Anne Bouferguène : "J’ai un bon job, je suis reconnue dans ma profession. J’ai la chance d’avoir réussi et ce n’est jamais un hasard, à m’associer à cette équipe de Voyageurs du Monde, qui est quand même une équipe atypique du monde du tourisme et de l’entreprise en général" - Photo DG
TourMaG.com - Qui êtes-vous, Anne Bouferguène ?
Anne Bouferguène : (rire) Je pense qu’à la fin de ma vie, je saurais un peu plus qui je suis qu’aujourd’hui. Je crois que l’on court toujours après ce que l’on est et c’est un travail personnel d’avancement tout à fait personnel de savoir vraiment.
Qui suis-je, d’un point de vie objectif ?
J’ai 46 ans, j’ai deux enfants, je suis une femme heureuse dans sa vie, accomplie professionnellement, je travaille dans un secteur d’activité qui me passionne. J’ai déjà vécu plusieurs vies professionnelles dans ce secteur d’activité.
Je pense être une femme un peu différente, non pas des autres femmes… mais dans mon parcours personnel, avoir eu des marquages un peu particuliers, parce que j’avais rendu public ma pathologie, c’est-à-dire ma séropositivité, en écrivant un bouquin paru en 2011, témoignant de mon parcours et donc je suis quelqu’un qui est une survivante.
J’ai été contaminée à une époque où on ne pouvait pas survivre du V.I.H.
A cette époque, à peine 5% des personnes contaminées par ce virus s’en sont sorties et j’en fais partie.
J’ai donc un rapport à la vie qui est de survivre en permanence, de vivre donc très intensément les choses et cela fait aussi partie de qui je suis.
Parfois, ça n’aide pas à comprendre qui on est très profondément, parce qu'à vivre intensément les instants, bouillonner, on peut manquer d’intériorité.
Et je m’en rends compte au fur et à mesure de ma vie, des choses qui sont posées à 46 ans (on a plus de choses posées à cet âge qu’à 25 ans) et je me rends compte à quel point je dois m’efforcer de rechercher davantage la femme que je suis vraiment.
En fait, je suis toujours à la quête de savoir qui je suis vraiment quand j’ôte toutes ces couches à la fois de vécu, de contexte social, d’accomplissement qui sont merveilleuses mais… je trouve que parfois, cela peut masquer qui on est vraiment.
Surtout lorsque l’on a été marqué très jeune. Moi j’ai eu une déviation dans ma vie. Et je me dis que finalement, sans ça qui est une incidence, qu’aurais-je réellement fait ? Qu’aurais-je aimé faire ?
TourMaG.com - Vous avez une réponse ?
A.B. : J’aurais pu faire ce que je fais actuellement, travailler dans une entreprise engagée sur le voyage, la culture, l’environnement. Mais je n’aurais pas fait la formation que j’ai faite, à savoir école de commerce, expert-comptable, financière.
Enfant, je voulais être journaliste et j’aurais été plus dans l’écriture. J’adore écrire, j’aurais été dans un métier plus créatif, plus littéraire.
J’ai commencé par « l’audit », ce qui n’est pas ma personnalité…
Anne Bouferguène : (rire) Je pense qu’à la fin de ma vie, je saurais un peu plus qui je suis qu’aujourd’hui. Je crois que l’on court toujours après ce que l’on est et c’est un travail personnel d’avancement tout à fait personnel de savoir vraiment.
Qui suis-je, d’un point de vie objectif ?
J’ai 46 ans, j’ai deux enfants, je suis une femme heureuse dans sa vie, accomplie professionnellement, je travaille dans un secteur d’activité qui me passionne. J’ai déjà vécu plusieurs vies professionnelles dans ce secteur d’activité.
Je pense être une femme un peu différente, non pas des autres femmes… mais dans mon parcours personnel, avoir eu des marquages un peu particuliers, parce que j’avais rendu public ma pathologie, c’est-à-dire ma séropositivité, en écrivant un bouquin paru en 2011, témoignant de mon parcours et donc je suis quelqu’un qui est une survivante.
J’ai été contaminée à une époque où on ne pouvait pas survivre du V.I.H.
A cette époque, à peine 5% des personnes contaminées par ce virus s’en sont sorties et j’en fais partie.
J’ai donc un rapport à la vie qui est de survivre en permanence, de vivre donc très intensément les choses et cela fait aussi partie de qui je suis.
Parfois, ça n’aide pas à comprendre qui on est très profondément, parce qu'à vivre intensément les instants, bouillonner, on peut manquer d’intériorité.
Et je m’en rends compte au fur et à mesure de ma vie, des choses qui sont posées à 46 ans (on a plus de choses posées à cet âge qu’à 25 ans) et je me rends compte à quel point je dois m’efforcer de rechercher davantage la femme que je suis vraiment.
En fait, je suis toujours à la quête de savoir qui je suis vraiment quand j’ôte toutes ces couches à la fois de vécu, de contexte social, d’accomplissement qui sont merveilleuses mais… je trouve que parfois, cela peut masquer qui on est vraiment.
Surtout lorsque l’on a été marqué très jeune. Moi j’ai eu une déviation dans ma vie. Et je me dis que finalement, sans ça qui est une incidence, qu’aurais-je réellement fait ? Qu’aurais-je aimé faire ?
TourMaG.com - Vous avez une réponse ?
A.B. : J’aurais pu faire ce que je fais actuellement, travailler dans une entreprise engagée sur le voyage, la culture, l’environnement. Mais je n’aurais pas fait la formation que j’ai faite, à savoir école de commerce, expert-comptable, financière.
Enfant, je voulais être journaliste et j’aurais été plus dans l’écriture. J’adore écrire, j’aurais été dans un métier plus créatif, plus littéraire.
J’ai commencé par « l’audit », ce qui n’est pas ma personnalité…
A 15 ans, j'ai appris que j'avais le V.I.H.
Autres articles
-
Voyageurs du Monde réalise un 1er semestre 2023 hors norme
-
Cyberattaque Voyageurs du Monde : "les données de certains passeports dérobées et publiées"
-
Voyageurs du Monde renoue avec la croissance en 2022
-
Voyageurs du Monde s'attend à des années record en 2022 et 2023
-
Passeport vaccinal, certificat de santé : la FAQ de Jean-François Rial (Voyageurs du Monde)
TourMaG.com - Justement, en préparant cet entretien, je vous voyais comme une comptable…
A.B. : J’ai fait Sup de Co Dijon, puis je me suis orientée vers les métiers de la finance.
J’ai passé mon diplôme d’Expert-comptable puisque je voulais devenir Commissaire aux Comptes. Je n’étais pas mauvaise en cela, mais ça ne correspondait absolument pas à ma personnalité.
C’était pour moi une occasion d’ancrer des choses dans du binaire, du sûr ! Les métiers de la finance, des comptes...
Honnêtement, je déteste… avec le recul, les chiffres, notamment comptables, bien que l’on puisse leur faire dire ce que l’on veut. Ces métiers-là, ce ne sont pas des métiers d’interprétation.
