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#JesuisAgentdevoyages - IV. Prêt à Partir : "Même avec les reports, il y aura un gros manque à gagner..."

#jesuisagentdevoyages, la série


Le réseau lorrain Prêt à Partir que dirige François Piot, autocariste et distributeur, estime entre 50 000 et 100 000 € la perte de volume d'affaires par agence. Il prend le contre-pied d'une partie de la profession et se dit "choqué" par la position de certains collègues qui accusent les compagnies aériennes de "profiter" de la situation. Il craint aussi que "certains de nos collaborateurs ne retrouvent pas le chemin de l’entreprise après cette crise..." Verbatim.


Rédigé par le Lundi 23 Mars 2020

Les salariés du siège du Groupe Piot... avant le confinement - DR
Les salariés du siège du Groupe Piot... avant le confinement - DR
TourMaG.com - Comment le Groupe PAP s'est-il organisé face à la crise sanitaire actuelle ?

François Piot :
"La totalité de nos équipes sont en chômage partiel, transport et agences.

Nous compenserons la perte de 16% de salaire pour que nos collaborateurs n’aient pas de perte financière. Nos agences sont fermées au public depuis mardi après-midi.

Nous avons déployé le réseau social d’entreprises Workplace il y a un peu plus de trois ans. C’est un formidable outil de communication et de solidarité au sein du réseau, qui prend tout son sens en cette période troublée, où chacun se sent isolé.

Chaque matin, pour garder le lien avec les équipes, j’envoie un message, à la fois personnel et professionnel. Aujourd’hui, 5e message (déjà et seulement).

Ma crainte, c’est que certains de nos collaborateurs ne retrouvent pas le chemin de l’entreprise après cette crise. Il y a eu les gilets jaunes, il y a eu XL, il y a eu les grèves, il y a eu Thomas Cook, nos équipes sont nerveusement épuisées.

La seule richesse de notre entreprise, ce sont nos équipes. Il faut que nous les protégions."

TourMaG.com - Avez-vous dû rapatrier des clients ? Où en êtes-vous et combien cela vous a coûté ?

F.P.
: "Nous avons encore quelques clients à destination, mais cela se termine. Il est encore trop tôt pour estimer le coût des rapatriements, les prestations non consommées, les annulations.

Comme pour Thomas Cook, nous avons en face de nous des clients souvent compréhensifs, mais aussi des clients angoissés et parfois agressifs."

TourMaG.com - Pensez-vous que les compagnies aériennes jouent le jeu ?

F.P.
: "Je pense que les compagnies aériennes sont dans une situation dramatique. Je suis choqué par la position de certains collègues qui accusent les compagnies aériennes de "profiter" de la situation.

Peu d’entre elles survivront à cette crise majeure. Quand vous êtes au bord du gouffre, vous n’aidez pas les autres. Pourquoi devraient-elles rapatrier nos compatriotes à leurs frais ?"

TourMaG.com - Que vous inspire la position de l’IATA par rapport au BSP ?

F.P.
: "IATA a toujours été une machine pragmatique, rigide, au service des compagnies aériennes. Je déconseille fortement à mes confrères de ne pas payer IATA ou la SNCF : ce n’est clairement pas le moment de se les mettre à dos.

La plupart des compagnies aériennes jouent en ce moment leur survie. En tant qu’agent de voyages, nos pertes sont réelles, considérables, mais maîtrisées. Les compagnies qui n’ont pas des associés solides pour réinjecter de l’argent par milliards vont disparaître. Ou être nationalisées.

Le Président Macron l’a dit : c’est la guerre. Et c’est aussi une guerre économique. Il y aura des perdants, des perdants, des perdants, et quelques gagnants. La guerre coûte toujours très cher. Et plus elle est longue, plus elle coûte cher !"

"La guerre plus elle est longue, plus elle coûte cher !"

François Piot - DR
François Piot - DR
TourMaG.com - Quel sera l’impact financier pour votre Groupe ? Etes-vous en mesure de tenir ?

F.P.
: "Difficile de chiffrer à ce jour l’impact de cette crise, mais probablement entre 50 000 et 100 000 € par agence.

Nous en exploitons 80. Grâce aux aides de l’Etat, nous tiendrons plusieurs mois. Ce qui m’inquiète encore plus que notre trésorerie, c’est comment la machine va-t-elle se remettre en route, et qui survivra à cette crise.

C’est quand la marée se retire qu’on voit ceux qui ont un maillot de bain. La solidarité est un mythe : après une telle crise vous avez deux alternatives, manger ou être mangé. Je me bats avec mes équipes pour ne pas être dans la seconde catégorie.

