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Liquidation judiciaire : quels recours pour les voyageurs qui déclarent leur créance hors délai ? 🔑

La faillite de Blue Passion a laissé des centaines de clients sur le carreau


La liquidation judiciaire d'une agence de voyages ou d'un tour-opérateur est une procédure très encadrée par la loi. Pour les clients concernés, qui deviennent dès lors des créanciers, elle signifie le top départ d'une série de démarches administratives - auprès du liquidateur et du garant financier - en vue d'obtenir un remboursement. Mais la pandémie est venue complexifier cette procédure, notamment pour les clients qui disposaient d'avoirs valables 18 mois et qui, suite aux confinements successifs, ne se sont pas préoccupés de la santé financière de leur voyagiste... C'est le cas pour des centaines de clients du Groupe Blue Passion, qui ont appris bien trop tard la liquidation de l'entreprise. Aujourd'hui, certains espèrent encore trouver un moyen de récupérer leur argent, même s'ils sont légalement hors délai pour se déclarer. C'est le cas de Patricia Martin, qui est allée jusqu'à créer une page Facebook « Blue passion le mécontentement ». De notre côté, nous avons contacté plusieurs avocats pour évoquer le sujet...


Rédigé par le Mardi 31 Mai 2022

En cas de liquidation judiciaire, les clients considérés comme étant hors délai par leur garant financier le sont-ils aussi vis-à-vis du liquidateur ? Ou existe-t-il un ultime recours ? - DR : DepositPhotos.com, BrianAJackson
En cas de liquidation judiciaire, les clients considérés comme étant hors délai par leur garant financier le sont-ils aussi vis-à-vis du liquidateur ? Ou existe-t-il un ultime recours ? - DR : DepositPhotos.com, BrianAJackson
Comme de nombreux clients, Patricia Martin a appris trop tard la liquidation du Groupe Blue Passion (Thalasso Passion, Côté Croisière, Alliance Autocar, WorldCruisers).

Elle avait réservé une croisière en famille - un dossier de près de 10 000€ - en 2020, reportée à cause de la pandémie à juin 2021.

Mais en début d'année dernière, après deux confinements, elle décide de contacter son voyagiste pour vérifier que son dossier est bien en ordre. Si l'agence est d'ordinaire très réactive, cette fois-là, elle n'arrive à joindre personne.

C'est en cherchant sur Internet qu'elle découvre la faillite du Groupe et les coordonnées du liquidateur (SELARL AXYME) et du garant financier Atradius. Elle envoie donc les dossiers lui permettant de déclarer sa créance et attend leur retour, sur les recommandations du cabinet AXYME. Ce n'est que durant l'été qu'elle finit par apprendre - via un courrier d'Atradius - que sa demande a été effectuée hors délai et qu'elle n'est pas recevable.

Mais Patricia Martin n'est pas un cas isolé. Comme elle, des centaines de clients n'auraient pas été informés à temps de cette faillite par le liquidateur et - ne lisant pas le journal officiel tous les jours - se retrouvent sur le carreau. En témoignent, les nombreux commentaires de voyageurs postés sous les articles de TourMaG.com.


Environ 500 clients hors délai pour le garant financier

Du côté du garant financier Atradius, qui a traité quelque 3 000 demandes de remboursement, les dossiers hors délai représentent 20% de la masse. Soit environ 500 clients.

Marie-Claude Kurdejak, la responsable juridique et contentieux d'Atradius Crédito y Caución, avait déjà expliqué dans nos colonnes en octobre 2021, pourquoi ces clients s'étaient retrouvés hors délai, ne disposant que d'un délai légal de trois mois après la publication de la cessation de la garantie financière auprès d'Atout France pour déclarer et justifier leur créance auprès du garant financier (articles R211-26 à R211-34 du code du tourisme).

« Étant donné que l'avis a été publié sur Atout France le 25 septembre 2020, les voyageurs avaient jusqu'au 28 décembre 2020 pour envoyer leur dossier, soit trois mois + trois jours. Aucun délai de forclusion n'est prévu par la loi », avait-elle déclaré.

LIRE A CE SUJET : Faillite Blue Passion : Atradius a remboursé plus de 60% des dossiers

Quant au mandataire judiciaire, Me Emmanuelle Llop, du cabinet Equinoxe Avocats, rappelait dans une précédente interview que « le client devra déclarer au représentant des créanciers - mandataire ou liquidateur judiciaire - le montant de la créance qu’il a chez l’opérateur, dans un délai de 2 mois après la publication de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire au Bulletin Officiel des Annonces civiles et Commerciales (BODACC).