TourMaG.com - A l’époque, recherchiez-vous, à travers ces études, une forme de vie stable, solide ?
A.B. : Oui, tout à fait : solide, stable, socialement très connoté « pas de folie ». Sans folie, sans excès. Moi, je suis atteinte d’une maladie qui est associée à l’excès quel qu’il soit.
Inconsciemment, j’ai fait une analyse de cela, en corrigeant certaines choses. Il ne faut pas oublier que, pendant ces années, je suis « planquée ».
Pendant 22 ans, je tais ma maladie ! Mais je veux vivre « planquée » durant toute ma vie, parce que je pense que, si je ne suis pas planquée, je ne m’en sortirai pas.
Je ne serai pas embauchée comme tout le monde et je n’aurai pas les même chances que tout le monde. C’est pour ça que je choisis des formations, des métiers, des façons d’être qui me planqueront le plus possible.
TourMaG.com - Vous étiez déjà consciente de cette maladie ?
A.B. : Ah mais oui. J’ai appris à 15 ans que j’avais le V.I.H. !
TourMaG.com - A 15 ans, on est ado. Comment réagit-on ?
A.B. : Et bien, on n’est plus ado ! En fait, on devient adulte tout de suite. Comme tout enfant confronté à quelque chose de très dur.
Soit on développe des pathologies d’insécurité, soit on devient quelqu’un d’hyper responsable et de très mature.
Moi, j’ai basculé, sans trop savoir pourquoi vers le côté d’hyper-maturité et puis, malgré tout, vers la vie. A cette époque, il n’y avait rien à faire, pas de traitement. J’ai donc décidé que je n’avais rien d’autre à faire que de continuer à vivre.
Il est vrai que je me suis mise plutôt à tenter de survivre. En fait, ce qui était formidable, c’est que tout était possible : quel frein se mettre, sinon se planquer… pour pouvoir avancer. Comme tout le monde, sans prendre de risque d’exposer ça, et je pense que j’ai bien fait.
De plus, je n’avais pas de contraintes : pour moi, rien n’était impossible.
TourMaG.com - Fiinalement, vous avez entamé une carrière professionnelle très vite.
A.B. : Oui, j’ai été repérée rapidement, pour des fonctions dirigeantes dans de grosses boites. Après 5 ans dans l’audit financier chez Price Waterhouse Coopers, j’avais été contrôleur de gestion, responsable d’une business Unit chez Siemens, rien ne me destinait à aller dans le tourisme.
Mais je m’ennuyais et j’ai été recrutée par le Club Med à des fonctions financières. J’y suis rentrée en 1999 et j’ai eu ma fille en 2001. Il faut dire que j’avais appris que je pouvais avoir des enfants et j’ai fait immédiatement.
Au retour de mon congé maternité, j’ai remplacé Eros, que tout le monde connait dans la profession. J'ai rejoint Jet tours en tant que directrice financière, de l’informatique et des services généraux, un gros périmètre, j’avais 28 ans.
5 ans plus tard, au départ de Laurence Berman, je deviens directrice générale de Jet tours. Et pourquoi tout cela a été possible, pour une femme avec des enfants qu’elle faisait en même temps (j’ai eu mon fils en 2004), c’est parce que pour moi, il n’y avait pas de problèmes. Je n’avais pas de limites.
L’environnement dans lequel j’ai évolué d’un point de vue managérial, qui n’était pas un environnement spécialement féministe, ne me posait et ne posait aucun problème : j’étais apte et je voulais sans arrêt « changer » de job. Je voulais tout faire, parce que je ne savais pas encore que je vivrai.
J’ai su que j’allais vivre depuis l’arrivée des années 2000 et de la trithérapie.
A.B. : J’ai fait Sup de Co Dijon, puis je me suis orientée vers les métiers de la finance.
J’ai passé mon diplôme d’Expert-comptable puisque je voulais devenir Commissaire aux Comptes. Je n’étais pas mauvaise en cela, mais ça ne correspondait absolument pas à ma personnalité.
C’était pour moi une occasion d’ancrer des choses dans du binaire, du sûr ! Les métiers de la finance, des comptes...
Honnêtement, je déteste… avec le recul, les chiffres, notamment comptables, bien que l’on puisse leur faire dire ce que l’on veut. Ces métiers-là, ce ne sont pas des métiers d’interprétation.
TourMaG.com - A l’époque, recherchiez-vous, à travers ces études, une forme de vie stable, solide ?
A.B. : Oui, tout à fait : solide, stable, socialement très connoté « pas de folie ». Sans folie, sans excès. Moi, je suis atteinte d’une maladie qui est associée à l’excès quel qu’il soit.
Inconsciemment, j’ai fait une analyse de cela, en corrigeant certaines choses. Il ne faut pas oublier que, pendant ces années, je suis « planquée ».
Pendant 22 ans, je tais ma maladie ! Mais je veux vivre « planquée » durant toute ma vie, parce que je pense que, si je ne suis pas planquée, je ne m’en sortirai pas.
Je ne serai pas embauchée comme tout le monde et je n’aurai pas les même chances que tout le monde. C’est pour ça que je choisis des formations, des métiers, des façons d’être qui me planqueront le plus possible.
TourMaG.com - Vous étiez déjà consciente de cette maladie ?
A.B. : Ah mais oui. J’ai appris à 15 ans que j’avais le V.I.H. !
TourMaG.com - A 15 ans, on est ado. Comment réagit-on ?
A.B. : Et bien, on n’est plus ado ! En fait, on devient adulte tout de suite. Comme tout enfant confronté à quelque chose de très dur.
Soit on développe des pathologies d’insécurité, soit on devient quelqu’un d’hyper responsable et de très mature.
Moi, j’ai basculé, sans trop savoir pourquoi vers le côté d’hyper-maturité et puis, malgré tout, vers la vie. A cette époque, il n’y avait rien à faire, pas de traitement. J’ai donc décidé que je n’avais rien d’autre à faire que de continuer à vivre.
Il est vrai que je me suis mise plutôt à tenter de survivre. En fait, ce qui était formidable, c’est que tout était possible : quel frein se mettre, sinon se planquer… pour pouvoir avancer. Comme tout le monde, sans prendre de risque d’exposer ça, et je pense que j’ai bien fait.
De plus, je n’avais pas de contraintes : pour moi, rien n’était impossible.
TourMaG.com - Fiinalement, vous avez entamé une carrière professionnelle très vite.
A.B. : Oui, j’ai été repérée rapidement, pour des fonctions dirigeantes dans de grosses boites. Après 5 ans dans l’audit financier chez Price Waterhouse Coopers, j’avais été contrôleur de gestion, responsable d’une business Unit chez Siemens, rien ne me destinait à aller dans le tourisme.
Mais je m’ennuyais et j’ai été recrutée par le Club Med à des fonctions financières. J’y suis rentrée en 1999 et j’ai eu ma fille en 2001. Il faut dire que j’avais appris que je pouvais avoir des enfants et j’ai fait immédiatement.
