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Futuroscopie - Le tourisme durable doit affronter ses paradoxes ! 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


A l’heure où les Universités du tourisme durable dont c’était la huitième édition, se terminent à Montpellier, la transition touristique est sur toutes les lèvres. Oui, il est grand temps de changer de modèle. Oui, il faut faire vite. Oui, il faut faire bien et pour cela collaborer. Mais, en même temps, la thématique de cette année, était claire : le tourisme durable, pour exister, doit affronter ses paradoxes. Et ceux-ci ne manquent pas. Ni au niveau national, ni au niveau international… où nous nageons, une fois de plus, en pleine « absurdie ». Tour d’horizon.


Rédigé par le Mercredi 12 Octobre 2022

Les Universités du tourisme durable à Montpellier qui ont réuni 500 personnes (un succès) ont elles apporté leur contribution à l’intelligence touristique collective - Depositphotos Auteur malpetr
Les Universités du tourisme durable à Montpellier qui ont réuni 500 personnes (un succès) ont elles apporté leur contribution à l’intelligence touristique collective - Depositphotos Auteur malpetr
… Que se passe-t-il ? Tout d’abord, Bruno Latour, l’auteur d’une pensée écologique originale, vient de décéder brutalement et nous tenons à lui rendre hommage.

Ses interventions dans le champ de l’écologie politique portaient bien sur les liens entre catastrophes humaines et dérèglement climatique. Plus visionnaire encore, le philosophe avait révélé une lutte entre « classes géo-sociales » et insisté sur le fait que : « Le capitalisme a creusé sa propre tombe et qu’il s'agit désormais de le réparer. »

Parallèlement à cette triste actualité, nous ne pouvons passer sous silence une autre actualité qui, s’il s’était agi d’une simple séquence de science-fiction, aurait pu nous amuser. Sauf que non. La séquence en question porte sur l’organisation de Jeux Olympiques asiatiques d’hiver en Arabie Saoudite.

Un état présentant comme le Qatar, deux défauts inacceptables : un, c’est un état autoritaire et qui le démontre assez régulièrement, malgré quelques écrans d’une fumée faussement démocratique. Deux, ce pays est un désert sur lequel il ne tombe jamais le moindre flocon !

Ce qui revient à dire que les « intelligences » de notre monde sont prêtes à accepter que les caprices d’un sultan mégalomane lui permettent de déverser dans l’air des millions de tonnes de CO2 pour fracturer la montagne, tracer des pistes, multiplier des constructions, bombarder de la neige et de la glace artificielle, exploiter la misère de milliers d’ouvriers dont on peut redouter qu’ils ne soient pas mieux payés et traités que par les Qataris…

Une fois de plus, nous évoluons en pleine hypocrisie, contradictions, incohérence et l’on se demande à quoi peuvent servir des COP et autres raouts internationaux préconisant à l’humanité des comportements vertueux ?


Les universités du tourisme durable font le plein

… Car des réunions, des colloques, des rencontres, des congrès… il n’y en a jamais eu autant, cherchant tous assidument à réparer un monde sur lequel canicules, ouragans, montées du niveau de la mer sont la conséquence directe d’agissements délictueux voire criminels ou tout simplement irréfléchis.

Ainsi, les Universités du tourisme durable à Montpellier qui ont réuni 500 personnes (un succès) ont elles apporté leur contribution à l’intelligence touristique collective.

Après des discours d’usage particulièrement offensifs de la part des élus de la région Occitanie qui accueillait l’événement et celui de la présidente d’ATD, Caroline Mignon, témoignant de l’urgence d’agir : « tout s’accélère, le mur est là et il est à craindre que cela continue » ou « il faut arrêter avec les demi mesures » et « aller vers des mesures radicales », la nécessité de clarifier les contradictions du secteur du tourisme a longuement été évoquée.

Sous différentes formes : tables rondes, ateliers, séances plénières permettant de passer de la théorie à la phase concrète, celle de mise en œuvre d’actions efficaces.

Ainsi, pour la théorie, le témoignage de jeunes diplômés ayant rompu avec le futur pour lequel ils étaient programmés, a mis en valeur la prise de conscience des jeunes par rapport à l’urgence environnementale et confirmé qu’une partie des générations Y et Z étaient prêtes à changer ses façons de voyager : vélo, lenteur, un peu d’activité champêtre comme le Whoofing… les solutions proposées par ces jeunes n’étaient pas à priori innovantes, mais les intentions étaient sincères et encourageantes.

Autres interventions intéressantes, celles d’un neuroscientifique qui, à sa façon, a développé à peu près la même théorie que celle développée dans notre article : « Le touriste est-il psychopathe ? ».

Selon Thibaud Griessinger, chercheur en sciences cognitives et sociales appliquées aux enjeux de transition : la résistance au changement fait partie des comportements humains les plus partagés. Pour de multiples raisons psychologiques, sociologiques, bref anthropologiques, il est évident, selon lui, qu’il ne sera pas facile de convaincre un public divers, segmenté, multiple, d’avoir un comportement vertueux. D’autant qu’il faudra affronter sa complexité en lui offrant un discours cohérent.

