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En mémoire de Knut Kloster, le père de la croisière moderne et sauveteur du paquebot France

Un pionnier de l'industrie moderne des croisières nous a quittés


Il y a cinquante ans, l'industrie des croisières n'en était qu'à ses balbutiements lorsque Knut Kloster, un dirigeant d'entreprise norvégien, a pris la décision de diversifier son entreprise familiale. Ce faisant, il allait jeter les bases de l'industrie moderne des croisières avec la création de la Norwegian Caribbean Lines (aujourd’hui Norwegian Cruise Line). Hommage à l'un des pionniers de l'industrie moderne des croisières, décédé le 20 septembre 2020 à l'âge de 91 ans.


Rédigé par François Défontaine le Lundi 12 Octobre 2020

Mis en service en juin 1966, le Sunward était un navire révolutionnaire conçu pour le service de ferry long-courrier - DR
Mis en service en juin 1966, le Sunward était un navire révolutionnaire conçu pour le service de ferry long-courrier - DR
Knut Utstein Kloster est décédé le 20 septembre 2020 à l'âge de 91 ans dans sa résidence d’Oslo en Norvège.

Dans les années 1960, c'est à lui que l'on doit la construction d'un ferry de luxe appelé Sunward (devenu - ironie du sort - "île de Beauté" à la fin des années 70 pour le compte de la SNCM) et la conversion - risquée - de la compagnie maritime familiale en compagnie de croisières.

Avec ce petit navire, il allait révolutionner la croisière au départ du port de Miami et lancer l'industrie moderne des croisières.

Sa vision, une inspiration pour l'Oasis of the Seas

Ses efforts ont abouti à la création de la Norwegian Caribbean Lines (aujourd'hui Norwegian Cruise Line), qui a été la pionnière de la croisière moderne, notamment avec l’acquisition de la première île privée, puis du premier méga paquebot, le Norway (ex-France), et les premières croisières hebdomadaires dans les Caraïbes occidentales.

Plus tard, il poursuivra sa vision en proposant un navire de croisière de 250 000 tonnes appelé "World City" projet Phoenix.

Bien qu'il n'ait jamais été construit, le concept comprenait des éléments que nous retrouverons dans de nombreux navires de croisière qui suivront, notamment le navire amiral de Royal Caribbean International, l'Oasis of the Seas, qui reprend une grande partie de ces innovations incroyables.

Retour sur le parcours de l'un des véritables pionniers de l'industrie moderne des croisières.

Le Sunward, un navire révolutionnaire

Knut Kloster à la barre du France, en 1979 - DR
Knut Kloster à la barre du France, en 1979 - DR
À peine âgé de 30 ans à la mort de son père, Knut Utstein Kloster, ingénieur diplômé du Massachusetts Institute of Technology, s'est soudain retrouvé directeur général de la compagnie maritime norvégienne de sa famille, Klosters Rederi A/S, qui exploitait des vraquiers et des pétroliers.

Peu de temps après, il saisit l'occasion de lancer un service hebdomadaire de ferry-boats pour passagers et voitures, le premier du genre, entre l'Angleterre, l'Espagne et Gibraltar.

Il s'agissait d'un investissement risqué, mais Knut Kloster pensait qu'il existait un énorme potentiel inexploité dans le domaine des vacances en mer.

Mis en service en juin 1966, le Sunward était un navire révolutionnaire de 8 666 tonnes brutes (le plus gros navire de croisière du monde actuellement jauge quant à lui 227 000 tonnes brutes).

Conçu pour le service de ferry long-courrier, il offrait un niveau de luxe inégalé, notamment des cabines avec salle de bain privée pour 558 passagers, des restaurants, des bars, une boîte de nuit, un théâtre et une galerie marchande, ainsi qu'un système de climatisation capable de supporter les températures des mers tropicales.

C'était "le bateau du bonheur ", en partie grâce à la philosophie commerciale naissante de Kloster. En effet, il sera reconnu pour avoir donné à ses navires une âme particulière ou il faisait bon travailler.