Au retour de mon congé maternité, j’ai remplacé Eros, que tout le monde connait dans la profession. J'ai rejoint Jet tours en tant que directrice financière, de l’informatique et des services généraux, un gros périmètre, j’avais 28 ans.
5 ans plus tard, au départ de Laurence Berman, je deviens directrice générale de Jet tours. Et pourquoi tout cela a été possible, pour une femme avec des enfants qu’elle faisait en même temps (j’ai eu mon fils en 2004), c’est parce que pour moi, il n’y avait pas de problèmes. Je n’avais pas de limites.
L’environnement dans lequel j’ai évolué d’un point de vue managérial, qui n’était pas un environnement spécialement féministe, ne me posait et ne posait aucun problème : j’étais apte et je voulais sans arrêt « changer » de job. Je voulais tout faire, parce que je ne savais pas encore que je vivrai.
J’ai su que j’allais vivre depuis l’arrivée des années 2000 et de la trithérapie.
J'ai décidé d'avoir un rôle plus social...
TourMaG.com - On fait juste une pause. A cette période, on ne connait pas encore les trithérapies. Est-ce que ce n’est pas pour vous une façon de se dire je vais profiter au maximum de la vie…
A.B. : Il y a de ça, c’est vrai. Il me fallait accomplir le maximum de choses en un minimum de temps, dans la vie professionnelle et personnelle.
Dans mon registre, à ce moment là et je ne sais pas pourquoi, il n’y avait pas de dimensions de « plaisir ». J’ai changé par la suite…Il y a la dimension d’accomplir, beaucoup, mais pas de prendre du plaisir.
TourMaG.com - Pourquoi ?
A.B. : Je ne sais pas. Je fais peut-être de la psycho à deux balles, mais c’est un peu comme si je faisais de la culpabilité en voulant rattraper quelque chose qui marque négativement la personne.
Il fallait surcompenser : j’ai un marquage très négatif, je n’ai pas n’importe quelle maladie. C’est une maladie qui fait peur, qui se transmet par les relations amoureuses, on n’est pas sur quelque chose d’anodin par rapport à soi-même.
Et je pense que je suis dans une forme de désamour de moi-même. Et que je cherche, je m’inflige des choses, afin de donner des preuves de qui je suis, pour moi-même.
Mais la dimension de plaisir n’est pas là… et je ne me demande jamais ce que j’aime faire. Ça viendra plus tard.
A l’époque, il y a comme un défi dans la progression sociale, du salaire mais qui n’est pas en tant que tel. Je cherche une façon de m’asseoir socialement pour, peut-être un jour, me demander enfin ce que je mérite et ce que j’ai le droit de faire.
TourMaG.com - Qu’est-ce que "je mérite" ?
A.B. : Oui. Les gens me trouvent très assurée, très bavarde, très accomplie…
TourMaG.com - Très jolie…
A.B. : Merci, mais je ne peux pas le dire moi-même. C’est une façade. Je n’ai pas un rapport à moi de cet ordre.
J’ai mal démarré, j’ai connu l’exclusion sociale, j’ai connu le rapport à la mort qui rôde autour de soi et je me demande « qu’est-ce que je mérite ? ».
Il me fallait vérifier tout ça dans un environnement peu familier. Je suis originaire d’un milieu simple : des parents fonctionnaires, en région. Je ne viens pas d’une famille où l’on faisait de grandes études et où tout le monde devenait cadre sup’.
J'ai des parents nés dans les années 40, qui ont bien vécu (c’était l’époque des 30 glorieuses). Mes parents avaient un rapport à la vie qui était un rapport de plaisir. C'est une génération qui a connu (et fait) Mai 68, mais qui avait un rapport de plaisir aux choses. Et moi, je viens de ça.
J’ai bifurqué dans une autre direction, sans jamais me couper de ma famille, et puis, j’essaye encore de faire la synthèse de tout ça. Parce que j’ai la chance de pouvoir le faire.
J’ai un bon job, je suis reconnue dans ma profession. J’ai la chance d’avoir réussi et ce n’est jamais un hasard, à m’associer à cette équipe de Voyageurs du Monde, qui est quand même une équipe atypique du monde du tourisme et de l’entreprise en général.
Je peux rééquilibrer des choses dans ma vie, j’ai écrit un bouquin (1), je passe beaucoup de temps à soutenir des causes : je suis trésorière d’un fonds de dotation et d’une association de lutte contre le Sida… Je fais énormément de choses à titre personnel.
En fait, j’ai décidé d’avoir un rôle plus social.
Naturellement, je me suis consacrée à des associations de lutte contre le sida et aussi contre l’homophobie. Dans ce dernier cas d’ailleurs, c’est très atypique : représenter cette cause quand on est hétéro, ce n’est pas courant… en étant chef d’entreprise.
Et, dans cette activité professionnelle, j’ai aussi réussi à allier un rapport aux valeurs derrière lesquelles je m’engage quand je travaille ! Souci que j’avais assez peu au commencement de ma carrière.
A.B. : Il y a de ça, c’est vrai. Il me fallait accomplir le maximum de choses en un minimum de temps, dans la vie professionnelle et personnelle.
Dans mon registre, à ce moment là et je ne sais pas pourquoi, il n’y avait pas de dimensions de « plaisir ». J’ai changé par la suite…Il y a la dimension d’accomplir, beaucoup, mais pas de prendre du plaisir.
TourMaG.com - Pourquoi ?
A.B. : Je ne sais pas. Je fais peut-être de la psycho à deux balles, mais c’est un peu comme si je faisais de la culpabilité en voulant rattraper quelque chose qui marque négativement la personne.
Il fallait surcompenser : j’ai un marquage très négatif, je n’ai pas n’importe quelle maladie. C’est une maladie qui fait peur, qui se transmet par les relations amoureuses, on n’est pas sur quelque chose d’anodin par rapport à soi-même.
Et je pense que je suis dans une forme de désamour de moi-même. Et que je cherche, je m’inflige des choses, afin de donner des preuves de qui je suis, pour moi-même.
Mais la dimension de plaisir n’est pas là… et je ne me demande jamais ce que j’aime faire. Ça viendra plus tard.
A l’époque, il y a comme un défi dans la progression sociale, du salaire mais qui n’est pas en tant que tel. Je cherche une façon de m’asseoir socialement pour, peut-être un jour, me demander enfin ce que je mérite et ce que j’ai le droit de faire.
TourMaG.com - Qu’est-ce que "je mérite" ?
A.B. : Oui. Les gens me trouvent très assurée, très bavarde, très accomplie…
TourMaG.com - Très jolie…
A.B. : Merci, mais je ne peux pas le dire moi-même. C’est une façade. Je n’ai pas un rapport à moi de cet ordre.
J’ai mal démarré, j’ai connu l’exclusion sociale, j’ai connu le rapport à la mort qui rôde autour de soi et je me demande « qu’est-ce que je mérite ? ».
