"il faut aussi rappeler que les touristes qui prennent l’avion et des vols internationaux ne sont qu’une petite minorité" selon Saskia Cousin, anthropologue du tourisme - Crédit photo : Depositphotos @vitormarigo
TourMaG.com - Vous êtes sociologue et anthropologue du tourisme, pensez-vous qu’une crise aussi longue (annoncée jusqu’à 5 ans par IATA) puisse durablement affecter et modifier le comportement des voyageurs et touristes ?
Saskia Cousin : Les chercheurs ne sont pas les mieux placés pour prédire l’avenir.
La pandémie a presque totalement arrêté les vols internationaux pendant plusieurs mois, et s’ils reprennent actuellement de manière quasi normale pour certaines destinations cet automne, il faudra un peu de temps pour savoir quels en sont les effets sur les pratiques des voyageurs et des touristes internationaux.
Mais il faut aussi rappeler que les touristes qui prennent l’avion et des vols internationaux ne sont qu’une petite minorité.
Or ce que nous avons pu observer cet été, pour celles et ceux qui ont pu partir en vacances, c’est une relocalisation des séjours, notamment en milieu rural.
De plus, dès l’annonce du confinement des milliers d’urbains sont partis dans des lieux de vacances, en milieu rural.
Au Sénégal, où je travaille actuellement, il y a également eu une relocalisation des classes moyennes urbaines qui ont pris leurs vacances dans leur pays.
Cela ne remplace pas les millions de touristes internationaux qu’accueillaient les stations touristiques, mais cela oblige à repenser le modèle de la mono-industrie touristique, et de ses consommateurs, afin de sortir de cette course au chiffre du plus grand nombre de touristes étrangers .
TourMaG.com - Pensez-vous qu’une nouvelle ère touristique s’est ouverte avec la pandémie ?
Saskia Cousin : Il y a donc pour le moment des pratiques différentes, liées aux empêchements mais rien ne dit que cela aura des effets à long terme sur les pratiques et les désirs de voyage.
Pour cela il faudrait que le tourisme se dote d’instances de régulation internationales, ainsi que d’instances de réflexions non inféodée à l’industrie du tourisme international.
Saskia Cousin : Les chercheurs ne sont pas les mieux placés pour prédire l’avenir.
La pandémie a presque totalement arrêté les vols internationaux pendant plusieurs mois, et s’ils reprennent actuellement de manière quasi normale pour certaines destinations cet automne, il faudra un peu de temps pour savoir quels en sont les effets sur les pratiques des voyageurs et des touristes internationaux.
Mais il faut aussi rappeler que les touristes qui prennent l’avion et des vols internationaux ne sont qu’une petite minorité.
Or ce que nous avons pu observer cet été, pour celles et ceux qui ont pu partir en vacances, c’est une relocalisation des séjours, notamment en milieu rural.
De plus, dès l’annonce du confinement des milliers d’urbains sont partis dans des lieux de vacances, en milieu rural.
Au Sénégal, où je travaille actuellement, il y a également eu une relocalisation des classes moyennes urbaines qui ont pris leurs vacances dans leur pays.
Cela ne remplace pas les millions de touristes internationaux qu’accueillaient les stations touristiques, mais cela oblige à repenser le modèle de la mono-industrie touristique, et de ses consommateurs, afin de sortir de cette course au chiffre du plus grand nombre de touristes étrangers .
TourMaG.com - Pensez-vous qu’une nouvelle ère touristique s’est ouverte avec la pandémie ?
Saskia Cousin : Il y a donc pour le moment des pratiques différentes, liées aux empêchements mais rien ne dit que cela aura des effets à long terme sur les pratiques et les désirs de voyage.
Pour cela il faudrait que le tourisme se dote d’instances de régulation internationales, ainsi que d’instances de réflexions non inféodée à l’industrie du tourisme international.
"Ce n’est pas parce qu’il y a moins de tourisme international qu’il y aura moins de voyage"
TourMaG.com - En tant que spécialiste de la circulation des images et des récits dans le tourisme. Quels genres de conséquences sur le monde peut avoir une absence prolongée du tourisme à travers le globe ?
