C’est bien parce que je suis une fille classe que je ne me permettrais pas de faire un doigt d’honneur à la « digitalisation de l’économie »… mais si vous saviez combien ça me brûle ! - Illustration Raf
Le prochain qui utilise le terme « digital » pour dire « informatique », je lui casse les genoux.
Digital, en français, ça veut dire « avec les doigts »… alors moi, je veux bien qu’on fasse des trucs avec les doigts, mais je ne suis pas ce genre de filles à me contenter de si peu.
Non, quand on parle « d’économie digitale », on parle en général de « services Internet, mobiles ou délivrés par des bornes ». Enfin, de services…
Digital, en français, ça veut dire « avec les doigts »… alors moi, je veux bien qu’on fasse des trucs avec les doigts, mais je ne suis pas ce genre de filles à me contenter de si peu.
Non, quand on parle « d’économie digitale », on parle en général de « services Internet, mobiles ou délivrés par des bornes ». Enfin, de services…
"J’espère qu’un humain m’attendra pour m’accompagner de l’aéroport à l’hôtel"
Je copie ici l’e-mail d’une cliente qui me semblait un poil agacée la semaine dernière alors qu’elle s’apprêtait à prendre un vol Air France…
Elle m’écrivait : « Bonjour Léa, j’espère que vous lirez mon e-mail avec vos yeux (et pas un scanner), parce que depuis la réservation de mon séjour (où j’ai eu le plaisir de m’asseoir devant vous et de parler à un être humain sympathique et empathique), j’ai l’impression de ne plus « parler » qu’à des machines.
J’ai bien reçu un e-mail automatique hier où Air France m’invitait à éditer ma carte d’embarquement à domicile. J’ai bien imprimé ma carte d’embarquement mais aussi mes étiquettes bagages.
Arrivée à l’aéroport, j’ai posé, pesé et scanné mon bagage dans une espèce de machine diabolique.
Air France semble avoir encore du personnel mais les agents au sol en sont réduits à faire ce que les passagers ou les machines font mal : expliquer à des voyageurs exaspérés, perdus, âgés ou simplement chargés, comment marchent les automates, coller des étiquettes, soulever un bagage lourd ou une poussette, pour les diriger ensuite vers un autre filtre ou on ne leur parlera pas davantage.
Parlons-en de l’innovation « Parafe »... les agents de la PAF n’ont jamais été bien causants mais je regrette presque leurs froncements de sourcils en vérifiant que je ressemble bien à ma photo.
Aujourd’hui, le scanner a vérifié 3 fois mon passeport biométrique. Il n’y avait personne au guichet, personne pour me dire bonjour ou bon vol… A mon arrivée à Hong-Kong, j’espère qu’un humain m’attendra pour m’accompagner de l’aéroport à l’hôtel et qu’un autre humain s’occupera de mes formalités d’enregistrement.
J’ai un peu peur d’être emmenée à l’hôtel par une voiture sans chauffeur et de faire mon check-in à l’hôtel sur une borne. ».
Elle m’écrivait : « Bonjour Léa, j’espère que vous lirez mon e-mail avec vos yeux (et pas un scanner), parce que depuis la réservation de mon séjour (où j’ai eu le plaisir de m’asseoir devant vous et de parler à un être humain sympathique et empathique), j’ai l’impression de ne plus « parler » qu’à des machines.
J’ai bien reçu un e-mail automatique hier où Air France m’invitait à éditer ma carte d’embarquement à domicile. J’ai bien imprimé ma carte d’embarquement mais aussi mes étiquettes bagages.
Arrivée à l’aéroport, j’ai posé, pesé et scanné mon bagage dans une espèce de machine diabolique.
Air France semble avoir encore du personnel mais les agents au sol en sont réduits à faire ce que les passagers ou les machines font mal : expliquer à des voyageurs exaspérés, perdus, âgés ou simplement chargés, comment marchent les automates, coller des étiquettes, soulever un bagage lourd ou une poussette, pour les diriger ensuite vers un autre filtre ou on ne leur parlera pas davantage.
Parlons-en de l’innovation « Parafe »... les agents de la PAF n’ont jamais été bien causants mais je regrette presque leurs froncements de sourcils en vérifiant que je ressemble bien à ma photo.
Aujourd’hui, le scanner a vérifié 3 fois mon passeport biométrique. Il n’y avait personne au guichet, personne pour me dire bonjour ou bon vol… A mon arrivée à Hong-Kong, j’espère qu’un humain m’attendra pour m’accompagner de l’aéroport à l’hôtel et qu’un autre humain s’occupera de mes formalités d’enregistrement.
J’ai un peu peur d’être emmenée à l’hôtel par une voiture sans chauffeur et de faire mon check-in à l’hôtel sur une borne. ».
Les travers du digital
Sous prétexte de rapidité, d’efficacité, de zéro-défaut ou de fluidité, la plupart des tâches autrefois dévolues à des humains sont désormais traitées par des robots, des drones, des bornes ou des terminaux informatiques.
Avant Internet, dans les agences de voyages, on vendait essentiellement des billets d’avion (c’est Big-Boss et Isabelle qui m’ont expliqué ça…).