Il me fallait vérifier tout ça dans un environnement peu familier. Je suis originaire d’un milieu simple : des parents fonctionnaires, en région. Je ne viens pas d’une famille où l’on faisait de grandes études et où tout le monde devenait cadre sup’.
J'ai des parents nés dans les années 40, qui ont bien vécu (c’était l’époque des 30 glorieuses). Mes parents avaient un rapport à la vie qui était un rapport de plaisir. C'est une génération qui a connu (et fait) Mai 68, mais qui avait un rapport de plaisir aux choses. Et moi, je viens de ça.
J’ai bifurqué dans une autre direction, sans jamais me couper de ma famille, et puis, j’essaye encore de faire la synthèse de tout ça. Parce que j’ai la chance de pouvoir le faire.
J’ai un bon job, je suis reconnue dans ma profession. J’ai la chance d’avoir réussi et ce n’est jamais un hasard, à m’associer à cette équipe de Voyageurs du Monde, qui est quand même une équipe atypique du monde du tourisme et de l’entreprise en général.
Je peux rééquilibrer des choses dans ma vie, j’ai écrit un bouquin (1), je passe beaucoup de temps à soutenir des causes : je suis trésorière d’un fonds de dotation et d’une association de lutte contre le Sida… Je fais énormément de choses à titre personnel.
En fait, j’ai décidé d’avoir un rôle plus social.
Naturellement, je me suis consacrée à des associations de lutte contre le sida et aussi contre l’homophobie. Dans ce dernier cas d’ailleurs, c’est très atypique : représenter cette cause quand on est hétéro, ce n’est pas courant… en étant chef d’entreprise.
Et, dans cette activité professionnelle, j’ai aussi réussi à allier un rapport aux valeurs derrière lesquelles je m’engage quand je travaille ! Souci que j’avais assez peu au commencement de ma carrière.
J'ai écrit ce livre pour mes enfants...
TourMaG.com - C’est la maladie qui a conduit à ça ou c’est une réflexion personnelle ?
A.B. : C’est une réflexion qui est venue naturellement mais à une période où je me suis autorisée…
En fait c’est lorsque je me suis lancée dans l’écriture : c’était une véritable libération par laquelle je mettais enfin ce sujet (la maladie, ndDG) de côté ! Ça m’a permis de me libérer de moi et de me tourner… vers les autres !
TourMaG.com - En rendant votre maladie publique, c’était pour vous libérer et faire partager aux autres ?
A.B. : Oui. Je vais être honnête. A ce moment, j’étais chez Thomas Cook et nous avions vécu deux ans très compliqués dans l’entreprise, avec Denis Wathier.
Je crois que j’ai fait une sorte de « burn out ». Je crois, on ne sait jamais. Mais cela a eu des impacts sur ma santé et j’ai développée une toxicité envers mon traitement.
Je me suis retrouvée dans une impasse. Je me suis arrêtée de travailler, ce qui ne m’était jamais arrivé et j’ai su, en arrêtant, que j’allais me libérer de beaucoup de choses.
Je dois dire que, lorsque j’en ai parlé à Denis Wathier (le président de Thomas Cook à l’époque, ndDG), il a été formidable ! Il me gardait ma place le temps que je voulais. Mais je savais que je ne reviendrai pas.
Je savais que je franchissais un cap personnel et je lui ai dit qu’il fallait me remplacer.
TourMaG.com - Pourtant, Denis Wathier, ce n’était pas particulièrement un homme très… empathique ?
A.B. : Vous savez, comme tous les gens qui paraissent un peu brutaux… il faut creuser ! (Rire)
Normalement, ça masque de l’hyper-sensibilité, dont l’attitude brutale sert souvent de carapace. Et moi, en tant que femme, je crois que j’avais un rapport à ce dirigeant qui a été contesté dans la forme managériale qu’il pouvait avoir, bien au-delà de ça ! Depuis le départ, lié sans doute à des sensibilités qui se comprennent au-delà des façades.
TourMaG.com - Bon. Et alors, vous vous mettez à écrire ?
A.B. : Oui, mais d’une manière testamentaire. Je me suis dit que malgré tout, ça pouvait mal tourner pour moi. Et je ne voulais surtout pas partir sans que mes enfants connaissent mon histoire.
TourMaG.com - Parce que vos enfants ne savaient rien ?
A.B. : Non. Personne hormis quelques très proches, le père de mes enfants, mes parents, c’est tout. Et pour moi, transmettre mon parcours à mes enfants, c’était leur transmettre un esprit d’ouverture et de tolérance.
Leur faire comprendre que parfois la société vous met dans une incapacité de s’intégrer. Je ne pouvais pas m’en aller sans leur dire, cela aurait été épouvantable. J’ai écrit pour eux et ce livre leur est dédié.
Mais ce n’était pas mon heure et, rencontrant un éditeur (Robert Laffont), ce dernier me propose de publier, ce que je n’avais pas du tout envisagé !
Et là, je me suis dit que j’avais des choses à transmettre, pas seulement à mes enfants. J’ai eu une chance énorme, j’ai bénéficié de toute la pointe de la science. J’ai bénéficié aussi du système de la Sécurité Sociale française.
J’ai expliqué à mes enfants, qui sont souvent contestataires envers leur pays, puisqu’ils sont français, je leur ai dit que si je n’étais pas née en France, je ne serais surement pas avec eux à l’heure actuelle. Ne serait-ce que sur un plan financier, étant issue d’une famille modeste, je n’aurais pas pu payer ce traitement.
Donc, n’ayant rien à perdre et comme on a un peu peur de parler de cette maladie, j’ai décidé de « faire partager ». Il me fallait faire un truc « bien », pas uniquement pour moi.
TourMaG.com - Vous avez envisagé le risque de rendre votre maladie publique ?
A.B. : Oui. Je me prépare même à toutes les saloperies du monde ! Je me dis que j’ai un emprunt et que la banque va surement le supprimer.
Mes enfants à l’école : comment ça va se passer ? J’envisage tout ce qui pourrait arriver et je me dis que je vais gérer.
Finalement, rien ne s’est passé comme je le craignais. Le livre, édité à 3 000 exemplaires, a été réédité à 15 000, ma banque m'a soutenue sans conditions, la sortie d’école, les mamans qui viennent me voir et me manifester leur sympathie…
J'ai eu que des retours formidables et j’en ai déduit que, lorsque l’on projette vers les autres une image agréable, le retour est immédiat.
A.B. : C’est une réflexion qui est venue naturellement mais à une période où je me suis autorisée…
En fait c’est lorsque je me suis lancée dans l’écriture : c’était une véritable libération par laquelle je mettais enfin ce sujet (la maladie, ndDG) de côté ! Ça m’a permis de me libérer de moi et de me tourner… vers les autres !
TourMaG.com - En rendant votre maladie publique, c’était pour vous libérer et faire partager aux autres ?