Ainsi, à bord du Sunward, on dénombrait trente femmes parmi les membres d'équipage, dont douze mariées et travaillant aux côtés de leur mari.

Le succès du Sunward, cependant, fut de courte durée car à l'automne, la Grande-Bretagne imposa des restrictions monétaires sur les voyages à l'étranger tandis que, dans un conflit géopolitique, l'Espagne fermait sa frontière avec Gibraltar.

Avec un avenir incertain, le Sunward retourna donc en Norvège.

A l'origine de la Norwegian Caribbean Lines

C'est alors qu'eut lieu l'un des événements les plus fortuits de l'industrie naissante.

Un agent maritime du nom de Ted Arison, désespéré d’avoir perdu le car-ferry israélien qu'il commercialisait lors de croisières vers les Bahamas, lança un appel désormais célèbre en suggérant que le Sunward vienne opérer au départ de Miami.

"Mes premières impressions de Miami et du port ont été rassurantes", avait déclaré Knut Kloster, "j'ai été impressionné par le directeur du port, l'amiral Stevens, et ses plans de développement. Le moment était bien choisi. Le Sunward devait venir".

En quelques jours, un deal fut conclu, et l'accord entre l'Arison Shipping Company et Klosters Rederi ouvrit la voie à une coopération entre les ventes et le marketing américain et l'exploitation des navires norvégiens.

La Norwegian Caribbean Lines était née !

La "flotte blanche"… les pionniers !

Le 19 décembre 1966, le Sunward fit son premier voyage vers Nassau, et bien qu'il n'ait été ni le premier navire de croisière de Miami, ni le premier en service régulier vers les Bahamas, il connut un succès immédiat.

"Je me suis réveillé le matin, j'ai regardé par la fenêtre et j'ai été saisi par la belle eau bleu-vert des Bahamas à l'extérieur", se souvenait Knut Kloster, et bientôt des dizaines de vacanciers allaient vivre la même expérience.

Le Sunward connut un tel succès - il a transporté près de 40 000 passagers au cours de sa première année - qu'après seulement six mois, un deuxième car-ferry fut commandé et lancé en 1968 sous le nom de Starward (il deviendra plus tard le Boléro de Festival, puis le Louis Aura de Louis Cruises avant d’être démoli à Alang en 2018).

"Le plus grand défi de la création de l'entreprise au cours de ces premières années a été de faire en sorte que les passagers débarquent heureux, rentrent chez eux, et fassent jouer le bouche-à-oreille", disait Knut Kloster.

Les deux premiers navires naviguant à 90% de leur capacité, le troisième navire de NCL, le Skyward, entra en service en 1970 avec des cabines remplaçant ses ponts voitures pour augmenter sa capacité à 920 passagers.

Il fut suivi l'année suivante par le quatrième navire de NCL, le Southward, d'une capacité de 16 600 tonnes brutes, qui effectuait quant à lui des croisières de 14 jours escalant dans une dizaine de ports de la mer des Caraïbes.

En cinq ans seulement, NCL avait construit une flotte capable de transporter plus de 150 000 passagers par an.

Au même moment, alors que le succès se confirmait, un différend financier avec le chantier de construction italien contraignit Kloster à abandonner le navire jumeau inachevé du Southward et le partenariat avec Arison sombra dans l'acrimonie.

Ce dernier prit son équipe pour lancer Carnival Cruise Lines, tandis que Kloster s'installait à Miami pour superviser les opérations de la NCL.

Kloster, l’innovant !

"Knut Kloster aimait la réputation de NCL en tant qu'entreprise d'innovation", se souvient Bruce Nierenberg, qui a rejoint la société en 1973 au sein d'une nouvelle équipe de vente issue en grande partie de l'industrie aérienne.

"Knut a laissé les gens s'installer et nous a donné la possibilité d'essayer de nouvelles idées". Il en a résulté une série d'initiatives qui allaient à nouveau révolutionner la croisière.

Comme beaucoup d'autres dans l'industrie des croisières, NCL avait expérimenté des vacances en croisière aérienne en utilisant des vols charters et des transporteurs complémentaires des grandes villes.

