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Marc Rochet : "Le carburant durable (SAF) n'est pas une solution !"

Une possible commercialisation en 2035


Il est dans toutes les bouches et tous les communiqués. Le carburant durable communément appelé SAF (sustainable aviation fuel) est la porte de sortie du très polluant transport aérien. Représentant moins de 1% du carburant utilisé par les compagnies françaises, ce nouveau carburant doit atteindre la barre des 2% en 2025, puis 70% en 2050. Sauf que ce vœu pieux se heurte à une réalité bien différente: : non seulement la production dans de telles proportions est quasiment impossible mais la consommation de CO2 ne baisserait pas pour autant, indique Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes.


Rédigé par le Jeudi 8 Juin 2023

Pour Marc Rochet, le SAF, carburant durable d'aviation n'est... pas une solution - Photo JDL
Pour Marc Rochet, le SAF, carburant durable d'aviation n'est... pas une solution - Photo JDL
L'aérien et le secteur du voyage vont devoir faire des efforts au regard de l'urgence climatique. Pointés du doigt, ces deux secteurs doivent faire leur part d'efforts.

Ils vont devoir passer la vitesse supérieur sous peine de subir des punitions qui seront tout autre que le très moqué sentiment du "flygskam".

Du côté des constructeurs, les projets sont à l'étude. Airbus réfléchit à l'avion du futur.

"Nous pouvons réduire les émissions, mais pas totalement les annuler. Il nous faudrait alors une technologie de rupture.

Nous travaillons sur le concept à 0 émission, en utilisant de l'hydrogène. Cette solution est totalement crédible,
" estime Grégory Boisson, le responsable des standards de qualité chez Airbus.

Cette technologie pourrait permettre de réduire l'impact carbone des appareils court-courriers. Une phase d'étude doit se terminer en 2025, avant une possible commercialisation en 2035.

Un laps de temps relativement bref et une technologie qui rendent sceptiques certains observateurs.


Hydrogène : "Son usage à horizon 10 ou 15 ans : c’est de la communication"

Les scientifiques sont dubitatifs sur la solution "hydrogène", tout comme Marc Rochet, Directeur général d'Air Caraïbes - French Bee.

"Je ne suis pas fan, c’est une technologie complexe.

La production d’énergie est faible, nous n'avons pas les moteurs pour l'utiliser. Son usage à horizon 10 ou 15 ans, c’est de la communication
," tempère Marc Rochet.

Nous risquons aussi de ne pas reconnaître les avions qui sillonneront le ciel. Les appareils ressembleront à des culturistes bourrés d'amphétamine, puisque la taille des réservoirs devra être multipliée par 4.

Pour le long-courrier, c’est une évidence l’hydrogène, n’est pas une solution pour demain.


Son concurrent de Corsair élude lui aussi le sujet.

Le secteur devra attendre au mieux plusieurs décennies. Avec une consommation quotidienne de 1,2 milliard de litres de kérosène, l'aérien va devoir largement se désintoxiquer de l'or noir.

Dans la même veine, l'électrique n'est pas une solution envisageable.

"Nous écartons aussi cette idée. Nous avons un problème de poids des batteries. La technologie peut concerner seulement les petits avions, avec de faibles capacités et sur des lignes très court-courriers," résume Pascal de Izaguirre, patron de Corsair.

SAF : " Je paye, sans avoir le SAF" selon Pascal de Izaguirre

Une fois que les deux sources d'énergie ont été grandement remises en question par les deux patrons, le SAF apparait alors comme la seule réponse immédiate et viable... (ou pas).

Le carburant durable d'aviation est grandement mis en avant par IATA et les transporteurs.

Pour le patron de la FNAM, le secteur n'a pas le choix, cette technologie est l'unique solution.

"Aujourd'hui, il n'y a pas de production en France. Je suis obligé de prendre 1% de SAF sur Orly, mais je n'en vois pas la couleur. Je paye une taxe, sans avoir le SAF. Le problème majeur est l'absence de filière de production."