A.B. : Oui. Je vais être honnête. A ce moment, j’étais chez Thomas Cook et nous avions vécu deux ans très compliqués dans l’entreprise, avec Denis Wathier.
Je crois que j’ai fait une sorte de « burn out ». Je crois, on ne sait jamais. Mais cela a eu des impacts sur ma santé et j’ai développée une toxicité envers mon traitement.
Je me suis retrouvée dans une impasse. Je me suis arrêtée de travailler, ce qui ne m’était jamais arrivé et j’ai su, en arrêtant, que j’allais me libérer de beaucoup de choses.
Je dois dire que, lorsque j’en ai parlé à Denis Wathier (le président de Thomas Cook à l’époque, ndDG), il a été formidable ! Il me gardait ma place le temps que je voulais. Mais je savais que je ne reviendrai pas.
Je savais que je franchissais un cap personnel et je lui ai dit qu’il fallait me remplacer.
TourMaG.com - Pourtant, Denis Wathier, ce n’était pas particulièrement un homme très… empathique ?
A.B. : Vous savez, comme tous les gens qui paraissent un peu brutaux… il faut creuser ! (Rire)
Normalement, ça masque de l’hyper-sensibilité, dont l’attitude brutale sert souvent de carapace. Et moi, en tant que femme, je crois que j’avais un rapport à ce dirigeant qui a été contesté dans la forme managériale qu’il pouvait avoir, bien au-delà de ça ! Depuis le départ, lié sans doute à des sensibilités qui se comprennent au-delà des façades.
TourMaG.com - Bon. Et alors, vous vous mettez à écrire ?
A.B. : Oui, mais d’une manière testamentaire. Je me suis dit que malgré tout, ça pouvait mal tourner pour moi. Et je ne voulais surtout pas partir sans que mes enfants connaissent mon histoire.
TourMaG.com - Parce que vos enfants ne savaient rien ?
A.B. : Non. Personne hormis quelques très proches, le père de mes enfants, mes parents, c’est tout. Et pour moi, transmettre mon parcours à mes enfants, c’était leur transmettre un esprit d’ouverture et de tolérance.
Leur faire comprendre que parfois la société vous met dans une incapacité de s’intégrer. Je ne pouvais pas m’en aller sans leur dire, cela aurait été épouvantable. J’ai écrit pour eux et ce livre leur est dédié.
Mais ce n’était pas mon heure et, rencontrant un éditeur (Robert Laffont), ce dernier me propose de publier, ce que je n’avais pas du tout envisagé !
Et là, je me suis dit que j’avais des choses à transmettre, pas seulement à mes enfants. J’ai eu une chance énorme, j’ai bénéficié de toute la pointe de la science. J’ai bénéficié aussi du système de la Sécurité Sociale française.
J’ai expliqué à mes enfants, qui sont souvent contestataires envers leur pays, puisqu’ils sont français, je leur ai dit que si je n’étais pas née en France, je ne serais surement pas avec eux à l’heure actuelle. Ne serait-ce que sur un plan financier, étant issue d’une famille modeste, je n’aurais pas pu payer ce traitement.
Donc, n’ayant rien à perdre et comme on a un peu peur de parler de cette maladie, j’ai décidé de « faire partager ». Il me fallait faire un truc « bien », pas uniquement pour moi.
TourMaG.com - Vous avez envisagé le risque de rendre votre maladie publique ?
A.B. : Oui. Je me prépare même à toutes les saloperies du monde ! Je me dis que j’ai un emprunt et que la banque va surement le supprimer.
Mes enfants à l’école : comment ça va se passer ? J’envisage tout ce qui pourrait arriver et je me dis que je vais gérer.
Finalement, rien ne s’est passé comme je le craignais. Le livre, édité à 3 000 exemplaires, a été réédité à 15 000, ma banque m'a soutenue sans conditions, la sortie d’école, les mamans qui viennent me voir et me manifester leur sympathie…
J'ai eu que des retours formidables et j’en ai déduit que, lorsque l’on projette vers les autres une image agréable, le retour est immédiat.
Mes amitiés sont en dehors de la profession
TourMaG.com - Justement, dans notre secteur du tourisme, vous avez aussi été soutenue ?
A.B. : Oui, beaucoup. Notamment par René-Marc Chikli qui avait une affection particulière pour moi, puisque je suis d’origine kabyle, comme lui et que je dirigeais Jet tours ! Même si nous n’avions jamais travaillé ensemble.
Mais il a fait une chose extraordinaire lorsque j’ai « quitté » provisoirement ma vie professionnelle, il m’a conservé ma place au comité directeur du Seto.
En fait, personne ne m’a mise en marge. Je me suis donc impliquée dans le Seto, j’ai participé à la construction du Syndicat et j’ai ainsi gardé le contact avec ce monde professionnel.
Puis, très vite, Jean-François Rial est venu me chercher en me proposant, puisque l’un de ses collaborateurs très proches, Philippe Romeiro, avait de graves ennuis de santé. Il voulait que je l’épaule…
Gonflé : il associait quelqu’un qui n’avait plus envie de travailler à quelqu’un qui était souffrant ! Ça a marché. Nous avons fait un attelage formidable durant quatre ans… Puis, il est parti.
Et il me manque, tellement nous étions complémentaires.
TourMaG.com - Je voudrais revenir sur ce que vous me disiez tout à l’heure, en parlant de vivre toujours avec une façade. C’est encore vrai maintenant ?
A.B. : Oui, c’est encore vrai. Je le sais, mais c’est plus fort que moi.
TourMaG.com - Mais je parle à qui en ce moment ? La vraie Anne ou l’autre ?
A.B. : Aux deux personnages. Regardez, dans ma forme d’expression très affirmée, très structurée, très déterminée et la sensibilité que j’arrive à laisser passer.
En fait j’aimerais transformer un peu ce « moi ». Je suis ça, mais ça ne me satisfait pas. C’est pour cela que je dis que c’est une façade.
On les a tous, nos façades. Mais en ce qui me concerne il y a une partie de moi qui ne me plait pas, parce que je trouve qu’il y a une forme d’arrogance. Je me fais rire, je me regarde, je me dis « arrête » et non, je n’y arrive pas.
Les gens m’aiment pour ça aussi, mais moi, parfois, mon théâtre m’énerve. Mais c’est mieux et j’essaye maintenant d’être plus « récepteur ».
Ce n’est pas encore gagné. Dans une discussion, généralement le temps de parole est à peu près équilibré. Moi, j’occupe environ 80% de temps. Si je dis des choses intelligentes, c’est bien pour mon interlocuteur qui va « s’enrichir ».
En revanche, moi, je n’aurais rien appris. Je n’aurais pas appris de l’autre, de ce qu’il peut m’amener, de sa vision différente… Je trouve cela dommage.
Mais je veux changer. Je suis une dirigeante qui veut évoluer personnellement et qui avoue ses travers.
TourMaG.com - Pour vous, les amis c’est beaucoup de la famille du tourisme ?