Saskia Cousin : La question de la dépendance au tourisme est cruciale pour certaines villes, mais les politiques ont tendance à oublier que beaucoup, voire la majorité des personnes qui pratiquent les aménités touristiques sont des nationaux, ils ne viennent pas pour des raisons touristiques.
A Venise, l’objectif de faire payer l’entrée en ville va affecter des millions d’Italiens de la région qui vont à Venise pour des raisons familiales ou administratives, alors même que la ville continue de construire des hôtels, et n’a pas mis fin à l’arrivée des croisières.
Par ailleurs et au risque de me répéter : nous confondons souvent les images et imaginaires du voyage créés par le tourisme international, l’industrie aérienne et, les pratiques, motivations et récits des voyageurs.
Ce n’est pas parce qu’il y a moins de tourisme international qu’il y aura moins de voyage.
Ce n’est pas la distance kilométrique qui fait le voyage. Ce qui fait le voyage c’est le chemin que le voyageur a parcouru vis-à-vis de lui-même.
Ainsi les voyages de découvertes de différentes cultures issues de l’immigration que l’association Basina propose en Ile-de-France sont vécus par les personnes qui y participent comme de grands moments de rencontres et de découvertes d’altérité, souvent à quelques stations de métro.
En bref, l’important c’est de se poser la question des récits et des valeurs associées au voyage en sortant de l’imaginaire de l’avion.
Car dans la réalité des pratiques, la plupart des gens voyagent autrement que ce que nous montrent ces images.
La majorité des gens cherchent d’abord à se retrouver en famille, entre amis, pour se reposer. Le désir de vacances près de chez soi, doit être respecté en soi, d’autant plus que ce sont ces personnes qui font vivre les territoires.
TourMaG.com - Le tourisme est souvent perçu comme destructeur, mais il permet aussi de préserver des sites, des cultures et des patrimoines culturels...
Saskia Cousin : Le secteur du tourisme représente pour certains pays plus de 50% du PIB, pour de nombreux autres plus que l’automobile et l’agroalimentaire réunis.
C’est donc très important, si nous comptons de manière globale. Mais il faut se pencher sur le détail pour comprendre de quoi nous parlons et distinguer les bénéfices pour l’industrie, et ceux éventuels pour les sociétés locales.
Par exemple, des économistes ont calculé que, en moyenne, 80% de ce qu’un touriste du nord dépense dans un pays du sud revient à une industrie du nord - notamment le transport aérien, mais aussi l’hôtellerie internationale.
Ces industries sont certes génératrices d’emplois, mais si, comme souvent c’est le cas, elles déstabilisent les activités économiques traditionnelles, outre leurs effets délétères sur l’environnement, elles créent une relation de dépendance.
Cela se voit à toutes les échelles : des stations balnéaires de la côte Caraïbes, à Venise ou aux villages Dogons, le problème est la mono-industrie.
Lorsque la crise arrive, quelle qu’elle soit, les populations n’ont plus d’autres activités vers lesquelles se retourner. Tout est donc une question d’échelle, de mesure, et donc de régulation.
Saskia Cousin : La question de la dépendance au tourisme est cruciale pour certaines villes, mais les politiques ont tendance à oublier que beaucoup, voire la majorité des personnes qui pratiquent les aménités touristiques sont des nationaux, ils ne viennent pas pour des raisons touristiques.
A Venise, l’objectif de faire payer l’entrée en ville va affecter des millions d’Italiens de la région qui vont à Venise pour des raisons familiales ou administratives, alors même que la ville continue de construire des hôtels, et n’a pas mis fin à l’arrivée des croisières.
Par ailleurs et au risque de me répéter : nous confondons souvent les images et imaginaires du voyage créés par le tourisme international, l’industrie aérienne et, les pratiques, motivations et récits des voyageurs.
Ce n’est pas parce qu’il y a moins de tourisme international qu’il y aura moins de voyage.
Ce n’est pas la distance kilométrique qui fait le voyage. Ce qui fait le voyage c’est le chemin que le voyageur a parcouru vis-à-vis de lui-même.