Il peut recevoir également un courrier du liquidateur si l’opérateur a fourni la liste et les contacts des clients concernés.

S’il dépasse le délai (on dit qu’il est forclos), il peut demander à être relevé de la forclusion à condition d’invoquer un motif légitime (par exemple, l’opérateur ne l’a pas mentionné dans la liste, ou bien il était hospitalisé etc.), dans le délai de 6 mois après la publication du jugement de procédure collective. En cas d’acceptation, il aura un mois pour déclarer sa créance après la décision de relevé de forclusion
 », nous expliquait-elle.

LIRE AUSSI : Remboursement voyage : que faire en cas de liquidation judiciaire du tour-opérateur ou de l'agence de voyages ?

"On se retrouve seul devant cette machine infernale"

Mais Patricia Martin a décidé de ne pas s'arrêter à la procédure classique. Après de nombreux échanges avec Atradius et le cabinet AXYME, elle a décidé de contacter des associations de consommateurs, des émissions comme celle qu'anime Julien Courbet sur RTL.

Elle a aussi écrit à des députés et même à l'Élysée. « L’Élysée m'a répondu d'aller voir un médiateur, Julien Courbet ainsi que les secrétariats n'ont jamais répondu à mes différentes demandes et l'UFC-Que choisir m'a dit qu'il n'y avait pas assez de dossiers pour transmettre celui-ci au président. En gros, on se retrouve seul devant cette machine infernale », nous explique-t-elle.

Elle a même créé un groupe Facebook, « Blue passion le mécontentement », dans l'optique de pouvoir partager ses galères avec d'autres clients et que son message ait plus de portée.

Car si les clients sont considérés comme étant hors délai par leur garant financier, peut-on en dire autant vis-à-vis du liquidateur ? En effet, tant que ce dernier n'a pas réussi à avertir ces mêmes créanciers de la faillite de leur opérateur, peut-on considérer que la période de déclaration des créances a vraiment démarré ?

Pour tenter d'y répondre, nous avons échangé avec Maître Julien Ayoun, avocat au Barreau de Marseille, spécialisé en droit des procédures collectives et avec Me Yves Removille, avocat spécialisé en droit du tourisme.

« Le mandataire judiciaire n'a pas d'obligation - car il n'a pas les moyens au moment où il rentre dans la procédure collective - d'avoir tous les éléments concernant les créanciers, puisque c'est déclaratif de la part de l'entreprise en faillite.

Le mandataire ou le liquidateur judiciaire est simplement tenu dans les 15 jours du jugement d’ouverture d’avertir par lettre simple les créanciers connus d’avoir à lui déclarer leurs créances.

A ce moment de la procédure, le liquidateur se base uniquement sur la liste fournie par le débiteur qui peut oublier volontairement ou non les petites créances afin de diminuer le passif de la société.

En revanche, souvent, les débiteurs n’invoquent pas toutes les sommes qui sont dues ou des prestations qui ne sont pas effectuées ou terminées
 », indique Me Julien Ayoun.

« Mais, souligne Me Removille, dans le cas de Blue Passion, le liquidateur a communiqué sur tous les sites Internet du Groupe et ceux qui n’étaient peut-être pas sur la liste des créanciers, ont pu se retrouver à avoir l'information via l'un des sites Internet du voyagiste.

Je précise tout de même que pour les créances envoyées par courrier, le mandataire liquidateur les expédie en pli simple. Il se peut donc que parmi les 500 client concernés par cette faillite et qui n'ont pas été informés dans les temps, il y en ait qui étaient quand même inscrits dans l'état des créances
».

La clôture de la liquidation s'annonce

Si le délai légal pour se manifester en tant que créancier est de 2 mois à compter de la publication dans le journal d’annonces légales et qu'il est également possible de faire une demande de relevé de forclusion, « aujourd'hui dans cette affaire (Blue Passion, ndlr), c’est totalement illusoire », ajoute Me Ayoun.

D'autant plus que l'état des créances a été déposé en septembre 2021 par le liquidateur auprès du Tribunal de Commerce de Paris et que, donc, la clôture de la liquidation s'annonce.

Me Ayoun nous précise tout de même que, dans certaines affaires, il existe un moyen, « tout à fait exceptionnel, lorsque l'on constate des erreurs de gestion manifestes qui ont conduit à la procédure collective.

Par exemple, dans le cas où le président et certains membres de la société auraient commis de graves abus de biens sociaux qui ont poussé à la déconfiture totale de la société ou se sont enrichis personnellement.