Forte de son expérience dans le secteur aérien, la nouvelle équipe de NCL a lancé le premier programme national complet de transport aérien/maritime utilisant des compagnies régulières, judicieusement baptisé "Cloud 9 Cruises", et a ouvert un bureau de vente à Londres pour vendre des vacances "croisière + avion" au départ de l'Europe.

Elle a également commencé à expérimenter de nouvelles destinations. Au cours de l'été 1975, le Southward a lancé les premières croisières de sept jours vers Cozumel et Grand Cayman et, en 1977, il naviguait toute l'année vers les "Caraïbes occidentales".

Les passagers appréciaient particulièrement la fête sur la plage de Grand Cayman, ce qui a contribué à stimuler une autre innovation : les "Bahamarama Cruises", lancées sur le Sunward II (ex-navire de Cunard) nouvellement acquis, avec un arrêt sur une île inhabitée des Bahamas.

L'île privée était si populaire qu'elle a été ajoutée aux itinéraires du Southward et du Starward et qu’un peu plus tard, de nombreuses autres compagnies de croisières ont également décidées d’acheter une île privée pour offrir à leurs passagers un cadre unique...

Nous sommes en 1977 et MSC est à ce jour la dernière compagnie à avoir acheté un bout d’île (Ocean Cay) inaugurée en 2019 près de 40 ans après le pionnier Kloster… Pour l’innovation, on repassera.

Kloster, l'Humaniste

La croissance de l'industrie des croisières a stimulé les discussions dans les Caraïbes sur les ramifications du tourisme.

Ces dialogues, et en particulier les travaux de Rex Nettleford, un universitaire et critique social jamaïcain, allaient toucher une corde sensible chez Kloster, qui avait une véritable conscience sociale. "Dans les premiers temps, on nous a rappelé que la New Haven Railroad, vieille de 150 ans, avait l'avantage de considérer ses activités comme des communications plutôt que des transports."

Et si cette idée peut sembler farfelue aujourd'hui, au début des années 70, Kloster pensait que "les navires de croisières devaient être le lien permettant d'établir des communications" entre les passagers, l'équipage et les habitants de l'île… le principe même de la croisière qui semble bien loin aujourd’hui.

La première de ces initiatives fut un programme de relations interpersonnelles conçu pour favoriser la compréhension culturelle.

Herb Hiller, qui était le vice-président des affaires publiques de NCL, se souvient de son retour d'une croisière à bord du Starward : "j'avais écouté cette conversation absolument épouvantable qui disait aux passagers à quoi s'attendre lorsqu'ils arrivaient à notre première escale à Port Antonio".

Le citoyen Hiller réagit en concevant le programme "New Experiences" pour le Starward, qui accueillit des familles jamaïcaines sur le navire et demanda à des membres d'équipage jamaïcains de leur proposer des visites à pied dans les ports.

Le programme, qui trouva un écho chez Kloster, s'étendit avec le temps pour inclure Haïti et les Bahamas. Quarante ans plus tard, Kloster était toujours très fier de ce programme, précurseur de l'écotourisme moderne.

Le France, un chef-d'œuvre de construction, une belle endormie

Kloster proposa ensuite l'Elysian, un navire semi-catamaran de 20 000 tonnes brutes qui permettrait aux passagers de mieux comprendre l'environnement naturel et l'équipage.

La grande largeur du navire devait offrir une plus grande stabilité et permettre "une plus grande inventivité dans l'aménagement intérieur" avec une variété de salles à manger, de divertissements et de loisirs.

Il comprenait des zones de visualisation à parois vitrées pour la passerelle et la salle des machines, un observatoire sous-marin, une plate-forme d'observation du ciel, des espaces permettant aux passagers et à l'équipage d'interagir dans un cadre social, et de nouvelles technologies telles que des "sélecteurs automatiques de table pour les repas".

Bien que l'Elysian n'ait jamais réussi à sortir des planches à dessin, il allait contribuer à la prochaine étape de Kloster : "nous devions augmenter la capacité aussi rapidement et efficacement que possible pour satisfaire la demande croissante.