Côté transports, les collectivités locales nous soutiennent assez largement : le transport non roulé sera généralement payé à hauteur de 70%. On va y laisser des plumes, mais on survivra."

TourMaG.com - Quelle est votre position sur la question des reports et des remboursements ?

F.P.
: "C’est à mon avis une bonne solution que cet « à-valoir » valable pendant un an. Nous refusons tout remboursement, ce qui n’est pas toujours bien compris de la part de nos clients.

En revanche, certains partenaires nous demandent de régler des soldes de voyages avec des dates de départ en avril. Nous savons tous que ces voyages ne partiront pas.

Les clients ne nous paieront pas les soldes de ces voyages. Il est injuste et absurde, de la part des TO et croisiéristes, de nous demander de régler le solde de voyages qui ne partiront pas."

TourMaG.com - Avez-vous réglé les fournisseurs pour les départs de février et qu’anticipez-vous suite à l’ordonnance sur l’à-valoir ?

F.P. :
"Nous nous apprêtons à régler à nos fournisseurs l’ensemble des sommes dues au titre des départs de février 2020. Et nous réglerons le moment venu les quelques départs de mars.

Nous conservons les acomptes de nos clients en espérant pouvoir les faire partir rapidement. Plus ils tarderont à repartir, plus nous y perdrons. Ma crainte, ce sont les disponibilités et le prix des voyages futurs."

TourMaG.com - Comment voyez-vous la suite des événements et selon vous comment va évoluer l’industrie du voyage ?

F.P.
: "J’espère que nos clients vont retrouver le chemin des agences à partir de la mi-mai.

Même si nous reportons l’essentiel des voyages annulés, il y aura un gros manque à gagner, correspondant au moins aux voyages de mars à mai, voire juin. Soit un manque à gagner d’au moins 20% de notre chiffre d’affaires annuel.

Ensuite, il va falloir faire face à une série de faillites, compagnies aériennes et TO. On va revivre ce que nous avons vécu avec l’épisode XL-Aigle Azur-Thomas Cook à l’automne 2019, en bien pire.

D'une façon générale, nous allons devoir travailler dur pour rassurer nos clients.

Une fois que l’épidémie sera éteinte en France, elle continuera à être dans nombre d’autres pays, dans lesquels nous ne pourrons pas envoyer nos clients avant plusieurs mois. En particulier les USA.

Et trouver le moyen de sauver l’APST, qui garantit 80% des agents de voyages de France.

L’industrie du tourisme va connaître de profonds changements : Air France vaut désormais 2 milliards d’euros (3 fois moins qu’il y a deux ans), ADP et Airbus ont perdu moitié de leur valeur en un mois, le cours de TUI a été divisé par 6 en 18 mois. Cela signifie que les investisseurs fuient notre métier. Airbus + ADP + Air France + TUI valent moins que 10% de Google.

TourMaG.com - Et la communication en direction des clients ?

F.P.
: La communication de fin de crise (de reprise) va être essentielle. Nous nous fâchons aujourd'hui avec certains clients qui ne comprennent pas la mécanique de l’à-valoir, qui veulent absolument être remboursés, que nous avons "lâchés" parce que nous leur avions vendu un vol sec.

De notre côté, nous préparons un numéro exceptionnel de notre journal interne "l’Arbre à Palabres", qui sortira en mai. Une concaténation de l’ensemble des articles importants publiés depuis 4 ans sur Prêt à Partir, qui rappelle nos valeurs, notre histoire, notre futur, et qui donne du sens à notre métier au quotidien."

TourMaG.com - Que pensez-vous de l’action des pouvoirs publics sur les mesures spécifiques concernant le secteur du tourisme ?

F.P.
: "Nous bénéficions des dispositifs de chômage partiel, des reports de loyers, des reports de crédits, qui ne sont pas spécifiques à notre métier. C’est déjà une grande chance que cela, et je ne pense pas que cela existe dans beaucoup de pays.

Nous attendons le décret sur les reports de voyages et le "à-valoir" : c’est sans aucun doute un dispositif qui va protéger nos fonds de commerce, en forçant les clients à repartir rapidement.

Maintenant, tout cela va coûter beaucoup d’argent. Je me pose la question de la façon dont l’Etat récupérera tous ces "cadeaux" : un recours massif à l’emprunt d'Etat (qui garantirait que les taux d’intérêts restent durablement très bas), une fiscalité confiscatoire dans les prochaines lois de finance.

L’ampleur du déficit public va forcément entraîner des réponses adaptées…"


Jean Da Luz Publié par Jean Da Luz Directeur de la rédaction - TourMaG.com
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