Ainsi les voyages de découvertes de différentes cultures issues de l’immigration que l’association Basina propose en Ile-de-France sont vécus par les personnes qui y participent comme de grands moments de rencontres et de découvertes d’altérité, souvent à quelques stations de métro.
En bref, l’important c’est de se poser la question des récits et des valeurs associées au voyage en sortant de l’imaginaire de l’avion.
Car dans la réalité des pratiques, la plupart des gens voyagent autrement que ce que nous montrent ces images.
La majorité des gens cherchent d’abord à se retrouver en famille, entre amis, pour se reposer. Le désir de vacances près de chez soi, doit être respecté en soi, d’autant plus que ce sont ces personnes qui font vivre les territoires.
TourMaG.com - Le tourisme est souvent perçu comme destructeur, mais il permet aussi de préserver des sites, des cultures et des patrimoines culturels...
Saskia Cousin : Le secteur du tourisme représente pour certains pays plus de 50% du PIB, pour de nombreux autres plus que l’automobile et l’agroalimentaire réunis.
C’est donc très important, si nous comptons de manière globale. Mais il faut se pencher sur le détail pour comprendre de quoi nous parlons et distinguer les bénéfices pour l’industrie, et ceux éventuels pour les sociétés locales.
Par exemple, des économistes ont calculé que, en moyenne, 80% de ce qu’un touriste du nord dépense dans un pays du sud revient à une industrie du nord - notamment le transport aérien, mais aussi l’hôtellerie internationale.
Ces industries sont certes génératrices d’emplois, mais si, comme souvent c’est le cas, elles déstabilisent les activités économiques traditionnelles, outre leurs effets délétères sur l’environnement, elles créent une relation de dépendance.
Cela se voit à toutes les échelles : des stations balnéaires de la côte Caraïbes, à Venise ou aux villages Dogons, le problème est la mono-industrie.
Lorsque la crise arrive, quelle qu’elle soit, les populations n’ont plus d’autres activités vers lesquelles se retourner. Tout est donc une question d’échelle, de mesure, et donc de régulation.
La crise : "elle déplace le curseur des privilégiés, en les réduisant à un très petit nombre"
TourMaG.com - Il est le secteur le plus touché et il sera le dernier à repartir. Pensez-vous que le tourisme dans sa structuration et son industrialisation doit se repenser ? Est-elle encore en phase avec les nouvelles aspirations des voyageurs du 21e siècle ?
Saskia Cousin : Si nous mettons à part l’industrie aérienne, le luxe et l’hôtellerie de chaine, l’économie touristique en Occident ne dépend pas que du tourisme international.
Les touristes internationaux sont extrêmement concentrés dans quelques villes et quelques hauts lieux, mais ce n’est pas la majorité des destinations européennes.
Nous l'avons vu cet été : beaucoup de territoires ruraux ont fait une saison exceptionnelle.
Nous avons donc l’impression que la pandémie a fait exister ce que tous les analystes appellent de leurs vœux depuis des décennies : une meilleure répartition des flux touristique.
Le souci est que pour comprendre ce qui est en train de se passer, il faut avoir les bonnes lunettes pour le voir, c’est-à-dire les bons indicateurs.
Or les indicateurs traditionnels sont basés sur des entrées de territoires, des consommations hôtelières et ne prennent pas en compte les externalités négatives, comme on dit en économie.
Pour observer mieux, il faudrait des indicateurs différents, intéressants permettant de mesurer les apports des vacanciers sur leurs territoires, surtout lorsqu’ils logent dans leur famille ou chez des amis .
TourMaG.com - Depuis des décennies, le voyage est parfois vendu comme un pot de yaourt, il est aussi devenu une obligation vis à vis des personnes qui peuvent vous suivre sur les réseaux sociaux... "Si tu n’as pas fait un tour du monde à 30 ans tu es has been". La crise nous renvoie-t-elle à nos excès ? Peut-elle nous ramener aux origines et fondements du tourisme ?
Saskia Cousin : le tourisme est originellement une pratique extrêmement élitiste, aristocratique avec ses modes de distinctions dont le voyage loin et rare faisait et fait partie.