A cela vous ajoutez des tarifs faramineux, puisque le carburant vert représente un surcout 5 ou 6 fois supérieur à celui du pétrole.

Ce n'est pas le seul bémol, selon Marc Rochet. D'après lui, un avion consommant du SAF émet autant de gaz carbonique qu'un avion traditionnel.

"J'ai des doutes. Le SAF émet la même quantité de gaz carbonique. Il n'y a pas de gain réel, en dehors des effets de manche," recadre le directeur général d'Air Caraïbes.

SAF : "ce n'est pas une réalité, nous allons revenir dessus" selon Marc Rochet

Le carburant durable utilise en grande partie du kérosène, pour devenir durable.

Pour être véritablement vert, les producteurs vont devoir changer de sources d'énergie, en s'appuyant sur la biomasse (biocarburant) ou pire encore se baser sur une technologie non-disponible.

"Nous allons devoir casser des molécules d'eau ou de gaz carbonique, sauf que cette énergie nous ne l'avons pas aujourd'hui.

Pour assurer la production de 80% du SAF à horizon 2050, rien qu'en Europe, nous devrions construire 100
tranches nucléaires, c'est hors de proportion, ce n'est pas une réalité, nous allons revenir dessus," analyse Marc Rochet.

Le secteur se serait donc précipité afin de montrer patte blanche, face à une opinion publique de plus en plus hostile.

Malgré tout, pour le PDG de Corsair, le SAF est l'unique échappatoire pour l'industrie. Les autres technologiques sont trop hypothétiques, pas adaptées ou fantasmées.

"C'est le seul levier que nous avons. Dire que nous allons attendre les améliorations des motoristes et avionneurs, ce n'est pas possible. La société ne va pas nous donner assez de temps," affirme Pascal de Izaguirre.

Les e-fuel totalement verts devront vite émerger, car dès 2030 la quantité de biomasse (huile de friture ou déchet agricole) ne suffira pas au regard des besoins.

A écouter les deux patrons de l'aérien français - surtout leurs discours dissonants - nous avons de quoi être pessimistes pour la transition des vols long-courriers.

Aérien : "La taxation doit être incitative" selon Marc Rochet

Pour Marc Rochet, l'unique réponse aux problématiques du secteur ne peut être qu'une amélioration de l'existant en faisant baisser la consommation de carburant.

"Les avions actuels consomment 25% de fuel en moins, dans quelques années nous rachèterons des avions consommant beaucoup moins.

Il est plus facile de réduire les besoins en carburants de 50% que de transformer les bacs d'huile de friture en SAF ou même de construire des centrales nucléaires,
" affirme le DG d'Air Caraïbes.

Un point sur lequel les deux patrons sont d'accord : la transition risque de coûter cher.

Que ce soit l'innovation, la rupture technologique ou l'acquisition des nouveaux carburants plus durables, les coûts des compagnies vont sensiblement augmenter, voire même s'envoler.

"Le coût pour le secteur sera considérable. Pour le seul pavillon français, hors investissement dans la modernisation , il représentera en 2025, près d'un milliard d'euros. Un montant qui atteindra 3 milliards d'euros en 2030, puis cela va continuer de façon crescendo," prédit le président de la FNAM.

Une hausse des charges venant frapper une industrie ressortant grandement fragilisée de la crise sanitaire.

Pour mener à bien le financement de cette bascule, la taxation parait indéniable. Dans un premier temps, des taxes - le secteur ne se voile plus la face - seront mises en place pour faire baisser la demande aérienne.

"Le transport aérien doit rester accessible à tous. Il n'est pas fait pour les riches. La taxation, je ne suis pas forcément contre, elle ne doit pas être punitive, mais incitative, " recadre Marc Rochet.

L'industrie aimerait que l'impôt favorise l'investissement, en taxant les anciens avions, pour financer en partie l'acquisition des nouveaux appareils.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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