A.B. : Non, c’est très éclectique. Dans mon rapport professionnel, j’ai des affinités avec cette « bande » (2) parce que je les ai connus dans l’exercice de ma profession : Emmanuel (Foiry), on était concurrents, on a eu beaucoup de discussions ensemble, on s’appréciait.
Patrice (Caradec) dans ce qu’il faisait aussi, on se rencontrait au Seto. Jean-François (Rial) qui était à part, à tous points de vue, dans le business qu’il avait, dans sa façon d’être et ses propos très politiques très engagés, Henri au Club…
Tous ces personnages sont restés et nous avons développé des amitiés professionnelles. Mais, dans la profession, je n’ai pas d’amitiés personnelles. Je ne pars en week-end avec personne.
Mes amitiés sont en dehors de la profession. On aurait pu penser que j’avais une amitié plus prononcée avec Jean-François, mais depuis que nous travaillons ensemble, nous sommes quand même dans un rapport professionnel. J’ai vraiment des amitiés, des affinités… mais je suis une femme et ce ne sont que des mecs !
TourMaG.com - Justement…
A.B. : Eh bien je pense que, en tant que femme, je ne suis pas totalement leur amie. Parce que je suis une femme, plutôt très féminine, assez affirmée. Ils n’ont pas forcément envie de passer du temps avec moi.
Ce n’est pas méchant et je le comprends : ils sont entre potes, ils sont bien, qu’est-ce que cette « nana » viendrait faire dans ces moments plus amicaux ? Ils n’emmènent pas leurs femmes !
Je caricature un peu, mais c’est une bande de mecs, qui sont formidablement sympathiques avec moi. Je sais que si j’ai une tuile un jour, je peux appeler l’un d’entre eux : il sera là !
Il y a certainement quelque chose de fort, mais pas du domaine de l’amitié personnelle. Du respect, du vécu, parfois un certain paternalisme, comme René-Marc Chikli, mon père spirituel comme il l’a lui-même déterminé. Ca me va très bien.
Et puis, ils ne sont pas insensibles à mon histoire non plus !
A.B. : Oui, beaucoup. Notamment par René-Marc Chikli qui avait une affection particulière pour moi, puisque je suis d’origine kabyle, comme lui et que je dirigeais Jet tours ! Même si nous n’avions jamais travaillé ensemble.
Mais il a fait une chose extraordinaire lorsque j’ai « quitté » provisoirement ma vie professionnelle, il m’a conservé ma place au comité directeur du Seto.
En fait, personne ne m’a mise en marge. Je me suis donc impliquée dans le Seto, j’ai participé à la construction du Syndicat et j’ai ainsi gardé le contact avec ce monde professionnel.
Puis, très vite, Jean-François Rial est venu me chercher en me proposant, puisque l’un de ses collaborateurs très proches, Philippe Romeiro, avait de graves ennuis de santé. Il voulait que je l’épaule…
Gonflé : il associait quelqu’un qui n’avait plus envie de travailler à quelqu’un qui était souffrant ! Ça a marché. Nous avons fait un attelage formidable durant quatre ans… Puis, il est parti.
Et il me manque, tellement nous étions complémentaires.
TourMaG.com - Je voudrais revenir sur ce que vous me disiez tout à l’heure, en parlant de vivre toujours avec une façade. C’est encore vrai maintenant ?
A.B. : Oui, c’est encore vrai. Je le sais, mais c’est plus fort que moi.
TourMaG.com - Mais je parle à qui en ce moment ? La vraie Anne ou l’autre ?
A.B. : Aux deux personnages. Regardez, dans ma forme d’expression très affirmée, très structurée, très déterminée et la sensibilité que j’arrive à laisser passer.
En fait j’aimerais transformer un peu ce « moi ». Je suis ça, mais ça ne me satisfait pas. C’est pour cela que je dis que c’est une façade.
On les a tous, nos façades. Mais en ce qui me concerne il y a une partie de moi qui ne me plait pas, parce que je trouve qu’il y a une forme d’arrogance. Je me fais rire, je me regarde, je me dis « arrête » et non, je n’y arrive pas.
Les gens m’aiment pour ça aussi, mais moi, parfois, mon théâtre m’énerve. Mais c’est mieux et j’essaye maintenant d’être plus « récepteur ».
Ce n’est pas encore gagné. Dans une discussion, généralement le temps de parole est à peu près équilibré. Moi, j’occupe environ 80% de temps. Si je dis des choses intelligentes, c’est bien pour mon interlocuteur qui va « s’enrichir ».
En revanche, moi, je n’aurais rien appris. Je n’aurais pas appris de l’autre, de ce qu’il peut m’amener, de sa vision différente… Je trouve cela dommage.
Mais je veux changer. Je suis une dirigeante qui veut évoluer personnellement et qui avoue ses travers.
TourMaG.com - Pour vous, les amis c’est beaucoup de la famille du tourisme ?
A.B. : Non, c’est très éclectique. Dans mon rapport professionnel, j’ai des affinités avec cette « bande » (2) parce que je les ai connus dans l’exercice de ma profession : Emmanuel (Foiry), on était concurrents, on a eu beaucoup de discussions ensemble, on s’appréciait.
Patrice (Caradec) dans ce qu’il faisait aussi, on se rencontrait au Seto. Jean-François (Rial) qui était à part, à tous points de vue, dans le business qu’il avait, dans sa façon d’être et ses propos très politiques très engagés, Henri au Club…
Tous ces personnages sont restés et nous avons développé des amitiés professionnelles. Mais, dans la profession, je n’ai pas d’amitiés personnelles. Je ne pars en week-end avec personne.
Mes amitiés sont en dehors de la profession. On aurait pu penser que j’avais une amitié plus prononcée avec Jean-François, mais depuis que nous travaillons ensemble, nous sommes quand même dans un rapport professionnel. J’ai vraiment des amitiés, des affinités… mais je suis une femme et ce ne sont que des mecs !
TourMaG.com - Justement…
A.B. : Eh bien je pense que, en tant que femme, je ne suis pas totalement leur amie. Parce que je suis une femme, plutôt très féminine, assez affirmée. Ils n’ont pas forcément envie de passer du temps avec moi.
Ce n’est pas méchant et je le comprends : ils sont entre potes, ils sont bien, qu’est-ce que cette « nana » viendrait faire dans ces moments plus amicaux ? Ils n’emmènent pas leurs femmes !
Je caricature un peu, mais c’est une bande de mecs, qui sont formidablement sympathiques avec moi. Je sais que si j’ai une tuile un jour, je peux appeler l’un d’entre eux : il sera là !
Il y a certainement quelque chose de fort, mais pas du domaine de l’amitié personnelle. Du respect, du vécu, parfois un certain paternalisme, comme René-Marc Chikli, mon père spirituel comme il l’a lui-même déterminé. Ca me va très bien.
Et puis, ils ne sont pas insensibles à mon histoire non plus !
On n'attrape pas le V.I.H. comme ça !
TourMaG.com - Dans cette profession particulièrement, être une femme, de surcroît dirigeante, n’est-ce pas un handicap ?
