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Futuroscopie : comme avant ou pire, un tourisme irresponsable ? 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Quand on a eu la chance de parcourir plusieurs villes européennes durant la semaine qui vient de s’écouler, le constat est amer. Malgré les engagements des destinations et de l’ensemble de la profession en faveur de nouvelles pratiques et d’une limitation des flux, la situation n’a guère changé dans ces sites emblématiques du tourisme international. Il semblerait même qu’elle ait empiré. Ce qui donne à penser que non seulement le touriste est psychopathe mais que les acteurs du tourisme sont parfois irresponsables. Décryptage.


Rédigé par le Mercredi 24 Mai 2023

En Espagne, les langues se sont de nouveau déliées par la voix d’une géographe de l’Université autonome de Barcelone qui déplore que l’on « connait une croissance encore pire que la précédente, mais que les points de vue divergent quant aux solutions à apporter à ce problème ». Depositphotos.com Auteur kyolshin
En Espagne, les langues se sont de nouveau déliées par la voix d’une géographe de l’Université autonome de Barcelone qui déplore que l’on « connait une croissance encore pire que la précédente, mais que les points de vue divergent quant aux solutions à apporter à ce problème ». Depositphotos.com Auteur kyolshin
La délicieuse Plaza Real de Barcelone est enfouie sous les stands de son marché aux timbres et d’une nuée de passants dont aucun ne semble parler ni le catalan, ni l’espagnol.

Prix du café quand on parvient à s’en faire servir un sur une terrasse bondée : 3 euros ! Le long des Ramblas, même tableau : cet espace de promenade emblématique de la capitale catalane dévorée par des kiosques vendant tous la même pacotille et de restaurants dont les cartes plastifiées présentent les mêmes photos de plats standardisés offre peu de place à la population locale qui se tapit sur quelques chaises laissées vacantes non loin de la place de Catalogne.

Inutile d’évoquer les files interminables devant l’illustre Sagrada Familia et autres immeubles signés par Gaudi !

Décidément, Barcelone n’a donc pas vraiment tiré les leçons de cet été 2018 où les premières offensives de la population locale contre les excès de la population touristique commençaient à défrayer l’actualité.

D’ailleurs, les chiffres sont là pour confirmer la fréquentation pléthorique de la ville qui recevait en 2019 environ 12 millions de visiteurs contre moins de 2 millions il y a quinze ans et dont le tourisme représente 15% du PIB aujourd’hui.


Napoli, Roma, Venezia… : même constat

Malheureusement, l’expérience napolitaine n’a pas été plus probante. Historiquement plutôt moins fréquentée que Rome, Florence et Venise, Naples désormais dopée par les succès de son club de football, est aujourd’hui submergée par des nuées de visiteurs italiens, européens et nord-américains.

Venus soit en avion soit sur les immenses paquebots de croisières qui attendent sur le port, soit en train et voiture, ils ont du mal à se frayer un chemin sur l’immense Piazza San Carlo et ses passages presqu’aussi saturés que ceux de la place Saint Marc à Venise.

D’ailleurs, selon l’institut Demoskopika, les recettes touristiques cette année devraient progresser de 25% et les arrivées de 12%, sur l’ensemble de la région.

Naples deviendrait donc une concurrente de Venise par exemple dont la place Saint Marc, soit dit en passant, ne bénéficie toujours pas des portiques prévus et des droits d’entrée que le maire toujours plus apte à faire des déclarations spectaculaires qu’à agir, avait promis.

Quant à Rome, inutile non plus d’en reparler. Chérie par un tiers des touristes venant en Italie, elle parvient difficilement à gérer ses transports collectifs et notamment les liaisons ferroviaires bondées dont le caractère écologique a du mal à convaincre.

De toutes façons, la ville éternelle a déjà battu les records de 2019 et devrait encore augmenter ses performances grâce aux grands événements prévus par la municipalité (sports, mode, culture). Quant au tourisme du reste de la péninsule, la ministre du tourisme prévient avec fierté : « Ce sera une année record ! ». Pour les arrivées étrangères et italiennes.

La Grèce en toutes saisons

En Grèce, même son de cloche. Devenue une destination 4 saisons, la capitale grecque ne rate pas une occasion de se réjouir de ses nouveaux records de fréquentation.

Records voulus, donc issus d’une stratégie de conquête d’investisseurs et de nouveaux marchés notamment asiatiques, brésilien et australien, alliée à une intensification des marchés traditionnels européens et nord-américains. A tel point que le ministre du tourisme Vassilis Kikilias se réjouit régulièrement dans les pages des médias, des performances du pays et prévoit même de pouvoir dépasser en 2023 de 10 à 20% le total des arrivées internationales de l’année 2022 qui affichait plus de 30 millions d’arrivées.