Je me moque volontiers de mes chefs, mais j’avoue qu’encore aujourd’hui, ils savent jongler avec les règles tarifaires, les stops-over et les open-jaws.
Parfois, je me sers sans vergogne de leurs compétences techniques pour construire un aérien un peu tordu pour le confort de mes clients sur-mesure. Ils donnent l’impression de travailler plus vite et mieux qu’une machine… ça impressionne les clients.
Désormais, les clients ne jurent que par les comparateurs et les agences en ligne ou les sites des compagnies aériennes. Il n’y a personne pour les guider, leur faire mettre le doigt (autrement appelé « extrémité digitale, vous me suivez ?) sur une règle tarifaire un peu moisie, des formalités de police un peu strictes ou un temps de correspondance anormalement long.
Amis agents de voyages, ne me dites pas que vous n’avez jamais reçu un client un peu embêté de vous dire « j’ai réservé un vol sur internet mais je crois que je reste 9 heures à Dubaï, non ? Vous pourriez vérifier ? »
Avant Internet, dans les agences de voyages, on vendait essentiellement des billets d’avion (c’est Big-Boss et Isabelle qui m’ont expliqué ça…).
Je me moque volontiers de mes chefs, mais j’avoue qu’encore aujourd’hui, ils savent jongler avec les règles tarifaires, les stops-over et les open-jaws.
Parfois, je me sers sans vergogne de leurs compétences techniques pour construire un aérien un peu tordu pour le confort de mes clients sur-mesure. Ils donnent l’impression de travailler plus vite et mieux qu’une machine… ça impressionne les clients.
Désormais, les clients ne jurent que par les comparateurs et les agences en ligne ou les sites des compagnies aériennes. Il n’y a personne pour les guider, leur faire mettre le doigt (autrement appelé « extrémité digitale, vous me suivez ?) sur une règle tarifaire un peu moisie, des formalités de police un peu strictes ou un temps de correspondance anormalement long.
Amis agents de voyages, ne me dites pas que vous n’avez jamais reçu un client un peu embêté de vous dire « j’ai réservé un vol sur internet mais je crois que je reste 9 heures à Dubaï, non ? Vous pourriez vérifier ? »
Le "do it yourself" est en train de tuer le métier d’agent de voyages
Avec une borne ou une appli, difficile de négocier un early check-in, un excédent de bagage, une chambre en étage élevé et tous ces petits plus que peuvent apporter les agences et qui font qu’un client se sent considéré.
Le tout informatique et le « do it yourself » sont en train de tuer le métier d’agent de voyages, mais aussi toute l’économie des services. J’ai deux mains gauches, mais (parce que j’y ai été contrainte) j’ai appris à réinitialiser ma box Internet toute seule.
Pas le choix… quand tu téléphones à Orange, désormais, tu « parles » à un robot qui finit par te répondre après que tu as tapé sur #, * et 0 (pour revenir au sommaire parce que tu n’écoutais plus la machine) que tu dois aller sur ton « espace personnel » sur le web où tu trouveras les réponses à toutes tes questions (à condition bien entendu de savoir où trouver ton numéro de client et ton mot de passe, de bien remplir des champs du site qui t’enverront ensuite sur un tuto).
Mon sac à main est bourré de technologie. Et vas-y que je le glisse sur une borne du métro pour que mon pass Navigo déverrouille la barrière, et vas-y que je laisse frôler ma CB « sans contact » sur un TPE pour que je puisse être débitée de mes courses du jour, et vas-y que je rentre ma carte UGC-illimité sur le côté d’une borne pour éditer ma place de ciné. Et vas-y que je paye mon Starbucks avec mon téléphone…
On me rétorquera que quand on utilise le web, une appli ou une carte magnétique, on fait moins la queue, on réduit le risque d’erreurs, b[on peut avoir du personnel « expert » dédié à l’assistance plutôt que des exécutants… je m’incline.]b
Le tout informatique et le « do it yourself » sont en train de tuer le métier d’agent de voyages, mais aussi toute l’économie des services. J’ai deux mains gauches, mais (parce que j’y ai été contrainte) j’ai appris à réinitialiser ma box Internet toute seule.
Pas le choix… quand tu téléphones à Orange, désormais, tu « parles » à un robot qui finit par te répondre après que tu as tapé sur #, * et 0 (pour revenir au sommaire parce que tu n’écoutais plus la machine) que tu dois aller sur ton « espace personnel » sur le web où tu trouveras les réponses à toutes tes questions (à condition bien entendu de savoir où trouver ton numéro de client et ton mot de passe, de bien remplir des champs du site qui t’enverront ensuite sur un tuto).
Mon sac à main est bourré de technologie. Et vas-y que je le glisse sur une borne du métro pour que mon pass Navigo déverrouille la barrière, et vas-y que je laisse frôler ma CB « sans contact » sur un TPE pour que je puisse être débitée de mes courses du jour, et vas-y que je rentre ma carte UGC-illimité sur le côté d’une borne pour éditer ma place de ciné. Et vas-y que je paye mon Starbucks avec mon téléphone…
On me rétorquera que quand on utilise le web, une appli ou une carte magnétique, on fait moins la queue, on réduit le risque d’erreurs, b[on peut avoir du personnel « expert » dédié à l’assistance plutôt que des exécutants… je m’incline.]b
Je sais que je suis une râleuse mais...