A.B. : Dans cette profession, je ne l’ai jamais trop ressenti, à cause de mon côté déterminé et affirmé. Et pertinent quand même.
Mais de manière générale dans les rapports aux autres, la femme qui a un gros job, qui écrit, ça conduit à la sympathie, mais ça met une barrière.
Un exemple, je fais de l’ultra trail, un sport particulièrement costaud ! Au Mont Blanc, c’est une course de 160 km autour de la montagne, on monte 10 km de dénivelé et on redescend. Ce sont des courses extrêmes. Tous les mecs veulent faire le trail du Mont Blanc : moi, je l’ai déjà fait.
Mais pour un homme ça ne passe pas trop. Pour eux, une femme c’est fait pour que l’on s’occupe d’elle. L’homme aime bien être « celui qui fait un peu plus dans sa masculinité ».
En fait, moi je les castre, parce que le terrain des hommes, je l’occupe. Parfois ça pose des problèmes… Et du coup, on pense que je ne suis pas comme tout le monde.
Faut voir quand je double un mec sur une course : c’est quasi un drame, alors que moi, je fais vraiment ces courses en loisirs.
Mais j’ai quand même fait le trail du Mont Blanc en 43 heures. Pour 160 km, c’est pas mal…
TourMaG.com - Vous en voulez à l’homme qui vous a transmis cette maladie ?
A.B. : Non pas du tout. Pour objectiver mon propos, à cette époque, dans ma petite ville de province, Dijon en l’occurrence, le sida, on n’en parle pas vraiment et l’on ne sait pas trop ce que c’est. Une vague rumeur venue des Etats-Unis dont meurent les gays.
De ce que je pense, la personne qui m’a contaminée ne le savait pas ! Mais il n’y a pas volonté de malveillance.
On manque de précautions, c’est vrai, mais nous sommes alors dans une époque où la publicité du préservatif est interdite. Nous sommes vraiment au tout début et quand les gens « transmettent » c’est involontaire parce que personne ne sait s’il est infecté… ou pas !
Cela étant, je pense quand même que les choses n’arrivent jamais par hasard. Il peut y avoir des concours malheureux de circonstances : ça a été le cas pour moi.
Mais on n’attrape pas le V.I.H comme ça. Vous savez, lorsque l’on est hétéro, comme moi, il faut plutôt aller au contact de gens « hors normes », de gens qui vont « en dehors des clous ».
Quant à savoir pourquoi, en ce qui me concerne ? Ça reste un mystère. Peut-être qu’en progressant je comprendrai pourquoi je vais régulièrement en dehors des clous.
Je ne sais pas… encore. Mais j’aime aller en dehors des clous. C’est parfois une qualité.
Mais se mettre en dehors des clous au point de se mettre en danger, ce qui m’arrive régulièrement (c’est sincère et il faut un certain courage pour le dire), il va me falloir quelques années d’analyse que je n’ai pas encore commencée.
A moins que ce ne soit qu’une vue de mon esprit ? Je ne sais pas.
En fait, dans ma personnalité, ce que je vais dire me rassure, il n’y a pas que la maladie.
J’ai cette personnalité depuis le départ, la maladie est venue exacerber un trait de caractère. Je suis intelligente et ça donne du handicap, croyez-moi.
Donc, quand on est plus jeune, on va plus vite que tout le monde, on se met « en dehors des clous », puisque l’on n’est pas comme tout le monde. Et, pour légitimer ça, on va peut-être aller inconsciemment ramasser le truc qui fait que, définitivement, on ne sera jamais comme tout le monde.
C’est une analyse possible des choses. Mais c’est aussi un concours malheureux de circonstances… qui n’arrive pas par hasard non plus ! Voilà.
A.B. : Dans cette profession, je ne l’ai jamais trop ressenti, à cause de mon côté déterminé et affirmé. Et pertinent quand même.
Mais de manière générale dans les rapports aux autres, la femme qui a un gros job, qui écrit, ça conduit à la sympathie, mais ça met une barrière.
Un exemple, je fais de l’ultra trail, un sport particulièrement costaud ! Au Mont Blanc, c’est une course de 160 km autour de la montagne, on monte 10 km de dénivelé et on redescend. Ce sont des courses extrêmes. Tous les mecs veulent faire le trail du Mont Blanc : moi, je l’ai déjà fait.
Mais pour un homme ça ne passe pas trop. Pour eux, une femme c’est fait pour que l’on s’occupe d’elle. L’homme aime bien être « celui qui fait un peu plus dans sa masculinité ».
En fait, moi je les castre, parce que le terrain des hommes, je l’occupe. Parfois ça pose des problèmes… Et du coup, on pense que je ne suis pas comme tout le monde.
Faut voir quand je double un mec sur une course : c’est quasi un drame, alors que moi, je fais vraiment ces courses en loisirs.
Mais j’ai quand même fait le trail du Mont Blanc en 43 heures. Pour 160 km, c’est pas mal…
TourMaG.com - Vous en voulez à l’homme qui vous a transmis cette maladie ?
A.B. : Non pas du tout. Pour objectiver mon propos, à cette époque, dans ma petite ville de province, Dijon en l’occurrence, le sida, on n’en parle pas vraiment et l’on ne sait pas trop ce que c’est. Une vague rumeur venue des Etats-Unis dont meurent les gays.
De ce que je pense, la personne qui m’a contaminée ne le savait pas ! Mais il n’y a pas volonté de malveillance.
On manque de précautions, c’est vrai, mais nous sommes alors dans une époque où la publicité du préservatif est interdite. Nous sommes vraiment au tout début et quand les gens « transmettent » c’est involontaire parce que personne ne sait s’il est infecté… ou pas !
Cela étant, je pense quand même que les choses n’arrivent jamais par hasard. Il peut y avoir des concours malheureux de circonstances : ça a été le cas pour moi.
Mais on n’attrape pas le V.I.H comme ça. Vous savez, lorsque l’on est hétéro, comme moi, il faut plutôt aller au contact de gens « hors normes », de gens qui vont « en dehors des clous ».
Quant à savoir pourquoi, en ce qui me concerne ? Ça reste un mystère. Peut-être qu’en progressant je comprendrai pourquoi je vais régulièrement en dehors des clous.
Je ne sais pas… encore. Mais j’aime aller en dehors des clous. C’est parfois une qualité.
Mais se mettre en dehors des clous au point de se mettre en danger, ce qui m’arrive régulièrement (c’est sincère et il faut un certain courage pour le dire), il va me falloir quelques années d’analyse que je n’ai pas encore commencée.
A moins que ce ne soit qu’une vue de mon esprit ? Je ne sais pas.
En fait, dans ma personnalité, ce que je vais dire me rassure, il n’y a pas que la maladie.
J’ai cette personnalité depuis le départ, la maladie est venue exacerber un trait de caractère. Je suis intelligente et ça donne du handicap, croyez-moi.