Pendant le confinement et la fermeture des frontières, nous avons vu exploser les locations d’avion privé, et seuls les ultras privilégiés - pour des raisons politiques ou économiques - pouvaient se déplacer.
Donc effectivement nous avions ces privilégiés et tous les autres.
Mais finalement lorsque la majorité des humains n’ont pas accès aux congés payés et que 40% des Français ne partent pas en vacances l’été, cette pandémie ne change pas la nature des inégalités vis-à-vis du voyage : elle déplace le curseur des privilégiés en les réduisant à un très petit nombre.
Le voyage est devenu une industrie de masse dans les années 50, cela fait partie des éléments qui fondent la société de consommation de masse, avec l’industrie agroalimentaire, l’industrie automobile, l’industrie audiovisuelle etc.
Nous pouvons considérer que l’accès d’un grand nombre de gens à l’alimentation, aux transports et aux loisirs est une avancée démocratique, tout en regrettant l’emprise de leur industrialisation à outrance.
Saskia Cousin : Si nous mettons à part l’industrie aérienne, le luxe et l’hôtellerie de chaine, l’économie touristique en Occident ne dépend pas que du tourisme international.
Les touristes internationaux sont extrêmement concentrés dans quelques villes et quelques hauts lieux, mais ce n’est pas la majorité des destinations européennes.
Nous l'avons vu cet été : beaucoup de territoires ruraux ont fait une saison exceptionnelle.
Nous avons donc l’impression que la pandémie a fait exister ce que tous les analystes appellent de leurs vœux depuis des décennies : une meilleure répartition des flux touristique.
Le souci est que pour comprendre ce qui est en train de se passer, il faut avoir les bonnes lunettes pour le voir, c’est-à-dire les bons indicateurs.
Or les indicateurs traditionnels sont basés sur des entrées de territoires, des consommations hôtelières et ne prennent pas en compte les externalités négatives, comme on dit en économie.
Pour observer mieux, il faudrait des indicateurs différents, intéressants permettant de mesurer les apports des vacanciers sur leurs territoires, surtout lorsqu’ils logent dans leur famille ou chez des amis .
TourMaG.com - Depuis des décennies, le voyage est parfois vendu comme un pot de yaourt, il est aussi devenu une obligation vis à vis des personnes qui peuvent vous suivre sur les réseaux sociaux... "Si tu n’as pas fait un tour du monde à 30 ans tu es has been". La crise nous renvoie-t-elle à nos excès ? Peut-elle nous ramener aux origines et fondements du tourisme ?
Saskia Cousin : le tourisme est originellement une pratique extrêmement élitiste, aristocratique avec ses modes de distinctions dont le voyage loin et rare faisait et fait partie.
Pendant le confinement et la fermeture des frontières, nous avons vu exploser les locations d’avion privé, et seuls les ultras privilégiés - pour des raisons politiques ou économiques - pouvaient se déplacer.
Donc effectivement nous avions ces privilégiés et tous les autres.
Mais finalement lorsque la majorité des humains n’ont pas accès aux congés payés et que 40% des Français ne partent pas en vacances l’été, cette pandémie ne change pas la nature des inégalités vis-à-vis du voyage : elle déplace le curseur des privilégiés en les réduisant à un très petit nombre.
Le voyage est devenu une industrie de masse dans les années 50, cela fait partie des éléments qui fondent la société de consommation de masse, avec l’industrie agroalimentaire, l’industrie automobile, l’industrie audiovisuelle etc.
Nous pouvons considérer que l’accès d’un grand nombre de gens à l’alimentation, aux transports et aux loisirs est une avancée démocratique, tout en regrettant l’emprise de leur industrialisation à outrance.
Ecologie : "le problème n’est pas d’interdire le voyage lointain, car cela poserait un grave problème démocratique"
A propos de Disneyland : "Mais que sont ces lieux aujourd'hui si ce n’est le brouillon de la réalité virtuelle qui viendra bientôt les supplanter ?" selon Saskia Cousin - Crédit photo : Centre d'Anthropologie Culturelle
TourMaG.com - Pour des raisons sanitaires ou environnementales, le voyage pour renaitre doit-il revenir rare ?