N’empêche que quand vous demandez au client de faire le boulot à votre place, il n’a plus aucune raison de venir en agence. J’aimais bien les formats SM et ST sur Amadeus pour réserver les sièges de mes clients.
Désormais, on a une espèce d’interface graphique lente et incompréhensible et réserver un siège prend 10 fois plus de temps que d’aller sur le site de la compagnie.
Désormais, pour émettre un billet d’avion, on a besoin d’introduire en PNR mille informations à propos des passeports des clients (et je rappelle que les compagnies aériennes ne nous payent pas plus pour ça).
Je sais que je suis une râleuse… mais j’aime le travail d’orfèvre, le cousu-main, celui qui a du sens. Je me lève le matin pour vendre du bonheur aux gens. Pas seulement pour taper des codes toute la journée sur mon ordi.
Le dernier truc à la mode (et qui me saoule infiniment), c’est les nouvelles lubies des compagnies aériennes, dont on croirait qu’elles ont été inventées juste pour nous compliquer la vie : on doit désormais réserver les billets des dames à leur nom de jeune fille.
A chaque fois, on est bon pour 10 minutes d’explication, de justification, de petites lignes ajoutées au contrat.
Désormais, on a une espèce d’interface graphique lente et incompréhensible et réserver un siège prend 10 fois plus de temps que d’aller sur le site de la compagnie.
Désormais, pour émettre un billet d’avion, on a besoin d’introduire en PNR mille informations à propos des passeports des clients (et je rappelle que les compagnies aériennes ne nous payent pas plus pour ça).
Je sais que je suis une râleuse… mais j’aime le travail d’orfèvre, le cousu-main, celui qui a du sens. Je me lève le matin pour vendre du bonheur aux gens. Pas seulement pour taper des codes toute la journée sur mon ordi.
Le dernier truc à la mode (et qui me saoule infiniment), c’est les nouvelles lubies des compagnies aériennes, dont on croirait qu’elles ont été inventées juste pour nous compliquer la vie : on doit désormais réserver les billets des dames à leur nom de jeune fille.
A chaque fois, on est bon pour 10 minutes d’explication, de justification, de petites lignes ajoutées au contrat.
La digitalisation de l'économie... je dis "F***"
Dans son bilan annuel, le médiateur du tourisme souligne que les réservations en ligne sont au cœur des litiges. Bien sûr : quand le client réserve tout seul sur le web, sans conseil, il ne sait pas ce qu’il achète… alors il se plante !
Et contre qui se retourne-t-il ? L’agence qui édite le site web sur lequel le client a réservé (qui répondra qu’il n’avait qu’à lire les petites lignes), cette agence qui est obligée d’informer de la possibilité de saisir le médiateur du tourisme, qui paye une RCP à prix d’or et qui fait bénéficier son client de la garantie déplafonnée des fonds utilisés (et figurez-vous que tout cela a un prix).
Avec les « bons plans du web », le low cost ou le développement des applis, des smartphones et de la techno, on arrive à des aberrations telles qu’Airbnb (qui n’a pas de chambres) est valorisée davantage que le groupe Accor (et ses centaines de bâtiments en pleine propriété), que les compagnies aériennes classiques, pour avoir des tarifs comparables à ceux des compagnies low cost, suppriment des emplois (je ne vais pas m’étendre là-dessus : Jean-Louis Baroux fait ça mieux que moi), que Facebook et les mecs du marketing de Monop' (qui savent tout de mes achats) me connaissent mieux que ma meilleure copine et ma psy réunies…
C’est bien parce que je suis une fille classe que je ne me permettrais pas de faire un doigt d’honneur à la « digitalisation de l’économie », mais si vous saviez combien ça me brûle !
Et contre qui se retourne-t-il ? L’agence qui édite le site web sur lequel le client a réservé (qui répondra qu’il n’avait qu’à lire les petites lignes), cette agence qui est obligée d’informer de la possibilité de saisir le médiateur du tourisme, qui paye une RCP à prix d’or et qui fait bénéficier son client de la garantie déplafonnée des fonds utilisés (et figurez-vous que tout cela a un prix).
Avec les « bons plans du web », le low cost ou le développement des applis, des smartphones et de la techno, on arrive à des aberrations telles qu’Airbnb (qui n’a pas de chambres) est valorisée davantage que le groupe Accor (et ses centaines de bâtiments en pleine propriété), que les compagnies aériennes classiques, pour avoir des tarifs comparables à ceux des compagnies low cost, suppriment des emplois (je ne vais pas m’étendre là-dessus : Jean-Louis Baroux fait ça mieux que moi), que Facebook et les mecs du marketing de Monop' (qui savent tout de mes achats) me connaissent mieux que ma meilleure copine et ma psy réunies…
C’est bien parce que je suis une fille classe que je ne me permettrais pas de faire un doigt d’honneur à la « digitalisation de l’économie », mais si vous saviez combien ça me brûle !