Donc, quand on est plus jeune, on va plus vite que tout le monde, on se met « en dehors des clous », puisque l’on n’est pas comme tout le monde. Et, pour légitimer ça, on va peut-être aller inconsciemment ramasser le truc qui fait que, définitivement, on ne sera jamais comme tout le monde.
C’est une analyse possible des choses. Mais c’est aussi un concours malheureux de circonstances… qui n’arrive pas par hasard non plus ! Voilà.
La norme ne m'intéresse pas !
TourMaG.com - Mais, maintenant, avez-vous atteint un certain stade de maturité ?
A.B. : (Rire). Je pense avoir une certaine maturité : je suis une bonne maman, je ne suis pas déconstruite…
Je pense que la maturité, c’est une chose après laquelle on va continuer à courir. Et tant que l’on n’aura pas pris le soin de décoder certaines choses dans ses comportements, on risque de reproduire, même avec du progrès intérieur, un certain nombre de choses de cette nature.
Et je pense que, me concernant, je dois travailler un peu plus le décodage.
Je pense que je m’ennuierais beaucoup si je n’avais pas cela à faire. Et je pense que beaucoup, au bout d’une vie, n’auront même pas compris qu’il faut le faire.
Je suis fière de ce que je suis, malgré mon inaccomplissement et une certaine forme d’immaturité, comparé à beaucoup de gens qui vont passer au travers durant toute une vie. Je me dis que j’ai beaucoup de chance parce que j’ai cette capacité d’introspection et de me dire que je vais encore avoir à bosser.
Intérieurement, il y a encore du boulot, pour être plus sage, plus accomplie, plus mesurée…
La solitude : j’ai un rapport avec la solitude… j’ai peur ! Oh, je l’ai apprivoisée un petit peu, mais je m’aperçois que l’on peut être seule sans jamais prendre le temps de « célébrer » le côté plus contemplatif que doit permettre ce moment de solitude. Je ne laisse jamais le vide s’installer.
TourMaG.com - Est-ce que dans ce monde du voyage, vous arrivez à trouver un certain équilibre ?
A.B. : Oui. De manière générale, je pense que les gens qui travaillent dans ce monde du voyage ont une ouverture, une sensibilité à l’autre, à la culture, plus développée que la moyenne.
Ici, chez Voyageurs du Monde, les collaborateurs ont cette ouverture et j’aime beaucoup évoluer dans ce milieu. Et j’en ai connu d’autres, dans la finance notamment.
Mais le voyage, c’est une profession où l’on rencontre des gens plutôt ouverts, plutôt sympathiques… Et, comme partout, on a des affinités plus ou moins prononcées avec les uns ou les autres.
Par exemple, je travaille avec des gens passionnés par leurs destinations et qui ont un niveau de transmission absolument fabuleux ! Très attachant et qui me touche, moi, qui me fait évoluer…
TourMaG.com - Anne, êtes-vous heureuse ?
A.B. : (hésitation) … Oui. Pas accomplie, mais heureuse !
TourMaG.com - Vous pourriez changer quelque chose dans votre vie ?
A.B. : Vous voulez me demandez si je pourrai effectuer des changements radicaux ? Oui, tout le temps. J’ai cette capacité permanente à le faire. Et c’est ce qui me rassure. Je suis libre !
Quand il faut prendre des décisions radicales, je les prends toujours. Je fais des changements de vie réguliers, parce que, à un moment donné, je considère que ma liberté est empiétée et je fais des changements radicaux.
Ce qui n’est pas toujours facile, mais je ne suis pas dans la normalité : la norme ne m’intéresse pas !
(1) Un mal qui ne se dit pas, Editions Robert Laffont
(2) Jean-François, Olivier, Mumtaz, Patrice, Manu, René-Marc... et les autres !
A.B. : (Rire). Je pense avoir une certaine maturité : je suis une bonne maman, je ne suis pas déconstruite…
Je pense que la maturité, c’est une chose après laquelle on va continuer à courir. Et tant que l’on n’aura pas pris le soin de décoder certaines choses dans ses comportements, on risque de reproduire, même avec du progrès intérieur, un certain nombre de choses de cette nature.
Et je pense que, me concernant, je dois travailler un peu plus le décodage.
Je pense que je m’ennuierais beaucoup si je n’avais pas cela à faire. Et je pense que beaucoup, au bout d’une vie, n’auront même pas compris qu’il faut le faire.
Je suis fière de ce que je suis, malgré mon inaccomplissement et une certaine forme d’immaturité, comparé à beaucoup de gens qui vont passer au travers durant toute une vie. Je me dis que j’ai beaucoup de chance parce que j’ai cette capacité d’introspection et de me dire que je vais encore avoir à bosser.
Intérieurement, il y a encore du boulot, pour être plus sage, plus accomplie, plus mesurée…
La solitude : j’ai un rapport avec la solitude… j’ai peur ! Oh, je l’ai apprivoisée un petit peu, mais je m’aperçois que l’on peut être seule sans jamais prendre le temps de « célébrer » le côté plus contemplatif que doit permettre ce moment de solitude. Je ne laisse jamais le vide s’installer.
TourMaG.com - Est-ce que dans ce monde du voyage, vous arrivez à trouver un certain équilibre ?
A.B. : Oui. De manière générale, je pense que les gens qui travaillent dans ce monde du voyage ont une ouverture, une sensibilité à l’autre, à la culture, plus développée que la moyenne.
Ici, chez Voyageurs du Monde, les collaborateurs ont cette ouverture et j’aime beaucoup évoluer dans ce milieu. Et j’en ai connu d’autres, dans la finance notamment.
Mais le voyage, c’est une profession où l’on rencontre des gens plutôt ouverts, plutôt sympathiques… Et, comme partout, on a des affinités plus ou moins prononcées avec les uns ou les autres.
Par exemple, je travaille avec des gens passionnés par leurs destinations et qui ont un niveau de transmission absolument fabuleux ! Très attachant et qui me touche, moi, qui me fait évoluer…
TourMaG.com - Anne, êtes-vous heureuse ?
A.B. : (hésitation) … Oui. Pas accomplie, mais heureuse !
TourMaG.com - Vous pourriez changer quelque chose dans votre vie ?
A.B. : Vous voulez me demandez si je pourrai effectuer des changements radicaux ? Oui, tout le temps. J’ai cette capacité permanente à le faire. Et c’est ce qui me rassure. Je suis libre !
Quand il faut prendre des décisions radicales, je les prends toujours. Je fais des changements de vie réguliers, parce que, à un moment donné, je considère que ma liberté est empiétée et je fais des changements radicaux.
Ce qui n’est pas toujours facile, mais je ne suis pas dans la normalité : la norme ne m’intéresse pas !
(1) Un mal qui ne se dit pas, Editions Robert Laffont
(2) Jean-François, Olivier, Mumtaz, Patrice, Manu, René-Marc... et les autres !
Retrouvez toutes les interviews "Je ne vous ai rien dit..." par Dominique Gobert en cliquant sur ce lien.