Saskia Cousin : Aujourd’hui des gens partent dans des stations balnéaires à l’autre bout du monde non pas parce qu’ils veulent découvrir ce bout la planète, mais parce que c’est moins cher de poser sa serviette au bord d‘une piscine à Cancún que sur la Côte d’Azur.
C’est aussi un avatar de l’industrialisation, des fast jet comme il y a du fast food.
Pour la pérennité de notre planète et de notre espèce, le problème n’est pas d’interdire le voyage lointain, car cela poserait un grave problème démocratique - même si c’est déjà le cas pour tous ceux qui n’ont pas les bons « visas » ou des revenus suffisants.
Le problème est de mener un combat dans les imaginaires sur ce qu’est un voyage.
L’aérien a réussi à associer son industrie à l’idée de liberté, d’évasion, alors que concrètement cela signifie pour le voyageur de rester coincé dans un siège pendant des heures après s’être soumis à d’innombrables contrôles de toutes sortes.
La dernière trouvaille des compagnies aériennes est de communiquer sur l’avion comme destination, avec ces vols de départ et d’arrivée dans le même aéroport. (lire dans le JDD : Les vols sans destination cartonnent )
Les billets n’ont pas du tout été vendus immédiatement comme cela a été communiqué dans les journaux. Mais tous les médias sont tombés dans le panneau et ont relayé cette communication de crise, qui est aussi, compte tenu de la pollution aérienne, une déclaration de guerre contre l’environnement.
En tant que chercheurs nous pouvons étudier et déconstruire ces indicateurs et ces images, ces lobbys et cette industrie.
Mais il est aussi intéressant de s’intéresser aux alternatives.
Ainsi, dans le domaine de l’alimentation, depuis des années, nous redécouvrons les cultures de proximité, les circuits courts et désormais l’agriculture urbaine. C’est peut -être ce qui nous attend pour le voyage et le tourisme, et c’est une bonne nouvelle.
La nouvelle encore meilleure, c’est que la plupart des vacanciers font cela depuis toujours : partir pas trop loin de chez eux, sans prendre l’avion, dans le circuit court des amis et de la famille, sans passer par les plateformes globales etc.
De plus de nombreuses initiatives de voyages et des relations différentes ont émergé, avec d’autres modes de financement, comme les coopératives qui rassemblent des agences, des territoires, des chambres d’hôtes et restaurants, des commerçants locaux, des activités diverses, etc.
TourMaG.com - Malheureusement, la covid-19 nous renvoie parfois au pire, avec la pollution, les files d’attente aux MacDo et autres fast-foods. Selon vous cette crise va-t-elle faire oublier l’urgence climatique ?
Saskia Cousin: Cette pandémie est sans doute un effet de la crise écologique, et de la pression sur les milieux naturels.
Il faut la voir comme une alerte qui nous rappelle l’urgence à repenser notre relation à l’environnement. C’est donc ensemble qu’il faut penser l’urgence sanitaire et l’urgence climatique.
Saskia Cousin : Aujourd’hui des gens partent dans des stations balnéaires à l’autre bout du monde non pas parce qu’ils veulent découvrir ce bout la planète, mais parce que c’est moins cher de poser sa serviette au bord d‘une piscine à Cancún que sur la Côte d’Azur.
C’est aussi un avatar de l’industrialisation, des fast jet comme il y a du fast food.
Pour la pérennité de notre planète et de notre espèce, le problème n’est pas d’interdire le voyage lointain, car cela poserait un grave problème démocratique - même si c’est déjà le cas pour tous ceux qui n’ont pas les bons « visas » ou des revenus suffisants.
Le problème est de mener un combat dans les imaginaires sur ce qu’est un voyage.
L’aérien a réussi à associer son industrie à l’idée de liberté, d’évasion, alors que concrètement cela signifie pour le voyageur de rester coincé dans un siège pendant des heures après s’être soumis à d’innombrables contrôles de toutes sortes.