Nous avons visité les grands navires désarmés (le United States, les italiens Rafaello et Michelangelo). Intéressants, mais nous avons atterri au Havre pour de bonnes raisons. Le France était un chef-d'œuvre de construction et du génie maritime français, une belle endormie
".

Le monde maritime a été stupéfait lorsque NCL a acquis l'ancien superliner français de 66 000 tonnes brutes, soit près de trois fois la taille de ses navires de l’époque.

Transportant 2 000 passagers par semaine, il allait devenir le premier mégaship de l'industrie, avec un théâtre grandeur nature pour les spectacles de Broadway, des spectacles de stars, des promenades sous verre avec des cafés, des boutiques et des artistes de rue, et des zones sportives pour les Jeux olympiques à bord.

Soulignant que le navire était la destination, son itinéraire de sept jours ne comprenait que Saint-Thomas et l'île des Bahamas, le navire à lui seul devenait alors la raison des vacances !

La perte colossale d’un géant visionnaire

Bien que le Phoenix n’ait jamais été construit, nombre de ses concepts ont été intégrés à la navigation de croisière et, vingt ans plus tard, l'Oasis of the Seas, a vu le jour... - DR
Bien que le Phoenix n’ait jamais été construit, nombre de ses concepts ont été intégrés à la navigation de croisière et, vingt ans plus tard, l'Oasis of the Seas, a vu le jour... - DR
Le 3 mai 1980, le navire nouvellement converti et rebaptisé Norway arrive à Oslo pour une réception tonitruante.

Cet après-midi-là, en présence du roi Olav de Norvège, une cérémonie spéciale a lieu au cours de laquelle Wesley Samuels, un steward senior né en Jamaïque, qui avait débuté à la NCL en 1966 comme garçon de cabine, hisse le drapeau des Nations unies en reconnaissance de la vision de Kloster sur le profil multiculturel du navire.

Le Norway devient le navire à bord duquel tout le monde veut naviguer, prouvant ainsi la viabilité du concept de megaship.

Il est encore aujourd’hui le plus gros succès commercial de l’industrie, quand sous pavillon français, il ne faisait que perdre de l’argent.

Avec le succès du Norway, la vision de Kloster progresse jusqu'au Phoenix, un navire de 250 000 tonnes brutes accueillant 5 200 passagers dans quatre hôtels à plusieurs niveaux avec des balcons privés.

Les installations comprennent 13 restaurants, un théâtre de 2 000 places, 30 magasins en centre-ville, un planétarium, un spa et des installations de santé avec des courts de tennis et des patins à glace, et un lagon de quatre piscines avec des plages de sable.

Le Phoenix intègre également la vision plus large de Kloster avec un campus universitaire et des espaces de réunion et d'exposition
.

"Après avoir réussi à exploiter ses ressources en transformant une compagnie maritime familiale norvégienne traditionnelle en une compagnie de croisière pionnière, le plan était de le rendre public", expliquait Kloster.

Cependant, le timing ne fonctionne pas avec les marchés financiers, si bien qu'en 1986, Knut Kloster se retire pour poursuivre le concept du Phoenix et divers autres projets qui ont permis de sensibiliser la population aux questions sociales et environnementales.

Bien que le Phoenix n’ait jamais été construit, nombre de ses concepts ont été intégrés à la navigation de croisière et, vingt ans plus tard, l'Oasis of the Seas, d'une capacité de 225 282 tonnes brutes et de 4 700 passagers, a vu le jour pour le concurrent de NCL, la seconde grande compagnie norvégienne, Royal Caribbean.

"L'industrie des croisières était une palette d'artiste qui attendait d'être peinte", explique Bruce Nierenberg. "Knut Kloster a encouragé plus d'idées novatrices que quiconque dans ce secteur."

Cinquante ans plus tard, elles ont toujours un impact. L’industrie tout entière salue dans la disparition de Knut Utstein Kloster la perte colossale d’un géant visionnaire, sauveur du France et père fondateur de la croisière moderne.

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