveaux cars. Comment expliquez-vous cette accélération ?

Thierry Millon :
Nous sommes en face d'une clientèle moins présente et d'entreprises pas très solides.

Le secteur concentre des acteurs de taille modeste et, quand l'activité est insuffisante, il est assez facile de basculer dans le rouge. Le remboursement des PGE ne peut pas être tenu pour responsable, car cela concerne tout le monde.

Et nous ne voyons pas une accélération de la sorte pour les autres domaines d'activité. Le secteur semble être en difficulté.

Si nous regardons les procédures ouvertes, 80% sont des liquidations directes, avec une seule sauvegarde. Cela signifie que les structures étaient dans une situation financière totalement obérée, lourdement endettée, ne permettant pas de sauvetage.

France : "La situation des entreprises est globalement difficile"

TourMaG.com - Y a-t-il des conseils pour les autocaristes en difficulté ?

Thierry Millon :
Les entreprises arrivent totalement asséchées devant les tribunaux.

Il ne faut pas attendre pour tirer la sonnette d'alarme, sous peine d'être liquidé. Des solutions existent, les entrepreneurs ne doivent pas patienter dans le désespoir total.

Présenter un dossier au tribunal de commerce, cela se prépare ! Il pourra alors accorder une période d'observation, afin d'élaborer un plan de remboursement ou d'étalement de la dette.

Si le problème concerne le remboursement du PGE, alors l'étalement peut se faire sur 10 ans. Dans le cas des autocaristes, le PGE n'est pas l'unique problème, surtout quand les entreprises tombent aussi vite.

Le déséquilibre financier est plus ancien.

TourMaG.com - Vous parlez des PGE. Est-ce que ce décalage des dettes ne se retourne pas contre l'économie française ?

Thierry Millon :
La situation des entreprises est globalement difficile.

Il n'y a pas de problématique spécifiquement PGE qui existerait seule, alors qu'à côté de cela tout va bien. Nous avons des entreprises ayant des structurations financières insuffisantes pour être en capacité d'honorer des remboursements, alors que l'activité n'est pas au niveau.

C'est toute la difficulté d'aujourd'hui et des mois à venir. La croissance est attendue en berne. Avec une croissance économique à 0%, cela sera globalement pareil pour les entreprises.

Nous avons besoin d'une croissance rentable.

Sauf que ces dernières doivent rembourser les décalages des cotisations sociales, les PGE, etc. Je comprends la tension sur les PGE, mais il n'y pas que cette pression.

De son côté, la Commission européenne alerte sur le poids excessif de la dette des entreprises non financières de l'Union, qui représentait 111% du PIB des 27 à fin 2020, soit 14 900 milliards d'euros.

Le manque de fonds propres handicapant pour investir et se financer est un signal prépondérant du risque de défaillance.

Des perspectives plus sombres qu'attendues au niveau des défaillances...

TourMaG.com - Pour vous, les difficultés sont à venir...

Thierry Millon :
Oui, absolument.

Sur 2023, les perspectives sont un peu plus sombres que celles que nous avions prévues. Après, elles ne sont pas non plus catastrophiques. Nous avions anticipé retrouver les niveaux de défaillances de 2019, en 2024. Or, ce sera bien avant.

Non seulement, cette année nous allons atteindre les chiffres de 2019, mais nous allons même les dépasser. Au rythme où nous progressons, nous pouvons penser qu'ils seront atteints à la rentrée prochaine.

Si au mieux, fin octobre 2023, nous avons atteint 52 000 faillites alors il faudra ajouter novembre et décembre. Nous pourrions nous approcher des 60 000 faillites, le risque existe. Notamment en cas de situation économique encore plus dégradée, provoquée par la facture énergétique.

En cas de hausse des prix de l'énergie, cela pénalisera la confiance des ménages.

TourMaG.com - Pouvons-nous avoir un phénomène de rattrapage ?

Thierry Millon :
Je n'y crois pas, car cela suggère l'idée que nous aurions eu en 2020 et 2021, un niveau de défaillance en recul qui serait rattrapé.

Pour rappel, 103 000 entreprises ont fait défaut depuis 2023, contre 162 000 durant les trois années précédentes. Autrement dit, 59 000 défaillances ont été épargnées.

Une partie des sociétés qui ont réussi à ne pas déposer le bilan depuis la Covid ont pu se refaire une santé. Je suis convaincu que celles qui ne sont pas tombées ne vont pas toutes obligatoirement tomber. Je ne crois pas au phénomène de rattrapage.

Après, elles ne vont pas non plus toutes survivre, en raison de la dette Covid à rembourser.

Tourisme : "Dans ce marasme... il y a un besoin général de se faire plaisir"

TourMaG.com - Pour le tourisme, quelle est votre visibilité sur 2023 ?

Thierry Millon :
Le secteur se porte plutôt pas mal.

Dans un contexte de marasme, de méfiance, d'insatisfaction... il y a un besoin général de se faire plaisir. Le tourisme est une dépense qui s'arbitre plutôt favorablement dans ce genre d'environnement.

L'industrie sera plus réceptive au contexte international et géopolitique qu'aux difficultés économiques du pays. Le secteur du tourisme devrait mieux s'en sortir que celui du commerce.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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