Dans ce cas, la masse des créanciers, et lorsqu’il existe dans la procédure des contrôleurs - ce sont des créanciers chargés de veiller au bon déroulement de la procédure - peuvent, par l'intermédiaire du mandataire judiciaire, engager une action en responsabilité qui est délictuelle - pour schématiser - et demander à ce qu'il y ait une action en responsabilité pour insuffisance d’actif - anciennement dénommée action en comblement de passif - c'est-à-dire que les dirigeants de droit ou de fait de la société soient condamnés solidairement à payer une partie ou tout ce qui était dû par la société et qui a contribué à augmenter le passif de la société
 », explique Me Ayoun.

Il s'agit là d'une action attitrée, c'est-à-dire que l’initiative doit venir du Ministère public ou du liquidateur judiciaire.

Mais en cas de carence du liquidateur, la majorité des créanciers nommés contrôleurs lorsque le liquidateur n'a pas engagé l'action peuvent saisir directement le ministère public après une mise en demeure restée infructueuse pendant deux mois de la part du liquidateur judiciaire.

Une situation cependant tout à fait exceptionnelle et qui nécessite de montrer que des fautes de gestion très spécifiques ont été commises et qu'il y a une responsabilité personnelle. « Pour cela, il faudrait qu'il y ait un dépôt de plainte, une enquête et tout ceci reste très difficile à démontrer. D'autant plus si la pandémie est venue déclencher la procédure de redressement judiciaire », poursuit Me Ayoun.

Des recours "très coûteux en frais de contentieux pour un résultat qui reste très aléatoire"

De son côté, Me Removille remarque que dans le cas de Blue Passion, « il existe un trou noir au niveau comptable de 21 mois.

En effet, en mai 2020, les dirigeants ont changé la date de clôture de l'exercice en cours, qui est passée du 1er octobre au 30 septembre, au lieu du 1er janvier au 31 décembre. On se retrouve donc avec un exercice de 21 mois, du 1er janvier 2019 au 30 septembre 2020, pour lequel les comptes n'ont pas été déposés étant donné cette modification et la date du dépôt de bilan.

On pourrait donc imaginer que cette manœuvre était destinée à cacher que les comptes étaient mauvais et que la société se trouvait en état de cessation des paiements bien avant la date retenue par le Tribunal, à savoir le 31 août 2020
 ».

Doit-on y voir la possibilité d'aller rechercher les dirigeants en faillite personnelle ? Encore faudrait-il avoir accès aux comptes de l'entreprise...

De même, le fait que 500 personnes n'aient pas été inscrites sur l'état des créances par les dirigeants pourrait-il constituer une faute de gestion ou une manœuvre destinée à cacher une partie du passif ? « Tout ceci paraît bien hypothétique et on peut se demander si les personnes qui n'ont pas déclaré leur créance ont un intérêt à agir étant donné que leur créance n'existe plus et qu'ils sont forclos ?, s’interroge Me Removille.

Cela risque d'être très coûteux en frais de contentieux pour un résultat qui reste très aléatoire. D’autant plus que le garant financier, de son côté, peut aussi avoir demandé une contre-garantie aux dirigeants, se retourner contre eux et saisir leurs biens à hauteur du montant de leur caution personnelle.

Par ailleurs, l'action appartient au liquidateur, car c'est lui seul qui peut demander des sanctions au Tribunal avant la clôture de la liquidation - et non pas les créanciers floués – pour faute de gestion, pour non-tenue de comptabilité, pour ne pas avoir inscrit sur la liste des créanciers la totalité des gens qui avaient des avoirs, ou encore pour ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans le délai de 45 jours prévu par le Code du Commerce
».

Dans ce cas et si une partie du passif mis à la charge des dirigeants entrait dans l'actif de la liquidation judiciaire de Blue Passion, cet argent pourrait permettre de rembourser une partie des créanciers... mais pas les clients forclos.

Et Me Ayoun de rajouter : « La mauvaise gestion de la trésorerie ne constitue pas un délit. J'ai déjà vu des cas de procédures collectives où les gérants avaient pris toutes les mauvaises décisions possibles, pour autant la procédure n'a pas été considérée comme une faute de gestion.

Peuvent être qualifiées comme faute de gestion : l'omission de déclarer la cessation des paiements dans un délai de 45 jours, la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire dans l'intérêt personnel du dirigeant, la passivité face aux difficultés de l'entreprise, le fait de se verser une rémunération manifestement excessive.

En général, malheureusement, une fois qu'une société est morte, et qu’elle ne dispose plus d’assez d’actifs à distribuer, il n'y a plus rien à faire, étant donné que les créanciers chirographaires arrivent en dernier dans la répartition. Le plus souvent, la procédure se conclut par une clôture pour insuffisance d’actif
 ».

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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