Mieux, « il faudra organiser la cohérence » a insisté le chercheur, « et en finir avec les injonctions contradictoires, tout en anticipant l’avenir ». Lesquelles contribuent à créer cette fameuse dissonance cognitive.

Quant aux représentants de l’Ademe, ils étaient également là pour souligner leur volonté d’être présents aux côtés des acteurs du tourisme pour former, éduquer, accompagner les projets allant dans le bon sens. ( à écouter prochainement sur podcasts dont nous vous donnerons le lien).

Mobilités, pénurie d’eau, tourisme de masse

Aujourd’hui, l’avenir radieux n’est pas au rendez-vous et l’imagerie qu’il convient de développer se situe aux antipodes des diktats d’hier - Crédit "h Leclair - Aspheries
Aujourd’hui, l’avenir radieux n’est pas au rendez-vous et l’imagerie qu’il convient de développer se situe aux antipodes des diktats d’hier - Crédit "h Leclair - Aspheries
Mais c’est probablement dans les ateliers que se sont exprimées et révélées la responsabilité et l’énergie des nouvelles générations de professionnels qui ont compris le message (sont parfois nés avec) et sont prêts à mettre leurs compétences et créativité dans la lutte pour un tourisme durable.

En effet, alors qu’il y a quelques années encore, l’heure était aux discours et aux déclarations d’intention, il est clair que l’on est entrés dans une autre époque et passés à la vitesse supérieure. L’urgence révélée par les crises que nous traversons, ne peut plus attendre.

La planète non plus. Le tourisme, secteur fragile et ambigu par excellence, encore moins. Ainsi, alors que l’on a remis sur la table le problème du tourisme de masse et de sa compatibilité avec la durabilité, celui des clientèles : proximité ou lointaines, celui de la pénurie à venir d’eau, celui de la nécessité de faire de la prospective pour mieux gérer les crises, l’un des ateliers concernait le chapitre de la mobilité.

Problématique majeure du développement durable, la mobilité a cependant affiché ses freins : lourdeurs administratives, manque de budget, lenteur des prises de décision, multiplication des acteurs (territoires, rails, fluvial, maritime, aérien…) et permit de confirmer la nécessité de ne plus perdre de temps en palabres.

« Reconditionner les imaginaires »

Il est enfin et surtout un sujet (de longue haleine certes), sur lequel les destinations touristiques peuvent intervenir, c’est celui concernant la réinvention du récit touristique.

De quoi s’agit-il ?

Depuis l’après-guerre, le modèle dominant de l’imagerie touristique véhiculait des valeurs liées à la détente, la liberté, l’activité physique… le tout, plutôt en bord de mer en été. C’était l’époque triomphante du « sea sun and sex » incarné par un Club Méditerranée tout puissant.

Autre référence collective majeure : les glisses de plus en plus sophistiquées pratiquées par des jeunes au teint exagérément halé. La montagne, rendez-vous d’une élite économiquement favorisée, pulvérisait les records de popularité.

On rêvait de ses pistes et de son brio. De son côté, la voiture conduisant le vacancier et le touriste sur des routes de plus en plus rapides, détenait les clés des escapades en toute liberté.

Tandis que l’aéroport, de plus en plus vaste et animé, offrant des centaines de décollages et atterrissages vers des contrées lointaines, incarnait la toute-puissance de la machine touristique et la croyance dans un progrès technologique linéaire. Toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus nombreux. De toutes façons, rappelons-le, l’OMT estimait à 5% les progressions annuelles du secteur.

Or, aujourd’hui, l’avenir radieux n’est pas au rendez-vous et l’imagerie qu’il convient de développer se situe aux antipodes des diktats d’hier. Ce n’est plus le voyage aux Maldives qu’il convient de rendre désirable, ni celui en Polynésie au bout d’un vol interminable.

Ce n’est pas non plus, si l’on veut être cohérent, le moment de s’extasier sur les tours, les hôtels 7 étoiles et les parcs à thèmes des Émirats Arabes Unis. « Les imaginaires touristiques doivent être reconfigurés », a précisé le directeur du CRTL Occitanie, Jean Pinard, à travers un récit conforme aux nouvelles exigences d’une planète au bord de l’asphyxie qui devra vivre avec ses excès.

Selon moi, ce message est majeur. Pour changer de monde, il convient de changer de logiciel de communication, tant pour les destinations touristiques que pour l’ensemble des professionnels. Le message a été entendu. D’ores et déjà, des dizaines d’exemples démontrent l’inversion des paradigmes. Mais, il faut aller plus loin… Comment ? Sur ce sujet aussi, nous reviendrons.

Non sans une dernière information : ATD et Atout France ont annoncé un partenariat visant à concevoir le premier Tableau de bord national du tourisme durable.

Un outil de pilotage stratégique permettant de structurer de nouveaux indicateurs à la fois sociaux, environnementaux et sociétaux, en pleine cohérence avec l’ambition du plan Destination France.

Mais, de grâce, cessons d’annoncer que la France vise à devenir la première destination durable du monde… Alors qu’elle en est si loin et qu’elle est partie si tard, voire trop tard !

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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