La dernière trouvaille des compagnies aériennes est de communiquer sur l’avion comme destination, avec ces vols de départ et d’arrivée dans le même aéroport. (lire dans le JDD : Les vols sans destination cartonnent )
Les billets n’ont pas du tout été vendus immédiatement comme cela a été communiqué dans les journaux. Mais tous les médias sont tombés dans le panneau et ont relayé cette communication de crise, qui est aussi, compte tenu de la pollution aérienne, une déclaration de guerre contre l’environnement.
En tant que chercheurs nous pouvons étudier et déconstruire ces indicateurs et ces images, ces lobbys et cette industrie.
Mais il est aussi intéressant de s’intéresser aux alternatives.
Ainsi, dans le domaine de l’alimentation, depuis des années, nous redécouvrons les cultures de proximité, les circuits courts et désormais l’agriculture urbaine. C’est peut -être ce qui nous attend pour le voyage et le tourisme, et c’est une bonne nouvelle.
La nouvelle encore meilleure, c’est que la plupart des vacanciers font cela depuis toujours : partir pas trop loin de chez eux, sans prendre l’avion, dans le circuit court des amis et de la famille, sans passer par les plateformes globales etc.
De plus de nombreuses initiatives de voyages et des relations différentes ont émergé, avec d’autres modes de financement, comme les coopératives qui rassemblent des agences, des territoires, des chambres d’hôtes et restaurants, des commerçants locaux, des activités diverses, etc.
TourMaG.com - Malheureusement, la covid-19 nous renvoie parfois au pire, avec la pollution, les files d’attente aux MacDo et autres fast-foods. Selon vous cette crise va-t-elle faire oublier l’urgence climatique ?
Saskia Cousin: Cette pandémie est sans doute un effet de la crise écologique, et de la pression sur les milieux naturels.
Il faut la voir comme une alerte qui nous rappelle l’urgence à repenser notre relation à l’environnement. C’est donc ensemble qu’il faut penser l’urgence sanitaire et l’urgence climatique.
Disneyland : l’industrie de l’imaginaire sera-t-elle supplantée par la réalité virtuelle ?
TourMaG.com - Quand on voit Disneyland Paris, Vegas ou Dubaï vidés de leurs touristes. Faut-il repenser notre vision et conception du tourisme ?
Saskia Cousin : Ces parcs, en particulier Disneyland, ont été pensés comme des produits dérivés de l’industrie de l’imaginaire, cela permettait aux consommateurs de se déplacer dans cet imaginaire du soft power occidental, en particulier nord-américain.
Mais que sont ces lieux aujourd'hui si ce n’est le brouillon de la réalité virtuelle qui viendra bientôt les supplanter ? Sans doute la pandémie a-t-elle accéléré les choses, comme Airbnb a accéléré la déstabilisation de l’hôtellerie de chaine.
Pour continuer à voyager et à vivre sur notre planète, il faudra bien sortir de cet imaginaire qui provoque la mono-industrie touristique, et une saturation nocive pour l’environnement, les sociétés d’accueil, et aussi les voyageurs.
La désaturation, c’est par exemple le développement d’un artisanat de l’accueil, pour permettre à ceux qui le souhaitent d'autres formes de voyage et une meilleure répartition des bénéfices du tourisme.
Cela signifie sortir du capitalisme de plateforme qui avait mis à terre une partie de l’industrie du tourisme, et réinventer les échanges, comme cela se fait dans tous les secteurs.
Aujourd’hui, il y a d’innombrables initiatives, anciennes et nouvelles. Les états et les villes commencent à créer leur plateforme de réservation et réguler l’hébergement temporaire, il était temps !
Du point de vue du privé, les initiatives les plus prometteuses actuellement sont sans doute les nouvelles formes d’organisation coopératives, qui travaillent à se réapproprier l’intermédiation sur lesquels les plateformes globales ont la mainmise, pour les chambres d’hôtes comme pour les hôtels, ou les activités.
Je pense à des plateformes comme les oiseaux de passage, Fairbnb etc. l’enjeu de la relation est la confiance, et c’est bien ce qui est nécessaire actuellement.
TourMaG.com - Quels enseignements tirez-vous de ce qu’il se passe ?
Saskia Cousin : Cette pandémie est une alerte qui peut aussi devenir une chance pour repenser de manière plus équitable les vacances et le tourisme, aussi bien en termes de droits aux vacances, que sur les destinations, en privilégiant des pratiques plus diffuses.