Un record absolu dans l’histoire du tourisme grec qui se contentait il y a peu d’une dizaine de millions d’arrivées internationales. Outre Athènes, Thessalonique fait déjà le plein. Quant à des îles comme Mykonos, pourtant depuis longtemps infréquentables, elles arrivent en tête des recherches sur Booking. Et cela, malgré une promotion immobilière galopante et même « hors de contrôle » selon une déclaration du premier ministre grec et des habitants de l’île !

Et que dire de Lisbonne où de jeunes Français déclarent avec amertume n’avoir entendu parler que le français et l’anglais et s’être fait houspiller par des Lisboètes excédés par le déferlement de visiteurs dans leur quartier.

La France est tout aussi optimiste

Malheureusement, en matière de massification, la France ne fait guère mieux comme l’ont démontré les reportages récents sur Saint-Malo, le Mont Saint-Michel et autre zoo de Beauval obligé de demander à ses visiteurs de rebrousser chemin durant le week-end de l’Ascension afin de désengorger les allées et redonner un peu de confort aux visiteurs et aux animaux stressés par une telle affluence.

Inutile d’évoquer le Vieux Port à Marseille et le quartier du Panier désormais tout aussi victimes de leur succès que certaines rues de Paris que des Parisiens de plus en plus nombreux préfèrent déserter.

D’ailleurs, selon l’Observatoire de la région Ile-de-France, les réservations hôtelières sont d’ores et déjà en hausse pour juin (50%) et juillet (36%) par rapport à l’an dernier, ainsi que les réservations aériennes.

Globalement d’ailleurs, selon l’OMT, les arrivées internationales ont atteint au premier trimestre 2023, 80 % de leur niveau d'avant la pandémie. Et l’on estime à 235 millions les touristes internationaux au cours des trois premiers mois 2023. Ce qui représente plus du double que pour la même période en 2022. Plus précisément, le Moyen-Orient affiche la plus forte performance, soit 15 % de plus qu’en 2019 tandis que l’Europe a atteint 90% de son niveau d’avant pandémie.

Les phénomènes de sur fréquentation tels que nous les vivons, ne sont pas du tout réglés

Alors, résilient le tourisme ? Certes. Et l’on peut comprendre l’enthousiasme de certaines destinations face à l’imminence des performances estivales.

Mais, dès les premières semaines de la pandémie, alors que le monde entier se confinait, souvenons-nous que les acteurs du tourisme d’une seule voix, déclaraient l’urgence de sortir des modèles anciens et de pratiquer une autre forme de tourisme, plus raisonné, plus responsable, optant pour la qualité et non la quantité, cherchant à préserver territoires, économie et population locale.

Or, alors que les stratégies territoriales passent bel et bien par la recherche de durabilité et que tous les discours convergent officiellement vers des objectifs d’action et non d’inaction, les phénomènes de sur fréquentation tels que nous les vivons, ne sont pas du tout réglés.

Pire, les avions ne désemplissent pas et les compagnies renouent avec les recettes. Selon une étude de IATA, les progressions des réservations dans l’aérien sont même aussi à la hausse pour les mois à venir, soit :

Asie Pacifique : +134%
Moyen-Orient : +42 %
Europe : +39 %
Amérique du Nord : +14%
Amérique latine : +21%

Ce qui donne du grain à moudre au « tourisme bashing » qui, cet été comme les précédents, risque de se montrer d’autant plus virulent qu’il est porté par des chercheurs et des think-tanks parfaitement au fait de la situation et des risques courus par les destinations touristiques.

Ainsi, en Espagne, les langues se sont de nouveau déliées par la voix d’une géographe de l’Université autonome de Barcelone qui déplore que l’on « connait une croissance encore pire que la précédente, mais que les points de vue divergent quant aux solutions à apporter à ce problème ».

Tandis qu’un anthropologue de la même université souligne ce que nous pourrions tous souligner, à savoir que « la pandémie n’a rien changé aux habitudes, que l’on revient au point de départ, soit attirer de plus en plus de touristes » !

Mais, soulignons aussi que quand un territoire comme la Corse par exemple, annonce son intention de limiter le volume de ses visiteurs, la grogne des professionnels monte. Légitime certes, mais tellement contradictoire avec les projets de réinvention du secteur et de son mode quantitatif de fonctionnement, ce dernier exemple en dit aussi très long sur le parcours du combattant dans lequel s’engage le secteur touristique. Se voulant responsables, les politiques publiques de cet ensemble sont pour le moment encore plutôt irresponsables.a

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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Tags : sicsic
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