Disons que je tente de conseiller le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Donc soyons volontaires considérons que c’est une chance, et travaillons à de nouvelles pratiques, de nouveaux récits, de nouveaux voyages.
Saskia Cousin : Ces parcs, en particulier Disneyland, ont été pensés comme des produits dérivés de l’industrie de l’imaginaire, cela permettait aux consommateurs de se déplacer dans cet imaginaire du soft power occidental, en particulier nord-américain.
Mais que sont ces lieux aujourd'hui si ce n’est le brouillon de la réalité virtuelle qui viendra bientôt les supplanter ? Sans doute la pandémie a-t-elle accéléré les choses, comme Airbnb a accéléré la déstabilisation de l’hôtellerie de chaine.
Pour continuer à voyager et à vivre sur notre planète, il faudra bien sortir de cet imaginaire qui provoque la mono-industrie touristique, et une saturation nocive pour l’environnement, les sociétés d’accueil, et aussi les voyageurs.
La désaturation, c’est par exemple le développement d’un artisanat de l’accueil, pour permettre à ceux qui le souhaitent d'autres formes de voyage et une meilleure répartition des bénéfices du tourisme.
Cela signifie sortir du capitalisme de plateforme qui avait mis à terre une partie de l’industrie du tourisme, et réinventer les échanges, comme cela se fait dans tous les secteurs.
Aujourd’hui, il y a d’innombrables initiatives, anciennes et nouvelles. Les états et les villes commencent à créer leur plateforme de réservation et réguler l’hébergement temporaire, il était temps !
Du point de vue du privé, les initiatives les plus prometteuses actuellement sont sans doute les nouvelles formes d’organisation coopératives, qui travaillent à se réapproprier l’intermédiation sur lesquels les plateformes globales ont la mainmise, pour les chambres d’hôtes comme pour les hôtels, ou les activités.
Je pense à des plateformes comme les oiseaux de passage, Fairbnb etc. l’enjeu de la relation est la confiance, et c’est bien ce qui est nécessaire actuellement.
TourMaG.com - Quels enseignements tirez-vous de ce qu’il se passe ?
Saskia Cousin : Cette pandémie est une alerte qui peut aussi devenir une chance pour repenser de manière plus équitable les vacances et le tourisme, aussi bien en termes de droits aux vacances, que sur les destinations, en privilégiant des pratiques plus diffuses.
Disons que je tente de conseiller le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Donc soyons volontaires considérons que c’est une chance, et travaillons à de nouvelles pratiques, de nouveaux récits, de nouveaux voyages.
Qui est Saskia Cousin ?
Anthropologue, maîtresse de conférences à l'Université Paris Descartes, Saskia Cousin est responsable du master Ethnologie de Paris Descartes.
"J’enseigne l’anthropologie du tourisme et de la mondialisation, ainsi que des cours plus généraux autour de l’économie de l’altérité. J’anime le programme de recherche impliquée Migrantour," pouvons-nous lire sur sa page dédiée du site Paris Diderot.
Saskia Cousin est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le tourisme à l’épreuve de l’enquête" (2012) ou encore "Sociologie du tourisme" (2016). Ainsi que différents articles, comme "Étudier TripAdvisor. Ou comment Trip-patouiller les cartes de nos vacances", EspacesTemps.net (2014) ou "Anthropologie et tourisme : un tango de l’altérité", Mondes du tourisme n°12 (2016).
"J’enseigne l’anthropologie du tourisme et de la mondialisation, ainsi que des cours plus généraux autour de l’économie de l’altérité. J’anime le programme de recherche impliquée Migrantour," pouvons-nous lire sur sa page dédiée du site Paris Diderot.
Saskia Cousin est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le tourisme à l’épreuve de l’enquête" (2012) ou encore "Sociologie du tourisme" (2016). Ainsi que différents articles, comme "Étudier TripAdvisor. Ou comment Trip-patouiller les cartes de nos vacances", EspacesTemps.net (2014) ou "Anthropologie et tourisme : un tango de l’altérité", Mondes du tourisme n°12 (2016).